Omnia Vinct Machina

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<b>33. La Dame-Balise</b>



Le Possédé hurlait dans le puits. Il hurlait assez pour que les trois kilomètres de profondeur ne suffisent jamais à Perrine Lagger Fohn. La Navigatrice... Non, ce n'est pas ainsi qu'il faut parler d'elle. La Maîtresse-Première de l'Orbe Bronze avait épousé le Dessein Obscur depuis bien trop longtemps pour n'être plus qualifiée que de navigatrice. Elle avait perdu sa Maison. Du moins, sa Maison avait perdu sa consistance officielle. Elle ne guidait plus les nefs sous le frêle éclat, lointain, toujours plus lointain, de l'Astronomican. La Maison s'était enfouie, et la Maîtresse-Première avec elle, dans ce que les historiens ne relieraient pas à l'Utopie Orientale, à la Chambranle de l'Imperium, aux derniers mètres de l'impasse dans laquelle l'Empereur avait fait sombrer l'Humanité. La Maîtresse-Première et sa Maison enfouie étaient classées secret du Contre-Empire. Un grand secret, de ceux qui savent se tordre parmi la beauté du déclin.
<i>Pérégrinations de pélerins</i>, sourit-elle à ces amères pensées. Le Possédé hurlait depuis que le Dessein Obscur existait. D'une certaine manière, il était même le cri de son enfantement.

Comment une créature pouvait-elle hurler sans discontinuer depuis tant de temps ? Tant de siècles ?
<i>Pérégrinations de pélerins</i>, se console-t-elle encore, en consultant les disques des sceaux d'isolement. Comme chaque jour depuis trois-quart de siècle, comme tous ses ancêtres avant elle, elle tire des crissements du petit disque parmi ces rouages de rouille, l'enchevêtrement horloger d'un génie sacrifié, et comme chaque jour elle marque ainsi l'aube de 24 nouvelles strangules du quotient de rétention, recommence la veille variée auprès du Possédé, prête à l'investir comme on donnerait l'assaut, à le questionner, à maintenir le siège ; à l'attendre, puisqu'il va...

De la Maison, beaucoup s'y sont usés. Le Possédé ne parle jamais et ce qu'il pense n'est pas recevable par un psycher. A peine module-t-il ses cris, de la stridence au brame. Mais ses yeux content, projettent sa démence, pleurent sanglants sur les rictus dont il a ni le temps de refermer les lèvres craquelées, ni celui de reposer l'inflammation continue des joues distendues par ses hurlements, sa folie.

Le Warp le nourrit. Et Perrine Lagger Fohn aussi, d'une certaine manière.

En soulevant sa capuche pour la rabattre, la mèche blanche qui lui tombe sur l'oeil gauche redevient la seule chevelure de la Navigatrice. Tâché par l'age, son crâne bosselé, à la peau huilée, attrape les reflets des flaques d'acide se consumant en lucioles innombrables juste sous la créature ligotée. A cette profondeur, si loin au coeur du planétoïde, l'acide suinte des parois comme le pus de la roche. Il y a presque mille ans, une seule allumette a suffi à enflammer cette humeur grasse, qui ruisselle sur la paroi parfois depuis la voûte dans une lente, très lente reptation séculaire et sans rythme. Ou déjà mille ans.

En rassurant contre son visage émacié le masque à gaz qui préserve ses poumons du poison émis par ce venin mural, Perrine Lagger Fohn songe au mécanisme qui draine le temps en une chaîne invisible habitant l'ombre entre le Possédé et le sommet de la grotte. L'acide ne coule pas sur cette magie. Invisible, la chaîne impalpable pare les gouttes brûlantes mais suspend la créature comme la stalactite espère devenir pilier. Puissant a été l'horloger, isolant la stase comme un ver annelé autour du cordon ombilical infime qui lie, peut-être par un seul synapse, ou l'épais portail d'une cellule ou d'une bactérie, le cerveau du Possédé à la ruine intrinsèque de l'Immaterium. La Navigatrice hérite de sa lignée, elle n'a d'effroi pour tout cela. Pour cette peau asséchée pendue au bout de rien, pour ce squelette saillant dans lequel s'agite souvent Celui qui l'habite ; le Possédé pisse sa haine sans bruit ni présence et celle-ci finit la lente tombée de l'acide en l'assemblant dans un bûcher trop bas.

