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La Voix Du Samouraï - Guest - 27-10-2004


La voie du Samouraï


Chapitre 1: Sous l'ombre du Yang-Tou.


Ma mère me disait souvent que lorsque la nuit tombait sur la vallée, les démons de la montagne descendaient dans les plaines et emportaient les enfants imprudents qui se risquaient dans l’obscurité. Pendant mon enfance, ce conte m’avait gardé à la maison quand le ciel au-dessus des Yang-Tou rougissait et que les bois prenaient une teinte indigo, mais ce soir je m’étais décidé à sortir pour aller voir partir mon père et les autres guerriers du Seigneur des Kedowara.


Le village où j’habitais était construit de petites fermes et de maisons de bois espacées les unes des autres par des champs de millet. Au dessus du village, je pouvais voir en sortant la colline escarpée sur laquelle se tenait la demeure du seigneur du clan: plusieurs étages de bois blanc, de poutres, de toits de tuiles et de panneaux de papiers posés sur un socle de pierre grise. Le château m’impressionnait toujours lorsque je le voyais; un jour, lors de la fête de Yangoun, le Dieu Rieur, j’avais pu gravir le chemin de pierre en lacet qui montait jusqu’au portes de bois noir. De là-haut, le regard dominait toute la vallée: au Nord, les cascades blanches des montagnes dévalaient les pentes boisées comme des fils d’argent et bondissaient sur les escarpements sombres, enfin elles se regroupaient dans un torrent violent qui contournait le village et les champs par l’Ouest puis tournait à l’Est au Sud du hameau.


C’était l’été, la chaleur du jour était tombée avec la nuit et une brise tiède et humide soufflait des montagnes, rendant ma peau moite. Ma mère triait des fruits et les mettait à sécher pour l’hiver, l’odeur de fumée du feu parvenait encore à mes narines lorsque je quittai le village en me dirigeant vers le grondement sourd du torrent. Je quittais les lumières jaunes du village, et plongeait dans l’obscurité de la nuit seulement contestée par la lueur pâle de Yakima, la plus grande des Jumelles.


Je comptais dire mes adieux à mon père lorsqu’il passerait le pont de pierre qui enjambait le fleuve en aval: en prenant le chemin des pêcheurs qui longeait les eaux bruyantes du torrent, j’arriverais avant eux qui prenaient la route contournant les dépressions humides où les moustiques pullulaient.


Mon cœur était resté serré jusqu’à maintenant par l’angoisse de voir mon père, guerrier du clan Kedowara, partir vers la capitale loin d’ici. Cela faisait quelques jours qu’il était resté à la caserne du château sans que je puisses le voir et c’est ma mère qui m’avait appris la nouvelle: il allait escorter le vieux seigneur du clan qui se rendait à la fête d’anniversaire du Seigneur de Guerre, à Tagoshima, la cité impériale: il serait absent longtemps.


Si j'allais jusqu'au pont, mon père verrait que j’étais brave et que j’étais digne d’être un guerrier comme lui. Je rêvais de devenir un guerrier, c’était pour moi le but le plus noble que je puisse avoir; cependant, je n’en étais qu’à ma treizième année et mes cousins plus âgés porteraient avant moi la coiffe des combattants et mon apprentissage des armes serait sûrement écarté au profit de celui du dogme : selon la tradition, c’était mon grand-père qui décidait de l’avenir de ses petits-fils et il ne désirait pas en voir trop d’entre eux entrer dans la classe des guerriers.


Je pensais être celui qui connaissait le mieux les bords de la rivière et en tirait une certaine fierté : je courrais vite dans les hautes herbes et j’évitais tous les trous sombres remplis d’eau stagnante. La fraîcheur de la nuit m’environnait et la course me procurait un sentiment de liberté sans borne : je riais dans l’obscurité en pensant à la tête que ferais mon père en voyant son fils jaillir sur le chemin tel un démon des bois. Enfin, la courbe de la rivière tourna vers l’Ouest et j’aperçus le pont de pierre éclairé par des lampes de toiles vertes et bleues : les couleurs des Kedowara.


