Une Vieillerie Dépoussiérée Du Disque Dur

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L'invincible armada de gyrocoptères volait au-dessus du désert de rouille qui s'étendait à perte de vue sous le vrombissement de milliers de pales. Bientôt, le paysage désolé changerait pour devenir plus accidenté; puis il laisserait place aux verdoyantes collines, aux vallées encaissées et aux gigantesques plateaux herbeux qui constituaient le territoire administré par la forteresse Kadrin.


Il restait encore quatre heures de vol avant l'atteinte de l'objectif. Mais dans le monstrueux gyrocoptère de commandement qui précédait toute la flotte, véritable forteresse volante bourrée à craquer de matériel électronique de repérage et de communication, personne ne dormait. D'abord parce qu'il y avait toujours à faire; ensuite parce qu'être surpris en plein sommeil par l'invité de marque qui avait pris place à bord n'eut pas été de bonne augure pour la poursuite de la carrière militaire de l'intéressé. Le seigneur Alexis Kandle en personne avait pris la tête de l'expédition. Il avait de bonnes raisons de la faire.


Le squat qui l'accompagnait à chaque instant n'inspirait pas moins de crainte et de respect : le général Gerhalt Thornson était auréolé de sa toute fraiche victoire contre les hordes monstrueuses qui vingt heures plus tôt encore assiégeait la forteresse Khandle. Ce n'était pas d'une victoire trop facile en soi dont il pouvait être fier, mais de l'avoir emporté en si peu de temps, avec si peu de pertes et d'avoir, pour ainsi dire dans la foulée, organisé la contre-attaque et préparé l'opération d'assistance à la forteresse Kadrin qu'il commandait à présent.


Trois heures.


Trop facile. L'attaque de la forteresse Khandle par des mutants ne disposant d'aucun armement super-lourd et soutenu par un bombardement orbital dont la violence avait été tout juste suffisante pour obliger les squats à maintenir le bouclier énergétique constamment fermé n'avait de toute évidence pas eu de but plus ambitieux que celui de les ralentir et les occuper; les empêcher de prêter main-forte aux kadriniens. Cette idée hantait l'esprit du seigneur Khandle et l'empêchait de prendre le repos dont il avait pourtant besoin.


Deux heures.


Autour de lui, le centre de commandement crépitait aux rythme des rapports transmis par les gyrocoptères de reconnaissance et les satellites de surveillance planétaire qui avaient échappé à l'attaque venue de l'espace. Les officier squats allaient et venaient, chacun effectuant sa tâche dans un ordre et avec une discipline parfaits.


Une heure.


- Que les transports descendent à mille pieds et laissent la la chasse nous dépasser. Général Vörstern ?


- Nous les aurons engagé dans moins de quatre minutes. Ce sera du papier mâché mon général, il n'y a pas plus de cinquante chasseurs aux scopes.


- Ils cherchent à nous ralentir. Occupez les et couvrez-nous. Les transports ne doivent pas avoir à stopper. Le général Thornson coupa la communication et en ouvrit une autre. Ici le général Thornson à tous les transports : la chasse s'apprête à engager l'ennemi. Largage sur la forteresse Kadrin dans quarante minutes. Tous les bataillons doivent rapporter immédiatement.


Les écrans de contrôle devant Thornson s'illuminèrent; un à à chacun des soldats activait le biomètre-communicateur qu'il portait accroché au bras. Quand une escouade était au complet, elle émettait son rapport; quand toutes les escouades qui composait le bataillon avait rapporté, le bataillon rapportait au QG.


- Bataillon un prêt.


- Bataillon sept prêt !


- Bataillon trois prêt.


La quasi totalité des indicateurs était passée au vert en une poignée de secondes.


- Bataillon cinq prêt !


- Bataillon douze prêt !


Puis le mouvement des écrans se figea et Thornson fronça les sourcils. Il établit une communication.


- Bataillon quatre, êtes-vous prêt ?


Il n'y eut aucune réponse. Thornson pressa à nouveau le bouton.


- Bataillon quatre, veuillez rapporter.


