Kaar'Mak ouvrit péniblement un œil pour se tourner vers la machine couverte de boutons et d'écrans qui émettait l'irritante série de bip qui l'avaient réveillé. Il se sentait pâteux.
– Ah, monsieur Kaar'Mak, vous êtes réveillé !
L'arch-vile en blouse blanche qui se tenait à côté du lui griffonna quelque chose sur sa tablette.
– Je suis où là ?
– A l'hosto, vous n'aviez pas deviné ?
– Qu'est-ce qui m'est arrivé ?
– Vous êtes mort. J'ai du vous ressusciter. Trois heures de boulot pour recoller tous les morceaux !
– Bon ben je m'en vais.
Avisant son bermuda de plage et ses plaques d'armure sur une chaise à côté du lit, le baron Jon Kaar'Mak bondit et entreprit de les enfiler.
– Monsieur Kaar'Mak, vous ne devriez pas partir maintenant. Vous êtes encore très faible, il vous faut vous reposer.
– Le boss va me mettre une ronflée si je –
Il s'interrompit à la vue des proportions délicieuses de la succube serrée dans sa blouse d'infirmière qui venait d'entrer dans la chambre.
– Vos médicaments monsieur Kaar'Mak.
Ledit Kaar'Mak avait déjà replongé entre les couvertures.
– Vous avez raison docteur, je suis encore un peu faible, je crois que je vais garder le lit quelques semaines. Dites, ce n'est pas votre portable qui sonne ?
– Ah si. Hôpital central de l'enfer gothique, j'écoute ? Oui ? Il est ici, je vous le passe.
L'Arch-vile tendit son téléphone à Kaar'Mak en chuchotant :
– C'est le cyber-arch-duc.
Kaar'Mak saisit l'appareil en soupirant.
– Kaar'Mak ! Ramène tes fesses immédiatement ! Trouve Rom'Ro et amène le aussi.
– C'est que je me sens encore un peu tout mou boss. Le médecin dit que –
– KAAR'MAK ! Bouge ton cul de ce plumard immédiatement ! Je veux vous voir toi et Rom'Ro dans mon bureau dans CINQ MINUTES !
Kaar'Mak se leva une nouvelle fois. Il allait quitter la pièce quand il se ravisa pour revenir vers l'infirmière.
– Vous avez un numéro de téléphone où je peux vous joindre si je me sens encore un peu souffrant mademoiselle ?
– C'est madame.
– J'en étais sûr.
***
Le cyber-arch-duc Jakar Nilson avait piteux aspect avec sa tête enturbannée dans un énorme pansement. Assis derrière son bureau, les poings serrés posés sur les accoudoirs de son trône, il montrait les dents, signe d'une fureur à peine contenue alors qu'il observait ses deux lieutenants. Rom'Ro avait attrapé un coupe-papier sur le bureau et le promenait entre ses dents en faisant "brrrrrrrrrrr mmmmmgnnnnnnn feu, ratatatatata ! brrrrrrrrr !" Kaar'Mak avait un mal de crâne terrible comme après chaque résurrection. Il avisa la lourde boite de havanes sur le bureau et songea que ce serait une médecine de substitution préférable à rien.
– Je peux vous prendre un cigare patron ?
– Mouais.
– Vous avez du feu patron ?
Nilson lui jeta une boite d'allumettes.
– Vous pouvez me l'allumer ? Je me sens encore un peu faible.
– Tu veux pas que je le fume à ta place non plus ? éclata le cyber-arch-duc.
Il se calma un peu.
– J'ai une mission pour vous les rigolos. Negromundheim est conquis. Il ne reste que quelques poches de résistance mais les mortels ont abandonné. Au sens strict en fait, ils sont en train de mettre en œuvre en urgence un plan d'évacuation planétaire pour se réfugier sur la lune et il est hors de question qu'on les laisse s'enfuir.
– Pourquoi ? demanda Kaar'Mak. On s'en fout de ces mortels. On a leur planète minable et on part à la conquête de ze iouniveurse. On les retrouvera bien un jour ou l'autre.
Nilson était devenu encore plus rouge que d'habitude.
