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Une Nuit à L'hôtel Californie - Version imprimable

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Une Nuit à L'hôtel Californie - Xavier - 25-02-2006


Ou comment je viens brillamment de finir une nouvelle dont j'ai entamé l'écriture il y a maintenant plus de cinq ans (véridique) sans me faire chier.


En gros, ça raconte l'histoire d'un space marine du chaos qui est le plus fort. Mais en même temps si vous voulez, j'ai essayé d'écrire quelque chose d'équilibré, un peu ambigu même. Parce que bon, tout le monde connait le frère-capitaine Josephus de la première compagnie des Thousand Sons, le happy good guy qui triomphe toujours de tous les méchants et qui emballe toutes les nanas dans les réceptions branchées chez les Rotschild. Mais j'ai voulu donner l'idée qu'il y avait un autre frère-capitaine Josephus, plus intime, plus mystérieux, peut-être plus sombre même, dans le genre dark-sinistre-shadow-pas-cool comme au cinéma quand le gentil est jamais vraiment si gentil que ça vous voyez le truc.


Tant que j'y suis, merci aux Eagles et à Genesis pour prouver que je peux trouver de l'inspiration à deux balles vraiment n'importe où.


Dans le même registre "hommage discret foireux", le Maître du Chaos et Oz-Na-Mun sont pompés chez deux vieux routards du jeu de rôle passés par chez GW, Joe Dever et Ian Page.


Comme d'habitude, je mets l'histoire en ligne en pdf ici :


http://zugrub.chez-alice.fr/nouvelles/anathc.pdf


Et des fois que ça marche pas (ça ne marche jamais), je la remets ci-dessous dans un autre post, en deux parties puisque c'est trop gros semble-t-il. Merci d'avance pour vos commentaires et pour me signaler les fautes de frappes, oublis et autres. Je viens en particulier de torcher la fin sur un coin de nappe en papier et je trouve qu'elle pue singulièrement du cul.




Une Nuit à L'hôtel Californie - Xavier - 25-02-2006


A NIGHT AT THE HOTEL CALIFORNIA


Prologue


Le capitaine Josephus avança d'un pas raide jusqu'au pied des trônes jumeaux et s'inclina légèrement avant de relever les yeux vers les deux femmes qui les occupaient. La première avait de longs cheveux noirs qui retombaient en mèches sur ses épaules et sur son cou qu'enserrait un lourd collier d'or. Ses lèvres étaient rouges et pulpeuses, ses yeux d'un vert d'émeraude. La seconde, plus petite, avait des cheveux blonds et fins et un visage enfantin aux yeux bleus. Toutes deux étaient extraordinairement belles ; Leurs corps parfaits se drapaient dans de longues robes de soie pourpre.


"Nous avons réfléchit à votre demande," dit posément la première. "Et nous n'avons trouvé aucune objection à y accéder."


"Les termes du marché sont en votre faveur, ô reines," répondit calmement Josephus.


"Nous voulons croire que cela est bien le cas." La femme blonde avait pris la parole. Elle ouvrit une cassette de métal doré qui reposait à ses côtés et en tira un lourd pendentif. Puis elle se leva, descendit les quelques marches qui la séparaient du capitaine et plaça l'objet dans sa main.


"Le médaillon qui recèle le pouvoir de la mort. Il est à vous seigneur."


Elle revint s'asseoir sur son trône.


"Vous allez partir à présent n'est-ce pas ?"


"Je le dois, reines."


"Nous avons été heureuses de vous accueillir à Azoora. Et nous connaîtrions un grand plaisir si vous deviez à nouveau nous honorer de votre présence."


Josephus s'inclina une nouvelle fois avant de quitter la pièce. Quand il eut disparu, la femme blonde se pencha vers sa voisine pour murmurer :


"Il est très beau n'est-ce pas ?"


"Irena ma chère sœur, j'interprète tes paroles comme un affront à mes droits d'aînesse."


Irena ferma les yeux quand les lèvres douces et tièdes de sa sœur se pressèrent contre les siennes.


"Ne dis-tu pas, Anna, que tout ce qui t'appartient m'appartient également ?"


*


**


Josephus poussa violemment la porte du pied et entra dans la chambre, visiblement furieux. Le frère Mordenkain se redressa sur le somptueux lit à baldaquin.


"L'avez-vous frère-capitaine ?"


"Oui. Voyez cela."


Mordenkain saisit la chaîne du pendentif, le soupesa puis l'amena à hauteur de son visage pour l'étudier attentivement; Le médaillon était une simple bille de métal brillant incrusté dans un disque ouvragé figurant visiblement un soleil.


"Mais il est en césium pur !"


"Le médaillon qui recèle le pouvoir de la mort," ricana Josephus, "est une véritable bombe à radiations. Elles le conservaient dans un coffre en or massif."


Il ouvrit un placard de bois ciselé et en sortit un cylindre de métal gravé de runes qu'il effleura du doigt. Dans un léger sifflement un panneau coulissa, révélant l'intérieur du réceptacle. Mordenkain y déposa délicatement le pendentif et le panneau se referma.


"Partons d'ici. Il me serait plus facile de défaire toutes les armées de l'enfer pestilentiel que de rester une seconde de plus face à ces lesbiennes dégénérées. Je hais tous les mensonges que je dois proférer pour conserver leur complaisance qui n'a d'ailleurs rien d'innocent."


"Je ne suis pas étonné. Les jolies femmes sont toujours homosexuelles."


Josephus ouvrit des yeux ronds de stupéfaction.


"Quel est le sens de cette réflexion frère Mordenkain ?"


Mordenkain haussa les épaules. "Vraiment, vous ne ressentez rien d'étrange dans cette ville ? Chez ses habitants ? Et chez ses reines jumelles ? Curieux tout ce luxe et toute cette futilité en un lieu ou le seigneur de la décadence est tout puissant et ou son culte est une obligation."


"Tout dans cette ville n'est que corruption. Ses habitants n'adorent plus leur dieu depuis bien longtemps et leurs prêtres ont oublié leurs devoirs en se détournant de lui pour se vouer à d'autres idoles et sombrer dans l'hédonisme. Ils ne connaissent plus ni l'espoir ni rien qui puisse les inciter à prendre leur destin en main; Ils se contentent de profiter mollement des plaisirs immédiats dont ils peuvent bénéficier à condition que cela ne leur coûte qu'un effort minimal. Ils sont exécrables. Ils sont condamnés."


"Vous ne croyez pas si bien dire frère-capitaine. Regardez."


Les deux Thousand Sons s'approchèrent de la fenêtre pour observer le fantastique phénomène qui prenait naissance au-dessus des sables brûlants du désert, loin des tours pyramidales d'Azoora. Un nuage de noirceur surgi du néant dans un ciel d'azur se formait, se tordait en vrilles de ténèbres, s'agglutinait, grandissait pour atteindre des dimensions gigantesques, jusqu'à écraser l'horizon.


"Père Nurgle chérit ses enfants… A condition qu'ils le lui rendent. La nuée sera sur cette ville d'un instant à l'autre et nos belles reines vont payer cher le crime de nous avoir offert leur hospitalité. Nous tenons ce que nous sommes venus chercher. Disparaissons à présent frère Mordenkain. Si nous restons plus longtemps ici, nous connaîtrons un sort bien pire que la mort."


***


La silhouette de l'homme se découpa sinistrement dans l'embrasure ténébreuse de la porte lorsque l'éclair zébra le ciel, bientôt suivi par un lointain craquement de tonnerre.


Il pénétra à pas lents à l'intérieur dans le hall. Son lourd manteau de laine noir dégoulinait d'eau de pluie et ses bottes de cuir étaient maculées de boue mais elle ne laissèrent aucune trace sur le plancher de bois craquelé tandis qu'il approchait du bureau rectangulaire derrière lequel se tenait un petit homme aux cheveux épars et grisonnant et à la barbe salle qui leva vers lui un regard de fouine derrière d'épaisses lunettes cerclées de fer.


"Soyez le bienvenu dans l'Etablissement monsieur…?"


L'homme ne répondit pas.


"Combien de temps souhaiterez-vous rester parmi nous ?" poursuivit le réceptionniste comme si de rien n'était.


"Juste cette nuit."


L'homme au visage de fouine ouvrit devant lui un gros livre à la reliure de cuir bouilli rouge dont les pages jaunies et piquées par les vers ne dépareillait guère aux côtés de l'encrier fêlé empli d'une sorte de vase bleue dont émergeait une longue plume d'oie chiffonnée.


"Je pense que Ceux qui vous ont envoyé vous ont indiqué les règles qui régissent notre Etablissement monsieur. Cet endroit est un des cinq havres. Les lois du dehors ne s'appliquent pas ici, si seulement il s'en appliquent au dehors… Quoi qu'il en soit, signer le registre implique d'accepter ces règles. Vous perdrez vos pouvoirs le temps que durera votre séjour..."


L'homme signa et retourna le livre.


"… capitaine Josephus Magnusson. Capitaine ?"


"Je suis officier de l'Adeptus Astartes."


Un sourire édenté éclaira l'homme au regard de fouine.


"C'est intéressant. Vous n'avez pas de bagages ?"


Le réceptionniste se retourna pour décrocher du mur un trousseau de clés rouillées et les tendit au voyageur.


"Voici les clés de votre chambre. C'est au neuvième étage. Chambre neuf cent quatre-vingt-dix-neuf."


Il souriait toujours de toute son écœurante dentition brunâtre, comme heureux d'une mauvaise farce et pour la première fois depuis très longtemps, Josephus eut peur.


***


Il entra dans la pièce et abaissa l'interrupteur. Sans surprise, l'éclairage électrique ne fonctionnait pas et même sa nyctalopie naturelle était rendue inefficace par l'épaisseur des ténèbres. Il referma la porte délabrée derrière lui et avança à tâtons jusqu'au mur qui lui faisait face pour écarter les rideaux.


Il se trouvait au neuvième étage d’une bicoque en ruine qui n’aurait pas dû en posséder plus de deux; Le volume du bâtiment devait être des milliers de fois supérieur à ce que laissaient supposer ses dimensions extérieures.


Au dehors, l'orage continuait comme il durait probablement depuis des milliers d'années. La pluie battante frappait rageusement les carreaux vétustes et les hurlements du vent dans les branchages morts des arbres décharnés qui se tordaient horriblement au gré de la tempête conférait à ce paysage dévasté noyé dans un ciel d'encre un aspect plus apocalyptique encore. Une vision de l'Enfer Pestilentiel n'aurait pu être pire. Josephus revint au centre de la pièce pour se laisser tomber sur le lit, ignorant l'insalubrité de la couverture mangée par les mites et ferma les yeux.


Vous perdrez vos pouvoirs le temps que durera votre séjour...


Non, Ceux qui l'avaient envoyé ici ne l'avaient pas informé de cette règle. Privé de ses capacités surnaturelles, Il ne pourrai changer de forme et celle-ci n'était pourtant guère adaptée à la mission qu'il avait à remplir. Personne n'aurait dû être averti de son arrivée et il était pourtant évident que le réceptionniste savait.


Josephus songea avec amertume que le temps d'une nuit, il allait réellement, au-delà de l'illusion, redevenir l'homme de chair et de sang qu'il avait été avant la malédiction d'Ahriman le schismatique. Mais les circonstances y étaient défavorables. Seul et sans armes, enfermé dans le plus terrifiant piège de l'univers, il ne pourrait compter que sur ses facultés supra-humaines de marine pour retrouver l'objet de sa quête. Ou simplement survivre.