- Veuillez nous excuser mon général, nous avons un... euh... contretemps.


- Un contretemps ?! Vous croyez que c'est le moment d'avoir un contretemps ?


Thornson pressa rapidement quelques boutons, demandant le détail des rapports pour découvrir avec stupeur qu'un seul des soldats du bataillon quatre avait échoué à rapporter. Il établit la communication.


- Que se passe-t-il général, demanda le seigneur Khandle.


- Je ne vais pas tarder à le savoir. Ici le général Thornson ! Pourquoi n'avez-vous pas rapporté lieutenant... - il lut le nom qui s'affichait sur l'écran devant lui – lieutenant Jimini Painkiller ?


Une voix sèche, autoritaire et agressive monta du communicateur.


- Parce que j'en ai rien à foutre !


Le seigneur Khandle était devenu livide. Thornson avait ouvert une bouche grande de stupéfaction mais ne parvenait pas à articuler un mot. Il se reprit finalement.


- Lieutenant Painkiller, gronda-t-il, vous êtes d'ores et déjà passible de la cour martiale dès notre retour pour cet affront. N'aggravez pas votre cas, rapportez immédiatement !


- Qu'est-ce qu'elle va me faire ta cour martiale ? Un deuxième trou du cul ? Ou elle va m'en coller pour vingt ans de plus ? Comme si elle avait besoin d'un prétexte pour ça ! Tiens, le voilà mon signal, pauvre tâche.


Le bataillon quatre rapporta enfin. Thornson coupa la communication. Le seigneur Khandle s'était remis de sa stupeur.


- Un : je ne sais pas comment ce soldat est devenu officier mais il est bien entendu qu'il ne le sera plus dès la fin de cette opération. Deux : j'exige que sa punition soit plus qu'exemplaire et qu'on m'en rende compte. Trois : je veux une copie de ses états de service et tant qu'à faire, je la veux maintenant !


Thornson acquiesça silencieusement. Il était malade de honte à l'idée qu'un squat placé sous ses ordres ait pu se comporter de manière si abjecte. Une bonne partie du déshonneur attaché à ces paroles irresponsables remontait jusqu'à lui en suivant l'échelle de commandement. Il pianota sur la console placée devant lui.


- Lieutenant et médecin Jimini Painkiller... Lisez vous-même monseigneur, il y en a des douzaines de pages.


- Quel âge a cet insolent ?


- Deux cent huit ans... Dont cent quatre-vingt-dix-huit passés dans l'armée. C'est un vétéran de la Grande Guerre de Libération. Il avait douze ans à l'époque. Il... il relève donc de... la loi d'exception...


- Je croyais qu'il n'y avait plus un seul squat vivant sous le régime de cette loi !


- Apparemment il en reste au moins un. Je... ferai mon enquête si vous le souhaitez monseigneur. Si vous voulez bien me pardonner monseigneur, je dois préparer le débarquement. Veuillez accepter mes excuses en son nom monseigneur.


Thornson s'éclipsa laissant le seigneur Alexis Khandle songeur.


La loi d'exception avait été décrétée par son père au lendemain de la guerre dévastatrice qui avait opposé les forces de Solurb Secundus aux hordes orks qui y avaient pris pied deux siècles plus tôt. Elle avait été gagnée par des gamins, des enfants dont pas un un n'avait plus de quinze ans à l'époque. Elle avait été gagnée par des enfants parce qu'arrivée à cours de ressources et de troupes, la forteresse Khandle avait envoyé au massacre ses enfants pour fournir à une armée à bout de souffle le minuscule iota qui avait fait la différence entre une victoire amère et l'anéantissement.


