Omnia Vinct Machina

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<b>10. Le tain de l'univers</b>



Quitter les jeux d'arcanes de la salle basse, plus encore aujourd'hui quand ce Blackburn l'avait souillé, demeurait un baume pour Sophia. Les murs l'ennuyaient, quels qu'ils soient.

L'Orbe avait renforcé sa solitude, mais celle-ci contribuait à la véritable passion de l'Inquisitrice Carillon pour la négation des destins.

Le déploiement de l'Orbe Bronze dans l'Ultima Segmentum doit beaucoup au couloir des invasions tyranides, et à la lente spécialisation de Talasa Prime vers cette branche qu'est aujourd'hui improprement reconnue sous le terme d'Ordo Xenos. Sophia fut recrutée dans ce cadre finalement récent, créé il y a 260 ans par Kryptman, et Behemoth. La force de l'Orbe Bronze est celle de toute secte, elle fait flèche de tous bois, même de cette spécialisation vassale de la grande marche psychique de l'Humanité. Sophia en a prit l'habitude, car là fut son initiation, son acceptation de la vérité : une action, deux effets. Comme le marin partageant ses mains entre la mer et le bateau, l'ivresse et la manoeuvre, dans le sage respect du péril permanent, justement défini par sa permanence.

|i]La permanence du péril le cache là où il ne devrait être.|/i] appréciait de psalmodier Ian-Alec à celle qu'il avait sélectionné sans jamais lui dire pourquoi.

Dans le choeur d'op' Dw, ceux qu'elle avait sélectionné sauraient un jour peut-être pourquoi. Toujours prendre parmi les missions celles à espérance de vie moyenne, la dernière e.v. moyenne en partant du bas.

L'<i>Irredente Fili</i> était à quai lorsque l'aquila de quart la ramena au caboteur intra-système. Ultramar aussi a changé, depuis Behemoth. L'empire des Ultramarines est un atout et un inconvénient, pour l'Orbe. <i>Comme tout être et toute chose dès qu'ils participent à tramer le monde</i>. Dans l'abri complice du caboteur, Sophia programme mnémoniquement le téléporteur illégal, exchassé et remis dans cette cale, sans doute bien malgré eux, par ses pragmatiques donateurs. L'attente ne sera pas longue. Elle ne l'est jamais. D'apparence si fragile, la courbe de moelle spectrale s'enlumine de la réponse attendue. Sophia se place dans le portail, met sa vie dans les mains de ceux que son Ordo est notamment sensé percer, avec, comme à chaque fois, la sourde conviction que Ian-Alec, l'Admis à la Bibliothèque, sera plus rapide à punir son doute que ces passeurs qui hantent la Toile.


Pourquoi chercher à se souvenir ? Sophia ne se souvient jamais. A peine lui fut-il nécessaire de savoir que la Toile est un écheveau détruit en ces confins de la Chute, dispersée en tronçons périlleux, mais pas encore futiles. Les exodites préservent le passage des regards, et donc des souvenirs, des mon-kheigs auxquels ils donnent droit de l'emprunter.

Même écheveau que la prédestination organisée de Ian-Alec, dont l'art du commandement a toujours préféré la déduction factuelle à l'explication. <i>La dernière e.v. moyenne en partant du bas.</i>

Le gracile escorteur eldar, coque à coque, échange avec le libre-cargo de classe Cobra. Le minutage spatio-temporel est le prix épuisant de l'efficacité de l'Orbe Bronze, plus encore que de sa fille-mère l'Inquisition. Tous ceux qui ont accepté la vérité ont une horloge dans la tête. Celle-ci couvre leur zone, cube artificiel de plusieurs parsecs composant l'immense damier administratif de l'Inquisition du sud-est galactique. Pour les horlogers ralliés à l'Orbe, ce cube et les huit qui l'entourent.

La lune d'Eb est la septième voisine de la zone officielle de l'inquisitrice Carillon.
<i>Je vais là où je ne peux être.</i>

L'Adeptus Mechanicus n'échange pas avec l'Ordo Xenos, il négocie. La vanité est un moteur ambigu, qu'affectionne cependant l'Officio Munitorum et plus encore tous les gestionnaires des (faibles) ressources orientales de l'Imperium. La vanité accélère le compte-à-rebours, limite davantage les missions de secours, est propice à l'erreur. Les gestionnaires l'ont appris : plus vaniteuse est l'erreur, plus l'erreur est économe.

- "Teleport 24, Deep-ports 13 et 3, voilà apparemment ce qu'il reste des neuf bastions creusés et enfoncés par le Culte de Mars dans les entrailles de la lune d'Eb. Les autres ont été séparés, isolés, parfois repris, ou reperdus. La plupart sans doute dévastés, même si les rouges ne veulent encore le reconnaître. Situation confuse depuis deux semaines. Pertes sévèrement lourdes."

Sans chercher à savoir où il a embarqué, Sophia apprécie la synthèse de son lexmecanicus, un de ceux sur qui elle a barre et qui forment l'aéropage dispersé de son réseau d'informateurs. Ils font l'inquisitrice, plus que ses sceaux personnel et psychique, et aiment à qualifier le véritable ennemi de sa couleur.
<i>Sévèrement.</i>

Dit avec moins de concision diplomatique que le langage interinstitutionnel, les technoprêtres vivent les derniers jours d'un cinquième rejet par la lune d'Eb.

Confiant dans la confidentialité de sa passerelle, où se serrent second, timoniers et calculatorlogis, le Libre-Capitaine poursuit le résumé à l'adresse de son habituelle passagère :

- "Talasa Prime a accepté la requête de l'exploitation lunaire d'Eb. Une équipe d'extermination de niveau 2 a été dépêchée en urgence. Parvenue sur zone, il y a eu contre-ordre : << Trop tard, opération annulée.>>"

- "Et ?" distingue mal Carillon.

- "Et l'officier commandant l'équipe a passé outre, arguant que le référenciel n'était pas le même de chaque côté de la communication. Il m'a ordonné le larguage des torpilles d'abordage en très basse orbite. Perte de contact depuis, le signal-code du <i>Aihpos</i> nous ayant contraint à nous retirer de la zone, sous menace que vous ratiez votre correspondance."

L'oeil de Sophia cligna à ce nous. <i>Mon vaisseau !</i>

- "C'est vous, Libre-Capitaine Mohkc, qui avez assuré le transit de l'équipe d'extermination depuis Talasa Prime ?!"

- "Affirmatif, Inquisitrice, vous étiez convoquée en conseil et l'ordre ne souffrait pas d'attente."
<i>La dernière e.v. moyenne en partant du bas.</i>

Dans l'esprit de Carillon, plus que la pertinence des contrats impériaux liant les commerçants autonomes à la subtile logistique talasane, l'admiration professionnelle pour l'Urne prit la forme d'un rire mental, libérateur, qu'elle aurait souhaité penser vers lui, où qu'il soit à cet instant. Puis ce vent rieur se mua en une brise d'une infinie gratitude.

- "Et comment se nomme cet ange que le suicide promis ne semble détourner ?"

- "Frères-Capitaines Meanus ou Spa. Cette équipe est bourrée d'officiers. Je crois que c'était Meanus, un Ultramarine."

- "On dirait que c'est la première fois que vous transitez des Deathwatch, Mohkc !" tança Carillon, mécontentée par l'imprécision.

- "Inquisitrice, j'ai reçu d'autres ordres depuis." proposa le libre-capitaine d'un ton plus peiné qui voulait excuser son manquement à l'exigeance. "Ils précisaient que votre arrivée par l'escorteur exodite serait leur confirmation."

- "Je sais." s'assombrit Sophia dans le jeu qu'elle s'était fixé face à cet équipage. "Pas de retour à Eb comme transporteur. Nous savons donc tous ce qu'il nous reste à faire. Lexmecanicus, préparez la paperasse qui cautionnera le spectacle chez les sélénites, tant que faire se peut."

- "C'est assez... écoeurant." commenta le libre-capitaine dans le silence curieux, et désormais plus solidaire, de ses officiers de passerelle.

Autour de l'inquisitrice, la tension monta soudain d'un cran.

- "Avec vot' respect, Cap'taine, qu'est-ce qui nous res..."

Dégainant son pistoler laser, Mohkc l'enfourna adroitement dans la bouche de son second.

- "Pour ce qui te concerne..." appuya-t-il sur la détente.

Le lexmecanicus venait de faire de même avec l'un des timoniers.

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<b>11. L'âme est armure</b>



L'armure énergétique est posée sur son valet de bois massif. Une MK7, malgré un manchon et une cuissarde MK6. Masquant l'origine de la reconstitution, la peinture des pièces d'armure a été poncée, révélant l'aspect brut et rapiécé de la céramite et du plastacier. Simple crâne de fer au centre du pectoral, mais la faux noire sur le fond jaune écaillé d'une l'épaulière que le scythe connait bien. Frère Spa pourrait en citer les causes de presque tous les chocs. Il remercie silencieusement Mélanion d'avoir su conserver, sinon l'essence, du moins l'essentiel, du lien qui jusqu'à peu résumait sa vie.