***


"Il sera fait selon vos désirs Seigneur Primarque. Même si ce Secret est enfoui au plus profond du royaume de la Déchéance, je le découvrirai."


"Mesurez vos paroles Josephus. Il se pourrait que le Secret se trouve en un endroit bien plus dangereux encore. J'ignore quel est cet endroit mais un homme le sait. Cet homme se fait appeler Oz-Na-Mun aux Mains Puissantes et il réside dans l'Hôtel. C'est là que vous devrez d'abord aller. Et prenez garde; Vous ne serez pas seul à rechercher le Secret et celui qui trouvera Oz-Na-Mun le premier ne le laissera pas vivant pour révéler son secret à tous ceux qui voudraient venir l'interroger…


Ce que vous cherchez Josephus, vous dépasse. Il nous dépasse tous. C'est l'Ultime Secret, sur lequel repose tous les mythes et toutes les légendes de toutes les races intelligentes qui peuplent nos univers et bien d'autres encore. Nous avons retrouvé sa trace et l'occasion de le saisir ne se reproduira peut-être jamais. Mais n'en prenez surtout pas connaissance. Votre raison, aussi forte soit elle, n'y survivrai pas."


***


L'Hôtel. L'Etablissement comme l'appelait les fous et les malheureux condamnés à le hanter. Un lieu maudit au delà de l'espace et du temps qui échappait même aux volontés des Seigneurs de l'Entropie les plus puissants. L'Hôtel était un havre éternel et immuable au sein de la mer du Chaos. On disait que nul ne pouvait ressortir vivant de l'Hôtel, ce qui ne signifiait pas que tous ceux qui en franchissait le seuil y périssaient… On disait que les rites qui s'y pratiquait auraient brisé la raison du plus endurci des mortels et que la démence ou la mort frappait invariablement l'inconscient égaré dans la forêt extra-dimensionnelle qui l'entourait.


Un endroit dédié au Chaos universel et indivisible sur lequel le Chaos même n'avait plus prise. Nul ne connaissait la nature exacte de ses locataires mais rares étaient certainement ceux qui avait choisi d'y prendre leur quartiers pour l'éternité. Nul ne connaissait la nature exacte du lieu à part peut-être ceux qui l'avaient bâti et nul bien sûr, ne connaissaient l'identité de ses bâtisseurs, réfugiés par-delà les abîmes du temps en une ère passée ou à venir, frappée du sceau de la terreur et de l'interdit dans laquelle ils avaient emporté leur mystère comme on emporte un secret dans sa tombe.


***


Josephus se redressa. Il dégrafa son manteau et le jeta sur le lit avant de marcher jusqu'à la porte; Aucun son ne provenait de l'extérieur. Prudemment, il tourna la poignée de cuivre mouchetée de vert-de-gris et tira le maigre battant. Le large corridor était désert.


Il revint sans bruit jusqu'à l'escalier de bois grinçant et descendit le jusqu'au rez-de-chaussée, mais au lieu d'aller tout droit et revenir jusqu'au hall d'entrée sous la porte duquel filtrait encore une raie de lumière, il se tourna vers une porte à double battant sur sa droite, là ou aurait logiquement dû se trouver un des murs extérieurs du bâtiment et l’ouvrit doucement. Au-delà, s’étendait un salon dont le luxe contrastait singulièrement avec l'impression misérable qu'offrait la bâtisse par ailleurs. De lourdes tentures pourpres en masquaient les murs et là ou parfois apparaissaient la pierre, étaient accrochés de grands tableaux représentant des hommes et des femmes aux visages austères. Au fond de la pièce, une large cheminée de granit dans laquelle crépitait doucement un feu de bois fournissait une lumière avare et les ombres dansantes des meubles finement ouvragés qui conféraient à la pièce son ambiance lugubre et baroque. Devant l’âtre étaient disposés deux larges et confortables fauteuils aux accoudoirs de bois ciselé recouverts d'un drap de soie noir.


"Soyez le bienvenu dans l'Etablissement monsieur Magnusson. J'en suis le maître d'hôtel et mon nom est Elbrecht Hamp. Asseyez-vous, je vous en prie."


Josephus avança sans mot dire et s’installa dans le fauteuil de droite pour dévisager son voisin qui jusqu’alors avait gardé le dos tourné. L'homme grand et maigre était drapé dans un peignoir pourpre. Son visage émacié aux cheveux et aux sourcils noirs donnaient une impression de dureté, mais son port était noble et droit. Ses traits étaient secs et tirés. Les yeux fixés sur les braises de l'âtre, il énonça d'un ton faussement chaleureux :


"S'il est quoi que ce soit qui puisse vous être agréable durant votre séjour, je me ferai un plaisir de vous satisfaire."


Ce disant, il avait posé sur la table basse qui séparait les fauteuils deux verres de cristal qu'il emplit de vin. Josephus prit silencieusement un des verres pour y tremper les lèvres. Le breuvage était empoisonné comme il s'y attendait. Hamp était-il stupide ? Ou se moquait-il de lui ?


"Je cherche Oz-Na-Mun aux mains fortes; Oz-Na-Mun le modeleur. Je sais qu'il réside dans l’Hôtel."


Elbrecht Hamp éclata d'un rire sec.


"Savez-vous capitaine, combien de gens résident dans cet Etablissement ? Je suis conscient de faire un bien mauvais hôte, mais il y a bien longtemps que je n'ai plus consulté le registre. Aussi suis-je désolé de vous dire que ce nom n'évoque rien pour moi."


Le verre de cristal explosa en un millier de débris scintillants entre les doigts de Josephus, s'éparpillant sur le dallage glacé dans le tintement de mille clochettes. Hamp fronça les sourcils.


"Monsieur Magnusson, je considère l'hospitalité comme une vertu sacrée, mais n'apprécie guère vos manières. Je vous sais néanmoins épuisé par le long voyage que vous avez effectué pour venir jusqu'ici et vous suggère de rejoindre votre chambre pour y prendre quelques heures de repos."


Josephus se leva et repartit vers la porte. Au moment ou il allait en franchir le seuil, Elbrecht lui lança.


"J’oubliais; Monsieur Zerr m’a fait savoir que vous avez reçu un paquet peu de temps après votre arrivée. Naturellement, nous l’avons fait porter à votre chambre."


Josephus quitta la pièce.


Fin de la première partie


Sorti du salon, Josephus alla se placer devant la porte du hall de réception et ferma les yeux. Il resta là parfaitement immobile durant plusieurs minutes écoutant la respiration régulière de Zerr jusqu'à avoir la certitude que celui-ci dormait profondément. Alors, il posa la main sur la poignée de la porte et délicatement, dans un silence total, la tourna pour entrebâiller la porte.


Zerr ouvrit les yeux. Hamp était devant lui, une longue pipe d'ivoire au bec courbe et finement ouvragée de reliefs macabres entre les lèvres. Il fixait le réceptionniste de son regard acéré, une main dans la poche de son peignoir. Ses cheveux noirs tirés en arrière et ses traits secs lui donnaient très exactement l'apparence de quelque oiseau rapace prêt à déchiqueter sa proie.


"A quel jeu jouons-nous monsieur Hamp ?" demanda Zerr en soulevant ses lunettes pour se frotter les yeux.


"Il a pris le registre pauvre imbécile. Vous vous êtes endormi."


Zerr haussa les épaules en regardant l'emplacement vide sur le bureau.


"Je le sais mais quelle importance ? Nous le retrouvons bien."


***


Revenu devant la porte de sa chambre, le Frère-Capitaine Josephus constata avec surprise qu'en dessous de la plaquette de cuivre marquée de trois 9 s'était ajouté une autre, portant la mention "J.M". Il entra en songeant que l'humour des tenanciers de l'Etablissement devenait singulièrement agaçant et vint s'asseoir sur le lit pour inspecter le curieux paquet d’environ quarante centimètres sur vingt enveloppé de papier épais qui reposait sur la table de chevet. Il y était simplement rédigé "J. Magnusson" et en-dessous, "L’Hôtel" avec une écriture qui ressemblait étrangement à la sienne. D’un revers de la main, il balaya un horrible cafard qui rampait sur l’objet avant de l’ouvrir et d’en tirer un coffret de bois recouvert d'une couche de peinture rouge craquelée. Sur le couvercle était gravé un ‘M’ stylisé jaune dans un cercle noir.


Josephus souleva prudemment le couvercle. A l’intérieur de la boîte, sur un lit de velours rouge, reposait un revolver du type de ceux que l’on fabriquait encore sur certains mondes primitifs de l’Impérium. Sa crosse et son canon extraordinairement long pour une arme de ce calibre, semblaient fait d’argent pur.


Josephus fit basculer le lourd barillet. Celui-ci était percé de neufs trous. Il n’était pas chargé mais le capiton de velours contenait également, outre un étui de cuir clair, une balle. Le marine la prit délicatement entre ses doigts pour constater que sa tête était faite d’argent pur elle aussi.


Une seule cartouche. C’était bien peu mais mieux que rien. Josephus l’introduisit dans le barillet qu’il fit tourner pendant quelques secondes autour de son axe parfaitement huilé avant de le refermer d’un mouvement sec.


Après avoir replacé l'arme dans son réceptacle, il reporta son attention sur le volumineux registre qu'il avait précédemment posé sur la table de chevet. Son poids était nettement supérieur à ce que ses dimensions suggéraient – il devait peser plusieurs dizaines de livres – mais Josephus n'en avait qu'à peine été surpris. Pas plus qu'il ne le fut en constatant que le nombre de pages, apparemment de quelques milliers seulement, devait probablement être infini. Pas plus enfin, qu'il ne le fut en découvrant le premier nom inscrit en haut de la première page.


Aucune indication de date et d'ailleurs, elles n'auraient été d'aucune utilité. Seulement des noms, des signatures, et les numéros des chambres. Il n'y avait d'autre solution que de lire l'ouvrage jusqu'à retrouver le nom d'Oz-Na-Mun, en espérant que c'était bien sous ce nom que le modeleur avait enregistré son séjour à l'Hôtel.


Accolé au mur opposé à celui du lit se trouvaient un petite table et une chaise. Josephus les déplaça pour s'installer devant la fenêtre; Il devrait se contenter de la lumière blafarde et ingrate de la lune, régulièrement masquée par le passage de lourds et noirs nuages et de celle aveuglante des éclairs mais cela lui suffirait.


***


"Oz-Na-Mun – Atelier (Quatrième sous-sol.)"


Josephus passa sa main sur sa nuque endolorie. Combien de pages avait-il tourné ? Des dizaines de milliers peut-être, des centaines sûrement. Combien de temps s'était écoulé depuis qu'il avait entamé ses recherches, s'appliquant à la tâche colossale et monotone, éveillant alternativement chaque hémisphère de son cerveau ? Probablement plusieurs jours. Le jour s'était-il seulement levé ? Il n'y avait à aucun moment prêté attention. Durant toutes ces heures, il avait fait une abstraction totale de son environnement. A présent, il faisait nuit et un nouvel orage se levait.