Aucun de ces enfant, c'est à dire aucun de ceux qui avaient survécu, soit moins d'un sur vingt, n'avait été capable de revenir à la vie civile ou d'ailleurs rien ne les rappelait : leurs parents étaient morts pour la plupart d'entre eux. Pour reconstruire même provisoirement un semblant de troupes combattantes et pour préserver la société des troubles psychiatriques que beaucoup avaient développé rapidement - chose pourtant extrêmement rare chez les squats à la mentalité très stable - l'armée avait reçu tout pouvoir sur eux. La durée d'incorporation avait été étendu pour eux de vingt à cent ans, période d'ailleurs extensible indéfiniment à la discrétion de l'état-major. Il était bien entendu qu'aucun de ces soldats ne devait quitter l'armée autrement que dans un cercueil. Il n'y avait d'ailleurs pas eu à attendre longtemps : aucun d'eux n'avait vu sa vie misérable s'étendre au-delà des cent années initiales. Il avaient tous été enterrés avec force fanfare et honneurs militaires, envoyés rejoindre leurs ancêtres couverts de toutes les décorations pour leur comportement exemplaire. La forteresse Khandle leur devait tout à commencer par son existence. Mais l'un dans l'autre, elle préférait les voir morts et dument inscrits aux registres des héros : les héros vivants sont encombrants.


Celui-là avait l'air tout particulièrement encombrant. Deux cent huit ans ! La loi d'exception avait donc été appliqué à plein pour lui. Et les troubles psychiatriques ne s'étaient pas estompés avec le temps.


- Sa cour martiale à l'autre vieux con, je m'en tape ! il n'a qu'à se la carrer dans le cul, avec son armée de merde, son opération de merde et tous ces tarés de bouseux pas foutus de se débrouiller tous seuls !


Ou peut-être était-il suffisamment intelligent et suffisamment cynique pour avoir compris que l'armée ne le laisserait jamais en paix.




*
**



Franck Martens enclencha un chargeur neuf dans son bolter et vérifia machinalement son pistolet automatique. Billy O'Connor caressait silencieusement le canon de son fusil à pompe. Dusty McCoy tapota amicalement l'épaule de Martens le devinant soucieux.


- T'inquiète vieux frère, l'gosses sont en sécurité.


Le bombardement avait cessé. Quel pouvait être l'état des forces régulières à présent ? Ordre avait été donné d'éviter toute communication superflue. Autant dire toute communication tout court. La petite unité de réserviste placée sous les ordres d'un officier de l'armée était affectée au contrôle d'un secteur éloigné des zones où les combats étaient les plus violents. Le danger n'en était pas moins bien réel et présent tout autour d'eux : les mutants s'étaient répandus dans toute la citadelle.


La radio émit un simple bip. Le vieux Hal Gun fit claquer le système d'armement de son automatique.


- 'n y est les gars. T'vas O'Brien ?


- Bah ça ira s'vous m'couvrez.


O'Brien resserra son chapeau en feutre mou à larges bords sur son crâne et tapota son poitrail de sa grosse main comme pour vérifier la présence rassurante des bâton d'explosifs glissés dans son manteau en cuir.


- Fonce !


Comme un seul squat, les douze kadriniens se redressèrent derrière la barricade pour arroser d'un déluge de balles les ouvertures du bâtiment en ruine qui leur faisait face de l'autre côté de l'avenue. O'Brien bondit, courut en zigzag jusqu'au mur de béton et se plaqua au sol au moment ou les humains étranges qui s'y étaient cachés ouvraient le feu en riposte. Il tira hâtivement un explosif à mèche de sa poche intérieure, gratta son briquet. Il attendit que le fil enduit d'essence et de poudre se soit presque entièrement consumé pour se relever d'un bond et jeter violemment le bâton de dynamite dans la meurtrière. L'explosion projeta au dehors un nuage de poussière. Il alluma rapidement deux autre mèches et, un bâton dans chaque main, courut jusqu'à la porte. Les tirs venant de l'intérieur du bâtiment avait cessé, au moins temporairement. Ses compagnons en avaient profité pour franchir la barricade et le rejoindre. O'Connor enfonça la porte d'un violent coup de pied. La seconde suivante, deux bâtons explosifs roulaient au sol. Le souffle de la détonation passée, les squats investissaient le bâtiment et abattaient leurs occupants. Quinze minutes plus tard, un bâtiment supplémentaire était reconquis et douze kadriniens étaient assis dans la poussière, dans l'attente anxieuse du bip suivant.