Dans cette cave de roche nue, seulement meublée d'autres portants vides, la lumière solaire est bien plus vive, rampe par le long tunnel d'un large et profond soupirail. Brise d'air chaud. L'inquisitrice s'est adossée, genou plié et semelle contre paroi, au bord de l'éclat presqu'aveuglant qui frappe la roche et y projette en regard, y agrandit, le rectangle aménagé de cette meurtrière. Dans son dos, le backpack racle puis se tait. Carillon ramène ses longs cheveux en une chute le long de son épaule et de son sein blindés.

La toge a bu les derniers sangs. Le silence est devenu religieux.

Les deux marines se sont rassemblés sous le pont du jour, dont les ions enluminent leurs chevelures rousse et rase. Sur le front de Spa, la sueur commence à perler.

Pour l'ange arraché à la chute, l'émotion est pieuse, quasi palpable dans l'exsudation.

L'apothicaire aide Spa dans l'exercice toujours difficile de l'immersion du space marine en son armure. Les douleurs de chaque mouvement n'aident pas, ralentissent cette alliage sacré, trésor de l'Humanité depuis plus de dix mille ans.

- "Pourquoi la souffrance ?" occupe Carillon comme si elle pensait pour elle-même. "Pourquoi avoir privé ta chair et ton esprit de cet oubli accordé aux demi-dieux ?"

Spa interrompt le murmure presque inaudible de ses prières, litanies priant l'armure de l'accepter.

"Pourquoi, mon ange, pourquoi ?"

Le Scythe lève les yeux.

"Nous servons tous ici une même cause" poursuit l'inquisitrice qui désormais le regarde. "Une cause qui demande d'être lavée de millénaires d'erreur, de l'artifice de bien des tourments, de son propre manque de pitié. Ici, nous quittons la route, nous la terminons."

L'ancrage du corset claque dans ses attaches de ceinture. Le Sand Wolf referme le plastron autour des coeurs palpitants de son cousin Spa. Les bras du Scythe disparaissent, enfouis dans les manches qui entourent la chair et les bioniques d'une même promesse de protection.

"Regardes ta main, mon ange. Dans ton esprit, j'ai déjà vu semblable main de fer."
<i>Ce n'est pas la tienne, Alvare. ce n'est pas de la tienne dont elle parle !</i>

Fitz-Osbern tend le casque dans lequel il y a posé les gants.

Carillon continue de planter sa pioche dans le cerveau indocile du guerrier saint.

"Une nouvelle foi éteint celle des Iron Hands. Elle courre dans leur chapitre, s'immisce dans chacun de ses preux. Ta décade s'est égarée dans un complot qui n'a eu d'autres issues que de se révéler."

- "Ce que j'ai vu, Inquisitrice, vous m'empêchez de l'oublier." masque Spa d'un regard de gratitude à l'adresse du kan-earl. Les prières à l'armure s'achèvent, l'épaulière des Scythes est arnachée, élève l'épaule d'un de ses derniers fils.

Sophia connait cette résistance, commune à tous ceux qu'elle a ramené, extrait de leur destin. Tuer est prier, mourir est replacer. Une seule vérité, aucune question, l'impossibilité du doute. Une vie consolidée par cela, conglomérée par les litanies, surcouchée par les vernis opaques de l'esprit maintes fois délavé des grains de sable inutiles. Toute l'existence de l'Astartes transpire dans la résistance mécanique de l'ange Spa. Il n'est qu'une arme, il n'est qu'une foi, un but. Un but simple. Une perfection.

Elle aimerait lui dire, déterrer en lui la gnose ultime de la tuerie inévitable, apurée, qui l'a envahit tout entier, l'enfiche et finalement le damne dans l'ignorance fanatisée du vrai combat.

Cent siècles que cela dure.

- "Chaque Age de notre histoire est un cycle. Chaque Age est construction, puis destruction. Comprends-tu cela ?"

- "Je comprends les mots, Inquisitrice, plus que le sens que vous voulez me donner."

- "Alors sortons !" soulage fraternellement le kan-earl. "Dehors, il comprendra."

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<b>12. Le passeur vers la lune d'Eb</b>



Sophia avait gagné sa cabine, rencontrant parfois un corps étendu pour sa fiabilité douteuse et qu'emmenaient au sas ses soudains exécuteurs. N'importe quel port libre de l'Orient fournirait son remplaçant. Mokhc, c'était dans le contrat, subordonnait la Charte à l'Ordo, et face à l'Ordo, mieux valait être sûr du moindre membre de son équipage. C'était sans doute pour cela qu'il avait renommé son navire, le <i>Comrade</i>, et déjà perdu deux fois sa licence d'exploitation, sa première femme, son luxueux appartement dans la spyre ouest d'Epeda, ses avoirs financiers sur Kar Duniash. Mais il trouvait, cette fois encore, plus "écoeurant" de perdre la présente exclusivité lucrative de la ligne Eb-Talasa P. que de laver au sang les ponts de son rafiot.

Dans l'étroite cabine, Sophia avait revêtu son armure noire feuilletée de bronze, d'apparence de la sororité militante, les symboles en moins. En ce scaphandre protecteur, Sophia se sentait plus proche des <i>nocte</i>, filles non-désirées des putes sacerdotales du très schismatique Beau-Cardinal, hiérogame et régisseur des âmes d'Avnore III. Ces enfants, que cet admirateur de Vandire considérait comme ses propres déchets dus à l'impiété de celles qu'il avait honoré du rôle d'Empyrean, il les avait immolé au sein des escadrons <i>exceptis excipiendis</i>, prédication fort concrète de l'infaillibilité religieuse du Beau-Cardinal sur la population prostrée d'Avnore III. En ordonnant le bûcher pour cette milice de fauves et leur géniteur dément, l'acolyte Sophia avait gagné ses galons d'inquisitrice, et perdu quelque chose, sans doute.

Elle ceintura l'étui lourd du pistolet plasma, de ses recharges et du couteau à phase C'tan. "Toujours signaler qui l'on recherche", plaisantait l'Urne, qui le lui avait offert. Dans quelques secondes, la chaleur de son corps informerait la bille invisible, noyée dans la jonction dorsale du backpack. Cette bille, Sophia l'avait constaté contre d'autres, enflerait le jour de sa mort comme un soleil miniature sombre et vitreux, en trois nano-secondes, délai de son ordre mental reconstitué par le réseau neural de l'armure, le récepteur psychique du backpack ou même le mot-clé de son empreinte vocale. La boule de plasma creuserait une sphère parfaite centrée sur ses reins, vers laquelle tomberait son torse et son crâne par le déséquilibre ainsi créé. L'énergie se dissiperait dans la combustion de ses jambes. De ce suicide par le retour au néant venait apparemment le nom de l'Orbe Bronze, signait du moins son goût pour l'invisibilité de la cache et du sens.
<i>A nouveau, j'accepte ce jour comme le dernier.</i> se félicita-t-elle.

Derniers ordres auprès de Mohkc, plutôt vérification des ordres, du démaquillage du l'<i>Comrade</i>, puis retour au tube d'entre-coques, à cet exodite neutre et muet qui invariablement lui propose son regard, le sommeil sans songe qui, toujours, en découle et fait du corps endormi le fret accepté par l'intriguant allié. Parfois, Sophia l'informe d'un cap, d'une cible, dans l'ignorance feinte que l'eldar les connaisse déjà. L'aphone ne répond pas, bien sûr. Ne pas savoir qui manipule qui. Ne pas douter de l'Urne.

Le navire eldar ne va être qu'une diversion, l'enclume de leur assaut.

- "Je vous salue, Belle Cloche.", la fige l'exodite dans un haut-gothique amusé.

- "Par la morve de l'Empereur !" se surprend-t-elle à jurer, déjà genoux fléchis en position de riposte, main à l'étui du pistolet plasma.

- "C'est ainsi que le Dameur des Ténébreux vous nomme lorsqu'il pense vers moi."

Il faut à sophia quelques secondes.
<i>Ian-Alec ?!</i>

"Ce pseudonyme vous va bien. Vous devez être plaisante aux jeux de coussins..."

Sophia rassemble ses mains autour de la crosse, arme activée, pointée vers l'eldar. Celui-ci embrasse du regard le tube d'entre-coque, cage ajourée aux vitraux transparents noyée dans l'ombre du libre-cargo. Ses bras restent pendus le long de son manteau qui affleure le sol presque osseux du seuil modifié où, semble-t-il, le tube humain a trouvé le joint de sa pressurisation.

"...Lorsque vous aurez notre ancienneté, peut-être verrez-vous aussi, et inévitablement, les autres races aussi frigides que je vous imagine aujourd'hui."

- "J'ai connu un de tes cousins qui ne s'est pas plaint, vieillard."

- "C'est ce qu'il m'a dit : pour une humaine, elle est plaisante aux jeux de coussins."