Perrine était servante, elle héritait de sa lignée.
<i>Profonde est la mémoire des gestes inoculés.</i>

Mille ans, peut-être ? Non, pas mille ans. Retrouver la mesure du temps parmi l'autonome rouage de l'horloger, l'exacte mesure, voir ainsi le temps qui est passé, et, si cela amuse, l'asséner au Possédé comm...

La créature n'hurle plus, et le silence brutal (dont le constat est peut-être déjà tardif) est soudain comme une morsure picotant tous les pores de la Navigatrice.

Perrine Lagger Fohn se tourne vers le Possédé. Parce qu'Il l'a quitté, elle trouve enfin dans le visage une vague ressemblance... Perrine Lagger Fohn observe les traits maintenant libérés de son aïeul, celui qui enfouit sa Maison en découvrant ici le second Monde d'Ambre. Elle plie le temps. Elle sait qu'il n'y a plus de mémoire assez profonde. Elle se souvient, maintenant, de la mesure, de l'horloger, de l'exacte mesure de l'horloger.

Alors les dents déchaussées de l'aïeul lui sourient, presque dernières à éteindre les lucioles d'acide dans un affaissement de poussière.
<i>Miliens mille !</i> Tel est le gothique qui emplit l'ultime pensée de Perrine Lagger Fohn, dernière Maîtresse-Première de la Maison Enfouie.

Vers là où fut le Possédé, les atomes de la Navigatrice fuient, et derrière eux ceux de la grotte, ceux des trois kilomètres de roche, ceux qui interdisaient le vide et la nuit du planétoïde, préservaient le cachot et les puits de la Maison.

Là où fut le Possédé s'assemble une nouvelle dictature de la matière, broie de son ciment primordial la linéarité de ce qui fut et qui est maintenant remplacé.

Par le Protocole Interdit de Woens, le <i>Tullianum</i> vient d'offrir au Warp plus de la moitié de la masse d'Ambra-Secundus, y creusant comme nouveau berceau d'amarrage du vaisseau-forge les murs pentus d'un caveau pyramidal dont le sommet tronqué est immédiatement devenu le seul puits de la sphère morte.

- "Téléportage réussi à l'intérieur du planétoïde ciblé, Ingénieur Magos Technoprêtre Drix. Excavation de masse conforme. Variabilité magnétique quasi nulle. Je conspue votre audace à l'égard des préceptes bénis." racle, rocailleuse, la crécelle métallique de la voix recréée par l'amplificateur.

Triomphante, la Sorcière Rouge se détourne de la silhouette lointaine, presque embaumée, aux gestes saccadés par la mécanique sainte, du commandant en second du <i>Tullianum</i>. Il l'admire. Ils l'admirent tous.

- "Conspue, Sevré des Cartulaires, conspue ! J'aime que tu confirmes ainsi mon élévation. Oui, j'aime le dégoût de tes limites."

A son Promis Estrede col Caudine, dont le visage horrifié n'arrive pas à se détacher de l'écran de surveillance du Sanctuaire de Navigation, Augusta Drix précise :

- "Est-ce d'avoir livré les navigateurs de notre Tullianum à ces parias qui te fait uriner sur ma passerelle, Magos-Héritier ? Ou voulais-tu que je laisse la Dame-Balise les posséder à leur tour, déceler notre arrivée ? Je viens d'étêter un pont inespéré entre le Seigneur-Inquisiteur Lore Blackburn et son petit destin, Estrede. Je veux qu'il s'y rue comme une blatte sous la chute d'un rocher, me gaver de tout ce qui en giclera. N'ai pas peur, mon Promis. N'ai pas peur." applique-t-elle, maternellement, de sa prothèse aux ongles peints, au jokaero effrayé.

Je prends ça éloigné du reste.


Pas le courage de me plonger dans cette démence verbiale.


Il y a mention de Jokaero, c'était peut être lié aux passages que je n'ai pas lu, mais ça augure du bon.


Par contre je décèle un ralentissement dans la production, y aurait il manque d'inspiration (je ne crois pas, mais il faut te mettre la pression)?


Le début, pour ce que tes divagations laissent comprendre, est assez proche "visuellement" d'une scène de l'affaire Charles Dexter Ward, de HP Lovecraft.


Le possédé dans le puit rôcheux, hurlant depuis des siècles.


Le Rat, quels style, c'est magnifique, mais alors, on se pose la question classique, "que fume le Patmor devant son clavier"?


