La bataille décisive, mythe ou réalité historique ?

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Koursk ? Stalingrad ? Dday ?

C'est des tournants de la 2eme guerre, je pense ?
(Modification du message : 14-10-2018, 13:51 par FAM.)
C'est la notion même de bataille décisive qui doit être interrogée, encore plus dans le cas de conflits mondiaux dont l'envergure dépasse largement le cadre d'une simple bataille. Les Allemands vont rechercher en vain cette bataille décisive et en dépit de victoires éclatantes en début de conflit, ils ne la trouveront jamais parce qu'elle n'existe pas dans le genre de conflit dans lequel ils se sont embarqués.

Et même les grandes batailles cités ci-dessus ne sont pas décisives : elles s'inscrivent dans un mouvement bien plus global mais ne créent pas la rupture immédiate. Même Koursk, qui des trois s'approche le plus de la bataille décisive recherchée, ne permet que de retirer l'initiative aux Allemands sur le front de l'Est. C'est déjà énorme, mais pas suffisant aux Soviétiques pour l'emporter dans l'immédiat.

Bref, une notion à manier avec circonspection, encore plus sur la Seconde Guerre mondiale dont l'analyse a été tant influencée par les ex-officiers de la Wehrmacht après 1945 et qui ont donné une vision faussée des choses, tant par leurs conceptions stratégiques dépassées que par la vision apologétique de leur "geste militaire", les amenant donc à grossir certains événements au détriment d'autres aspects plus cruciaux.

Don Lopertuis
Pour Koursk, c'est décisif surtout pour bloquer les nazis sur leur recherche de pétrole : en ça c'est décisif à mon avis. Wink
Rien n est plus simple pour la seconde guerre mondiale. Le tournant est la bataille de Moscou, à partir du moment où la Wehrmacht n arrive pas à prendre Moscou et à provoquer l effondrement du régime la messe est dite.
Le reste n est qu un immense massacre de millions d individus soldant cet échec.
D ailleurs à l'OKW on ne s y trompait au lendemain de la contre offensive soviétique en disant que la guerre était perdue.
Quelle bande de bouricots prétentieux ces généraux allemands tellement imbus d eux mêmes et de la prétendue toute puissance de la bataille d annihilation.
D ailleurs par deux fois Hannibal à totalement liquidé les légions qui l affrontaient (sic) et on sait tous comment ça a fini.
(14-10-2018, 00:53)Alias a écrit :
(13-10-2018, 20:43)Joss a écrit : MAis non, la plus grande bataille navale de l'Histoire c'est la bataille de Lepante ! ^^


... je suis dehors !

Pff 60.000 marins impliqués, c'est pour les tapettes.   LOL

Plus de 250.000 à Leyte.  Cool

C'est pas la même période de l'histoire non plus Wink
La démographie n'était pas la même. Et puis 'est quand même 460 navires !
La notion de "bataille décisive", il faut d'abord la définir (si elle existe !)
Option 1, la "bataille décisive à l'allemande" : une bataille qui débouche sur une victoire tactique pour un des deux camps dont découle un gain stratégique majeur, en gros, on empêche l'adversaire de poursuivre la guerre et la politique prend la suite...
Elles sont peu nombreuses (au regard de 3000 ans de poutrage dans le beignet du voisin...) et anciennes comme ça, me viennent Gaugamèles (victoire finale d'Alexandre sur les Perses, possibilité de poursuivre son expansion à l'Est) , Actium (Octave se débarrasse militairement de Marc-Antoine), Alesia (les Romains mettent fin à la révolte gauloise, la romanisation de la Gaule s'accélère), Lac Peïpous (les principautés russes assurent leur indépendance et celle de la religion orthodoxe face à la menace allemande), Sedan (chute du second empire qui permet l'installation de la IIIème République). Sedan est, peut-être (la femme de réfléchir plus en avant), le dernier exemple historique et il va bien empoisonner les analyses "doctrino-opératives" allemandes par la suite d'ailleurs... Dès Napoléon, et encore plus après les guerres de Sécession et de Crimée, on entre dans une guerre plus moderne, presque totale où c'est en général l'ensemble d'une nation qui est concerné par la guerre, les armées sont trop vastes, la profondeur stratégique trop importante, pour qu'une seule bataille puisse décider seule du sort de la guerre (une campagne, à la rigueur, mai-juin 40 en France ?). Pour la la Seconde guerre mondiale, même Stalingrad ou Moscou ne sont que des "étapes". En allant plus loin, la chute de Moscou aurait-elle changé l'issue du conflit ? Probablement pas, les Soviétiques auraient poursuivi la guerre, ils avaient déjà transféré une bonne partie de leur usines à l'Est comme pas mal de leur personnel politique et diplomatique (à Samara notamment). Du coup, les Allemands auraient encore eu deux fronts à gérer...