Le ton est badin. Sophia hésite à baisser sa garde.

- "Vous ne voulez quand même pas me baiser pour prix du voyage, Passeur ?"

Maintenant qu'elle s'y consacre, l'exodite a le port terreux d'un grand fermier venu à la course pour y attendre la prochaine récolte. Il a soudain du temps pour parlementer, dans ce tube à gravité contrôlée.

- "Le Dameur m'a enseigné qu'une de vos antiques légendes, commune à tous les mon-kheigs, image la Mort dans un canot, d'où elle n'accepte de vous mener d'une rive à l'autre qu'en payant une obole de deux pièces sous la langue ou sur les yeux du défunt. Je ne suis qu'un canot. Qui sait l'obole que je prélève lorsque je conduis votre sommeil d'une rive à l'autre ?"

- "J'espère pour vous que ce Dameur le sait, lui !"

- "Pour ce voyage dont vous êtes l'otage partageant le risque, je ne vous endormirais pas ; voilà ce qu'il m'a offert."

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<b>13. Deep-port 13 et au-delà</b>



Dans la grande fosse de téléportation de la nacelle d'amarrage de deep-port 13, où est flanquée la frégate-cible, Frère alvare s'est dégagé du tir de saturation dont il a assuré la réplique, couvrant ainsi la longue course de ses quatre équipiers vers l'immense navire à l'amarre. Un à un, les quatre marines ont bondi de couvert en couvert, lachant parfois une rafale courte et précise. Un à un, ils ont disparu vers l'objectif, cette frégate opérationnelle qu'enserrent les ruines d'une autre et, de moindre tonnage, quelques cargos à quai.

Alvare ne comprend pas ce que transmet, trop entrecoupé d'un parasitage frustrant, son communicateur de casque. Le bolter lourd l'encombre, maintenant que toutes ses munitions ont à peine suffi à nettoyer l'arrière des retranchements ; les derniers technogardes, démoralisés, se sont enfuis dans les tunnels. Privés d'occupants, ces demi-bunkers demeurent orientés dos au gouffre, où saille sous eux l'immense nacelle d'amarrage. Alvare ne se fait aucune illusion sur ce qui pourrait jaillir des galeries que ces points fortifiés étaient sensés prévenir, <i>plutôt que nous tirer dessus !</i>

L'irrévérence de l'Adeptus Mechanicus, Alvare sait qu'elle n'est due qu'à un obscur officier, une mauvaise transmission des ordres, une fréquence non signalée, un de ces détails inhérent à la bataille comme à l'infériorité pathologique de ces interdits d'Astartes, mais que l'Astartes doit continuellement aider, supporter. Comme beaucoup de ses frères marines, Frère Alvare déteste le manquement. Il cale le bolter lourd en bandoulière, adopte un pas de course bondissant vers la frégate.

D'une poussée sur ses jambes, la gravité presque nulle de la lune d'Eb le jette à travers le tunnel du sas de poupe du bas-pont. Contre toute procédure, l'équipe d'extermination s'est auditivement dispersée, sans même lui laisser de signe, de repère. Ni les orks ni les tyranides, dont les multiples cadavres entremêlés témoignent d'un assaut récent, mais repoussé, sur la nacelle, ni même la jungle qui couvre l'immensité du gouffre où s'est pendu l'avant-poste du Culte de la Machine, ne peuvent être la raison de ce désastre tactique. Si les cargos ne peuvent en afficher autant, la frégate est intacte, ses hublots sont éclairés. Les micros de son casque recompose aux oreilles d'Alvare la sourde mélopée des machineries de bord. Frère Alvare délivre le bolter de son étui de cuisse, enclenche les précieux chargeurs.

Quelques altérations de pénombre. L'auspex s'anime d'une luciole. Le communicateur reste sourd. Sans même prendre la peine de sélectionner le type des bolts, Alvare en lache une rafale de trois sur la silhouette aux épaules alourdies par le respirateur. Dans le ralenti de la quasi apesanteur, le serviteur d'arme se décompose en plusieurs débris gerbant le sang. Alvare progresse avec l'agilité d'un singe dans une ramure dense, se repère à la qualité de capture des ondes radio. La coursive B longe toute la coque extérieure du <i>Fides</i> et s'arbore vers les entre-ponts, où sont défendus l'accès des puits vers la tour de navigation. A chaque sas de travée, barricades de serfs d'équipage, serviteurs éteints, que de précédents assaillants ont, semble-t-il, déjà neutralisé de tirs précis et ulcérés. Près d'une trappe au verrou vaincu, agrippé à un débris d'échelle, un frère à l'épaulière d'argent appelle silencieusement l'aide d'Alvare de sa main de fer.


La reconstruction atomique est toujours plus longue que sa prise de conscience. Et les extrémités de son armure ne sont pas encore pleinement matérialisées que le frère-capitaine Meanus se retourne contre le technoprêtre qui les a précédé dans le téléporteur.

- "Où sont mes autres frères ?! Où est le reste de l'équipe ?!"

Scaphandré à minima, tant les prothèses que couvre sa robe rouge semblent en dispenser son corps, le représentant du culte de la Machine a la voix modulée et métallique, ce qui ne doit rien aux communicateurs de l'escouade.

- "Une simple erreur, souvent cela arrive, les xenos qui nous disputent cette lune ne respectent pas les Esprits de la Machine. Les esprits de la Machine n'ont pas l'impureté de la ruse. Ils protègent ceux qui les servent. Je vais interroger l'Esprit qui nous a guidé..."

Meanus avise Spa d'un haussement du casque. Les deux capitaines activent la carte lumineuse clippée sur leurs avant-bras.

- "Nous sommes à 38 kilomètres de profondeur." est le premier à constater Spa.

Par deux fois de droite à gauche, la demi-rotation du casque de Meanus confirme à Spa le soupir intérieur du Frère-Capitaine. Séparer la décade d'extermination, même vers un téléporteur de décharge, même pour éviter les sautes d'énergie qui auraient mis en péril un transfert complet, est un zèle de trop, trop imposé, trop mécaniste, trop civil.
<i>Ils ne contrôlent plus leurs relais de téléportation.</i> pense de même Spa.

Le technoprêtre a extirpé une mécadendrite de sous sa toge rapée, la visse dans un commutateur externe d'un des piliers du téléporteur.

- "...Louée soit l'omniscience de l'Esprit de la Machine !" déclame le prêtre dans une résonnance soulagée. "Le magos n'est pas loin et même si le danger a été écarté de sa personne, venez à lui, vous qui pour lui avez imposé votre venue. Vos frères vous rejoindrons bientôt, j'en suis par Lui assuré."

Par la respiration transmise dans les communicateurs, le frère-capitaine déteste cette réponse qui lui est faite, comme il a déjà détesté la résistance administrative, polie mais à peine feinte, qui a accueilli les torpilles sur deep-port 3 et retardé leur descente pédestre vers le premier teleport, quatre kilomètres plus bas. Si, dans la brèche qui perce la surface lunaire, trois Ramilies pourraient s'y croiser sans peine, le représentant de l'Omnimessie qui leur sert de guide leur a expliqué que les dommages subis lors des attaques orks privilégiaient -aujourd'hui- de contourner la matière entre les profondeurs kilométriques 8 et 12, 17 et 24. Au-delà, ils seraient seuls juges. <i>La téléportation plutôt que d'affronter l'artillerie ork et déferlement tyranide</i> qui, précisa le prêtre, a déjà abordé définitivement deux frégates aux endroits les plus étroits du gigantesque "trou de ver" irriguant l'exploitation lunaire.
<i>Ô Père, que cette carne de fer et ses semblables aient interdit la téléportation vers les étais perdus, qu'ils en préservent vos fils mes frères, qu'il n'attire pas mon courroux !</i> soumet Meanus dans une prière guillimane.

Il inspecte ses quatre équipiers, leur bolter lourd, un lance-plasma et trois bolter, dont le sien. La caverne n'est qu'une fissure exigüe, en pente, interstice en une strate qui s'est séparée en glissant sur une autre. Même la zone de téléportation et ses cadres angulaires, au centre desquels ils viennent de se rematérialiser, sont ancrés de biais, l'alcove des générateurs gagné dans la roche. Trois modestes projecteurs suffisent à éclairer l'ensemble. Presqu'invisibles, des ruisseaux de gravillons coulent lentement, rappellent l'infime pesanteur, continuent le déplacement séculaire de la strate à travers le teleport 38. Tandis que le technoprêtre s'agrippe à la console pour reparamétrer le téléporteur, l'escouade glisse elle-aussi vers ce fond de fosse. A l'un de ses coins supérieurs, un boyau s'ouvre dans le plafond. Les cendres de lianes, désormais imprimées dans la roche grise, marquent le contour irrégulier de cette lucarne. Nulle autre sortie que ce trou et les marquages hachurés de jaune et de noir désignant, plus haut sur la pente, la zone de téléportation.
<i>Seul un sondage par radiation a pu déceler cette caverne, une téléportation précise y amener de quoi en revenir.</i> La contestation de Meanus s'estompe devant cette preuve d'obstination du Culte de la Machine.