Reprenant peu à peu conscience de ce qui l'entourait, Josephus réalisa soudain ce que cela signifiait. L'orage s'était apaisé à l'apparition du jour et avait repris à la tombé du soir, il en était maintenant certain. Mais combien de fois cela s'était-il produit ? Et quelle avait été la durée du jour ? Il se maudit ne pas y avoir prêté attention mais cela n'avait plus grande importance. Il se leva et marcha jusqu'à la table de chevet pour prendre l'étui de cuir et le revolver. Il accrocha l'étui à sa ceinture – constatant avec satisfaction qu'il avait été conçu pour être utilisé par un gaucher – et y glissa l'arme. Enfin, il passa sur ses épaules le long manteau de laine noir en veillant à rendre ainsi le tout invisible.


Au moment ou il allait quitter la pièce, une chose lui revint en mémoire. Il retourna à la table de travail et rouvrit le registre, mais pour chercher cette fois la dernière page.


Le dernier nom enregistré n'était pas le sien mais celui de Bligh Burrower. Un homme était entré dans l'Hôtel quelques minutes seulement après lui.


***


Il croisa Hamp sur le pallier du rez-de-chaussée. Sa pipe d'ivoire greffée au coin des lèvres, le maître leva le regard à l'approche de son hôte.


"Bonsoir capitaine Magnusson. Je suis étonné de ne pas avoir pu profiter pleinement de votre présence parmi nous durant ces dernières semaines. Vous n'étiez même pas présent aux repas… J'espère néanmoins que vous appréciez votre séjour."


"Comment puis-je me rendre au sous-sol ?"


D'un vague mouvement de la tête, Hamp désigna négligemment une porte qui faisait face à celle du salon, porte que Josephus n'avait pas remarqué lors de ses précédents passages en cet endroit – mais peut-être venait-elle seulement d'apparaître.


"L'escalier qui mène aux caves se trouve de l'autre côté de la cuisine. Puis-je me permettre monsieur Magnusson de vous réclamez le registre de l'Etablissement ? Monsieur Zerr s'est trouvé fort désappointé de se trouver privé de son instrument de travail et – "


"Il se trouve dans ma chambre. Vous n'avez qu'à envoyer Zerr le récupérer."


Josephus avait déjà franchi le seuil de la porte. Hamp haussa les épaules et se retourna vers le réceptionniste qui venait d'apparaître derrière lui.


"J'ai souvenance monsieur Zerr, d'une époque ou les invités de marque se montraient plus courtois."


***


La cuisine semblait être la pièce la plus sale et la plus répugnante de tout l'Hôtel. Un invraisemblable désordre régnait sur les meubles et le damier noir et blanc du sol était jonché de restes de nourriture à moitié décomposés rongés par la vermine et par des rats monstrueux que le passage du marine sur leur territoire ne parurent qu'à peine incommoder. Mû par la curiosité, Josephus alla jusqu'au fourneau pour soulever le couvercle d'une lourde marmite en fonte d'ou se dégageait une odeur épouvantable et dont débordait une immonde mousse jaunâtre; Le récipient contenait le chef tranché d'un homme dont ce qui lui restait de bouche aux dents décollées par la chaleur semblait en s'ouvrant et se refermant aux gré du bouillonnement de l'eau, émettre une dernière et muette protestation. Josephus referma la marmite en songeant que le menu n'était finalement pas pire que ce qu'il aurait pu imaginer; Mais peut-être n'était-ce là que les hors-d'œuvre.


Au fond de la pièce, un espace ténébreux s'ouvrait sur une volée de marches de bois pourri à laquelle s'accrochait une maigre rambarde de fer tremblante. Josephus entama sa descente en se demandant quand Hamp cesserait de feindre la politesse pour tenter une nouvelle fois de le tuer.


***


Les caves de l'Hôtel étaient très différentes de ses étages supérieurs dans leur aspect, catacombes taillées à même la roche et faiblement éclairées par des rangées de torches accrochées au mur à intervalles régulières, mais leur organisation semblait identique : Longs corridors dont l'extrémité pourtant visible depuis les dernières marches de l'escalier qui y menait, semblait s'éloigner au fur et à mesure que le visiteur tentait de s'en approcher pour sembler finalement ne jamais pouvoir être atteint ; Rangées de portes de bois grossières dont certaines portaient une mention ou un nom gravée sur une plaquette de cuivre piquée de vert-de-gris.


En bien d'autres lieux, Josephus avait observé de tels phénomènes de distorsion des dimensions ; Il avait contemplé des univers ou le temps s'était figé ; D'autres ou il s'écoulait à rebours ; D'autres encore ou l'espace se contractait et s'expansait en vertu de lois physiques saugrenues et changeantes ou plus simplement – ou plus horriblement – selon les caprices de quelque démon qui y régnait. Mais rien de tout cela n'était comparable à ce qu'il percevait à présent ; Ici, le temps et l'espace ne signifiaient véritablement rien. Il n'existait aucun référentiel auquel on eut pu les rapporter pour en mesurer écoulement et granularité. L'Hôtel était sa propre référence, seul univers absolument consistant parmi d'autres ou tout semblait relatif à la vision que l'on en avait.


Josephus avait fini par se résigner à cette explication quelque peu simpliste. Il aurait voulu pouvoir dire combien de temps il avait déambulé dans ce couloir avant de trouver enfin, sans avoir rencontré âme qui vive, la porte sur laquelle était fixée la plaque de cuivre dont la corrosion rendait presque illisible le mot "Atelier" mais en était incapable. Des heures ? Des années ? Cela ne faisait aucune différence. Comment les prisonniers de l'Hôtel vivaient-ils ? Quand mangeait ils et dormaient ils ? Lui-même aurait dû être obligé de se sustenter et de prendre du repos mais il n'en ressentait soudain plus le besoin.


Il s'apprêtait à frapper mais tressaillit soudain en entendant un hurlement de douleur provenant de l'intérieur de la pièce. Attrapant la poignée de la porte, il l'ouvrit à la volée.


Aussitôt, une odeur épouvantable de décomposition et de mort le suffoqua. Au centre de la salle sordide et mal éclairée ou régnait une chaleur insupportable se dressait une grossière table de bois à côté de laquelle un homme à la peau cuivrée et aux cheveux emmêlés était assis, le visage ruisselant de sang et couvert de marque de coups. Et debout face à lui, se tenait le monstre.


***


Les battants cyclopéens de plastacier coulissèrent dans un léger grondement. Le frère Kuja entra d'un pas décidé suivi du frère Karlsen. A l'intérieur de la vaste salle obscure régnait une chaleur épouvantable.


"Maître Khazerson !" appela Kuja.


Il avança pour se rapprocher de la lumière émise par les forges. Devant chacune d'elle, s'affairait de grotesques créatures mutantes enchaînées au sol.


Un doux grincement mécanique se fit entendre. Kuja pivota pour voir une sorte de chariot d'acier approcher de lui. Dans le fauteuil qui le surmontait était assis un petit être au crâne chauve et la barbe hirsute qui dirigeait l'engin à l'aide d'une manette sous sa main droite. La partie supérieure de son corps était mobile mais ses jambes semblaient aussi rigide que la pierre. De son échine et de sa nuque émergeait un invraisemblable assortiment de gaines et de câbles reliés au boîtier de commande de son curieux moyen de transport.


Arrivé devant les deux space marines, il inclina légèrement la tête. Kuja lui rendit son salut puis lui tendit une petite plaquette de métal qu'il avait tiré de sa poche.


"Maître Khazerson, j'ai besoin que vous fabriquiez au plus vite les éléments dont les plans sont situés dans cette cartouche."


Le squat prit l'objet et le ficha dans le boîtier de contrôle de son siège. Un rayon de lumière bleutée en jaillit, s'élargit pour devenir la projection holographique d'une pièce entourée de chiffres qui se déroulaient pour disparaître et être immédiatement remplacés par d'autres. Khazerson pressa un bouton; La pièce disparut et une autre prit sa place devant ses yeux. Il répéta de nombreuses fois son geste, étudiant chaque élément avec attention.


"C'est une belle arme." Sa voix n'était un sifflement rauque qui semblait émaner non de ses lèvres mais du bouton de cuivre implanté à la base de sa gorge. "Une très belle arme seigneur Kuja."


"Elle est conçue pour lancer des micromissiles squale. Voici les plans du récepteur électropsychique que vous devrez adapter à la crosse."


Kuja tendit une seconde plaquette. Les sourcils du forgeron se froncèrent.


"Les seigneurs Josephus et Coromir m'ont interdit de fabriquer ces munitions."


"Il m'en faudra pourtant. La vie du seigneur Josephus en dépend peut-être."


Le squat se retourna et partit dans le grincement des roues de métal. Karlsen attendit qu'il eut disparu pour prendre la parole.


"tes-vous sûr de vouloir y aller seul frère Kuja ?"


"J'ignore pourquoi le seigneur Magnus l'a envoyé là-bas; Je voudrais croire que notre père a été abusé lui-même mais cela me parait peu vraisemblable. Dans tous les cas, j'ai déjà visité un havre. Je connais leurs secret. Personne plus que moi n'a de chances d'aller à l'Hôtel et d'en revenir avec notre capitaine."


***


Josephus s'agenouilla silencieusement aux côtés du cadavre du monstre pour l'étudier, ignorant l'abominable odeur de putréfaction et de décadence qui s'en dégageait. Le mignon du Seigneur de la déchéance qu'il venait de tuer était probablement venu ici chercher la même chose que lui – confirmant les prédictions de son père.


Au cou du monstre était enchaîné un bijou d'or en forme de losange ; une lourde émeraude y était enchâssée. Josephus la détacha et la rangea dans sa poche.


Une chose l'intriguait encore et le mettait mal à l'aise sans qu'il sache exactement pourquoi. L'œil unique du portepeste était resté ouvert et le bleu de l'iris était si pur et si profond qu'il semblait lancer des éclairs d'azur. Josephus avait déjà vu cet œil. Il n'aurait pu l'oublier.


"Père Nurgle chérit ses enfants," songea-t-il, "à condition qu'ils le lui rendent. Nous nous sommes retrouvés dans de bien étranges circonstances, ô reine et il m'est difficile de croire à une coïncidence."


Il se releva et se tourna vers l'homme à la peau cuivrée qui avait gardée le silence. Son torse et son visage portait les marques profondes des coups que lui avait portés le démon.


"J'ignore qui vous êtes monsieur mais je vous remercie," articula-t-il d'une voix faible.


"Ne vous méprenez pas ; je ne suis pas votre ami. Mais vous disposez d'une information que je recherche."


Oz-Na-Mun ricana.


"La même que celle que voulait obtenir cette créature je présume ; alors je vous fournit la même réponse : j'ignore ou il se trouve et j'ignore même de quoi vous parlez."


Josephus eut un mouvement de lassitude bien qu'il se fut attendu à cette réponse. Il tira un chaise de bois grossier et s'assit en face son interlocuteur.


"Et pourtant," poursuivit-il d'une voix calme, "vous devez être en mesure de m'aider ; il me faut acquérir ce que l'on nomme l'Ultime Secret ; vous savez où il se trouve ou connaissez le moyen d'y accéder ; j'en ai la certitude."


Oz-Na-Mun resta longuement silencieux.


"Ceux qui vous ont envoyé ici se sont moqué de vous ou vous ont menti."


"Cela n'est pas envisageable."


"Depuis combien de temps êtes-vous là monsieur ? Depuis que je réside dans l'Etablissement, j'ai vu bien des nouveaux arrivants ; ils croyaient tous trouver ici quelque chose, le pouvoir, la richesse, un artefact puissant dont ils pourraient s'emparer pour peu qu'ils trouvent ensuite le moyen de s'échapper. Mais il n'y a rien ici ; c'est un havre ; ceux qui entrent ne trouvent que l'immortalité et une geôle. Même les dieux qui résident ici, quelle que soit leur influence au dehors sont des prisonniers. Certains sont condamnés ; D'autres sont venus de leur plein gré ou ont été envoyés ici par une puissance de l'extérieur ; tous sont des prisonniers."