Option 2 ; la bataille décisive infléchit le cours de la guerre... ben, là, aussi soit on en choisit plein soit aucune... dur de trancher en fait... même pour des conflits "réduits". Par exemple, la guerre d'Espagne, quelle bataille est la plus importante ? Teruel ? L'Ebre ? Le siège de Madrid ? Même une guerre courte comme celle des Six jours est un enchevêtrement d'opérations et de fronts (Egypte, Golan, Cisjordanie) où il est difficile de faire ressortir une bataille décisive. Car comme l'on dit certains, existe-t-elle vraiment ?

'fin, voilà, je ne prétends pas avoir la science infuse, hein, c'est juste deux trois réflexions juste pour alimenter la discussion. Y'a de quoi en débattre un moment ;-) , je me fais pas de souci sur ce point-là !
(Modification du message : 14-10-2018, 18:40 par Cyrus33.)
Koursk, je vous dis Wink

C'est plus qu'une bataille de tanks gagnée par les soviets, c'est surtout couper la route des nazis vers les indispensables champs petroliferes du coin. Ca a saigné à blanc l'effort de guerre nazi.

Enfin je crois LOL
Pour la seconde guerre mondiale, la bataille décisive n'est pas militaire, mais industrielle. Elle se gagne dans l'Oural, dans l'Atlantique (plus de Liberty-Ships construits que de coulés), sous le ciel allemand (des chars et de l'essence synthétique produits quasi jusqu'à la fin du IIIè Reich), Leyte n'est décisif que parce que les pertes japonaises ne peuvent être remplacées, Guadalcanal parce qu'il y aura toujours plus de marines que d'insulaires conscrits japonais...

La logique nazi, qui brille à Caen, à Koursk, en Afrique : l'élite (technologique, tactique...) face à la masse, demeure constamment de courte vue et inadaptée (le Bismarck est coulé en trois jours, dès sa première opération. La Luftwaffe n'a jamais le bras assez long...) et demeure simplement l'arbre qui cache la forêt organisationnelle de l'industrie de guerre échafaudée par Speer qui, elle, est décisive (et lisse bien des erreurs d'Hitler et de l'OKW).

A la limite, on pourrait dire que la bataille décisive de la Seconde Guerre Mondiale fut Hiroshima : annihilation de toutes les ressources (humaines, industrielles, vitales) qui rend inutile la poursuite du conflit. Une guerre de cerveaux et de logistique, mais sacrant d'abord celui qui fut et demeura le plus riche belligérant (capable d'opposer 10 Shermans à 1 Panther, 5 destroyers à 1 U-Boot...).

Ce n'est d'ailleurs que par la bombe A que Nazi et japonais gagnent la seconde guerre mondiale dans le Maître du Haut Château, remarquable uchronie écrite par Philip K. Dick.
On pourrait donc aussi dire que la bataille décisive fut l'opération norvégienne Gunnerside contre l'usine de Vemork, en 1943, qui sabota suffisamment la production d'eau lourde allemande pour les sortir de la course à l'atome, scellant ainsi le conflit quelles qu'étaient ses formes conventionnelles (mais qui s'en souvient, et pourquoi n'est-ce pas un jour férié mondial en dit long sur l'Histoire écrite par les vainqueurs ;)
(Modification du message : 15-10-2018, 10:37 par KDJE.)
Je suis assez partisan de suivre l'option 1 de Cyrus sur la définition de ce qu'est une bataille décisive. On peut aussi citer la bataille d'Otumba (Cortes et ses 500 hommes contre 40000 Aztèques !) qui a précipité la chute de Mexico et de l'Empire Aztèque. Dans le genre décisif, elle se pose là.

Et selon moi il faut aussi distinguer la bataille décisive "tactico-stratégique" de la bataille décisive "politique" dont le parfait exemple est la bataille de Poitiers qui marque moins l'arrêt de l'expansion musulmane que son exploitation par Charles Martel pour établir les Francs comme peuple dominant et la dynastie des Carolingiens.

L'Histoire abonde de conflits où les participants se sont pris des tannées monumentales pour mieux se relever quelques années plus tard, tandis que les victoires pérennes assurant des gains monumentaux (en termes de territoire ou de paix) se font plus rares comme dit Cyrus.