La troupe des soldats n’était pas encore là, mais le vent m’apportait la rumeur de sabots ferrés claquant sur la route. Je décidais de me cacher derrière un arbre près de la chaussée de pierre et d’attendre en écoutant. Ils arrivèrent rapidement à ma hauteur et les silhouettes des cavaliers se dévoilèrent à la lueur des lampes : Aucun d’eux ne portaient leurs casques et je pus facilement distinguer mon père des autres guerriers. Je sortis de ma cachette et apparus à ses côtés d’un bond. D’abord surpris, il se raidit et porta sa main au pommeau de son sabre, puis en entendant le son joyeux de ma voix, il se radoucit et m’invita à monter quelques instants avec lui car ils ne pouvaient s’arrêter pour moi. Il m’aida à monter sur le grand cheval et nous reprîmes notre place dans la colonne.


« Ta mère vas être furieuse quand tu reviendras à la maison. » dit-il non sans une teinte de reproche.


« Grand-mère sait que je suis ici. »


Mon père acquiesça en silence et je sus qu’il était fier de mon courage et de ma prévoyance.


« Serez vous longtemps absent, père ? » lui demandais-je.


« Le temps que Yakima redevienne dans le ciel exactement comme elle est ce soir. »


Je levais la tête et regardais l’astre pâle au dessus de nous, gravant sa forme dans ma mémoire. Mon père me fit plusieurs recommandations sur le travail que j'aurais à la maison et les responsabilités que j’aurais tant que lui et mes cousins seraient absents.


« Akio et Funio t’accompagnes ? » m’étonnais-je.


« Oui Enaï, mon fils, tes cousins ont tous deux l’âge de commencer leur véritable rôle en tant que guerrier Kedowara. Ce voyage sera leur première mission, et ce n’est pas une des moindres : avec tous les nobles importants réunis en un seul endroit, l’atmosphère risque d’être tendue au palais du Seigneur de guerre. Nous sommes sur le qui-vive et le resteront jusqu’au moment où nous repasseront les portes de Yung-Na. »


« C’est pour cela que le Seigneur a préféré partir de nuit si discrètement ? »


« Oui, il craint une attaque ou une filature, et il n’a pas tord. Moi-même, j’ai cru un instant à une attaque quand tu as surgit des arbres ; pourtant les chevaux ont senti ton odeur et n’ont pas bronché, cela aurait du m’avertir que tu n’étais pas un bandit. » se reprocha t-il. Un léger silence seulement troublé par le vent et les chevaux s’installa.


Assis devant lui, je me sentais dans l’endroit le plus sûr du monde et j’étais heureux de partir en voyage. Je ne voulais rien dire pour ne pas rompre le charme et j’eus bien voulu que son cheval ne s’arrête jamais pour me laisser redescendre.


« Veilles sur ta mère et sur les autres. Honores nos ancêtres et ils veilleront sur toi. »


Je le saluais respectueusement, la gorge légèrement nouée.


Puis le cheval s’ébroua et mon père disparut vers la torche du cavalier de queue.


Lorsqu’il passèrent derrière un épaulement et que leur lumière s’évanouit, je me retrouvais dans le noir le plus complet. J’attendis un instant que mes yeux s’acclimatent, puis je suivis la route dans l’autre sens.


Le retour fut morose et la nuit semblait avoir perdu sa saveur de liberté.


A mon retour, ma mère me gronda sévèrement en me menaçant avec les pincettes du feu; mais je m’y étais préparé et laissais passer l’orage : je savais qu’elle ne me tiendrait pas vraiment rigueur d’être aller dire au revoir à mon père. La maison, toujours chaude et accueillante comme les bras de ma mère, sentait la pêche et la prune. Sur le feu près d’un écran ouvert, une tarte finissait de cuire et mon appétit acheva de chasser mon affliction passagère due au départ de mon père.


Ma mère suivit mon regard et m’avertit :


« Celle-là est pour demain. Si tu as faim, il reste un peu de galette et il y a du miel dans le placard. »


Je grignotais un moment en pensant à la journée de demain. La moisson n’était pas terminée dans les champs et il y aurait du travail pour tout le monde dans la fraîcheur du matin, ensuite, aux heures chaudes, le prêtre du Dieu Sage instruirait les fils de guerriers sous le grand chêne près du torrent. Et enfin, lorsque le soleil baisserait, j’irais à la rivière pour pêcher avec les autres garçons ou alors nous ferions des parties de Jang, un jeu de stratégie avec des pions et des cases, si le temps était mauvais.