Le technoprêtre a achevé sa tâche. Il se retourne vers l'escouade, désigne le "plafond", tant la couleur plus sombre de la strate supérieure tranche avec celle contre laquelle ils se tiennent.

- "C'est de l'adamantium, de l'adamantium presque pur !"

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<b>14. Avec les morts</b>



L'escorteur de classe Shadow Hunter est apparu sur les scans longue-distance de la vigilance orbitale de la lune d'Eb, puis a disparu.

Pour immédiatement réapparaître, à dix-sept mille mètres de la bastide principale du vaisseau-forge, alignée sur la fréquence d'alerte résiduelle du couloir de protection orbitale de deep-port 1.
<i>C'est maintenant que la main de l'Empereur se referme sur nous ou nous fait coucou.</i> s'apprête Sophia à encaisser, vu l'approche affolante du Passeur que l'empathie psychique du réseau lui accorde de ressentir comme si la passagère était la figure de proue du vaisseau.

Mais, transmis en langue eldar, l'avertissement du vaisseau-forge est plus paniqué que menaçant. Le joueur de coussins désigne sa transcription sur un écran dérivé. Sophia ne le laisse finir.

- "On s'en fait toute une idée, mais votre technologie reste très audio-visuelle," lui chuchote-t-elle à l'oreille tout en pensant vers lui, vexée, <i>Je parle et je lis votre langue !</i> Le réseau d'infinité sourit, comme lorsque l'humaine a accepté sans ruse la prise respiratoire afin d'épargner sa réserve d'armure. Sophia savoure ce sourire volontairement adressé plus que la première fois, quand elle n'a interprété qu'une glaciation aussitôt fondante le long de ses synapses. Emprisonnée par le départ du <i>Comrade</i>, rampant dans un vaisseau sans besoin d'équipage, elle avait dit alors à l'hologramme :

- "Vous n'êtes pas exodite."

Mangé par la ramification dense de la moelle spectrale vertébrant cette partie du Shadow, l'image lui avait répondu avec la tristesse si noble de ces xénos maudits par eux-mêmes.

- "J'aurais pu, Belle Cloche. J'avais embrassé la Voie de l'Errant avant que la Grande Dévoreuse ne me rappelle vers ma mort sur le vaisseau-monde de mes ancêtres, et bien des colonies auraient pu sinon m'attacher à elles. Ce que lie Kraken vaut pour les coussins. J'aurais apprécié vous voir chiffonner les miens ; vous n'en avez pas le dégoût."
<i>Je n'ai plus le dégoût de rien !</i> avait-elle laissé sa mémoire gémir.

- "Nous avons du temps," avait repris l'hologramme pour accompagner la lente reptation de l'inquisitrice vers ce cocon de maintenance, "prenons plaisir à converser de nous-mêmes. J'ai étudié la patronymie humaine, vous ne vous appelez pas réellement Carillon ?"

Cette fois, c'était Sophia qui avait sourit, mais elle apprécia l'élégance du prétexte. Qu'avait-elle d'ailleurs à reprocher à cet esprit, à cacher à ce fantôme ? Qu'avait-elle à cacher que sa bille dorsale h-t-e n'emporterait avec elle ? La voix de Sophia s'éleva dans ce tombeau sans repos des perdus de Iyanden.

La voix et la peine.

- "Ma mère était réputée pour faciliter l'accès transcendant à l'Empereur-Dieu, et un notable envieux sut la convaincre de lui procurer la béatitude de cette communion. En échange, il accepta à l'avance de me recommander à une schola progenium sur une autre planète. J'y perdis ma mère, comme j'aurais pu perdre l'activité qui m'avait permise de survivre jusqu'alors, mais j'y gagna l'attention d'un homme, une autre boursouflure de la foi, ayant fait fortune par des combats d'orks. D'une certaine manière, il acheta l'orphelinat et, lentement, sans en réchapper lui-même, en fendit les âmes par un culte à... (le réseau d'infinité avait tressailli)."

- "Le Dameur a beaucoup damé." l'hologramme pardonna-t-il cette réminiscence abjecte, dont il avait déjà délié le fil.

- "Ce fut en effet notre rencontre. Il a puni cet homme et banni ce qui l'avait remplacé. Ce fut... effroyable. Nos lois ne tolèrent pas... que l'on voit cela. Pourtant il m'a épargnée, protégée, recommandée à des maîtres. Il m'a choisie. Un jour, j'eus l'occasion de revenir sur Avnore III, <i>mon monde</i>, je voulais retrouver ma mère, appliquer au cardinal... Il me fut facile de m'infiltrer, <i>de redevenir une nocte</i>. Mais ce que j'ai fait, en retrouvant l'armure, la viduité corrosive de mon... enfance, le Dameur me l'avait appris dès notre rencontre. J'ai trouvé refuge dans le clocher qui dressait la loi du Beau-Cardinal à tout le continent. Tout le reste de son foutu palais et de ses gens brûlait, <i>sans exception</i>.

Le réseau d'infinité compatit d'une caresse psychique : <i>Crois-nous, nul ne peut échapper à son destin, même s'il est de souffrir à jamais.</i>

- "Alors, dans ce cas, Kraken ne lie rien !" avait-elle tonné.

Sophia regrettait maintenant cette sentence à l'encontre des morts qui manoeuvraient le Shadow. Les risques qu'ils prenaient maintenant pour éclairer la défense orbitale étaient surdimensionnés pour le gain qu'ils pouvaient espérer de Carillon.

Témoignant de l'ancienneté et de l'expérience du contrôleur de vol en ce finistère de l'Astronomican, la xénophilie relative de l'avertissement s'était muée en une activation désordonnée des protocoles de défense du vaisseau-forge, égaillant désormais la floppée de cargos (au moins trois n'apparaissaient guère d'origine humaine) attendant au mouillage leur ordre de chargement des précieux minerais extraits de la lune d'Eb. Peut-être pour avoir trahi l'antique loi d'exclusion commerciale frappant les xénos dans tout l'Imperium, peut-être pour avoir étendu ses patrouilles d'escorteurs trop loin de son navire ou trop profondément dans la lune, ou peut-être enfin parce que l'assaut massif attendu continuait de se solder par ce seul esquif bondissant derrière ses leurres holographiques, le commandant drillait son contrôle de tir, sans souci des pertes colatérales parmi les marchands ou de l'inaccompagnement maintenant déclaré des silos terre-orbite.

- "Ce que nous avons devrait suffire à la demande qui a été faite, Belle-Cloche."

- "Oui, rejoignez le point de rentrée dans l'espace du <i>Comrade</i>", remercia-t-elle d'un "je vous prie."



Aller plus loin avec le post :

> <b>h-t-e</b> : ce minuscule sigle gothique, gravé dans le joint de céramite du backpack d'armure de Sophia Carillon, signifie <i>Hominen te esse</i>, "toi-aussi, tu es mortel".

Souvent confondu avec les rituels de succession des gouverneurs planétaires, équipement héréditaire ou cérémonies de victoire de seigneur commandeur stellaire, dans lesquels la phrase est utilisée (le sigle pouvant être gravé à l'adolescence dans l'os du front des héritiers de certaines familles spyriennes), il fut donc ignoré lors de ses rares constatations (la mort cérébrale, au combat, de l'inquisiteur Pader Bailly, qui obligea l'Orbe Bronze à anéantir les technaugures suspicieux qui analysèrent son armure et toute la filière inquisitoriale et administrative par laquelle leur rapport avait transité, est le seul exemple connu des deux derniers millénaires).

Dans l'organisation et la hiérarchie très cloisonnées de l'Orbe Bronze, selon le niveau d'initiation du porteur ainsi armuré, le sigle h-t-e alimente la croyance que le suicide d'urgence peut être déclenché à distance (idéalement par l'Empereur, plus prosaïquement par un maître psycher de l'Orbe Bronze) ; d'autres y voient simplement le rappel que l'Empereur-Dieu fut un homme, et le demeure. Cette faillibilité étant naturellement commune à toute l'Humanité, même aux plus redoutables inquisiteurs, le sigle est communément admis comme simple garde-fou contre l'orgueil, et la corruption chaotique.

Plus récemment, l'enquête inquisitoriale contre la chanoinesse Ludmilla de la Dévote-Elévation (qui s'est traduite par un non-lieu) a en effet versé au dossier archivé par l'Adeptus Terra la nature émettrice du sigle (sans en découvrir la fonction réceptrice, Ludmilla ayant d'abord été reconnue non-psycher par le collège d'assermentés appuyant l'investigation) ; chaque lettre gravée émet en continue à destination de l'inconscient du porteur, via la pellicule ambrée qui en tapisse l'empreinte ; même si le rayon de l'émission a pu être mesuré dans un périmètre de 50 cm entourant l'armure.