Les guerres pré-napoléoniennes sont un exemple parfait où l'on cherchait plus justement cette "bataille décisive" qui permettait de casser définitivement le moral de l'armée adverse, souvent par un mouvement auquel l'adversaire ne pouvait répondre, sans forcément passer par son annihilation (les batailles du Maréchal de Saxe ou de Malborough pour ne citer qu'eux, illustrent ce point) et un nombre de guerres plus ou moins importantes entre 1500 et 1800 se sont terminées lorsque les caisses de l'un des belligérants se sont vidées avant son adversaire...
Pour soutenir ce que dit l'orangiste, je me souviens avoir lu que Napoléon changeait la donne puisque son objectif premier était d'amener l'ennemi à une "bataille décisive" afin d'éradiquer ses forces et le priver de moyens de combattre. Malgré cela, peut-on dire qu'Austerlitz a été une bataille décisive ? Sur le plan immédiat, oui, les Austro-Russes sont hors-circuit mais deux ans seulement pour les Russes qui remettent ça avec Eylau et Friedland (premières grosses boucheries de l'époque), puis encore cinq ans plus tard avec la campagne de Russie, quatre ans pour les Autrichiens (Aspern-Essling démonte le mythe d'invincibilité des Français et Wagram, sur le plan tactique, n'est pas une victoire si brillante que ça (sur le plan stratégique par contre, les Autrichiens sont incapables de se reformer et de constituer une force d'opposition)). Est-ce un gain suffisant pour parler de bataille décisive en fonction du contexte et des pertes en hommes incomparables pour l'époque ? De même, Leipzig (en plus des conséquences de la retraite de Russie et de la Guerre d'Espagne ; pas batailles mais définitivement "facteurs" décisifs, mais c'est une autre discussion), met en morceaux l'armée française et abat son réseau d'alliances. Napoléon bataillera pourtant encore pied à pied pendant un an après cela.
Pour moi, les seules batailles "véritablement" décisives de cette époque sont Trafalgar et Waterloo (et ça me coûte d'écrire ça...) : la première stratégiquement parce qu'elle confine Napoléon au théâtre européen et grâce au recul historique nous savons que la mise en place et l'absence du maintien du blocus continental (qu'une marine en état aurait pu aider) et la liberté de mouvement de l'Angleterre (pas seulement au niveau de la Navy mais surtout de leurs capitaux) est à l'origine de la chute du Premier Empire ; la seconde car elle étouffe les aspirations militaires françaises pour un moment jusqu'aux prétentions du Second Empire quarante ans plus tard (je ne compte pas l'expédition d'Espagne de 1823 comme un sursaut militaire).

En fait, il faudrait presque parler d'inéluctabilité plutôt que de décision : les forces sont à même de résister et de continuer à se battre, mais passé une certaine bataille cela ne fait que retarder l'inéluctable.
Je pense qu'on trouve plus d'exemples de batailles de ce type lors de l'histoire moderne qu'ailleurs. Conséquence de la modernisation et de l'industrialisation de la guerre, m'est avis.

Sinon, on peut aussi prendre en compte le théâtre d'opérations en compte, non ? La bataille des Champs Catalauniques, par exemple, on peut la prendre comme bataille décisive pour les peuples occupant le territoire maintenant correspondant à la France et la Belgique, mais ça n'a pas empêché Attila de se retourner contre l'Italie et ravager le nord du pays l'année suivante avant de mourir lors de sa nuit de noces...

On pourrait enfin considérer, en poussant un peu le bouchon (Maurice), qu'historiquement parlant une bataille décisive peut aussi se juger par son impact et ses conséquences sur l'un des deux camps. Par exemple :

- Cannes (Carthage vs Rome) : les Romains sont annihilés par Hannibal, la terreur se saisit de Rome avec l'ennemi à leurs portes, clairement une menace telle qu'ils n'en connaitront plus jusqu'à Attila. Pourtant le système romain se met en branle avec plus d'efficacité que jamais et ils remontent de zéro plusieurs légions qui permettront, entre autres facteurs, de dissuader Hannibal d'attaquer Rome. Au-delà de l'adaptation de leur tactique militaire, leur défaite a catalysé un sentiment "national" qui les conduira à rayer Carthage de la carte une bonne fois pour toutes et mettre en oeuvre leur domination de l'espace méditérranéen (bon, j'admets, j'extrapole probablement un chouïa).

- Iena - Auerstadt (Premier Empire vs Prusse) : en un seul double affrontement, la Prusse qui se targuait d'une tradition militaire sans faille héritée de Frédéric le Grand se retrouve atomisée par une armée française aux tactiques et stratégies si différentes (le mot de Murat après sa poursuite quelques semaines plus tard, paraphrasant Corneille : "le combat cessa faute de combattants" est révélateur de cette débacle). Beaucoup d'historiens se mettent d'accord pour dire que cette "défaite décisive" a été un électrochoc pour les Prussiens qui ont complètement réformé leur armée et leurs tactiques pour s'adapter à cette nouvelle façon de faire la guerre et ont fait d'eux des acteurs principaux de la défaite finale de Napoléon.

- Isandhlwana (Zoulous vs Britanniques) : la réalisation qu'une force "moderne et civilisée" pouvait être défaite par des "sauvages" a choqué l'opinion européenne (et surtout Britannique), ces derniers revenant en force pour soumettre les indigènes et administrer les territoires conquis plus sévèrement, tandis que lesdits indigènes pensaient avoir remporté une victoire décisive qui les mettaient à l'abri de l'envahisseur. Comme quoi...
et pas Koursk ? m'enfin ! LOL

sérieusement, c'est le moment clef ou les nazis ne vont plus faire que défendre sur le front de l'est, plus d'offensive : la guerre à l'est est perdue.

L'opération citadelle avait pour but de prendre des objectifs pétroliferes, indispensables pour tous les fronts : c'est raté également.

Autant je peux comprendre qu'on soit prudent sur le Dday, mais le front de l'est...c'est là ou la guerre s'est jouée !
(Modification du message : 15-10-2018, 15:59 par FAM.)