*
**



Jimini Painkiller bondit du gyrocoptère en braillant.


- C'est où qu'y a des humains qui puent la merde à crever que je puisse jouer aux osselets avec leurs vertèbres à ces saloperies d'échassiers ?!


Une vague de métal lui répondit, déchirant l'air autour de lui dans un sifflement strident et obligeant les squats de son escouade à plonger au sol. Le gyrocoptère reprenait l'air en hâte. Painkiller n'avait pas bronché. Il dégaina son pistolaser et ajusta dans la direction d'où venait les tirs pour répondre.


- J'aime pas les humains, ils sont grands, ils sont cons, ils puent la merde et en plus ils sont cons ! TA GUEULE !


Il avait pressé trois fois la détente au jugé mais savait déjà que le rapport lui reconnaitrait trois morts confirmés dans les dix premières secondes du débarquement.


Oui, le rapport aussi, il s'en foutait.


La bataille s'était engagée immédiatement avec une violence inouïe. Les tirs assourdissants déchiraient l'air rendu brulant par des tornades de flammes qui roulaient autour des squats. Les gyrocoptères d'appui pilonnaient sans relâche les blocs de bâtiments où se cachaient des mutants pour permettre aux troupes au sol de se déployer puis reprenaient de l'altitude dès leurs réserve de munitions et de missiles épuisées. Le bataillon quatre s'était placé en ordre de marche en moins de deux minutes. A la troisième minute, Painkiller avait déjà du travail.


- Médic !


Painkiller accourut. Se penchant se le corps du fantassin, il constata qu'une balle lui avait perforé le thorax. Les doigts du médecin pianotaient à une vitesse folle sur la poignée du medipack dont émergea une seringue qui injecta dans le système sanguin du blessé une centaine de nanobiomètres. Une seconde plus tard, leur rapport s'affichait sur la rétine cybernétique de Painkiller.


- On va le retourner, suggéra un infirmier. Il faut l'opérer.


- Quand j'aurai besoin de l'avis d'un incompétent, je penserai à toi, crétin ! La balle est à un demi-millimètre de sa moelle épinière. Si on le retourne on termines le travail.


Une micro-pince fixée à l'extrémité d'un filament articulé émergea du medipack comme un serpent de métal qui plonga dans le corps du blessé.


- Faut l'endormir ! cria l'infirmier effaré.


- J'ai pas le temps d'attendre qu'il dorme, y en a d'autres sur la liste d'attente. Tenez-le bien.


Painkiller avait fermé un oeil. L'autre ne percevait plus que les images transmises par la micro-caméra du medipack. La pince suivit le trajet exact de la balle en douceur, s'immobilisa. Les doigts de Painkiller effleurait un à un la poignée avec une délicatesse extraordinaire. Il l'empoigna soudain fermement. Le blessé gémit sous la douleur. La pince ressortit brutalement du corps, un morceau de métal entre ses griffes. Elle le lâcha et se rétracta pour laisser la place à une première seringue que Painkiller planta par trois fois autour du point d'entrée de la balle. Le saignement cessa. Une seconde seringue émergea pour administrer enfin l'anesthésique.


- Foutez moi ce débile sur une civière et emmenez le au gyro infirmerie en vitesse. Suivant !


- Médic !


Painkiller courut jusqu'au groupe de combattants en jurant quand des tirs sifflaient à ses oreilles. Le blessé avait eu la main proprement arrachée par une explosion. Des flots de sang inondait le sol poussiéreux. Il était livide, en ayant perdu déjà beaucoup. Ses camarades tentaient d'improviser un garrot avec un morceau de tissu.


- Cassez vous tas de gros nuls, allez vous battre !


Une pression sur la poignée du medipack. Un petit étau de plastique en tomba. Painkiller le glissa sur le moignon et pressa un bouton. L'étau se resserra de lui, même jusqu'à écraser les os du blessé qui gémit de douleur.


- INFIRMIERS ! Ils sont jamais là quand on a besoin d'eux ces connards.


