Nécromanchie !
(05-03-2020, 00:12)Aerthrandir a écrit : Or, le personnage est gris, très gris. Il est parfois trahi, parfois il trahi. "L'intérêt littéraire" du personnage, c'est le Candide, le bon sauvage qui vient gratter le vernis de la civilisation (que Howard critique et méprise). Mais il n'est pas "gentil".
(05-03-2020, 11:10)Aerthrandir a écrit : Tout n'est pas de la grande littérature : Howard produisait surtout pour les magazines type weird tales et en période de vache maigre, il s'est rendu compte que les princesses dénudées faisaient vendre. D'où le cliché. Mais quand il pouvait, Conan se mesurait à des Valéria ou des Bêlit qui lui tenaient tête.
C'est de l'alimentaire, oui : le gars était un auteur mais il devait sans doute lui arriver d'avoir faim et de pondre des textes moins travaillés pour pouvoir rentrer un peu de beurre. C'est un truc qu'on retrouve chez beaucoup d'autres auteurs, d'ailleurs. Et ça n'est pas que du ouichefoule zinquingue de ma part, on prendra Moorcock en exemple qui va clairement le balancer dans des interviews et écrire une courte autoparodie de son style pour mettre cette pratique en valeur.
Perso j'aurais tendance à dire qu'il y a quand même un jeu dans les niveaux de lecture de certaines de ces nouvelles de la part de Howard, les plus travaillées, donc. On peut très bien y trouver un héros héroïque, des princesses dénudées et de vilains méchants parce que tout simplement c'est de la Pulp Lit'. C'est le thème, c'est normal et voulu et sans doute commandé par l'éditeur (j'y reviens, d'ailleurs). Mais si on lis les textes sans ce biais on voit qu'effectivement, les méchants ne sont pas tant méchants que "civilisés", le héros est plus pragmatique-naïf qu'héroïque et les poules mêmes dévêtues ou en besoin de sauvetage ont souvent leur mot à dire dans l'histoire et/ou un "petit caractère". Howard avec des idées arrêtées sur certains sujets et les glissait libéralement dans ses textes.
(05-03-2020, 02:39)Canard-Phoque a écrit : Est ce qu'il a été traduit par un pequeneau des années 60, comme Lovecraft & Tolkien, ou bien il y a des trad modernes ?
Au delà de la traduction, le gag avec Howard c'est que pas mal de ses textes ont été modifiés par Sprague de Camp et que le gros des romans/nouvelles Conan (sans parler des histoires tirées des BD et films) n'est finalement pas de Howard mais d'auteurs ultérieurs qui ont écrit dans l'univers d'Howard après les années 50 (et donc après son décès).
Par dessus, effectivement, on rajoute une couche de traduction datée des années 60, les textes avec lesquels on a grandit sont donc loin d'être des originaux à la traduction actuelle. Depuis Louinet est venu fourrer son pif là dedans, à recompilé et édité les textes originaux en glaouiche d'abord et les a traduit ensuite. Du coup depuis la fin des années 2000 on est largement plus gâtés en termes de Howard.
Est-ce que pour autant tout est à jeter dans le boulot de Sprague de Camp et chez les "péquenots traducteurs des années 60" ? Dans les deux cas, moi, il dit non.
Sprague de Camp, certes, il a retravaillé les textes et a viré dedans un bon bout du style de Howard, a édulcoré ses messages initiaux pour rendre les textes originels plus Pulp et à a changé l'ordre de publication -qui était certes bordélique mais avait un petit goût de "souvenirs au coin du feu"- pour rendre les histoires plus cohérentes et développer une histoire de Conan de bout en bout (ce que Howard n'a jamais fait), écrire sa vie.
Littérairement, c'est loin d'être la panacée, je le concède. Mais mon petit cœur de rôliste lui, il apprécie ce développement d'un univers cohérent. C'est pas forcément à opposer à l'oeuvre originelle mais ça peut très bien venir en complément.
Pis, surtout, tout le boulot abattu par le gars, il a une utilité évidente : c'était une commande de l'éditeur qui souhaitait republier Conan : sans Sprague de Camp, on n'aurait possiblement pas connu Conan en fait. Sans cette réédition avec des textes plus vendeurs/Pulp à l'écriture plus moderne et sa traduction par chez nous, que serait-il advenu du personnage initialement publié sur des magazines en pq vite jetés et oubliés ?
Alors oui, ce renouveau de popularité a entraîné de nouvelles publications par des auteurs clairement pas au niveau de Howard, les BDs qui sont des clichés et même les films qui "ne sont pas tous des réussites". Mais c'est pas dit que Louinet aurait pu faire son boulot sans l'existence d'un public et on n'aurait possiblement rien à se mettre sous la dent. Surtout que pour tous ses défauts, le boulot de Lyon (Sprague de Camp) n'était pas non plus dépourvu de qualité.