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<b>34. Pater Familia</b>



Au sommet du château de l'<i>ASS Stormlaw</i>, la buée qui opacifie les basses vitres de la salle des télescopes renforce l'impression de moiteur laissée par la tempête. La Mer Equatoriale d'Ambra Prima a accueilli le jour et s'est laissée calmer par sa chaleur pesante. A l'ancre, l'énorme porte-antigrav toutefois ballote, ne peut se distraire aux vents puissants qui ont chassé l'ouragan.

- "Exeunte anno, ab miliens mille."

- "C'est tout ce qu'elle a dit ?"

L'aspirant serre les dents, voudrait retranscrire la terreur livide qui a pris l'astropathe lorsqu'il a décocté ce message à transmettre au Kan-Duk, au Kan-Duk Juan-Erik seul.

- "Je crois que c'est tout ce qu'elle a eu le temps de penser vers le relais-satellite, Seigneur-Inquisiteur. C'est par ce dernier que nous savons que le Possédé a sans doute..."

Comme avachi dans son armure Terminator, le vieil Arbitre de l'Orient contemple le manteau de lin poussiéreux, le visage croûté de sable de ce jeune lieutenant qui a eu le temps de traverser la plaque et l'Echine désertiques avant de livrer ici ses propres réflexions. Il jauge jusqu'où ont pu aller l'imagination et les déductions de cette promesse d'officier. Pas assez loin pour qu'il s'en sente menacé.

- "Le Possédé n'a rien fait, Aspirant, rien du tout. Ambra Secundus a-t-elle changé d'aspect ?"

L'aspirant déliasse les feuillets, cherche ces croquis extraordinairement précis qu'il a déjà analysé, ces transcriptions tracées au stylet par l'astropathe en transe comme si il s'était soumis à l'écriture automatique de son subconscient.

- "Non, Seigneur, non, l'aspect n'a pas... Enfin, c'est la Maîtresse-Première qui a été attaquée, pas Ambra Secund..."

- "Vous pouvez disposer, Aspirant."

- "Nous ne savions pas que vous étiez à bord, Seigneur-Inquisiteur, c'est pour cela que ce message vous arrive si t..."

Semblant observer un des télescopes antiques, il suffit à la bure du Seigneur-Inquisiteur Ian-Alec de se tourner vers l'aspirant pour l'enfuir enfin de l'observatoire. La porte ne se referme pas derrière lui.

- "Entre, Tibère." murmure et donc pense Ian-Alec vers le Kan-Rex des Sand Wolves. "Fais attention à ne pas rayer tes épaules."

Le Commandeur du chapitre contre-impérial des Sand Wolves a le visage allongé d'une barbe blanche mal-taillée, des arcades sourcilières dignes d'un buffle cogneur et les joues parcheminées de son age réjuvé. L'exiguïté de la salle des télescopes, rayonnante de lunettes depuis son centre vers les meurtrières des murs et du dôme, laisse en effet peu de place à une troisième armure Terminator.

- "Tu m'as demandé, Cousin de Russ ?"

Dans l'ombre de sa bure, l'Urne toussote. Lorsque l'inquisition de l'Orbe Obscure découvrit les Sand Wolves, sentinelles oubliées prisonnières du premier Monde d'Ambre, Juan-Erik fut franc avec ces guerriers inespérés. Et sa chance fut que Tibère, 27ème commandeur des Loups, n'eut rien oublié de la mission confiée par Russ à son plus lointain prédécesseur. Grâce à Tibère, où qu'il se tienne, le Petit Conseil du Contre-Empire conservait ainsi à toute heure et en tous lieux cette proximité familiale qui dut être celle réunissant l'Empereur, ses primarques et les Navigateurs pénétrés qui avaient fondé l'Inquisition de l'Imperium.

Dos à ses compagnons et apparemment loin de la moquerie de l'Urne, le "cousin de Russ" demeure abîmé dans la contemplation du pont d'envol, comme la cime prenant soudain conscience d'une de ses racines.

- "Et la mort renaîtra pour garnir nos cendres..." rembue-t-il un peu plus la vitre de sa fraîcheur pulmonaire autorégulée.

- "Que dis-tu, Cousin de Russ ?" souffle Tibère qui n'apprécie visiblement guère qu'on l'ait ainsi pressé pour le faire maintenant attendre là, carcasse anguleuse parmi les lunettes fragiles.