– Non on ne s'en fout pas crétin ! Son hurlement fit sursauter Rom'Ro qui lâcha le coupe-papier de stupeur. Ces effrontés ont eu l'outrecuidance de venir ici, chez moi dans l'enfer gothique ! Celui où il fait chaud ! Ils m'ont volé deux mânes ! Les frangines Jones sont revenues de l'enfer, c'est inadmissible ! Jamais de l'éternité je n'avais subi un affront pareil ! Et pour couronner le tout, ils sont descendus jusqu'ici, au dernier niveau – sans que vous soyez capables de les arrêter notez bien – et ils se sont attaqués à MOI !
Il désigna du doigt son énorme pansement.
– Ils m'ont même fait une bosse, là.
– Vous avez pas de bosse patron.
– Si, là, regarde, une petite.
– Ah oui, je la vois.
– Toi Rom'Ro, au lieu de faire le con – POSE CE COUPE-PAPIER BORDEL ! – Tu es chargé d'empêcher les vaisseaux encore au sol de décoller. Tu prends la tête des armées d'invasion.
Kaar'Mak n'en crut pas ses oreilles. "L'armée d'invasion", c'était l'intégralité des forces de l'enfer gothique. La plus puissante horde de démons jamais réunie placée entre les mains de cet idiot ?
– Et moi je fais quoi ? piailla–t–il.
– Toi tu vas courir après ceux qui sont déjà partis. Je veux que tu mettes immédiatement en chantier la construction de la flotte spatiale de l'enfer gothique. Je veux que tu les retrouves, tous, les uns après les autres s'il le faut et que tu les extermines jusqu'au dernier, jusqu'au dernier entends-tu ? Je mets une Spider Mastermind à ta disposition. Tu as carte blanche.
C'était mieux.
– ET N'ECHOUEZ PAS CETTE FOIS !
***
La navette de Duchesse se posa sur la piste. Elle déboucla en hâte le harnais et bondit sur le bitume. Une enseigne accourait.
– Où en sommes-nous ?
– Notre dispositif est insuffisant pour permettre d'évacuer plus de trente ou quarante pour cent de la population de l'union neosoviet. Même en écartant tous ceux qui sont au goulag, ça fait encore un paquet de monde qui n'a aucune chance de s'en tirer.
– Mon cœur se serre à l'évocation de ces millions de braves prolétaires qui offrent le sacrifice de leur vie à la cause du paradis socialiste que leurs enfants construiront à leur place en honneur de leur mémoire. Mais en même temps, il y a plein d'ennemis du peuple dans le tas alors ça nous évitera de faire le tri.
– Votre vaisseau spatial personnel est prêt Duchesse.
– Je partirai la dernière.
Elle s'interrompit en apercevant un second enseigne qui accourait vers elle totalement essoufflé.
– Duchesse, le comité central requiert votre présence immédiatement à New Anadyr ! ils disent que la première navette de reconnaissance qui s'était placée en orbite autour de la lune a été abattue.
Duchesse resta un instant abasourdie.
– Abattue ? Mais par quoi ?
– D'après les derniers signaux émis par la navette, le tir venait de la surface de la lune.
– C'est impossible, cette lune est inhabitée !
– Ben si vous voulez mon avis, il est temps de signaler le changement d'adresse des nouveaux locataires.
Duchesse resta un instant silencieuse et immobile, aterrée. Il ne pouvait y avoir plus mauvaise nouvelle.
Surmontant sa répulsion à l'idée de parler à son vieux rival, elle tira son téléphone de la poche et pressa la touche rouge au centre du clavier.
– Ontsatiev. J'attendais ton appel Duchesse.
– Tu es au courant ?
– Oui. Tu penses à ce que je pense ?
– Oui. Il faut en parler aux vieux du comité central.
– Ils suivront nos suggestions. Ils n'ont pas le choix.
– Au Sud, ça bouge ?
– Les Helders sont déjà au courant. Ils ont perdu une navette eux aussi.
– Ce sera plus simple comme ça.
– Oui. Tu as ta clé ? Retrouve moi à la base aérospatiale Nord au plus vite. On synchronise nos montres. Une heure et trente minutes... avant déclenchement de l'opération Thunderforce.