"D'une manière ou d'un autre," poursuivit Josephus imperturbable, "vous pouvez me conduire à ce que je recherche."


Oz-NaMun dévisagea longuement Josephus, une expression de curiosité dans ses yeux noirs.


"Vous ne me croyez pas n'est-ce pas ? Un être réside dans cet Etablissement qui se fait appeler le Maître du Chaos ; Ses connaissance et sa sagesse son grandes ; peut-être est il en mesure de vous donner ce que vous cherchez mais sachez qu'il ne donne jamais rien pour rien."


Josephus se leva.


"Voilà ce qu'il fallait commencer par me dire monsieur Oz-Na-Mun ; je savais que vous étiez en mesure de m'aider."


"Etes-vous vraiment fou ou stupide ?" D'amusé, le ton d'Oz-Na-Mun était devenu sévère. "Savez-vous qui est le Maître du Chaos ? Il aime à passer des accords avec les mortels mais ce n'est que pour les berner ; c'est un dieu moqueur et versatile ; il est impossible d'obtenir de lui quelque chose sans le payer d'un prix hors de toute mesure."


Josephus avait deviné la suite.


"J'ai… autrefois passé un accord avec lui. Et aujourd'hui je suis là."


"Savez-vous que j'ai reçu l'ordre de vous tuer afin de m'assurer que personne d'autre que moi ne puisse prendre connaissance de l'emplacement du Secret ?"


"Faites ! Me tuer libérerait mon corps de cet enfer ; mais pas mon âme j'en ai peur. Je deviendrai une de ces âmes en peine qui hantent les murs de ces catacombes. Quelle différence avec mon sort actuel ?"


Josephus garda longuement le silence. Puis il se retourna et se dirigea vers la porte qu'il ouvrit.


"Si vous tenez à défier le Maître du Chaos, cherchez à obtenir l'aide de Bast. C'est son plus grand ennemi ; Peut-être cette information vous aidera-t-elle… Je… j'aurais aimé la détenir moi-même autrefois..."


"Comment les trouverais-je l'un et l'autre ?"


"Il suffit d'invoquer leur nom. Si vous avez ne serait-ce qu'un infime espoir de vaincre le Maître du Chaos, Bast le sait déjà."


Josephus quitta la pièce et referma la porte derrière lui. Le cadavre du portepeste avait disparu.


***


Zerr regarda d'un air absent le colosse vêtu d'un long manteau noir s'approcher lentement de lui. L'étranger avait négligé de refermer la porte derrière lui et le bruit sourd de ses pas sur le plancher grinçant était couvert par les grondements de l'orage.


"Soyez le bienvenu à l'Etablissement monsieur," bailla-t-il. "Votre arrivée n'était pas prévue mais cela n'a guère d'importance." Il ricana. "Nous avons encore beaucoup de chambres libres."


Il retourna le lourd registre et poussa de deux doigts crasseux l'encrier vers l'homme qui le contemplait de toute sa hauteur d'un regard méprisant. Mais Zerr ne semblait guère impressionné par le visage de brute et l'attitude martiale. Lui ayant tendu un trousseau de clés, il reprit le registre et jeta un œil à la dernière signature.


"Voici les clés de votre chambre monsieur... Kuja Mag..."


Zerr s'étrangla. Son interlocuteur restait lui parfaitement impassible.


"M... monsieur... Magnusson. Je..."


Le frère Kuja avait attrapé les clés et tournait déjà les talons pour se diriger vers le palier de l'escalier. Zerr parvint à reprendre le contrôle de lui-même pour se lever.


"Monsieur Magnusson, je dois vous demander de me remettre votre arme," cria-t-il d'une voix ferme. "Vous n'avez pas le droit d'entrer dans l'Etablissement armé. C'est la règle."


Kuja s'arrêta, se retourna et glissa sa main sous le revers de son manteau pour en tirer un lourd pistolet qui sembla soudain prendre vie entre ses doigts. Dans un sifflement, le canon pivota sur lui-même et l'un après l'autre, trois cylindres parallèles de métal en émergèrent pour l'entourer. Un quatrième cylindre plus massif qui se terminait par la sculpture du visage grimaçant d'une créature rapace coulissa hors de sa gueule. La garde recula dans un claquement.


L'arme faisait à présent deux fois sa taille d'origine et elle était pointée droit sur la poitrine de Zerr.


"Monsieur Magnusson, vous ne pouvez enfreindre les règles de l'Etablissement !" hurla celui-ci hystérique. "Si vous le faites, vous serez damné ! Damné, vous entendez !"


"Je suis déjà damné imbécile."


Kuja pressa la détente. Il y eut un épouvantable hurlement tandis qu'un panache de fumée orange et brune plongeait vers le cœur du réceptionniste, pulvérisait sa cage thoracique sous l'impact fabuleux de l'explosion simultanée des trois munitions et projetant un geyser de sang et d'organes liquéfiés sur le mur derrière lui. Un second hurlement, inaudible celui-là, retentit dans l'anti-monde tandis que l'âme corrompue du malheureux était déchiquetée sous la force de l'attaque psychique.


Kuja rangea l'arme dans son étui. Elle avait repris sa forme d'origine.


***


Josephus abaissa l'interrupteur et cette fois, une lumière jaune et désagréable – fourni par un simple filament de tungstène incandescent prisonnier d'une ampoule de verre dépoli au plafond – éclaira la pièce. Il referma nonchalamment la porte et se tourna vers la créature hybride qui se tenait assise dans le fauteuil au capitonnage moisi et mangé par les parasites.


Son corps était celui d'une femme petite et menue mais parfaitement proportionné enserré dans une robe pourpre fait d'un millier d'écailles entrelacées. Son visage était celui d'un chat aux traits subtilement dessinés recouvert d'un fin duvet blond et qu'illuminait de grands yeux verts emplis d'intelligence.


"Qui vous a permis d'entrer dans ma chambre ?" demanda Josephus d'un ton ennuyé. Il dégrafa son manteau, déboucla la ceinture revolver et jeta le tout sur le lit.


Les sourcils de la créature se froncèrent.


"A quoi jouez-vous Josephus Magnusson ?" Sa voix était douce, presque un murmure. "Vous souhaitiez me rencontrer parce que vous avez besoin de mon aide..."


"Je crois madame, que vous avez tout autant besoin de mon aide que j'ai besoin de la votre ; sans quoi vous ne seriez pas si spontanément venu me la proposer. Ais-je tort ?"


Bast ne répondit pas. Josephus s'assit sur le lit de manière à lui faire face.


"Je vous écoute madame."


"Le Maître du Chaos est un démon extrêmement puissant et il est la seule entité psychique qui ait pu conservé quelque pouvoir au sein d'un havre."


"Pas assez pour s'en échapper cependant…"


"Non bien sûr ; sans quoi il l'aurait déjà fait." Elle reprit après un silence : "Son esprit est extrêmement retors et pervers. Si vous souhaitez obtenir quelque chose de lui, il vous proposera un marché dont la nature sera adaptée à ce que vous êtes en mesure de lui fournir en retour ; ou plus exactement à ce que vous n'êtes pas en mesure de lui fournir. Les termes du pacte seront extrêmement confus et prêteront à de multiples interprétations.


Si vous acceptez ce marché de dupe et que vous gagnez le défi qu'il vous lancera, vous obtiendrez ce que vous désirez mais devrez le payer d'un prix extrêmement élevé. Si vous perdez, les conséquences seront pour vous désastreuses. Il connaîtra votre pire cauchemar et l'exaucera.


N'essayez pas de le duper lui-même en jouant sur les termes de l'accord ; c'est inutile et au besoin, il les modifiera d'autorité. C'est un tricheur et un menteur."


"Quelle aide pouvez-vous m'apporter ?"


"Pour le vaincre, vous ne pourrez compter que sur vous-même. Mais si vous gagnez, je pourrai l'obliger à tenir parole et à vous délivrer l'enjeu du pari."


Josephus ouvrit des yeux stupéfaits.


"Est-ce tout ?"


"C'est mieux que rien."


"Certes. Mais… et vous ? Qu'attendez-vous de moi en échange de cette aide ?"


Les énigmatiques yeux verts et félins étaient plongés dans ceux du capitaine. Il se sentait mal à l'aise.


"Je veux que vous trouviez le moyen de quitter l'Etablissement. Pour vous et pour moi."


"Oui, évidemment… Vous pensez donc comme moi que ce moyen existe ?"


"Je sais qui vous êtes capitaine Josephus ;" répliqua Bast. "je sais qui vous servez et quelle valeur vous avez aux yeux de vos maîtres. Votre père ne vous aurait en aucun cas envoyé ici sans la certitude que si un homme peut échapper à cet enfer, c'est vous. Ni surtout sans avoir prévu un moyen de vous assister en cas de nécessité."


"Oui…" Josephus songea au revolver d'argent et se demanda si Magnus ne l'avait pas déjà gratifié de toute l'aide qu'il pouvait lui apporter. Il préféra n'en rien dire à Bast. "En quelques sortes, ma présence à l'Hôtel est pour vous une opportunité que vous ne voulez pas laisser échapper."


"Ne soyez pas si sarcastique. Je n'ai rien à perdre, ne l'oubliez pas."


Le silence retomba alors qu'elle caressait doucement les accoudoirs du fauteuil de ses doigts longs et fins.


"Quelles sont vos connaissances en démonologie ?"


"Elles sont aussi vastes que peuvent l'être celles d'un homme qui a consacré des millénaires à étudier cette science."


"Vous savez bien sûr que ce que vous nommez dieux sont la matérialisation dans l'univers de la magie des fantasmes et des désirs des créatures mortelles ?"


"Les mortels créent les dieux. Je sais cela. Chacune de nos pensées et chacun de nos désirs donne naissance à une entité psychique qui erre dans l'anti-monde pour l'éternité… J'ai du combattre mes propres cauchemars autrefois... "


"Quand une population entière de mortels partage des notions communes, la répercussion dans l'autre monde est d'importance. L'entité psychique née cette pensée est d'autant plus forte et les dieux du Chaos les plus grands par leur puissance ne sont que les incarnations des penchants naturels des mortels. Les humains en particulier, par leur versatilité, sont une source d'énergie intarissable pour les divinités majeures."


"…La dévotion des fidèles à une divinité est un autre facteur de puissance, dévotion parfois récompensée par un don. Les mortels sont les seuls à ignorer que les relations qui les lient à leur dieu sont non le respect des créatures pour le créateur mais une coopération mutuelle entre les créateurs et la créature…"


Bast paraissait sidérée.


"Vous êtes prodigieusement intelligent monsieur Magnusson. Intelligent, immodeste… et prodigieusement cynique. Je suis très impressionnée. Que le Seigneur du Changement vous garde sa confiance malgré la vision terriblement réaliste que vous avez de son culte est un nouveau gage de valeur."


"Existe-t-il encore des civilisations mortelles qui vous révèrent madame ? Ou êtes vous totalement coupée de cette source de pouvoir dans l'Hôtel ? Vous avez été adorée autrefois par des humains sur l'ancienne Terra…"


La déesse ne répondit pas.