Je souhaitais bonne nuit à ma mère et j’allais m’étendre sur ma natte dehors sur un des balcon. Je m’endormis paisiblement en tentant de me souvenir d’un coup fameux que m’avais montré un jour mon grand-père.


Les journées chaudes de la fin d’été passaient avec une lenteur exaspérante. Chaque jour semblait copier le précédent et je me sentais enfermé dans une routine paisible et rassurante. Cependant, chaque soir, je sortais sur le balcon et levais les yeux vers la pâle Yamika.


Je savais que quelque part, mon père regardait comme moi la même silhouette nacrée avec au cœur la nostalgie d’une belle terre au pied des montagnes: alors je priais la déesse blanche qui nous voyait tous deux, de veiller sur lui et de lui trouver une voie sûre dans son manteau de ténèbres.


Je restais longtemps assis à contempler la nuit, ne cessant que lorsque ma mère venait enfin me chercher : un soir, elle s’assit à côté de moi, sa robe du soir légèrement ouverte pour profiter de la brise fraîche. Le bruissement lancinant d’un grillon nous berçait lentement, tandis que le hululement sonore d’une chouette résonnait dans la nuit. Tous ces sons, ces odeurs de pins et de fleurs auxquelles s’ajoutait le parfum de ma mère me semblaient plus vivants que les journées brûlantes que je passais à travailler ou à m’instruire.


Ma mère prit ma main dans la sienne.


« Yakima nous montre ce soir le même visage que lors de son départ…et il n’est toujours pas rentré… »


Il n’y avait nul besoin de préciser qui était « il ». Je savais qu'elle parlait de mon père.


Je serrais ses doigts frêles et graciles dans les miens.


« Il ne devrait pas tarder. Père n’est jamais en retard…Je suis sûr qu’il sera là demain matin pour nous saluer avant que les travaux de l’aube commencent. »


Mais le lendemain, seul un soleil rose et doré me salua lorsque j’ouvris les yeux.


Mon père n’était pas seul à me manquer. Mes cousins, qui étaient plutôt des frères pour moi, revenaient souvent dans mes pensées.


Le rire cristallin d’Akio et sa bonne humeur, le ton sévère de Funio lorsqu’il nous réprimandait…J’avais vécu toute ma vie à leurs côtés et ils étaient devenus pour moi, comme d’autres visages familiers, des repères fixes dans ma vie: cette première absence était synonyme de changements importants et semblait appeler la fin d’une vie que j’avais aimée pour ce qu’elle était :constante et heureuse dans l’ensemble. La pensée qu’un jour je puisse vivre ailleurs loin de ma famille me terrifiait et je brûlais de l’envie d’enfermer les années passées dans une sorte de bulle intemporelle qui existerait pour toujours à l’abri du changement.


Enfin, sept jours après la nuit du retour prévu, la bannière Kedowara apparut enfin au loin sur la route. Le ciel s’était chargé de chaleur pendant toute l’après-midi et le soir était maintenant obscurci par des nuages sombres annonciateurs d’orage. Sa vue me remplit de joie et je quittais mes camarades de jeu pour aller prévenir ma mère. Ijito, un de mes meilleurs amis m’emboîta le pas en me demandant ce que j’avais vu.


« C’est le Seigneur, il est de retour ! Tu ne vois donc pas sa bannière là-bas, sur la route ? »


Ijito fit un signe de dénégation en regardant la chaussée grise.


Je n’écoutais pas sa comparaison entre ma vue et un aigle et m’élançait sur la côte qui montait vers les maisons.


A mes cris, ma mère sortit en courant, le front inquiet.


« Qu’est ce qui se passe, Enaï ? »


Le seigneur, je l’ai vu ! il revient ! Ils sont de retour ! »


Ma mère sourit de bonheur et je lui souris en retour : je n’aimais rien plus que de la voir joyeuse. Je m’apprêtais à courir pour rejoindre la troupe des guerriers approchant et les saluer comme une armée victorieuse, mais ma mère m’interpella :


« Non ! Tu restes ici ! J’ai besoin de toi pour préparer le dîner, sinon ton père mangera des fruits secs ce soir. »


Un instant l’envie me prit de protester, mais contre l’expression impassible et immuable de son visage, je savais que je n’avais aucune chance. Je pénétrais donc à regret dans la maison et me dirigeai vers la cuisine.