Dans un mémoire adressé fin M41 à la plus haute instance de Titan, cette surémission fondit la thèse du "baiser de reconnaissance", identifiant entre eux de possibles "illuminati". La dépouille de la chanoinesse Ludmilla n'ayant pu être exhumée (monde tombé aux mains des orks vers 898M41, déclaré perdita après un exterminatus tuant dans l'oeuf le rebond de la Waaagh Dethfoot|/i]), sans d'ailleurs confirmation qu'elle fut ensevelie avec son armure (bien que décédée d'une mort naturelle plus de 80 ans avant l'invasion ork, la waaagh réduisit les archives du couvent aux copies bien plus succintes adressées au monde-cardinal de tutelle), cette thèse est aujourd'hui rarement exprimée et toujours controversée. L'auteur de ce mémoire se nomme Lore Blackburn.

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<b>15. Une mine n'est qu'un vagin conduisant à l'utérus de la roche.

Qu'importe également la semence, seul ce qui en naît fera la fortune ou la ruine.

(proverbe squat)</b>



Même s'il connait l'importance de ce métal pour l'industrie de guerre de l'Imperium, Meanus ne peut s'empêcher de transmettre du regard à Frère Spa toute la folie que lui inspire ce lieu.

Son équipe réduite de moitié, chaque grain du sablier rendant le Frère-Capitaine Meanus un peu plus complice de la gabegie, il compte toutefois s'en tenir à sa décision.
<i>Autant que ce type et moi nous partagions la facture que l'Ordo Xenos ne manquera pas d'émettre.</i>

- "Où est le magos commandant cette exploitation, prêtre, où est sa frégate dont nous devions contrer le siège ?"

De la main, le technoprêtre pointe la barre de sûreté vissée sous la lucarne.

- "Les teleports ont pu tomber, ils seront repris, simples contretemps. Cette veine est l'une des plus riches. Comme je vous l'ai dit, le magos y a consacré les réserves de contre, ce qui a permis aux xenos de couper la faille d'irrigation lunaire mais autour de la frégate d'en dégager l'ennemi. Les pertes furent lourdes mais il y a survécu."

- "Bientôt il va nous dire que c'était fait exprès." lance un marine à l'épaulière guillimane.

Même s'il le partage, Meanus condamne d'un geste ce commentaire qui pollue l'intercom.

- "Comme je vous l'ai dit moi-aussi, Prêtre, vous ne tiendrez pas ainsi, sans renforts, éternellement la lune d'Eb. Même anarchique, la pression conjuguée des xénos est trop forte, les tyranides durent, donc meurent moins vite que les orks, et vos forces sont désormais de nouveau insuffisantes. Les téléporteurs, ça se détourne. Même détruits, ça donne des idées. J'ai vu des orks faire cela, rien qu'en capturant des balises. Vous l'avez déjà subi ici. Nous devons vous replier plus haut, vous fortifier. Sans cela, c'est vous tous qui seraient dégagés d'ici, jusqu'en orbite !"

Toujours courbé sur la console, depuis que le débranchement de la mécadendrite "a réveillé mon ulcère de piété", le technoprêtre dénie de la tête.

- "Il y a une autre faille au-dessus de la fracture où nous sommes, noyée dans l'adamantium. Sitôt libéré par la technogarde, le magos est venu lui-même y préparer le pré-minage. Ce ne fut pas gaspiller nos forces, Capitaine. Nous partirons plus vite, comprenez-vous, s'il parvient à adapter ici les forets téléporteurs de Woence, la qualité de la veine en contrebalancera les déperditions translatoires..."

Meanus secoue à nouveau le casque, dans l'espoir de balayer ce charabia abscon.

-"...Vous perdez votre temps, je le répète." n'en démord pas le technoprêtre.

- "C'est bien vous qui avez lancé et scellé l'appel, Prêtre Quebjatio ! C'est bien vous qui avez cru votre si précieux supérieur perdu sans l'appui des anges de l'Empereur ?! Je veux voir ce magos avant de vous accuser de complot de relégation hiérarchique !"

- "C'était avant, Capitaine, avant. Ce n'est pas moi qu'il faut convaincre, Capitaine. Je sers le Dieu-Machine et ne doute pas de lui."

- "Il n'est pas là, le Dieu-Machine, mais nous, si." repollua l'autre Ultramarine.

Une tape du frère-capitaine Spa, obligeant le chasseur de tyranide à retrouver équilibre, rassure le technoprêtre sur la prise en compte diplomatique du blasphème.

- "Frère Specz, puisque tu sembles vouloir commenter la visite..." renchérit Meanus. "Stagiaire, derrière lui ; Spa, tu les couvres."

Echaudé par l'Ultramarine, qui y a plié une tuyère, Amarandus l'Imperial Fist puis Spa le Scythe s'envolent du jarret à travers le trou du plafond, à peine assez large pour une armure de space marine. L'Iron Hands se poste dessous, plasma levé.

- "Espacement !" Meanus écoute-t-il Spa ordonner sur la fréquence d'escouade.
<i>Discipline de l'Astartes. Discipline universelle qui lie tous les anges de l'Imperium depuis que toi, Père, l'a sauvé</i> Meanus aime la Deathwatch. L'oeuvre y est vivace, <i>la chandelle inéteignable.</i>

- "Frère-Capitaine..." lance Specz dans les communicateurs "...visiblement, le magos est bien ici."

Comme l'hôte qui va clore l'entrée au bal, le capitaine de la Deathwatch se décale sur le fond de fosse pour que le technoprêtre s'y réceptionne, suive l'Iron Hands vers cette conclusion de mission inutile, <i>qui aura mobilisé deux équipes et une réquisition de cargo pour rien.</i> se navre Meanus, déjà prêt à saler son rapport si la seconde équipe vient en confirmer l'inutile précipitation. <i>A quoi sert notre présence si elle ne tue rien ?</i>

Le facies cybernétisé du technoprêtre n'exprime évidemment aucune honte, tandis qu'il le rejoint dans une glissade contrôlée, à peine ses mains ont le tremblement nerveux de celui peu habitué à dégoupiller une...

- "Bénis soient les coprolythes de l'Empereur !" rugit brutalement Meanus en enfermant Quebjatio dans ses bras et le plaquant par terre.

Dans un gong amplifié par la cavité, la grenade antichar soulève l'armure du capitaine de près d'un mètre au-dessus de la roche. Eparpillement ralenti de lambeaux de robe rouge, d'un liquide vermillon et d'une brume poussiéreuse. D'un coup d'oeil, l'Iron Hands contrôle l'officier space marine -qui vient d'épargner sa vie- retomber face contre sol, transpercé en maints endroits par quelques éclats de prothèses métalliques, mais l'ombre de Spa est déjà dans l'embrasure de la lucarne. D'une portée trop courte, l'aire d'effet du jet de plasma ne déborde pas la cuisse du Scythe, qui foudroie mécaniquement cette erreur par une rafale de bolts en plein casque, vengeresse, instinctive, trop courte elle-aussi pour son auteur qui la suit de près et en ressent les schrapnels brûlants informer ses pieds. Préparant son bond vers le téléporteur, inconscient d'autre chose, Spa achève de disloquer le crâne de l'Iron Hands d'un coup enragé de talon.

Fuir ! Fuir les couches moléculaires pelées de Frère Specz. Fuir l'armure coupée au ventre du stagiaire, la chute de son buste fissible plus rapide que celle de ses jambes. Fuir !

Fuir les files de serviteurs et d'orks descendant, nuques baissées, la rampe plongeant sous la pyramide noire.

Fuir la centaine de guerriers mécaniques dispersés parmi les roches retournées de cette plaine caverneuse, guet contre les terriers muraux que les tyranides éclairent de leur propre irruption, aussitôt stoppée.

Fuir cet enfer dont la pente et le plafond bas renforcent à l'évidence l'incompressibilité du temple, enfichée par les pointes dans l'adamantium inviolable qui lui sert d'écrin naturel.

Fuir !

Fuir le dément en robe rouge, qui de son promontoire a gestuellement ordonné au sphinx métallique de canonner Amarantus.

Et surtout,

fuir ce silence,

qui vient de balayer tout le sens de la vie de Spa.

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<b>16. Les brasiers de l'Aube</b>



Avant de sortir du fortin souterrain, le kan-earl apothicaire a conseillé le casque. Spa en a apprécié les parements neufs, frais, sur son visage qu'il sait meurtri. Profitant de la marche, il domestique sa nouvelle armure. Elle réagit sans peine. Elle l'a acceptée. Spa remercie l'Empereur, Thorcyra, le techmarine. Il se dit que pour les mêmes raisons, le même respect dont l'artificier a entouré l'oeuvre, favorisé son animation par l'âme qui maintenant la pilote, le Dieu-Machine pardonne à Mélanion. Le réconfort que cette conclusion lui apporte s'enchaîne d'un sourire (douloureux) qu'il savoure quand même. Il l'augmente même, car si l'armure lui a tant manqué, maintenant qu'il la porte il se sent nu sans un saint bolter.