"Celui à qui il est donné de contempler un dieu ne contemple que les rêves des créatures mortelles." Josephus sourit, comprenant où la déesse avait voulu en venir. "Je sais à présent à quoi rêvent les chats."


***


Une faible clarté dont il était impossible de deviner l'origine illuminait la salle immense. La voûte était si haute qu'il était impossible de la percevoir. Le sol était composé d'un damier de dalles noires et blanches.


"Par ici monsieur Magnusson."


La voix qui résonnait dans les ténèbres semblait venir de partout à la fois. Après les descriptions que lui en avaient fait Oz-Na-Mun et Bast, Josephus s'était attendu, venant du Maître du Chaos, aux farces les plus puériles. Il avança lentement droit devant lui, seul les claquements de ses bottes sur le dallage et leurs échos perçant le silence épais.


La massive créature assise sur le trône de pierre était d'une laideur repoussante. Sa tête ressemblait au crâne d'une créature bovine au museau en pointe et une seule des orbites ténébreuses était illuminé par une lueur rougeâtre. Les membres flasques et disproportionnés qui pendaient jusqu'au sol se terminaient par des serres brunes et crasseuses qui griffaient le sol de pierre dans un crissement désagréable. Une écume immonde coulait sur le ventre gonflé et la chair d'une teinte grise écœurante semblait animée d'une vie propre, parcourue de vaguelettes dont naissaient parfois des petites tentacules qui se tordaient frénétiquement avant de replonger dans la masse fangeuse dont elles étaient issues. Sa gueule s'entrouvrit sur une rangée de dents qui achevaient de rendre leur propriétaire inclassable dans sa nature : certaines étaient typiquement les crocs d'un carnassier, d'autres celles d'un animal ruminant.


"S'il m'est possible d'exaucer l'un de vos souhaits monsieur Magnusson, je le ferai avec un grand plaisir."


La voix du monstre était grave et lente mais dépourvue d'hostilité ou de moquerie. Josephus inspira profondément, réfléchissant une dernière fois à la façon dont il allait formuler sa demande.


"Je suis à la recherche d'un objet ou d'un savoir connu sous le nom d'Ultime Secret et il m'a été suggéré de m'adresser à vous dans cette quête. Si vous connaissez le moyen d'y accéder, je vous serai gré de me l'indiquer."


Le Maître du Chaos se cala dans son trône – et de la chair de son dos exsuda un flot de la pâte grise dont il était constitué qui s'écoula jusqu'au sol dans un bruit du succion avant de réintégrer en rampant le pied gauche de son propriétaire.


"Bien sûr, je sais ou trouver l'Ultime Secret et je consens même à vous révéler gratuitement cette information : vous en êtes très proche. Il se trouve dans ce havre même."


Josephus resta interdit quelques instants. Il n'était venu ici que collecter des informations sur l'objet de sa quête et il n'avait à aucun moment envisagé la possibilité de le trouver en soi à l'Hôtel.


Etait-ce trop beau pour être vrai ? Le Maître du Chaos n'avait jusqu'ici aucune raison de lui mentir. D'ailleurs l'information donnée était trop vague pour être utile en soi – d'où sans doute sa gratuité.


"Etes-vous vous même le détenteur de l'Ultime Secret, Maître ?"


"Non. Personne ne peut prétendre détenir l'Ultime Secret. S'il devait être révélé, il perdrait sa nature, n'est-ce pas ?" Le monstre fut agité d'un rire gras qui fit trembler toute sa masse visqueuse. Josephus attendit patiemment qu'il redevienne sérieux. "Cette seconde réponse est également gratuite ; vous êtes heureux monsieur Magnusson, de me trouver d'humeur plaisante."


"J'en suis bien conscient Maître. S'il est quelque chose en ma possession que je puis vous fournir en échange des renseignements que je cherche, je suis prêt à passer avec vous un marché."


"Vous m'en voyez ravi. Il est toujours quelque chose que les mortels peuvent offrir au Maître du Chaos. Je pourrais vous demander votre âme, mais je devine déjà que vous me la refuserez. A défaut, un objet en votre possession ou un service équivalent me conviendra."


Une table de marbre blanc sculptée d'un seul bloc apparut à côté du capitaine. Celui-ci tira doucement son revolver d'argent, fit glisser la balle hors du barillet et posa les deux objets côte à côte. Il fouilla dans sa poche pour en sortir le médaillon trouvé sur le cadavre d'Irena et le posa également sur la table.


"Voici tout ce qui est ma possession Maître."


Deux doigts de la main droite du dieu s'étirèrent soudain, devenant des pseudopodes gluants qui vinrent saisir la balle d'argent pour l'approcher de l'œil rougeoyant avant de revenir la placer à l'endroit exact où elle s'était trouvée.


La même opération fut réitérée pour le revolver et le médaillon.


Quand il eut terminé son examen, il reprit la parole.


"L'arme est de belle facture et la magie qu'elle recèle est d'un immense pouvoir. Elle pourrait me tuer." Il éclata d'un nouveau rire grotesque. "Peut-être l'ignoriez-vous vous-même ? Cette troisième information est gratuite encore."


Impassible, Josephus regardait la divinité.


"Ou avez-vous trouvé ce médaillon ? Il m'est d'un grand intérêt…"


"Ma réponse n'est pas gratuite," fit sèchement Josephus. Cette fois, le rire du Maître du Chaos résonna jusqu'à la voûte et la masse de chair grisâtre fut agitée de tels soubresauts obscènes que Josephus craignit un instant qu'elle ne se déverse sur lui pour l'engloutir.


"Monsieur Magnusson, je suis impressionné par la célérité avec laquelle votre esprit assimile les règles du jeu que nous jouons. Passons un premier marché qui, rassurez-vous, ne vous engage à rien : Dites moi où vous avez trouvé ce médaillon et je vous en dévoilerai la nature."


"Prouvez moi votre bonne foi : commencez."


"Volontiers; cette émeraude est un phylactère. Un réceptacle psychique dans laquelle une âme est prisonnière."


Josephus se mordit les lèvres ; il eut compris cela de lui-même s'il avait disposé de ses capacités de métempsycose pour analyser le médaillon. Bien sûr ici, tout était différent.


L'âme d'Anna était prisonnière de ce phylactère et sa libération après des siècles de cette humiliante incarcération psychique devait constituer la récompense qu'Irena aurait obtenue en ramenant à ses maîtres les renseignements qu'elle était venue chercher auprès d'Oz-Na-Mun. Les reines sœurs avaient un contentieux avec le capitaine ; Sa mort devait constituer l'autre condition de leur retour en grâce auprès de leur divinité tutélaire.


Il était trop tard pour l'aînée. Josephus éprouvait des scrupules à utiliser la cadette comme monnaie d'échange, ayant déjà été bénéficiaire de leur aide dans le passé et responsable de leurs malheurs présents…


"J'attends votre réponse monsieur Magnusson…"


"Pardonnez-moi Maître ; J'ai trouvé ce médaillon au cou d'un démon que j'ai tué dans les caves de cet Etablissement. Un serviteur du seigneur de le déchéance. Je… pense connaître l'identité de la personne qui en est prisonnière."


"Oui, moi aussi… Voici ma proposition monsieur Magnusson : Faisons un pari dont l'enjeu sera pour moi les informations dont vous avez besoin pour accéder à l'Ultime Secret et pour vous ce médaillon."


"Quelle est la nature de ce pari ?"


"Connaissez-vous les règles de ce jeu très ancien que l'on nomme les échecs ?"


"Oui bien sûr. Il en existe cependant cent quatre-vingt mille huit cent trente-deux versions différentes dans la galaxie correspondant à autant de cultures auxquelles ce jeu a été adapté."


Le Maître du Chaos fit ce qui devait être une grimace, l'enlaidissant encore si cela était possible.


"Votre savoir est grand ; je ne connais quant à moi que les règles les plus simples telles qu'elles étaient pratiquées autrefois sur la planète dont votre race est originaire. Que diriez-vous d'une partie d'échec dans ces conditions ? Le gagnant remporte l'enjeu du pari de l'adversaire."


La méfiance de Josephus ne cessait de croître. Tout était trop simple mais il ne trouvait aucune faille dans les propos de son étrange interlocuteur. S'il avait l'intention de le tromper, ses velléités n'apparaîtraient peut-être qu'après accord et la protection de Bast deviendrait alors un atout précieux.


"J'accepte."


"Combien de dimensions spatiales percevez-vous ?"


"Jusqu'à neuf ; pas plus de sept de manière claire en cet endroit."


"Nous jouerons donc sur un échiquier à sept dimensions. Constatez que je me montre d'une parfaite intégrité en ne vous demandant rien qui vous soit inaccessible. Prenez place je vous prie…"


Un fauteuil de bois ciselé et tendu de velours rouge à l'aspect confortable se matérialisa à côté de la table de marbre ; Josephus s'assit. Devant lui, un ruban constitué d'une alternance de carrés noirs et blancs apparut qui se déplia pour former un quadrillage de soixante-quatre cases noires et blanches. Puis il se projeta à la verticale pour devenir cette fois un maillage de cinq cent douze cubes translucides noirs et blancs. Une quatrième projection dans une direction orthogonale aux trois premières fit de l'échiquier un hypercube de quatre mille quatre-vingt-seize cases ; trois projection supplémentaires, un incroyable complexe de deux millions quatre-vingt-dix-sept mille cent cinquante-deux cases.


"A présent les pièces…"


Les figurines noires et blanches apparurent à leur emplacement d'origine. Josephus examina rapidement les cinq cent vingt-quatre mille deux cent quatre vingt-huit pièces qui constituaient son jeu ; il ne s'y trouvait bien sûr qu'un seul roi.


"Et enfin, pour éviter une partie terne et ennuyeuse, nous allons la compliquer quelque peu en jouant en deux dimensions temporelles. Cela n'aura d'autre incidence sur la partie que le fait que chaque pièce pourra occuper simultanément deux cases différentes. Les règles étant clairement et définitivement établies et à moins que vous ne souhaitiez vous rétracter, je vous fait une nouvelle fois la démonstration de ma générosité en vous laissant l'usage des blancs. Commencez monsieur Magnusson."


Josephus su alors qu'il avait déjà perdu.


***


"Echec et mat…"


Le Maître du Chaos souriait, la gueule béante.


"Vous avez perdu monsieur Magnusson… Récapitulons donc ; vous me devez le médaillon, cette arme d'argent et votre âme. Je prendrai aussi votre corps au titre de sustentation ; Vous n'en aurez plus besoin de toutes les façons."


Josephus ne répondit pas. Il était atterré. Le médaillon en forme de losange était posé à côté de lui sur la table.


"Monsieur Magnusson ? Il est temps d'honorer votre parole…"


Vif comme l'éclair, Josephus plongea pour attraper le bijou. Dans le même mouvement, il bondit de son fauteuil, dégaina le revolver et le pointa vers le monstre en reculant. Celui-ci n'avait pas esquissé le moindre geste. Il paraissait à la fois surpris et ennuyé.


"Vous refusez ? J'en suis navré…"


"Vous n'aurez rien de tout cela !"


"Mais vous avez perdu notre pari…"


"Rien ! Entendez-vous ?"


Cette fois, le Maître du Chaos paraissait réellement agacé.


"Mais à qui croyez-vous donc parler ? Et où croyez-vous allez ? Vous ne sortirez pas de cette pièce sans m'avoir versé mon dû. Pensez-vous vraiment pouvoir me voler de cette manière ?"