Lorsque mon père rentra enfin après avoir rempli ses offices à la caserne, le Soleil avait déjà passé l’horizon et le ciel était maintenant tout à fait noir : les étoiles étaient voilées par les nuages et un vent fort se levait. Mon grand-père avait fait égorger un veau pour l’occasion et une odeur délicieuse de viande cuite et d’herbes emplissait la salle d’entrée.


Toute la famille vint l’accueillir en lui souhaitant un bon repos, mais père avait le visage voilé par la tristesse et nos acclamations moururent dans nos gorges à sa vue. Quelque chose me frappa immédiatement: il était seul.


« Funio et Akio…où sont-ils ? » dit ma grand-mère d’une voix anxieuse.


Mon père baissa les yeux et le tonnerre claqua dans l’air, se perdant en échos sur les reliefs du Nord. Le reste de la soirée me parut irréel, comme un cauchemar dont j’étais prisonnier: Mon père et mon grand-père se rendirent au château pour aller chercher les corps et les faire envoyer au temple. Ma mère, ma grand-mère et moi restâmes dans la salle du repas à pleurer un flot de larme qui semblait impossible à endiguer. L’orage grondait au-dessus de nous et le torrent forcissait sous l’ajout des pluies, mais j’aurais souhaité que le ciel se déchaîne encore plus pour exprimer pleinement le désespoir et la rage que je ressentais. La pluie descendit des montagnes et inonda les champs. A travers les éléments, je pouvais presque entendre les prières des prêtres du Dieu des Morts qui accueillaient mes cousins dans leur nouvelle demeure : regardant vers le temple dressé sur une petite éminence, je vis un brasier s’allumer malgré l’averse. Le bois mouillé hésita, puis finalement l’huile triompha de l’eau et une flamme énorme enfourna les deux corps. La fumée noire se perdit dans un ciel d’encre et la nuit prit un goût de larmes.


Le lendemain, je ne me levais pas lorsque l’Est s’embrasa: je ne me sentais plus aucune force, plus aucun goût, plus aucune envie de vivre. Ma mère vint me voir dès l’aube et resta longtemps à mes côtés. Elle me dit de ne pas rester par terre ainsi à ne rien faire et de me lever. Je la regardais de ma couche : elle était encore belle dans son chagrin : les yeux rouges et un sourire triste au coin de la bouche. Je ne voyais que des teintes de gris, pourtant le Soleil dorait ses cheveux. En la voyant ainsi courageuse devant la tristesse, une envie irrépressible de la serrer dans mes bras monta en moi. Je me levai et mis ma tête sur son épaule ; je crûs que sa réponse allait me briser les côtes et pris ses mains tremblantes dans les miennes. Dans un arbre proche, un moineau insouciant sifflait un air clair et sonore ; je levais les yeux vers les branches et vis sa petite silhouette baignée de lumière s’envoler dans l’air doux. Je priai les dieux pour que mes cousins trouvent comme lui le chemin vers la liberté et le bonheur.


La vie reprit finalement son cours. Le chagrin se transforma lentement en une mélancolie douce et poignante que l’on exprimait guère, de peur d’en souffrir.


Mes camarades étaient tristes aussi, mais leur peine passa vite. Voyant la mienne s’attarder, ils m’entourèrent le plus souvent possible de leur présence joyeuse. J’étais plein de gratitude à leur égard, mais parfois leurs rires et leurs voix me rappelaient tant Akio et Funio…


Mon père me dit un soir que je devais apprendre à vivre avec leur souvenir et que je devais me les rappeler avec plaisir, car ainsi ils vivraient éternellement en nous.


J’écoutai son conseil et me décidai à regarder vers le futur. J’ignorais si désormais le Seigneur choisirait que ma vie soit vouée à la caste des guerriers, mais au fond de moi mon désir était clair : reprendre les sabres de mes cousins et venger et les venger en servant le clan.


Cependant, l’été touchait déjà à sa fin que le seigneur ne m’avait pas encore appelé.


Un matin, en me rendant à la rivière pour chercher de l’eau, je remarquai que les arbres sur les hauteurs commençaient à dorer. A mon retour, j’en avisai ma grand-mère et elle me prévint que l’hiver serait rude cette année.


Rapidement, les journées se firent plus douces et de fines pluies ponctuèrent la saison des champignons.