Painkiller injecta au patient une dose d'antibiotiques, un anesthésique et arrosa généreusement la plaie d'un aérosol antiseptique. Il regarda autour de lui et courut ramasser ce qu'il cherchait. Il revint au blessé, consulta le matricule qu'affichait le biocom et le recopia sur la main arrachée à l'aide d'un feutre stérile tiré de sa poche. L'infirmier arrivait.


- Foutez moi ça dans un sac de glace et emportez ce con au gyro infirmerie. Et perdez pas d'autres morceaux en route ! Suivant !


- Médic !


- Qu'est-ce que vous voulez que j'en foute de celui-là, vous voyez bien qu'il est déjà mort ! Je vais pas lui laisser mon adresse ! Suivant !


- Médic !


Un tir de laser avait touché le soldat à la tête. La moitié gauche de son crâne semblait avoir brulé. Son oeil gauche n'était plus qu'un amas informe de chair noirâtre.


- Tout est cautérisé, ils ont fait le boulot à ma place dites. Tu m'entends gamin ? T'as mal quand j'appuie là ?


Painkiller enfonça son doigt dans l'orbite calcinée. Le blessé hurla.


- Les terminaisons nerveuses profondes sont pas cramées, on pourra lui mettre un oeil bionique s'il a de quoi s'en payer un. Au gyro infirmerie. C'est pour ça que vous me dérangez ? Suivant !


- Médic !


Il allait d'un groupe à l'autre aussi vite qu'il le pouvait au milieu du maelström d'acier et de feu, parfois courant, parfois rampant, toujours hurlant des insultes ordurières. Le cas était grave. Le squat avait eu le corps criblé d'éclats de mortier. Son gilet pare-balles à présent en lambeaux l'avait sauvé en freinant celui qui aurait du lui perforer le coeur. Mais de nombreux fragments d'os et de métal avait crevé son poumon gauche et le malheureux était sur le point de se noyer dans son propre sang. Painkiller l'anesthésia, intuba le poumon droit pour le placer sous l'assistance d'une petite pompe électrique et injecta un neurotoxique local qui paralysa le diaphragme. Il stoppa le saignement des plaies les plus graves et le perfusa tout en lançant ses instructions dans son communicateur.


- J'ai un blessé intransportable, il me faut un gyro dans les deux minutes.


- Le secteur dans lequel vous vous trouvez est encore insuffisamment sécurisé, il est hors de question d'y envoyer un gyro infirmerie dans l'immédiat, terminé.


- C'était pas une question, abruti ! Collez lui tout l'appui-feu qu'il faut mais je veux mon gyro dans DEUX MINUTES ! Je vais le sécuriser, MOI, ce secteur et ça va pas mettre longtemps !


- Médic !


- Et merde !


Le règlement militaire imposait aux médics de toujours prendre le temps de déterminer quels étaient les blessés ayant le plus de chance de survie et de les soigner en priorité, quitte à laisser mourir les autres. De ce règlement là aussi bien sûr, Painkiller se moquait éperdument : les chances de survie des blessés, c'était lui. Tricher avec la mort était un art dans lequel il était depuis longtemps passé maitre, narguant quotidiennement la sienne.


Painkiller soigna soixante-sept blessés ce jour-là. Tous souffrirent. Tous vécurent.




*
**



Le soir tombait. Assis sur un tas de gravas, Painkiller fumait un cigare. Un gradé le héla mais Painkiller ne prit pas la peine de se redresser sur ses pieds pour se placer au garde-à-vous et le saluer comme le manuel l'exigeait. Painkiller connaissait le manuel par coeur; cela lui permettait de toujours savoir exactement quelle règle il enfreignait et quelle règle enfreindre immédiatement ensuite.


- Que faites-vous ici Lieutenant ? aboya l'autre. Aucun ordre de quartier libre n'a été donné il me semble. Rejoignez votre unité immédiatement !


- Mon unité a reçu l'ordre de consolider le secteur; autrement dit, de ne plus rien foutre. Et j'ai plus personne à soigner, je vais pas m'inventer des blessés.