Oui, Spa s'en apaise, tout se remet en place, tout reprend sa place. Même cette moquerie à l'encontre de lui-même : comme si un bolter pouvait maintenant lui être remis !

C'est... comique. <i>Qu'il est bon de se moquer à nouveau de soi.</i>

Même si les Scythes ont eu fort peu de relation avec elle, et lui, Spa, encore moins <i>Le cachet concluant les ordres de l'Ordo Xenos, parfois un briefing</i> "Aah !" <i>Il faut que je cesse de rire.</i>, tout ce qu'on dit sur l'Inquisition est donc vrai.
<i>Et c'est un bienfait, Scythes, mes frères.</i>

L'inquisitrice a lu en lui comme sur une ration de combat. Spa connait ses limites. S'il peut penser vers d'autres, en remplacer la parole, c'est comme un bébé qui babille, prononce ses premiers mots, construit ses premières phrases. Il sait juste s'en empêcher, ne pas rayonner de pensées. <i>Frère-Archiviste, tu as eu si peu de temps pour me former.</i> Elle, Carillon, elle est bien plus forte. Il ne la sent même pas fureter. Qu'a-t-elle visité ? C'est si simple à déduire. Les émotions les plus tenaces, <i>les plus voraces.</i> Elle l'a vu tuer l'Iron Hands. Elle sait que Spa a failli, qu'il s'est livré à sa panique, n'a même pas tenté d'infirmer la mort de Meanus, qu'il a fui, submergé, parce qu'il ne peut plus contenir la peur qui mine tout son être, qui dans cette cavité rocheuse l'a enfin vaincu. <i>Depuis Sy'L'Kell, j'ai tenu.</i> La pire des peurs. Celle qui rappelle chaque seconde : <i>Je ne peux plus avoir confiance en moi !</i> Celle qui fait de soi un étranger, un danger pour ses frères, moisit le pilier du devoir et de la foi.
<i>Oui, j'en suis maintenant la preuve.</i> aimerait-il partager dans la chapelle-monastère des Scythes, comme dans toutes les chapelles-monastères de l'Astartes. <i>L'Inquisition respecte les anges de l'Empereur, bien plus qu'ils ne se l'avouent dans la défiance hautaine que trop souvent, entre eux, ils lui vouent !</i> Pour Spa, Carillon incarne cette véritable Inquisition, la limpidité de sa révélation ; de sa charité, si souvent cachée derrière les oripeaux répressifs, le principe de précaution, cachée pour qu'elle demeure sensible. Cette charité fait l'invincibilité de l'Imperium, son indubitable victoire, le terrible poids pesant sur ses guides. Que Carillon soit si belle est un signe de plus de ce profond respect pour l'humain dont Spa sait maintenant qu'il va bénéficier.
<i>Je suis pardonné. Ils m'ont épargné le retour parmi ceux que j'ai floué, ils m'ont isolé ici, soigné, juste condamné à ma douleur, mes retrouvailles. Ils m'ont remis l'armure, préservé la seule faux et le crâne de l'Homme, pour que je m'élève comme j'ai chuté. En mon armure d'élection, je monte maintenant au bûcher.</i>

Dans le coude de l'escalier taillé mais poli par les pas, Carillon se retourne pour attendre la montée encore sifflante de Spa. Dans la lumière éblouissante d'une ouverture proche, la silhouette de l'inquisitrice semble surgir d'une aura divine. Sa vue améliorée capable de corriger l'éblouissement, le marine lève résolument son regard, pense vers les deux émeraudes de son juste bourreau.
<i>Ce bûcher, moi le souhaite !</i>

Carillon lui prend la main, dans ses yeux la satisfaction d'une démarche comprise, entendue.

Symboliquement, elle l'aide ainsi à gravir les dernières marches qui poursuivent vers plus haut l'ascenseur à blindés, passer les vantaux d'adamantium qu'ont marqué des siècles de soumission au Couloir des Tempêtes.

Plus que la silice qu'égrène le vent, la chaleur cuisante du plateau où Spa émerge lui font rapidement visser son casque.

Fitz-Osbern, qu'ils rejoignent au centre d'une petite place encadrée de tentes et de masures à l'allure misérable, vient d'allumer une pipe au bec courbe. A l'ombre des toiles horizontales, quelques humains s'activent paisiblement, se déplacent dans le périmètre qu'entoure un muret d'à peine un mètre de haut, construit de pierres sèches simplement empilées et largement envahi par le sable. Tirant machinalement une bouffée, l'apothicaire observe là-bas, dans l'entrée perçant ce coupe-vent dunaire, les orks poussiéreux et leurs truks-citernes semblablement malmenés par les sables. Discutant avec deux humains en treillis camouflé, les orks font de grands gestes et frappent le sol de la crosse de leurs fling' grossiers. A peine Spa remarque-t-il à sa droite un char Predator, et l'apparent scout qui sommeille sur l'écoutille inclinée de sa tourelle.

Spa contemple l'horizon <i>immense</i> qu'octroie la situation du plateau. Un désert sans fin, de dunes et de rocailles, s'étend sous le camp, le village. Plusieurs pistes y débouchent, se perdent très vite dès que le regard veut descendre pour les suivre. Le kan-earl croit utile de partager l'amusement que lui procure le spectacle.

- "C'est toujours la même chose : une fois sur deux, rien ne les intéresse sauf les dents. On a beau leur expliquer..."

A l'entrée du village, l'un des deux humains en treillis affiche son embarras, préserve sa réflexion en se détournant des orks, aperçoit alors le kan-earl. Geste de patience destiné à temporiser la contradiction des peaux-vertes. L'humain accoure vers Fitz-Osbern.

- "Mes respects, Kan-Earl !"

- "Je les accepte, Caporal Dimio. Problème avec le troc ?"

Le sandguard soupire.

- "Je crois qu'il va encore falloir organiser une course de truks."

Le marine apothicaire lache un souffle amusé.

- "Comme d'habitude. Et bien préviens les diggas de la Gerb-Dune, mais pas plus de deux machoires, cette fois."

- "Oui, Kan, merci, Kan !" repart le caporal, visiblement soulagé.

- "De bons pourvoyeurs d'eau, de bons marchands même, mais ils n'ont aucune notion de gestion des ressources klaniques." conclut Fitz-Osbern à l'attention de Spa.

Le marine approuve du menton. Sans comprendre.

Indifférent même.

Car, irradiant du fond de son ventre, une tension impatiente annule la préparation du Scythe.
<i>Par les orifices suintants de l'Empereur, où est mon bûcher !?</i> baisse-t-il le casque vers sa voisine.

- "Mais, par Nocte et Tenebrae, il est derrière toi !" désigne-t-elle d'un pouce par-dessus l'épaule.

Le juron amusé, si familier de Carillon qu'il suffit souvent à l'identifier, rattire le kan-earl vers le but de leur montée en surface.

En son frère marine, la tension se recompose, reflue, dénoue subitement ce q...

Spa s'est tourné.

Ce qu'il découvre abîme son équilibre.

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<b>17. Valeureux soient les corsaires de la foi</b>



Lorsque Frère Spa maudit la lenteur de la rematérialisation, il a encore dans les yeux ceux des technogardes qui se sont empressés à sa suite, ont chassé à coups de laser et de grenades quadrillées le départ de ses atomes. La balise passe enfin au vert. Son bras a souffert de ces passagers clandestins, dont le téléporteur a improprement reconstitué les fragments hors et en son avant-bras. Dans son gantelet, le lance-bolt en a éclaté. Se gardant (il s'en insulte aussitôt) de réfléchir aux conséquences, Spa active le jaillissement et l'alimentation des courtes griffes-éclair. L'une d'elle casse dans son rail tordu, électrifiant les échardes métalliques qui lie maintenant la chair au gant.

L'organisme modifié du marine réduit cette perte de préhension à une simple information. Prévention inutile.

S'il n'a eu qu'à abaisser le levier, vingt-cinq kilomètres plus bas, Spa s'attendait à un autre accueil arrivé à la destination pré-paramétrée par Quebjatio. Le faisant passer d'une main à l'autre, il abaisse l'angle de tir de son bolter.
<i>Deep-port 13</i> lit-il, peint au pochoir, sur la paroi.

Dans un silence minéral, seulement soutenu par le ronronnement lointain de pompes hydrauliques, l'immense nacelle d'amarrage s'étend devant lui, barrée d'une première frégate de classe Sword, incendiée et visiblement en cours de désarmement, puis d'une autre. Spa semble être la seule âme du lieu. Sa vision améliorée le constate, les quelques défenses qui, loin au-dessus du radoub, percent aléatoirement la paroi en surplomb sont abandonnées. Des équipes du quai devenu chantier naval de fortune, il n'y a trace vivante. Les cadavres nombreux, orks, tyranides, sont également là depuis longtemps.