"Lui, non. Moi, oui."


Si Josephus resta longuement interdit en reconnaissant la voix qui venait de s'élever derrière lui, sa surprise ne fut rien en comparaison de celle du maître du Chaos. Son œil unique semblait lancer des éclairs écarlates sur le nouvel arrivant qui avançait fermement en direction du trône, braquant sur le monstre deux armes de poing aux formes inhabituelles.


"Contrairement au frère-capitaine, je suis libre de tout engagement et ai donc tout le loisir de vous faire souffrir. Et vous savez déjà que j'en ai les moyens. Faisons un nouveau pacte Maître du Chaos : Je vous échange le frère-capitaine Josephus Magnusson et tous ses biens en échange de la promesse de ne vous torturer que peu."


"Qui êtes-vous ?" gronda le démon. Il reprit soudain une attitude plus calme et son œil se referma. "Je pourrai vous demander comment vous êtes arrivé ici sans m'avoir invoqué mais je crois plus pertinent de vous demander comment vous avez l'intention de repartir sans mon autorisation."


"Nous n'aurons pas besoin de votre autorisation."


Le triple panache de fumée orange fondit sur le maître du Chaos dans un hurlement psychique strident qui retentit dans le Warp quand Kuja pressa la détente.


***


Kuja posa sur la table le lourd coffret lisse et noir et en effleura la surface de sa main. Elle coulissa, laissant apparaître le contenu du réceptacle. Le marine en tira deux armes identiques à la sienne, vérifia qu'elles était chargées et fit jouer le mécanisme d'armement. Ils les tendit à Josephus.


"Prenez les frère capitaine ; Je sais que vous répugnez à utilisez ce type d'armes mais elles nous seront utiles."


Il prit le troisième pistolet et le glissa dans sa ceinture.


"Une chose m'échappe," fit Josephus. Il semblait pensif. "D'où vient l'énergie qui alimente cet endroit ? Si l'Hôtel est coupé de toute source de magie, d'où le Maître du Chaos tient-il ses pouvoirs ? Et comment des démons et des dieux peuvent-ils survivre privés de la matière vivificatrice de l'anti-monde ?"


"Je n'ai pas d'explication certaine ; Je pense qu'un tel lien existe mais qu'il est unilatéral – au sens ou nous ne pouvons manipuler cette énergie." Il fourra les chargeurs supplémentaires que contenait encore le coffre dans ses poches. "Chacun des havres obéit à ses propres lois dont la logique semble irrationnelle et délirante. Il est interdit par exemple de rentrer dans cet Etablissement armé…" Il désigna du doigt le revolver d'argent. "…mais rien n'interdit d'y faire parvenir une arme à un locataire. Hamp le sait mais il n'a jamais modifié le règlement. Un havre est immuable ; le règlement ne change pas. Et chacun des havre a le sien qui lui est propre, la seule constante étant que ne peuvent y être retenues prisonnières que des âmes consentantes."


"Que dites-vous ?" Josephus n'en croyait pas ses oreilles.


"Mais oui. Il n'est possible de retenir au sein d'un havre que celui qui a rempli une condition très spécifique et tant que cette condition n'est pas remplie, le visiteur est libre de repartir sans être ennuyé le moins du monde. C'est ainsi que j'ai pu effectuer un très bref séjour au sein de la Seconde Maison Sur La Mer autrefois – suffisamment long pour en apprendre beaucoup cependant. Ce havre ne retient prisonnier que celui s'y trouve au moment où tombe la nuit suivant son arrivée. Il suffit de quitter les lieux avant le coucher du soleil. A l'Hôtel, la condition à remplir est…"


"…signer le registre." Josephus ferma les yeux. "Qui a créé les havres ? Et pourquoi ? Le savez-vous frère Kuja ?"


"Non, personne ne le sait. Je crois que l'Hôtel a réellement été conçu pour être une prison et qu'il est parfaitement possible de s'en échapper. A l'origine, il existait dix ou onze havres selon les sources ; il n'en reste que cinq aujourd'hui. Chaque havre est une entité autonome et consciente mais en aucun cas immortelle ou indestructible."


"Les anciens ?"


"Je ne le sais pas frère-capitaine."


Il y eut un long silence.


"Malal ?"


"Je ne le sais pas frère-capitaine !"


"Malal…"


Josephus était perdu dans ses pensées. Finalement il reprit :


"Comment partirons-nous d'ici ?"


"Comme nous sommes entrés : en franchissant le seuil de la porte."


"… Bien sûr, les gardiens de l'Hôtel chercherons à nous en empêcher."


"Nous les tuerons. Frère capitaine, la solution la plus évidente n'est pas forcément mauvaise ; Comme je vous l'ai dit, nous sommes enfermés dans une bicoque animée d'une volonté propre mais non fondamentalement hostile. Son rôle est de nous garder prisonniers. Si nous la détruisons, nous serons libres. Je vais vous surprendre ; je crois que nous serons les premiers à essayer."


"J'en doute."


"Je vous assure capitaine, que les choses sont beaucoup plus simples que vous avez l'air de le croire : Je ne prétends pas qu'il sera facile de détruire l'esprit de l'Hôtel mais je pense sincèrement que nous en avons les moyens. Pensez-vous vraiment que Magnus vous aurait envoyé ici, sacrifiant votre vie et votre âme par pure fantaisie ?"


Josephus retournait le revolver d'argent entre ses doigts, repensant à ce que lui avait dit Bast.


"L'Ultime Secret n'existe pas frère capitaine," poursuivit Kuja. "Le seigneur Magnus vous a trompé mais il n'avait pas d'autre choix : Les termes du pari l’exigeaient. Vous le saviez n'est-ce pas ?"


&q




Une Nuit à L'hôtel Californie - Xavier - 25-02-2006


"Je... le soupçonnais."


"Vous l'avez su dès l'instant où notre père vous a parlé de l'Ultime Secret. Mais vous refusiez de le croire et vous avez préféré vous mentir plutôt que de douter de lui. Il ne vous a peut-être pas exactement dupé d'ailleurs ; vous présenter les choses sous la forme d'un mensonge si ridicule était le moyen le plus simple de vous faire comprendre la situation. Ce qui est étonnant dès lors, est que vous ailliez obéi sans poser aucune question."


'Vous m'avez toujours obéi sans poser aucune question frère Kuja," objecta sèchement Josephus.


"Mais vous ne m'avez jamais donné un ordre aussi inepte que celui-ci depuis que vous êtes mon capitaine ; depuis toujours. Quand vos instructions me paraîtront infondées ou déraisonnables, je ne manquerai pas de vous le faire savoir."


Josephus ne répondit rien ; Il s'effondra dans le fauteuil, laissant Kuja poursuivre.


"J'ignore quel est l'enjeu du pari mais Maggotgurgle Pukeslime a désigné son propre champion qui disposait des mêmes informations que vous en arrivant ici ; A l'heure actuelle, il cherche peut-être déjà le moyen de quitter cet endroit. Nous devons le précéder, mais nous devons surtout l'éliminer pour l'empêcher de révéler notre double tricherie : Le seigneur Magnus a enfreint les termes du pari dès que cela lui a été possible en vous venant en aide." Il désigna une nouvelle fois le revolver d'argent. "Je serais surpris cependant, si Pukeslime n'avait fait de même. Dans tous les cas, ma présence ici pour vous assister rend le pacte définitivement caduque."


Ayant achevé de se préparer, il alla ouvrir la porte. Josephus se leva et le rejoignit.


"Etes-vous prêt pour le dernier acte de cette comédie frère-capitaine ?"


*


**


La réception était déserte. La porte menant à l'extérieur n'existait plus. A l'endroit où elle s'était trouvée n'était plus qu'un mur de plâtre décrépi et moisi.


"Amusant n'est-ce pas ? Je vous l'ai dit : l'Hôtel est une conscience qui cherche à nous maintenir prisonniers. Allons donc saluer notre hôte."


*


**


Le feu crépitait toujours doucement dans l'âtre. Seule source de lumière dans le salon lugubre, il projetait des ombres fantomatiques sur les murs de tentures pourpres.


Kuja eut un mouvement de stupéfaction en voyant Zerr. Le vieillard édenté leur faisait face, arborant sur sa poitrine les larges brûlures laissées par l'explosion des munitions squales à travers les lambeaux de sa chemise crasseuse et déchiquetée. Josephus quant à lui, ne fut guère surpris. Il n'avait jamais considéré, contrairement à Kuja, que cela pourrait être si facile. Helbrecht Hamp était assis dans son fauteuil, face à l'âtre, leur tournant le dos. Debout à ses côtés se tenait le cinquième personnage de cette petite tragédie auquel le frère-capitaine n'avait pas encore eut l'heur d'être présenté. Mais il connaissait déjà son nom.


Ce fut Hamp qui prit la parole de son ton las, sans cesser de fixer le feu ni prendre la peine de se lever.


"Chacun d'entre vous a enfreint plusieurs règles de cet établissement de la manière la plus déplaisante et il m'est pénible de dire que depuis que je gère cette maison, je n'ai jamais observé chez mes invités un tel manque de courtoisie. Vous y avez introduit des armes, vous vous êtes attaqué à d'autres invités et même au personnel de l'Hôtel. Etes vous tous venus ici pour nous présenter vos excuses, à monsieur Zerr et à moi-même ? Je l'espère. Ce serait bien la moindre des choses."


Il se leva enfin et se tourna vers les deux frères qui braquaient leurs armes vers lui. Kuja avait un lanceur squale dans chaque main. Josephus en tenait un dans la main droite tandis que sa main gauche serrait la crosse du revolver d'argent.


"Baissez vos armes frère Kuja," fit Josephus. "Vous avez pu constater qu'elles ne sont d'aucune utilité."


"Au contraire monsieur Kuja Magnusson," reprit Hamp. "Elle pourront être très utiles dans peu de temps ; je vous demanderai simplement d'avoir l'obligeance de cesser de les braquer dans la direction de vos hôtes."


Kuja n'écouta ni l'un ni l'autre et maintint ses armes en position. Josephus se tourna vers le cinquième homme qui avançait, sortant doucement de la pénombre. Il était grand, puissamment charpenté, doté d'un crâne chauve et épais dans les orbites desquels étaient enfoncés de minuscules yeux blancs sans pupilles. Sa peau était rongée par une gale brunâtre qui pourrissaient, répandant autour de lui une puanteur épouvantable. Ses doigts boursouflées étaient dénués d'ongles. De profondes coupures barraient ses joues et ses tempes qui semblaient anciennes mais n'avaient jamais cicatrisé et dont s'écoulait un pus écœurant.


"J'attendais de pouvoir faire votre connaissance," commença Josephus, "Bligh Burrower. J'aimerais pouvoir vous proposer ce que nous pourrions appeler un pacte de non agression temporaire dans la mesure où nous avons le même intérêt à sortir de cet endroit ; mais nous savons également que je ne peux pas vous laisser sortir d'ici vivant pour révéler mes tricheries ; pas plus que vous ne pouvez me laisser sortir vivant pour révéler les vôtres."


"Mais où croyez-vous aller de toutes façons ?" intervint de nouveau Hamp d'un ton ennuyé et agacé.


"Vous n'avez qu'une seule balle." La voix de Burrower était une sorte de sifflement d'outre-tombe, rauque et à peine audible.