Il se détourna de son interlocuteur. Quelque chose venait d'attirer son regard. Il se leva en jetant son mégot avant de ramasser son paquetage, deux pistolets laser, un fusil à impulsion et son épée tronçonneuse et de prendre la direction d'un immeuble à moitié écroulé.


- Rejoignez votre unité immédiatement Lieutenant !


- J'ai quelque chose à faire d'abord.


- J'en réfèrerai à vos supérieurs !


Painkiller ne répondit pas.




*
**



- C't'ait l'dernier, fit le vieux Gun en reposant la radio. Tout l'secteur est nettoyé. Paraitrait qu'ça s'bat encore un peu dans l'centre mais qu'c'est plus qu'une question d'temps main'nant qu'les gars du Nord sont là.


- Et nous ?


- Fini pour nous. Quartier libre. La régulière a pu b'soin d'nous p'finir l'boulot. On va r'descend' au bunker r'trouver la famille.


Ils montèrent à l'arrière du petit camion de transport de minerai que la compagnie avait mis à leur disposition. O'Brien prit le volant. A ses côté, Gun gardait la radio sur ses genoux pour écouter les rapports qui se succédaient : dernières poches de résistance balayées, secteurs sous contrôle ou repris. Il aurait du se réjouir mais le spectacle de désolation qui l'entourait l'en empêchait. La magnifique citadelle avait été ravagée par les bombardements et les combats de rues. Aucun bâtiment n'avait échappé à l'orgie de destruction qui avait dévasté les lieux en moins d'un centaine d'heures. La route était défoncée et ravagée. O'Brien manœuvrait doucement entre les trous qui s'ouvraient dans le bitume.


- A toutes les unités disponibles dans le secteur trois disposant d'un accès rapide au réseau souterrain : une troupe ennemie y a été signalée, secteur deux sept deux. Ordre d'y descendre le plus rapidement possible pour interception, terminé.


Perdu dans ses pensées, O'Brien ne perçut pas immédiatement l'implication du message que la radio venait d'émettre. Hal Gun le secoua.


- C'est l'bunker d'la compagnie ! C'est les not' qu'sont là !


O'Brien enfonça l'accélérateur. A l'arrière, les dix autres mineurs braillèrent des jurons alors qu'ils étaient secoués violemment par les cahots de la route. Le camion la quitta brutalement pour s'enfoncer dans les ténèbres d'une galerie qui s'ouvrait dans le sol. Son système d'éclairage avait probablement était détruit par les explosions.


- On est à l'aut' bout ! Pleurnicha O'Brien. Deux sept deux, va nous falloir une d'mi-heure pour y aller ! Si personne d'aut' y est 'vant nous, ces saloperies d'mutants vont les bouffer ! Z'ont sur'ment d'quoi faire sauter les portes !


La radio émettait toujours.


- Appel d'extrême urgence à toutes les unités dans le secteur trois. Les bunkers souterrains du secteur deux sept sont sous attaque. Je répète : les bunkers souterrains du secteur deux sept sont sous attaque ! Ordre à toute unité disponible de s'y rendre immédiatement ! Terminé.


- Unité Kronzen, bataillon onze. Y a PAS d'unité disponible. On est sur une poche de résistance qui est en train de craquer mais ils se barrent par les galeries; on va les poursuivre mais on pourra PAS les intercepter. Il nous faut des gyros d'appui pour passer le quartier à la bombe à souffle ! Terminé.


- On vous les envoie, terminé.


- Ici unité Grendal, bataillon cinq. On est dans le secteur souterrain deux sept huit, au contact avec une unité ennemie. Progression stoppée, demandons du renfort, terminé.


- Ici unité Rimsen, bataillon cinq, secteur souterrain deux sept quatre. Progression ralentie, on sera sur place dans quinze minutes. Ils sont plus nombreux qu'on le pensait, terminé.


O'Brien avait des larmes de rage impuissante aux yeux. Il conduisait à une vitesse folle dans le dédale de galeries depuis vingt minutes quand il freina brutalement et sauta au bas du camion.