Ces derniers se trouvaient sur les pentes boisées des montagnes, cachés dans les creux que forment milles petits ruisseaux au printemps : il fallait souvent un pied adroit et de bonnes jambes pour les atteindre et c’est pourquoi quelques jeunes et moi-même partîmes un jour vers les hauteurs du Yang-Tou.


Nous entamâmes l’ascension environ deux heures après le zénith, à l’heure où les prédateurs des bois font la sieste. Nous n’avions pas très loin à aller : peut-être trois heures de marche pour des pieds agiles comme les nôtres. Rapidement, le village rapetissa jusqu’à ce que les maisons prennent la taille de trous de souris. Au-dessus de nous, la voûte sylvestre dévoilait de temps à autre un soleil encore haut qui rayait les bois de bandes sombres et claires.


Je me souviens parfaitement que nous étions sept à partir ce jour-là : Il y avait Ijito, mon meilleur ami, qui avec un air bravache montrait le chemin aux plus jeunes. Trois jeunes garçons qui devaient avoir quatre printemps de moins que moi l’écoutaient avidement parler des esprits des bois. Derrière moi, deux apprentis du monastère de Takemoto un peu plus âgés que moi fermaient la marche tout en discutant des meilleurs coins à champignons. Pour ma part, je marchais en silence, écoutant les voix joyeuses et goûtant avec plaisir le parfum frais du sous-bois.


J’entendis un soudain éclat de rire et je vis Ijito s’appuyer contre un arbre en se tenant les côtes : je ne pus réprimer un sourire à sa vue et me surpris bientôt à rire sans motif. Ijito essuya une larme sur sa joue et annonça bien fort au groupe que nous irions jusqu'à l’autel de prière du col du Tigre avant ce soir. Je pinçais les lèvres en pensant que mon ami était capable de tenter un projet aussi fou sur un coup de tête et je bénis le Dieux Protecteur que deux de ses suivants fassent partie de notre groupe : sûrement feraient-ils entendre raison à mon fougueux compagnon s’il tentait cette folle ascension. Après quelques heures, nous arrivâmes sur un petit plateau déboisé chargé de rocs épars jadis tombés de la falaise qui nous dominait à l’Est. Au Nord, dans le fond de la clairière, le chemin continuait en montant ; tandis qu’à l’Ouest, une rigole descendait dans un petit vallon. Nous nous séparâmes en deux groupes à cet endroit. Les deux apprentis partirent vers le petit vallon à l’Ouest avec les trois jeunes garçons, quant à Itoji et moi, nous partîmes vers le Nord.


Dès que nous fûmes à quelques distances du champ de pierres, mon ami se tourna vers moi me lança:


« Eh, Enaï ! Ca te dirait de voir le plus beau panorama de la région ? » Ses yeux pétillants et son ton amusé ne présageaient rien de bon, rien que ma mère aurait approuvé ; j’avais un mauvais pressentiment mais comme toujours, sa bonne humeur faisait fondre ma résolution.


« Est ce loin ? » demandai-je.


Il secoua vivement la tête :


« Non, non ! Ce n’est pas loin. Et il y a même des champignons là-bas : comme ça les deux autres renards ne pourront rien nous dire, n’est ce pas ? »


« Fais attention quand tu parles des moines : il n’est pas bon de médire sur eux : ça porte malheur ! Tout ce que tu dis, un jour ils l’entendent. »


Mon ami leva les yeux au ciel et se mit en marche, je le suivis et nous quittâmes le sentier pour nous diriger vers la falaise que nous avions vu à l’Est du plateau. Il haussa les épaules en s’éloignant :


« Toi et tes superstitions ! La seule personne qui m’a entendu c’est toi et tu ne me dénonceras pas…De plus, ce n’est pas ma faute s’ils ont des têtes de renards ! » et il éclata de rire. Je ne dis pas mot, blessé par son manque de respect pour les deux religieux, mais il avait raison : je ne le dénoncerais jamais.