Tieng, autre exemple de son oeuvre de rationalisation : c'est aussi le gars qui a filé un coup de main à Christopher Tolkien en passant deux ans à débroussailler les notes de JRR pour que le fils puisse en tirer les Contes et Légendes.
Et du coup, je me sers du gars pour rebondir sur Tolkien et les péquenots.
Parceque je sais que c'set à la mode de cracher sur le boulot de traduction un peu daté. Maintenant, combien d'entre nous l'ont lu et apprécié avec cette "traduction de merdre" ? C'est quand même un boulot assez ingrat la trad et c'est pas simple de jongler entre le fond et la forme. Et finalement moi je la trouve pas mauvaise cette trad. Datée, oui, je dis pas. Mauvaise ? C'est un peu avoir la dent dure parce qu'elle fait largement le boulot et est pas désagréable, surtout vu les moyens habituellement accordés à l'exercice.
Par exemple là comme ça je vois passer la différence de titre entre "la communauté de l'anneau" et "la fraternité de l'anneau" et clairement "fraternité" rend mieux le sens que "communauté". Je suis d'accord, aujourd'hui, "fraternité" est le meilleur titre. Aujourd'hui étant le mot clef ici parce que dans les années 70, "communauté" était peut être un peu plus utilisé que de nos jours et avait un sens plus fort et bien plus proche de "fellowship" ? L'évolution du contexte fait que si une nouvelle trad est agréable et nécessaire ça ne rend pas pour autant mauvaise la précédente et n'efface pas ses qualités. C'est simplement que la langue a changé, même en un demi siècle, les expressions ont évolué et la manière de traduire n'est plus la même. Et si c'est probablement moins sexy à lire de nos jours ça ne veut pas dire qu'on doit forcément cracher à la goule des mecs qui ont fait du boulot dont a a bien été content de profiter. La nain-gratitude est à un pas.
Pis comme je disions, ça serait pas mal de se souvenir que c'est un boulot ingrat et que le traducteur n'est pas que le seul décideur.
Exemple con pour lequel je ne vais pas donner de nom par politesse, juste des indices. C'est juste une gamme de romans issu d'un célèbre univers de JdR qui commence par A et finit par DD éditée en français par un boiste pourtant réputée dont le nom commence par Fleuve et finit par Noir.
En VO les romans -de gare, à la qualité littéraire déjà limité- sont calibrés pour le marché US et, sur commande, font leurs 350 pages. Une fois traduits, on devrait être dans les 400 et quelques pages à vue de pif. Mais pour qu'ils soient calibrés pour le marché français et pour des contraintes d'édition, ces bouquins sont sortis à 250 pages. Je vous laisse imaginer ?
Ça fait vingt ans que je crache sur ces trad et elles sont effectivement assez ignobles, partant d'un matériau sans grande qualités on tombe sur un résultat vraiment pas glorieux et c'est normal : c'est vraiment du bouquin de merdre. Pour autant je ne vais pas m'amuser à insulter les traducteurs. Leur part de responsabilité est limité et ne mérite pas l'opprobre publique, certes on peut contester des trucs dans leur boulot -entre autre une méconnaissance du sujet et du coup le fait de prendre des termes spécifiques pour des noms communs- mais entre les contraintes temporelles et de moyen habituelles et le besoin de réécrire une partie du bouquin pour lui donner sens malgré les coupes sombres, c'est pas simple non plus pour eux.
Je critique vertement les bouquins, je ne cache pas mon mécontentement envers cet éditeur dont je tais habillement le nom, mais je m'en tiens là.
Après ya des limites à tout, eingh, on est d'accord. Pas de temps et pas de moyen, c'est le lot du traducteur et c'est un sale boulot mais ça n'excuse pas tout. Les premières trad de la BL en vf étaient quand même percluses de fautes à un niveau inacceptable et si effectivement les mecs étaient simplement des amateurs qui ont fait ça en deux-deux pour que leur copaing-éditeur puisse gratter du sous sur la MO et marger plus, ils ont quand même accepté un boulot et -au moins certains- ont été payés. Et être payé pour ça, moi ça me gênerait.
Mais ya quand même un peu de relativisation à faire, amha, vis à vis de cette mode récente de cracher sur les péquenots des années 60 et 70. Mais, bon, c'est moi, je n'ai jamais aimé les foules alors j'ai aussi un biais et quand tout le monde se met à suivre un mouvement, je vais souvent à contre courant.
le squat
pas d'avis que la trad' de Louinet je l'ai juste survolée puisque j'ai la VO