- Qu'est-ce tu fous O'Brien ?! brailla McCoy. T'as voulu tous nous tuer, parole !


- L'bunker d'la compagnie est attaqué !


- Bah merde !


Tous bondirent au sol et contemplèrent atterrés ce qui avait obligé leur compagnon à stopper : la galerie était partiellement effondré. Impossible de continuer autrement qu'à pieds.


- Faut y aller ! cria Gun en commençant à courir. Tous lui emboitèrent le pas.


- C'est pas là !


- C'est à gauche !


- C'est par là que j'te dis ! Parole, ça fait longtemps qu't'habites ici ?


- J'suis né là-d'dans imbécile !


- 'Tention, là !


- A droite main'nant !


Ils progressaient aussi vite que possible dans la pénombre que perçaient seulement les éclairs de leurs lampes-torches au rythme de leur course désespérée. Au détour d'une galerie secondaire, Hal Gun poussa soudain un hoquet de stupeur et tomba en arrière avant de dégainer son pistolet et de faire feu droit devant lui. Il venait de heurter quelque chose - ou quelqu'un – qui était arrivé en courant dans la direction inverse. Dans la lumière des lampes, les autres mineurs purent distinguer les formes d'une vingtaine d'humains difformes. Saisis de panique et de rage, ils dégainèrent leurs armes et entreprirent de faire feu à leur tour, transformant la galerie en un chaos de détonations qui se répercutaient à l'infini sur les murs d'acier poli et de flash aveuglants.


Puis le silence retomba. Il n'y avait eu aucune riposte. Balayant le sol de sa lampe, Earl compta avec dégout les cadavres des créatures aberrantes qu'il venaient de tuer. Elles n'avaient rien d'humain, présentant toutes des traces de mutations hideuses : membres surnuméraires, têtes d'animaux, peau d'un bleu violacé immonde...


- On verra ça plus tard, l'bunker est juste là-bas ! cria Gun.


Ils reprirent leur course – et arrivèrent enfin aux portes du bunker de la compagnie. Dans ce secteur, la lumière n'avait pas été coupé. Sans trop savoir pourquoi, Gun nota mentalement ce détail qui aurait pourtant du n'avoir que peu d'intérêt en comparaison du spectacle qui se dévoilait devant eux : le sol était jonché de cadavres. Ils durent parcourir trente mètres en les enjambant avant d'arriver à une pile de cadavres d'humains mutants de près d'un mètre de haut qui bloquait l'accès au bunker. Il pouvait y en avoir plus de cinquante ou soixante. Les mineurs l'escaladèrent pour atteindre le corps allongé d'un squat qui portait la livrée bleue sombre et noire de l'armée du Nord et le médaillon en forme de caducée de l'ordre des apothicaires.


- Il pisse le sang, fit O'Connor. Mais il est en vie l'dur-à-cuire ! Faut l'sortir d'là. Hé m'sieur v'mentendez ? BEUUAH !


Il tomba à la renverse de stupeur quand les yeux du médecin se rouvrirent et qu'il souffla d'une voix faible mais parfaitement distincte :


- Me touche pas connard, tu vas achever de me casser les lombaires. C'est maintenant que vous arrivez les bouseux ? Passez moi une radio. Tenez-là, je peux pas bouger. Code comm' trois un un deux quatre un huit un.


O'Connor s'exécuta sans discuter. Tremblant d'émotion, il plaça le communicateur devant la bouche du blessé.


- Stone, ici Painkiller.


- Jimini ! Où tu es ? Pourquoi tu n'as pas signalé ta position ?


- Mon biocom' était bousillé et t'es pas ma mère alors ferme ta gueule et écoute. Je suis paralysé. Il faut que tu prennes le contrôle de mon medipack à distance et que tu me balances deux doses de BH4. Rapidement. Tu y es ?


- Oui. J'ai son rapport... Jimini, tu t'es encore envoyé dans les veines assez de frenzon et d'analgésiques pour tuer un ours !