Piéger le téléporteur, puisqu'il ne saurait le reprogrammer sans craindre que l'éventuel contrôle central n'en fasse un pulvérisateur atomique de sa vie. Bolter sous l'aisselle et de sa main valide, Spa y emploie ses trois grenades.
<i>Maudit soit ce qui corrompt les guerriers.</i> s'autorise enfin Spa contre lui-même. Survivant parmi les Scythes, il est aussi un érudit, un pictologue. Cela renforce sa quête d'un moyen de fuir, de rapporter, car, plus que l'évidente trahison de l'Adeptus Mechanicus, <i>qui cache ici les technologies interdites de l'antique Legio Cybernetica !</i>, il est aussi un meurtrier. Et cela seul importe. Et le pardon du chapelain devient un manque. <i>Quel était même le nom du frère Iron Hands, que j'ai abattu sans le vouloir parce qu'il barrait l'issue de mon sauvetage ? Savait-il le mien, lui qui eut la même... peur sans avoir vécu Sy'L'Kell, et... ?</i> Le casque du chapelain cruellement mordu dans la gueule du genestealer s'impose à Spa, simple souvenir, imprécis, fugace, sans plus aucune émotion liée. Même l'explosion simultanée de leurs masses cervicales brutalement calcinées n'engendre plus la fureur dont il a, depuis toujours, masqué la faille qui mine sa confiance en lui.

Spa a compris, depuis longtemps, que son potentiel psychique contrarie les leurres mnémoniques des précieux lavages de cerveau ordonnés par la chapelle du chapître. Chaque mission, depuis, est une rape aléatoire sur le sanctuaire que le chapelain lui a interdit.

Achevant le contrôle de la bande de munition en gourmette, Spa n'arrive à éjecter le premer bolt dont l'enveloppe abimée ne l'inspire guère, un autre est encore dans le canon. Il fixe le clignotement paisible des feux de position de la seconde frégate, gigantesque forteresse posée sur cette marche intralunaire construite par les adeptes du Dieu-Machine.
<i>Je ferais mien ce vaisseau.</i> impose-t-il sa folle ambition.


Mokhc a retrouvé l'inquisitrice et cela augmente son excitation. Sophia s'est toujours appuyée sur la témérité du "pacha" du <i>Comrade</i> dès qu'elle comprit que ce goût du risque l'influençait plus que le mercantilisme besogneux dont Mokhc se drape, c'est sa normalité, jusqu'au dégoût des autorités suzeraines. Dans l'Orient, bien plus qu'ailleurs, un libre-capitaine aime être maître de sa vie. Les risques plus grands car les humains moins nombreux, là demeure pour tous ces corsaires impériaux la saveur de l'Est galactique, fait de leur réputation la chaîne qui les maintient liés à Kar Duniash ou Talasa Prime.

Et renommé, Mokhc l'est souvent, par le <i>Comrade</i>, la rareté de ses tubes de proue dont peu de libres-capitaines peuvent se vanter de posséder, encore moins d'utiliser.

Le Pacha a troqué son pull de grosse laine pour les boutons dorés d'une jacquette bleue quasi-militaire. Il a noué ses cheveux, apprêté sa revanche sur les fonctionnaires tatillons et potdevinables de la lune d'Eb. Bien qu'ancien croiseur, le vaisseau-forge a trop abandonné aux quais et temples de raffinage. Il réagit mal à l'irruption du <i>Comrade</i> dans un des angles morts repérés il y a peu par le sloop exodite.
<i>Z'êtes baisés, sales rouges !</i> se débarasse enfin Mokhc de son appréhension.

Plus que la chaloupe, qui traverse maintenant sans risque les lignes de tir du vaisseau-forge, plus que la passagère de la chaloupe, la menace d'être ainsi torpillé sans représailles possibles a donné poids au retour du mandaté par l'Inquisition, interdit d'approche comme d'orbite il y a encore quelques heures.

- "On reste en poussée lente. Que l'équipage se prépare à contrer un abordage !" verrouille le libre-capitaine en déguisant sa quiétude.

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<b>18. Celles qui parlent chiffon</b>



Dans le modeste bunker de quarantaine de Deep-Port 1 gronde le tollé des seconds, marchands et officiers de fret qui attendent, parfois depuis plusieurs jours, que leurs cargos à quai ou en orbite soient enfin chargés. Au feint respect pour le fournisseur, déjà fissuré par les récentes contre-performances militaires de la technogarde, ces émissaires détachés comme intermédiaires par leurs capitaines (à qui on ne l'a fait plus), éructent maintenant la peur masquée de colère. Cris et insultes volent en continu à l'encontre des quelques coreligionnaires du vaisseau-forge qui a, le grand tableau au-dessus de la balustrade du contrôle de vol l'affiche encore, brisé le sage escalier orbital des cargos en attente.

Haut est le faîtage du bunker, car bas est "l'enclos" dont les libres-équipages surnomment la "corbeille" autour de laquelle se fixent les prix de chaque tonne extraite ou raffinée. Dans ce cloître que surplombe une balconnade continue, peuplée d'opérateurs murés dans une obstinante indifférence, Sophia hume en y entrant l'acre et tenace puanteur du négoce et de l'angoisse confinés loin des salles d'eau. L'inquisitrice a caché son armure sous un ample cache-poussière à capuche, long, terne et craquelé. Le carré est vaste, les arches soutenant les balcons alourdissent ou déguisent d'ombre (les plafonniers y sont blafards ou leurs ampoules brisées) lits de camp et banquettes de bois habillées d'hommes ou de bagages. Au-dessus de la houle des marchands, par les ouvertures de la balustrade, s'écoulent les lueurs colorées de dizaines d'écrans, barrées parfois des pupitreurs. Maintenant proche du cercle des enchères, Carillon cherche d'un regard panoramique le moyen de gagner l'altitude des serfs de la Machine lorsqu'un marin, dans cette foule fendue sans cesse par des grommeleurs exaspérés, se colle près d'elle. C'est une humaine, d'une trentaine d'année ; une cicatrice barre l'arête de son nez. Sophia sent l'objet s'enfoncer dans le tissu autrefois doublé de son manteau. Sous la capuche fourrée de sa parka, l'inconnue ordonne de s'éloigner vers l'une des arches couvrant le déambulatoire. La désarmer et lui casser le bras dans le dos serait si simple. Par un pas assuré, affichant une colère impatiente, Carillon s'excentre du troupeau et de l'ire semblable des marchands.

Parvenues contre la discrétion d'un pilier, les deux femmes s'observent rapidement. Sous la parka : bottes, pantalons et pagne de cuir, chemise de chasseterre. Beauté singulière, dents légèrement écartées. Mais l'inconnue entraîne déjà le regard de Carillon vers l'étage qui leur fait face. Derrière la balustrade métallique, une demi-sphère 3D cubéïforme le sous-secteur spatial. Du manteau de Carillon, l'inconnue ramène un étui de cigare dont elle désigne la carte aux chandelles électroniques et annotés.

- "On les appelle Astres des Vignes : seize naines rouges, collées aux Ptères."

- "Des Ptères ?" comprend Sophia d'un commandement seal-memory, d'un chuchotement égal. "J'en ai beaucoup connu, au Dac'Tyl."

- "Talemp, Missionaria Galaxia."

- "Carillon, Inquisition."

- "Faut connaître la peau de strap," désigne Talemp en tapotant le manteau rèche de Sophia, "ç'a été écorché sur un pisse-dru de l'écran de Bart'He, si je ne me trompe. Vous êtes en avance." salue-t-elle sans attendre de confirmation vestimentaire.

- "Comme ne devait pas l'être celui qui a pondu ces codes de reconnaissance. Vous êtes ici depuis longtemps ?" murmure Sophia, qui reconnaît en Talemp la sous-traitance et la pratique cellulaire de l'Inquisition.
<i>Qu'importe pour qui elle travaille, elle travaille pour quelqu'un !</i>

L'agent dévisse le bouchon de l'étui à cigare, en fait glisser un batonnet de rouge à lèvre.

- "Trop longtemps : mon taxi, les combats d'en bas l'ont transformé en puzzle, et pas un de ces couards ne me prendra à son bord." indique-t-elle d'un lever de cils complémentaire le groupe d'eldars isolé, aux visages indistincts mais suffisamment marqués de lèvres fendues, d'arcades saignantes et d'une prudente mise à l'écart. "Il y a eu plusieurs vagues de panique depuis quinze jours, mais le Shadow qui a récemment libéré de l'urine sur le bas des toges des patrons locaux a permis à l'Enclos de trouver un bouc-émissaire."

Des doigts froids de ses gants d'armure, Sophia soulève la capuche, découvre les oreilles, la cicatrice de chirurgie esthétique presque invisible à leur sommet.

"Métis." précise Talemp. "Mais ce n'est pas pour ça. On m'a volé la licence qui me servait de couverture, et ceux-là..." (mépris des sourcils vers la foule râleuse) "...demandent d'abord de remplir les cales avant d'offrir une sous-pente d'escalier dans une coursive chauffée."

Sophia assimile la perte imminente de la mine impériale d'Eb.