Il avait raison. Les munitions squales seraient sans effet sur Zerr et probablement sur Hamp. Pour que les démons dévoreurs d'âme qui y étaient emprisonnés puissent faire leur office, il leur fallait trouver de la nourriture. Ces deux là n'en offraient vraisemblablement pas. Ce fut Kuja qui posa la question.


"Qu'est-ce qui vous fait croire que nous ne pouvons pas vous tuer ?"


"C'est un des termes du pari. Il est réciproque, bien sûr."


Bien sûr. Mais la balle d'argent lui serait certainement fatale. Là résidait peut-être la tricherie de Magnus. Comment être certain qu'elle était bel et bien destinée à Burrower cependant ? Et comment Burrower connaissait-il son existence et son pouvoir ? Disposait-il d'une arme similaire destinée à le tuer lui, Josephus ? En tuant Burrower, il se retrouverait dans une impasse parce que la balle d'argent était probablement également seule capable de tuer le maître d'Hôtel, condition certainement nécessaire pour quitter les lieux.


"La règle veut que le maître d'Hôtel ne se mêle pas des affaires privées de ses invités." Hamp avait repris la parole. "Mais cette situation est tout à fait intéressante. Je vous devine hésitant monsieur Magnusson. Vous avez… une seule balle et trois cibles c'est bien cela ? Qui avez-vous l'intention de tuer ?"


Pour la première fois depuis le moment où il avait signé le registre, Josephus eut de nouveau la conscience du temps qui s'écoulait. Les secondes s'égrenaient, semblant durer des heures. Un silence de plomb était tombé sur la pièce. Ce fut Zerr qui le rompit finalement.


"Un courrier est arrivé à l'hôtel ce matin". Il n'y avait pas eu de matin. La nonchalance surréaliste avec lequel l'enregistreur remplissait, ou plus exactement, jouait son rôle impressionna une fois de plus Josephus. "Il est destiné à Kuja Magnusson et ne porte aucune mention de l'expéditeur. Bien sûr, je ne l'ai pas lu. Le personnel de l'Etablissement s'interdit de violer le secret des missives qui lui parviennent."


Il ramassa sur la table basse un pli de papier jauni et craquelé qui venait d'y apparaître. Ignorant la menace des armes, il approcha du space marine à pas lents et le lui tendit. Une sourde angoisse étreignit soudain Josephus.


"Je vous déconseille de lire cette lettre frère," intima-t-il.


"Vous pouvez la consulter immédiatement ou préférer attendre d'avoir retrouvé le calme de votre chambre," suggéra poliment Zerr.


Après un instant d'hésitation, Kuja replaça un des lanceurs dans son étui et arracha la lettre des mains du gnome qui grimaça ce qui devait être un sourire avant de reculer.


"Ne lisez pas cette lettre, je vous en prie frère," répéta Josephus.


Sa main gauche toujours serrée sur la crosse d'acier poli du lanceur, Kuja menaçait alternativement Burrower, Hamp puis Zerr. Sa belle confiance déjà entamée par la réapparition du réceptionniste s'était évanouie. D'où venait cette lettre apparue de nulle part qui lui était soit disant destinée ? Si Josephus ne voulait pas le voir la lire, pourquoi ne le lui en donnait-il pas l'ordre formel ? Ne le pouvait-il pas ? Kuja aurait obéi. Gardant un œil sur ses trois adversaires, il déplia le morceau de papier jauni entre ses doigts et blêmit sous la surprise en reconnaissant dans les quelques lignes typographiques qui y étaient inscrites la structure et l'encodage d'un rapport militaire impérial vieux de dix millénaires rédigé dans le langage de bataille des Thousand Sons.


Une voix dans son esprit lui hurlait de ne pas lire ; une autre lui hurlait qu'il devait connaître la vérité.


Il lu.


Sa main droite se crispa, chiffonnant le rapport qu'il laissa tomber à ses pieds. Il dégaina une nouvelle fois son second lanceur pour la braquer droit sur la tempe du frère-capitaine Josephus.


"Je vous autorise une phrase de neuf mots au maximum pour me convaincre de ne pas vous cribler de missiles squales si ce document dit la vérité capitaine. Et de grâce, ne commettez pas le crime de me donner une ordre."


Josephus ferma douloureusement les yeux. Les trois autres personnes présentes dans la pièce les observaient immobiles, curieux et amusés.


"Vous êtes ici pour m'aider à en sortir."


"Alors c'est vrai. N'est-ce pas ? C'est… vrai… Pourquoi ? Pourquoi… frère-capitaine ?"


Depuis dix mille ans, Kuja supportait l'amertume de la défaite ; celle d'avoir du abandonner tout ce pourquoi il avait autrefois combattu ; celle de mener l'existence d'un renégat immortel animé par la poursuite farouche d'une vengeance inassouvie et impossible à assouvir ; il la supportait parce qu'il l'avait vécue sous les ordres d'un homme à qui il vouait une admiration absolue et en qui il avait une foi inextinguible. En l'espace d'une fraction de seconde, tout cela s'était effondré en même tant que s'ajoutait l'amertume infiniment pire de découvrir que son combat avait été trahi – par ce même homme. Cela n'avait pas de sens.


"Je n'ai… jamais pu haïr nos frères qui ont l'ont volée. Sans doute se trompaient-ils mais ils ont librement choisi leur camp et en ont affronté et payé les conséquences. Vous… vous êtes le seul combattant de cette guerre à avoir trahi les deux camps à la fois. Comment… avez-vous pu…"


Il se tut un instant. Son visage était livide.


"Mais vous avez raison ; je suis venu ici pour vous aider. Je ne vous donnerai pas la satisfaction posthume de vous trahir à mon tour."


L'arme de Kuja changea de direction. A présent, il la braquait sur Bligh Burrower.


"Faites votre office capitaine. Une seule balle et trois cibles. J'espère que vous ne commettrez pas d'erreur."


Josephus leva le revolver d'argent dans la direction de Zerr et pressa la détente.


*


**


Il connaîtra votre pire cauchemar et l'exaucera.


Bast ne s'était pas trompé. En révélant à Kuja le plus lourd et le plus terrible secret qu'il ait jamais gardé et qu'il avait tout fait – en vain bien sûr – pour oublier lui-même, le Maître du Chaos avait donné à Josephus une réponse à la hauteur de l'offense qui lui avait été faite.


Josephus regarda autour de lui ; mais il ne s'y trouvait rien. Il baignait dans une blancheur lumineuse et éclatante qui ne laissait voir aucune ombre, aucun relief. Il ne ressentait aucun contact solide sous ses pieds. Il était plongé dans un univers de lumière n'émanant d'aucune source et qui s'étendait à perte de vue – si tant est que le concept de vue y ait encore un sens. Aucun objet, aucun corps de consistance matérielle n'était observable. Il ressentait pourtant sur les cellules de sa peau les chocs parfaitement ordonnés et réguliers des molécules d'une atmosphère. Ses capacités extrasensorielles étaient réapparues.


Zerr était bien le véritable gardien de l'Hôtel. Il en avait acquis la certitude en découvrant que le premier nom inscrit sur le registre était celui de Helbrecht Hamp. Hamp n'avait jamais été que le premier locataire – le premier prisonnier – du Havre. Quel crime abominable avait pu commettre cet homme pour qu'une telle prison soit bâtie dans le seul but de l'accueillir ? Et qui avait été son juge ? Josephus devinait qu'il ne tarderait pas à l'apprendre.


Avec son gardien, l'Hôtel avait disparu, se dissipant dans le néant dont il était né. D'où venait la balle d'argent qui avait permis à Josephus d'accomplir un tel miracle ? Magnus lui-même l'avait-il fabriquée ? C'était improbable.


Burrower était mort, sa chair et son âme dévorée par le torrent de munitions squales que le lanceur de Kuja avait vomi l'instant d'après. Les termes du pari interdisait à Josephus de tuer son concurrent ; pas de le faire tuer par un autre. Ils avaient triché, triché encore, joué sur les mots, enfreint toutes les règles mais Pukeslime n'en saurait jamais rien ; ils n'avaient pas gagné mais l'honneur de Magnus – ou n'importe quoi d'autre qui ait pu être mis en jeu dans ce pari imbécile – était sauf.


Il se demanda soudain si Pukeslime avait réellement été impliqué. En y repensant, l'idée absurde d'un pari entre Pukeslime et Magnus lui paraissait dénuée de sens et il commençait à douter qu'il ait jamais existé. Si le véritable but de cette pathétique épopée était de détruire l'Hôtel, qui en avait décidé ? Le Grand Architecte lui-même ? Les paroles de Magnus lui revinrent : Ce que vous cherchez Josephus, vous dépasse. Il nous dépasse tous. C'est l'Ultime Secret, sur lequel repose tous les mythes et toutes les légendes de toutes les races intelligentes qui peuplent nos univers et bien d'autres encore. Le seigneur primarque avait sûrement choisi ses paroles avec soin ; Il ne pouvait espérer que Josephus croie une assertion si parfaitement ridicule. De toutes évidences, il ne l'espérait pas et ne le voulait pas.


A quoi bon ces manœuvres volontairement naïves et cette mise en scène inepte ? Magnus savait bien que s'il avait simplement ordonné à son fils d'aller se mesurer à Malal en personne, il aurait obéi sans discuter. Pourquoi cette mascarade ?


Quoi qu'il en soit, Josephus avait triomphé de l'Hôtel.


Mais en avait payé le prix : Désormais, Kuja savait.


"Quelles sont vos intentions pour l'avenir, seigneur Josephus Magnusson ?"


La voix douce et lente provenait d'un scintillement de lumière plus violent encore que celle dans laquelle baignait le space marine, flottant à quelques mètres devant lui. Et une nouvelle fois, Josephus eut peur. Durant son interminable existence, il avait affronté ou pactisé avec des démons, combattus ou trompé des êtres à la puissance inimaginable, avaient face à des armées entières ; et était toujours en vie pour le narrer. Mais l'hostilité que pouvait lui vouer l'Imperium tout entier et les enfers de Nurgle réunis n'était qu'une paille en comparaison de celle qui animait probablement l'entité qui lui faisait face. Jamais Josephus n'avait dialogué en tête à tête avec un dieu.


Il eut préféré que ce ne fut pas celui-ci.


"Je l'ignore seigneur Illuminas."


"Vous ne pouvez plus ni avancer, ni faire marche arrière. Il est peu probable que les vôtres vous acceptent encore comme leur compagnon. Encore moins que vos ennemis vous pardonnent dix mille années de guerre. Seul, vous n'aurez plus la capacité d'entreprendre quoi que ce soit dont l'ambition soit à votre mesure. L'heure du choix à sonné capitaine Josephus Magnusson ; elle devait sonner un jour ou l'autre. Lorsqu'elle s'est présentée pour la première fois il y a dix mille, vous l'avez fuie. Parce que, à l'instant exact ou le destin vous a placé dans la position très particulière de pouvoir seul décider du cours de la guerre, vous avez éprouvé le doute. Sûrement cherchiez-vous à vous convaincre vous même que votre choix n'était pas irréversible ; peut-être en bon soldat teniez-vous à vous ménager une voie de retrait. L'évidence est que vous avez refusé de choisir.


Avez-vous finalement jamais fait autre chose que fuir l'heure du choix seigneur Josephus Magnusson ? Votre fidélité aveugle à votre père en a peut-être toujours été le meilleur moyen.