Juan-Erik, Arbitre de l'Orient, abandonne le carré transparent que son gantelet d'armure a rayé dans la buée couvrant la vitre.

- "Je disais : Et la mort renaîtra pour garnir nos cendres / des fougères de sang du cureteur débonnaire. C'est un vieux poème, prélevé sur un vieil ennemi."

Tibère secoue la tête dans l'ondulement désabusé de ses tresses comme si il n'avait que ça à entendre.

- "Le motivateur fessier de mon armure ne calibre plus le drain de cuissarde depuis ce matin, j'ai du me trimbaler ma jambe droite en montant jusqu'ici comme si j'avais douze pleureuses agrippées au mollet, donc s...!"

La toux de l'Urne devient un vrai rire. Tibère demeurait Tibère. Mais rien décidemment aujourd'hui ne pouvait détendre les traits maussades du Kan-Duk.

- "Pax, Tibère, je ne t'ai pas fait monter ici pour le panorama, pas pour celui-ci en tous cas. Le choeur psychique de la vigie orbitale d'Ambra Secundus a relayé un message du puits de la Maison Enfouie."

- "Exeunte anno, ab miliens mille." complète Ian-Alec.

Le Kan-Rex à l'armure sable lève les mains et en fait des moulinets en soufflant plus fort que s'il avait chaud.

- "La première année après mille ans, si tu préfères." obtient le Kan-Rex de Ian-Alec, parvenant sans doute à arracher involontairement un nouveau sourire sous la capuche de bure.

- "Vergetures !" s'affaissent soudain les épaules énergétiques de Tibère.

- "Oui," reprend le Kan-Duk, "l'attaque arrive bien tôt, et pas là où on l'attendait."

- "C'est ce Lore Blackburn qui..."

- "Non, le <i>Tullianum</i>, un vaisseau-forge. L'Indécelé est à son bord."

- "C'est le moyeu dont nous t'avons déjà parl..."

- "Je sais qui est l'Indécelé !" rugit Tibère en sollicitant clairement du regard le "Cousin de Russ" de tempérer les offenses urbaines du "Parrain du Cousin de Russ".

Mais le Kan-Duk préfère reprendre :

- "On l'a découvert il y a trois mois dans les lunes d'Eb puis il s'est en effet caché parmi la flottille de l'exalté à la peau de suie. Nous croyions ce pitoyable appeau de l'Ordo Hereticus occupé avec les chevaliers d'Algr, et le <i>Tullianum</i> avec lui, mais la Sorcière Rouge semble s'être débrouillée pour devancer nos estimations : un protocole maudit a détruit le Puits Enfoui d'Ambra Secundus, exactement comme cette fichue prédiction que nous avions tous oublié l'avait annoncé."

- "La Maîtresse-Première a bien oeuvré, Juan." corrige l'Urne.

Le Kan-Rex soupire, ferme les yeux.

- "Mais Ceux-Qui-ont-Miroité-Dans-l'Ambre n'ont jamais menti, Cousin-de-Russ : entre le Contre-Empire et son adversaire, l'un des deux devra disparaître dans l'année. Le Contre-Empire a donc mille ans, mille Ans Anciens. Jamais, par Leman-le-Traversier, je n'aurais cru voir ce jour de mon vivant. Jamais."

- "Oui, ça va mal." confirme Juan-Erik en se retournant vers sa contemplation du pont d'envol. "Le marine à l'armure en plastacier brut qui reçoit son katana parmi les xénos à peau bleue..." tire-t-il Tibère de sa nostalgie.

Parce que précise, la question reçoit une réponse immédiate :

- "Spa, un Extérieur, tu l'as affecté à Irae. Il a apponté cette nuit. Nous ne savions pas que tu étais aussi à bord. Veux-tu le rencontr...?"

- "Non, je veux qu'Irae soit redéployée contre l'assaut que Blackburn ne va manquer de nous asséner dans la semaine."

- "Quoi ?! Redéployée ?!!" se tourne l'incompréhension du Kan-Rex vers Ian-Alec, puis vers le dos du Kan-Duk. "Cousin de Russ, les meutes préparent cette opération depuis des mois, prélèvent là où on le peut encore. Tes navires, l'absence de l'<i>Irredente</i> pour aller chercher ces Tau, tout ce que Irae nous a déjà coûté. Non, non, impossible ! Sinon Ambra Septime ne pourra plus être reprise. Les cafards y réengendrent une Reine Norn, tu le sais ! Il faut les purger de Septime avant que les nuées ne se reconstituent !"