"D'habitude, je reconnais les vôtres sur l'échelle de coupée, quand le navire se disloque." agrémente Talemp plutôt qu'elle ne plaisante. La semeuse de prophéties rapplique la graisse rouge sur ses lèvres. "Je réclame le droit de croisée, Inquisitrice."

Sophia la recapuche d'un geste sec.

- "Pas le temps. Pas le droit. Je suis venu chercher mes anges, je ne suis pas venu pour vous, désolé."

L'ombre qui voile le regard de Talemp ne doit rien aux plafonniers usés.

- "Woh. Eux. Oui, la rumeur a tourné. Pour eux, oui, normal. Je vais mourir, dans ce cas."
<i>Tout le monde meurt, petite.</i>

"Alors sachez que ce qu'il y a au fond de cette mine n'a rien d'un mythe, ni d'une prophétie, et j'm'y connais. Dîtes leur. Dîtes leur que ça vient de Talemp ; ça suffira." se détourne-t-elle déjà.

- "Talemp..." la retient Sophia. "Vous n'avez plus besoin de votre rouge ?"

- "Woh, non. Sans doute que non." lui tend-t-elle le batonnet.

Soulevant la frange de cheveux, Sophia en marque le front de Talemp, rabaisse la capuche sur ce qu'elle vient d'inscrire.

- "Ma chaloupe est au bout du quai. <i>Comrade</i> y est inscrit. C'est le nom du navire en orbite. Vous saurez le gagner ?"

L'espoir transfigure soudainement l'agent de la Missionnaria Galaxia.

- "J'aurais même un chignon en y accostant !"

=][=

<b>19. Le joyau de l'univers</b>



- "Si j'interprète bien ses effluves mentales" glisse avec humour Carillon à l'attention du kan-earl, "plus que d'y gravir, c'est de ne pas s'y jeter qui fait défaillir la résolution de notre rescapé."

Sans qu'il sache exactement pourquoi, Frère Spa est tombé à genoux.

Comme si elle s'appuyait sur une souche, cherchait à offrir son visage à la chaleur du bûcher, ventre et coudes de Sophia viennent épouser l'épaulière du marine.

- "Tu dresses mal tes pensées, mon ange..." s'adresse-t-elle maintenant au casque de Spa. "...aussi mal que tu déduis la raison pour laquelle je t'ai exfiltré de la lune d'Eb."

Chassant d'un geste l'archange de bronze et son salut hiératique, comme s'il présentait torche, Fitz-Osbern quitte l'office qu'il vient de rendre. La perspicacité du Scythe semble l'avoir pris de court. Ôtant la sangle du couteau de chasse gainé à sa cheville, il s'agenouille à son tour près du Scythe. Il trace face à eux un cercle imparfait dans le sable : en biseaute l'un des pôles.

- "Regardes, Frère. Ceci est une vue de profil de la planète sur laquelle nous marchons."

- "Impossible... C'est impossible..."

Spa relève la tête. Devant lui, sur des dizaines de milliers de kilomètres, les contreforts s'élèvent en pentes tuilées, noircissent, vers la plus formidable montagne qu'il ait jamais pu observer. Escalier fracassé, au gigantisme écrasant. La masse rocheuse barre tout l'horizon, attire l'oeil vers son sommet, vers...

L'apothicaire rinduit le cercle par quelques rayons.

- "Le soleil d'Ambra Prima. Le soleil <i>intérieur</i> d'Ambra Prima. Il affleure la planète, son berceau."

- "C'est... C'est impossible." ne sait que geindre Spa.

- "La caldera au bas de laquelle nous nous trouvons le montre seule : le soleil a percé la croûte polaire, l'a repoussée, plissée. Et stérilisée, bien sûr."

- "Impossible..."

- "Oui...", poursuit Fitz-Osbern sous ses moustaches heureuses "...tout ceux qui découvrent ce paysage ont la même réaction : ils ressentent la chaleur, mais ne la trouvent plus suffisante."

Le kan-earl dessine un losange au centre du cercle, en duplique les stries parallèlement à la droite du biseau.

"Le reflux de la caldera, au pôle solaire, ou pôle oriental comme il fut convenu de l'appeler, a élevé la croute un peu sous l'équateur. Cette déformation montagneuse se distingue même d'orbite, comme si une bille était ceinte d'un anneau. En fait, la ceinture montagneuse n'est pas continue, les altitudes varient également beaucoup, mais la fracture climatique est assez marquée entre les deux hémisphères, surtout à cause des mers océanes qui se sont formées sur le versant occidental des chaînes équatoriales. Ce sont des mers d'eau douce. L'oxygène et l'hydrogène de l'atmosphère ne sont pas brûlés par l'affleurement du soleil intérieur..."
<i>Comme un chaudron empli d'un incendie éternel !</i> complète Sophia, stoppant l'apothicaire de la main, pensant vers Spa un souvenir zoomant en remontée le si lointain mais si formidable rempart, à peine ébréché, derrière lequel l'extraordinaire flamboiement marque tout un neuvième de la planète, découvre ses régulières giclées éruptives qui laissent, elles, deviner l'astre tout aussi formidable qui s'y consume, y palpite et y vit.

D'un spasme nerveux, de réveil, Spa se penche vers le dessin, manquant d'effondrer l'inquisitrice qui retrouve équillibre sur un genou.

- "Nous... Nous sommes là ?" désigne le Scythe d'un doigt sous le biseau. "Est-ce là notre tombe ?!"

D'un (très) violent coup de coude, Carillon renverse Spa sur son backpack, renvoit agacée le kan-earl à la plateforme bétonnée, au premier plan de la caldera, que vient de quitter le marine Predarchangels à la torche.

- "C'est à ça qu'il pensait !?" l'apothicaire annonce-t-il sa surprise.

Dans l'esprit de Spa, Carillon lit les deux cercles, la sphère englobant l'autre et s'en affinant d'autant. Pour le Scythe, la coquille planétaire "flotte" sur un noyau solaire en fusion. Il entoure cette idée d'une distance conceptuelle, cherche déjà l'illusion dont il serait actuellement victime. Et le pourquoi de l'illusion.

D'une ingérence psychique, Sophia corige l'image mentale, gomme le cercle intérieur jusqu'à n'en conserver que la courbe croisant le cercle tronqué.
<i>Voilà ce que nous savons, mon ange.</i> Tente-t-elle d'imposer. <i>Voilà tout ce que nous savons. Si une étoile déborde de cette planète, son coeur n'est certainement pas celui d'un soleil.</i>

Spa hoche du casque, signalant mentalement qu'il visualise, mais qu'il traitera l'information plus tard, s'il peut l'accepter, si jamais il peut l'accepter, l'intégrer. Sophia lui ayant subrepticement demandé une pause, l'apothicaire tente de rattirer l'attention du marine.

- "Le carburant de cette étoile n'est pas local. Le soleil ne puise pas dans Ambra Prima pour brûler." Le kan-earl prend une poignée de sable clair. "La croute de cette planète est aussi vieille que la galaxie. Ce monde, Frère, est venu du centre galactique, a accompagné l'expansion de la galaxie depuis que celle-ci est née, s'est répandue." Il tend le bras vers le sommet occupant tout l'horizon. "S'il ne neige pas sur la caldera, la roche en est toutefois glacée, et transformée." En démonstration, Fitz-Osbern tapote la jambière d'armure de Carillon de la pointe de son couteau.

- "Mon ange," relaie Sophia avec cette fois un ton presque distrait. "le cratère de la caldera est constitué d'une forme de schiste, aussi friable qu'il peut devenir impénétrable dès que forgé par un psycher. On nomme cette matière l'ambre, c'est commode. Et pas si dénué de relation que ça."

- "Sur ce monde, Frère, on a découvert plusieurs puits et gouffres tapissés d'ambre, cachés sous un relief, un flanc de dune ou même à ciel ouvert. Tous percent vers le noyau d'Ambra Prima..."

- "Où jaillissent plutôt de lui." corrige Sophia. "Dans au moins l'un d'entre eux, on a trouvé un vaisseau enchassé verticalement dans la paroi d'un de ces gouffres, un vaisseau de classe Retribution, datant de la Grande Croisade, sans doute d'avant."

- "Est-ce... là... notre... tombe ??!" réitère Spa. La douleur le fait presque sanglôter.

Fitz-Osbern soupire de déconvenue, cherche dans le regard de Sophia. L'Inquisitrice prône la compréhension, le Scythe lui échappe, <i>mais tes leurres psychiques sont inconscients, autodidactes !</i>

- "Oui, Frère" confirme à nouveau l'apothicaire en rabandonnant son regard vers l'aire d'atterissage du thunderhawk, vers ce bidon devant l'appareil d'où s'élève l'acre fumée noire. "C'est là que derniers hommages viennent d'être rendus aux restes des Frères Alvare, Podfila, Ledus... et Spa."
<i>Je ne suis pas dans l'Imperium !</i> surprend enfin Carillon.

- "Tout est question de point de vue." lance-t-elle le chargement de son pistolet plasma.

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