L'écoulement du temps est un concept que j'appréhende mal et que je déteste ; N'en est-il pas de même pour vous seigneur Josephus Magnusson ? Quel genre de souffrance endure-t-on quand on vit dix millénaires durant avec la peur de voir son secret le plus terrible révélé ? Une autre question que je me pose est celle-ci : Magnus connaissait-il votre responsabilité dans la défaite ? Comment pourrait-il l'ignorer lui dont l'œil voit tout et perçoit tout ?"


"Que voulez-vous seigneur Illuminas ?"


"Vous. Bien sûr."


Il y eut un silence. La voix reprit.


"Ce n'est pas à moi qu'il faut donner une réponse, c'est à vous même : n'êtes vous pas fatigué de vous mentir en permanence capitaine Josephus Magnusson ? En prétendant faire de la force vive du Chaos votre instrument alors que le Chaos vous manipule ? En prétendant être dévoué à votre père qui n'hésite pas à vous envoyer dans l'un de mes havres ? En prétendant combattre l'Imperium des hommes alors que vous ne faites qu'infliger des piqûres d'insectes au cuir d'un colosse ? Moi seigneur Josephus Magnusson, je ne vous mentirai jamais ; Des combattants et des sorciers de votre valeur et de votre courage sont d'une rareté exceptionnelle même à l'échelle de l'univers. Tous ce que vos maître actuels vous donnent, je peux vous le donner également ; mais je peux vous apporter bien plus. Je peux vous apporter la paix avec vous-même.


Ce que le Grand Architecte vous offre, c'est une aventure ; ce que je offre, moi, c'est une cause. Vous vous battez depuis dix millénaires pour renverser un ordre malsain et fragile et le remplacer par un autre qui sera plus malsain, instable et éphémère encore et vous le faites sous la bannière de l'entropie. Ce que je vous offre moi, c'est un ordre véritable, parfait et éternel. Songez à cela ; songez surtout qu'il n'y à guère d'autre option à votre disposition."


Josephus sourit faiblement.


"Votre discours ressemble dans sa structure à celui du Maître du Chaos. Il est une créature de Malal, exact ? Un gardien de l'Hôtel comme Zerr. Vous avez dit que vous ne me mentirez jamais et je vous crois très volontiers ; avez-vous l'intention de me tuer ?"


"Non. Une telle menace pourrait influencer votre décision. Or, encore une fois, vous êtes à l'heure du choix. Il n'appartient qu'à vous."


"Je ne veux pas de l'ordre que vous m'offrez. Moi qui ai contemplé l'enfer du changement perpétuel, je préfère y vivre à jamais comme un esclave qu'être un empereur dans votre paradis de vide solidifié et de lumière figée. Quant bien même mon opinion serait différente, ma réponse elle, ne le serait pas : je ne puis vendre ou donner ce que je ne possède pas ; et mon âme appartient à mon père."


Il s'inclina respectueusement.


"Je vous suis reconnaissant de l'honnêteté dont vous avez fait preuve à mon égard. Permettez moi à présent de retourner parmi les miens. Qu'ils m'acceptent ou non relève de leur seule décision. Pour eux aussi peut-être, l'heure du choix a sonné."


La vision de Josephus s'assombrissait doucement tandis que retentissaient dans son esprit les dernières paroles d'Illuminas.


<i></i>


Ma proposition reste à tout jamais valide seigneur Josephus Magnusson.


Si vous devez un jour changer d'avis, il vous suffira de prononcer mon nom.


Et que le hurlement du frère Kuja, space marine de la première compagnie de la légion Astartes des Thousands Sons, incendiait sa mémoire.


<i></i>


Pourquoi ?


Vous saviez qui était à bord !


Vous connaissiez leur destination !


VOUS POUVIEZ STOPPER LA FREGATE EISENSTEIN ET VOUS L'AVEZ LAISSEE PARTIR !


POURQUOI ?




Une Nuit à L'hôtel Californie - Guest - 25-02-2006


Il y a deux ou trois fautes d'inattention par ci, par là. Je ne me sens pas de les relever maintenant, puisque ça impliquerait une relecture complète du texte; et vu que je n'ai pas d'imprimante, ça voudrait dire passer trois autres quarts d'heure devant mon écran. Ai-je omis de préciser que je suis un fainéant de première catégorie?


Comme tout ce que tu écris, Xavier, c'est de l'or pur et en barre. Ma compréhension limitée du fluff, du vrai, m'empêche de comprendre une partie de l'intrigue, mais je m'abstiendrais de te demander de clarifier ces points par respect.


En ce qui concerne la fin, elle me semble effectivement un peu moins travaillée que le reste de la nouvelle, et fait un peu cliché, mais je reviendrais là-dessus à loisir, quand j'aurais l'esprit un peu plus clair. En tous cas, elle s'inscrit suffisemment bien dans la logique du récit pour ne pas trop faire tâche.




Une Nuit à L'hôtel Californie - KDJE - 26-02-2006


Que Sergei Mikhailovich plus que Phyllis ait vraisemblablement donné le nom de cette frégate m'a toujours amusé : tant de morts, pour de la viande pourrie, ça résume bien.


925M31 fut décidemment une grande année.


Sur la forme, ça me lasse toujours de constater aussi peu de respect du lecteur qui investit du temps : trop de fautes de frappe, d'absence de relecture (si : même une phrase qui fait quatre lignes). Fin du premier tiers, tu sembles t'y perdre toi-même. Le peu d'usage de qualificatifs ou de rappels descriptifs firent que j'ai cessé de rechercher qui était qui parmi les seconds rôles à peu près à la moitié du texte.


Bref, pour moi, un tel emballage s'apparente à de l'automutilation, comme si la forme avait moins ou pas d'importance. C'est toujours dommageable, pour les deux parties comme, amha, pour le sujet lui-même.


J'ajoute perso que, contrairement à d'autres textes, l'interlignage dessert amha celui-ci (pas assez d'appui aux dialogues, peut-être).


Sur le fond, le suspense porte en conséquence la lecture, quasi plus que l'originalité du propos (alors que bon), mais on suit. ça explique d'ailleurs pourquoi il n'y a pas plus de raids chaotiques sur l'Imperium et, puisque ce n'est pas le sujet, ça n'explique pas pourquoi l'Empereur est encore "vivant" (alors que, là-aussi). A conseiller en CP 40k, donc, parmi les bases du fluff à se souvenir.


Ptite puanteur de l'anus sur la nécessité de Khazerson (le côté James Bond sans doute, la montre qui fait tire-bouchon trouvant son utilité dans le dernier quart d'heure du film, comme si avant le film on renversait toujours le contenu de la bouteille en consultant l'heure).


Quant à la chute, 'fin, j'veux dire : c'est... désarçonnant, limite polémique.


Par l'U.S. dès les premières lignes, j'attendais justement une dissonnance, une opposition, un réalisme tranchant avec l'humour. Et surtout un Kuja plus présent, vu que tu l'affiches comme le véritable héros de l'histoire.


A la limite, si Josephus avait tenté d'empêcher..., s'il avait cosigner le message...


Bon, tant pis. Dans ce cas, heu, amha, ils sont au moins trois à savoir (Josephus étant hiérarchiquement le plus bas) et donc depuis 10000 ans Josephus est visiblement le seul que ça hante.


Ensuite, il y a grosse puanteur au bord du sphincter : faut être naïf pour penser que ze plan était plus rentable sans l'accroc de ta conclusion, qu'un jour vaut plus que des milliers d'années sans terme envisageable...


Difficile donc de croire à cette naïveté de Josephus (comme à l'invraisemblable hurlement de Kuja) après la partie qu'il vient de mener (je pensais au contraire que c'était pour des raisons semblables qu'il fut promu capitaine, même Tzeenth, du moins Magnus, conservant une certaine logique).


Heureusement (c'est là où tu demeures une valeur sûre et donc trop rare de cette rubrique), le paragraphe sur le choix chez les tzeentchistes montre enfin le bateau dans lequel tu nous a embarqué (un peu lourdement même quand Jo' explique à son interlocuteur divin le midiclorisme local), mais de Cube, on passe à Matrix. Ouf.


Et puis l'U.S. de Kuja est si... qu'il ne va pas être difficile à Josephus de le faire chanter, de retour dans l'unité de lieu de la série : parmi les neufs.


Mais bon, ce fut long (l'interlignage renforce peut-être cette impression).


En résumé : une introduction un peu longue qui nous amène à deux pas du buffet.


(On espère toutefois que le secret surpris par Kuja aidera Josephus à rompre avec Mordenkain et accepter l'impossible amour que lui voue Kuja depuis que Coromir l'a trompé).




Une Nuit à L'hôtel Californie - Xavier - 26-02-2006


Bon, disons le tout net : si cette histoire a traîné pendant cinq sur mon disque, c'est qu'il devait bien y avoir un ver quelque part dans le fruit. Mon avis est que j'ai simplement le chic pour balancer mes personnages dans des situations totalement invraissemblables, le genre dont le lecteur ne sait vraiment pas comment ils vont s'en sortir.


Eh bien, le problème, c'est que je ne sais pas non plus.


Donc j'ai tranché le noeud gordien en décrétant qu'ils en sortaient parce qu'ils sont les plus forts et qu'on va pas s'encombrer des détails. C'est ce qui donne l'aspect désagréablement abrupt de pas mal de fins de paragraphes et c'est effectivement se foutre un peu de la gueule du monde mais au moins, comme ça, c'est réglé.


Et à vue de pif, "Hypostyle" dont j'ai repris l'écriture est bien partie pour finir de la même façon. Je crois que j'ai pas le truc pour les intrigues trop ficelées et que je devrais définitivement me contenter d'écrire des scénarios de nanards du genre "cette nouvelle aventure de Zugrub Oomifrind sur Negromundheim vous est offerte par 88 Export, la bière qui fait pschitt".




Une Nuit à L'hôtel Californie - KDJE - 28-02-2006


Citation :j'ai simplement le chic pour balancer mes personnages dans des situations totalement invraissemblables, le genre dont le lecteur ne sait vraiment pas comment ils vont s'en sortir.
C'est en effet ce qui captive dans cette variation. La barre est haute, le plus dur a été fait. Paradoxe, donc.
Le saltimbanque eut alors un doute ?




Citation :mais au moins, comme ça, c'est réglé.
Charmante est la Facilité, extrêmement charmante, sans caprice, lissante.
Une putain de garce, oui !


Notes qu'aller rechercher cette anecdote finale fut amha une vraie bonne idée. C'est la relation entre l'évènement et le personnage... Je crois.




Citation :Et à vue de pif, "Hypostyle" dont j'ai repris l'écriture est bien partie pour finir de la même façon.
Tss, tomber deux fois dans le même trou réduit la route.
Le titre sonne mieux, déjà.




Citation :Je crois que j'ai pas le truc pour les intrigues trop ficelées et que je devrais définitivement me contenter d'écrire de
1) Quand les personnages s'emprisonnent ainsi témoigne seulement de leur succès.
J'ai même cru comprendre que certains auteurs désiraient parfois les tuer pour cela, modifier l'alchimie comme s'ils la maîtrisaient.


Si raisonnable au milieu de cette déraison, je crois que Josephus a failli mourir dans cet hôtel, Kuja ne serait pas apparu ainsi sinon. Mais, avec Zugrub et Painkiller, Josephus est des récurrents le plus sérieux des trois. Et puis c'était le week-end.


(Dans Battlestar Galactica, ce fut les épisodes avec Apollo dans un uniforme tout blanc. Ecrits le week-end eux-aussi)


2) Mais oui, mais oui.