- Je le sais pauvre con, c'est pour ça que j'ai besoin de BH4. Tu me l'injectes ou tu attends que je crève de tétanie respiratoire à deux doigts de la pharmacie ?


L'injection fit effet rapidement. Painkiller pouvait de nouveau bouger mais il évita de le faire. Avec la sensibilité était revenue la douleur. Et il avait réellement mal partout.


- Viens me chercher Stone. Bunker souterrain deux sept deux.


- On dit "viens me chercher s'il te plait."


- Viens me chercher tout de suite, imbécile !


Franck Martens entreprenait d'ouvrir les portes du bunker pour rejoindre les civils réfugiés de l'autre côté depuis trois jours. Tout était fini. Dusty McCoy dévissa le bouchon de sa gourde et fit délicatement glisser un filet d'eau entre les lèvres de Painkiller.


- M'sieur, j'sais pas c'qu'v's'avez fait et comment mais j'crois qu'faut Valaya vous aime pour qu'vous soyez encore en vie. Merci m'sieur. V's'avez sauvés nos familles m'sieur. On...


Painkiller s'était évanoui.




*
**



- Puis-je vous poser une question personnelle, docteur Stone ? Pourquoi êtes-vous le seul à déposer devant cette cour martiale en faveur de Jimini Painkiller chaque fois qu'elle est réunie à cause de lui ?


- C'est mon ami. Il m'a sauvé la vie autrefois. Si vous permettez monseigneur, si tous les squats dont Jimini Painkiller a sauvé la vie devaient déposer en sa faveur, il serait inscrit au registre des héros au lieu de passer en cour martiale une fois par an.


- Je ne vous permets pas.


- Très bien.


- Jimini Painkiller est médecin militaire. Sauvez des vies est son devoir. Qu'il le remplisse n'excuse pas son comportement. Pas plus que son âge.


- J'entends bien.


- Nous vous écoutons.


- Ne maltraitez pas Jimini Painkiller. Vous connaissez mes deux théories à son sujet.


- Non, justement, je n'ai pas cet honneur.


- La première est que Jimini Painkiller est potentiellement un ancêtre vivant. Nous ne pourrons en être sûr que s'il doit dépasser les trois cent cinquante ou quatre cent ans. Mais tous les squats qui sont devenus des ancêtres vivants avaient en commun de présenter des anomalies génétiques particulières. Jimini Painkiller présente certaines de ces anomalies.


- Certaines ?


- Certaines.


- Mais pas toutes.


- Pas toutes.


- Lui en avez-vous déjà parlé ?


- Oui.


- Que vous a-t-il répondu ?


- D'aller me faire foutre je crois.


- Bon, et votre autre théorie ?


- Valaya est amoureuse de lui.


Alexis Khandle ouvrit des yeux ronds de stupéfaction. Puis il partit d'un rire énorme qui dura près de deux minutes. Quand il parvint enfin à se reprendre son calme, il en avait les larmes yeux.


- D'accord docteur Stone. Jimini Painkiller est un ancêtre vivant.


Comme avec la plupart des textes dont tu nous as gratifié, j'ai passé un bon moment à lire celui-ci aussi.


Merci.


Citation :- Qu'est-ce qu'elle va me faire ta cour martiale ? Un deuxième trou du cul ?

Celle-là, je l'ai tenté mais je n'ai aucun mérite. Nous étions en temps de paix [img]<fileStore.core_Emoticons>/emoticons/default_tongue.png[/img]


Faut avouer que tu m'as encore fais plaisir à l'oeil!


Merki pour la lecture [img]<fileStore.core_Emoticons>/emoticons/default_wub.png[/img]

Très sympa à lire même pour un total néophyte en squat :-)
Que du bonheur ! Merci !

D'abord Muchroom Warz, maintenant ce texte... Tu nous gâtes en ce moment !


Merci.


J'aime.


C'est plus que cool, et ça donne envie de jouer à Epic. :)

Vraiment sympa comme texte. Apparement, ce n'est pas ton premier. Je vais rechercher les autres.