Autour de nous, la forêt devint moins bruyante. Les arbres feuillus se firent plus rares tandis que le parfum des pins venait de plus en plus souvent chatouiller nos narines. De nombreux insectes voletaient autour de nous dans l’air lourd de l’après-midi. Au loin, j’entendais le son étouffé d’une cascade. Après un temps qui me parut étonnamment court, nous arrivâmes au pied de la chute d’eau : l’air y était chargé d’une bruine fraîche qui rinçait nos visages couverts de sueur. Derrière nous, le Soleil était arrivé à la moitié de sa course descendante et ses rayons obliques venaient taper contre l’eau grondante : l’eau et la lumière se saisissaient en formant des milliers de paillettes d’or et d’argent auxquels se mêlaient parfois les feuilles topaze d’un arbre accroché à la falaise. A notre arrivée, un écureuil disparut dans les branches ensoleillées d’un hêtre dans un flamboiement de roux et d’or. Le spectacle m’arrêta net lorsque je le vis et Itoji parut ravi de mon expression ébahie :


« Alors, n’est ce pas le plus beau lieu de la terre que voilà ? »


Je hochais béatement la tête et vins me rafraîchir au bassin pierreux où chutait l’eau : pas une algue, pas un ver ne venait troubler la transparence de bassin : cette eau sortie tout droit des entrailles du Yang-Tou était d’une pureté incroyable.


Je m’assis un moment à écouter le chant de cette nature troublante et fermai les yeux. Ce lieu semblait enchanté : j’avais entendu un jour la légende d’une jeune fille tombée sous le charme d’une cascade et qui ne l’avait jamais quittée, ne sa lassant jamais de sentir sa caresse fraîche et pure, ni de chanter en chœur avec elle. Le mythe disait qu’un jour la jeune fille avait disparue mais que son chant s’élevait encore de l’eau claire. Prêtant l’oreille, je croyais entendre à travers le son de l’eau qui tombe la voix éternelle de la nymphe, s’élevant en une complainte languissante pour sa joie passée.


Finalement, mon compagnon vint me rejoindre et me tapa l’épaule avec un petit rire :


« Et alors ? Aurais tu oublié les champignons ? »


J’ouvris les yeux, surpris, mais il cherchait déjà parmi les racines proches les silhouettes rondes et blanches des Komio.


Nous partîmes chacun de nôtre côté, fouillant l’aval de la cascade la tête penchée : Itoji n’avait pas menti quant aux champignons : je remplis rapidement mon sac de petits Hako noirs et je revins rapidement au bosquet de la chute d’eau. Je ne voyais nul part mon ami mais décidais de l’attendre près du bassin.


Lorsque je passais les fourrés masquant la clairière au pied de la falaise, je sentis mon cœur s’arrêter de battre un instant :


penché au-dessus de l’eau et buvant avec calme, un énorme tigre se tenait non loin de moi. A la fois paralysé de peur et émerveillé par la créature, je restais debout à l’orée du bois sans pouvoir faire autre chose qu’observer le fascinant animal : sa robe était blanche comme la neige éternelle des sommets d’hiver et ses rayures me rappelaient la teinte bleutée des montagnes dans l’ombre du crépuscule. Ses formes musclées harmonieuses, sa tête large et rayée de lignes trompeuses au regard en faisaient une véritable vision de la perfection, digne fils de la déesse de la force et de la sagesse. Je priai pour que la créature sacrée s’éloigne sans me voir, mais malheureusement il savait sûrement déjà que j’étais là. Une fois sa soif contentée, ses yeux d’or se tournèrent vers moi et son regard rencontra le mien : j’étais l’homme et lui l’animal : j’étais la proie et lui le roi.


Tout commentaire est le bienvenu! : )




La Voix Du Samouraï - Guest - 27-10-2004


Salut!


Etant donné que tu n'as pas encore commencer à nous donner le fond de l'histoire (pas étonnant si tu as 55 pasges de word!)


Contrairement à ce que l'on est habitué à voir ici tu prends bien ton temps pour planter le décor. C'est bien car immersif et nous permet de nous attacher aux personnages, mais ça risque d'en rebuter certains.


La lecture est agréable et le style fluide, il n'y a pas à grand chose à dire de ce côté là, et c'est renforcé par un nombre de fautes quasi nul.


J'attends donc la suite mais ce que tu nous livres là n'est que très positif et de qualité, n'hésites donc pas!


A+




La Voix Du Samouraï - Guest - 28-10-2004


Hello! Merci du message, ca fait plaisir...


Pour la suite, eh bien il faut que je l'écrive. : )


En effet, le texte de 55 pages dont tu parles, c'est le Retour de l'Ombre (sous un autre poste de la section. (et qui n'a toujours pas reçu de messages d'ailleurs. ; (


Donc, ^pour la suite du présent texte, il faudra attendre un petit peu.. : )