- "Tibère..." tente d'interrompre le Kan-Duk.

- "Et tourne-toi vers ton Rex quand je te parle, Kan-Duk ! Tes... eldars", crache Tibère, "avec lesquels tu as même fait frayer quelques uns de mes loups, qu'ils s'en chargent ! Qu'ils se chargent de la peau de suie, qu'ils le fassent frire sur son propre Bûcher des Aveugles ! Moi, j'emmène <i>mes</i> peaux de merlans vers leur holocauste sur Septime, puisque tu me les as imposé. Mieux vaut d'ailleurs eux que mes loups, et ton Spa aussi s'il me déplait ! Irae... Fin de la visite des Marches Orientales, ça va s'appeler ! Redéployer Irae, pfff..."

- "Kan-Rex Tibère", cingle Juan-Erik en refermant la tache désembuée de la vitre par une volute, lassée, de cigare d'algues, "il y a dans ta cabine, sur ce bateau même, plus de nubiles exodites que le troupeau de nouvelles épouses que tes clans t'offrent en tribut temporaire chaque saison !" Le Kan-Duk se tourne et tend vers le Loup Suprême la braise odorante. Rares sont les moments où il perd ainsi son sang-froid. "Le Codex Astartes, voilà ce qui te manque, vieil homme ! Mais il n'est pas trop tard, carne sauvage qui ne voit pas plus loin que le bout de ses griffes usées ! L'Ambre ne palpite pas que pour nous ! Ne vois-tu pas s'étendre le bord du gouffre ?!"

- "L'idée du Rex n'est toutefois pas mauvaise, Juan." tempère une nouvelle fois le-Ténébreux.

- "Le Codex Astartes", Tibère ignore-t-il la pause voulue par Ian-Alec en rebroussant chemin vers la porte qu'il faudra changer s'il la claque, "j'en ferais la lunette de ma chaise percée et j'y mettrais peut-être même la tête du garde-feuillets*, comme filtre de mes coulantes !"

Lentement, la capuche de bure se dégage d'une optique vers le visage ducal qu'un sang furieux est venu rougir. Le Kan-Duk, c'est sa loi intérieure, serre les dents pour chasser celui-là de ses joues. Rhumectant son cigare, il voudrait retrouver la saveur de l'algue et non de sa cendre.

- "Maintenant, le Stormlaw est la Balise."

Ian-Alec-le-Ténébreux claque de la langue, signe intime d'une suprême nostalgie.

- "Il le sait, Juan. Tu voulais qu'il le sache, maintenant, il le sait."



Aller plus loin avec le post :

> Garde-feuillets : surnom troupier du Maître de la Maisonnée de Maccrage (voir OVM chap.8 "Vers la Lune d'Eb")

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<b>35. Somme toute</b>



Oublier cette détestable séance de dupes dans laquelle l'ont recroquevillé ces Black Templars. Quel jeu jouent-ils ?! En se méfiant même de ce que pourrait cacher le sol double-grillagé des coursives de l'<i>Imprematur</i>, Lore Blackburn rejoint les cabines que lui ont octroyé ses hôtes sur ce navire, sur l'élan de leurs médiocres desseins. <i>Quel jeu jouent-ils ?!</i> Rouvrant la porte qui sépare son bureau du cabinet de rangement, lui, l'inquisiteur, se demande également s'il n'eut pas été plus judicieux d'endormir hier la Carillon avant de recevoir le haut magos Augusta Drix, l'imprévisible Augusta Drix.

Les pupilles agressées par l'afflux de lumière soudaine, Sophia Carillon est en tous cas bien éveillée.

- "Désolée, Seigneur-Inquisitrice Carillon, je vous avais laissée dans le noir. Je vous avais presque oubliée, en fait."

- "J'ai entendu ça." se moque-t-elle aussitôt. "Confirmez-moi simplement que ce magos avait bien le sexe de sa voix, je trouverais peut-être ça moins déplorable de votre part, Pantin."

- "Mon visiteur était en effet une femme." déclare distraitement Lore Blackburn en éventant le cabinet de la main. "Vous puez, Carillon !"

- "J'ai déféqué deux fois sous moi, qu'est-ce que vous croyez, ça fait plus de 30 heures que je suis là, pendant que vous..."

- "Alors pourquoi voudriez-vous que je vous préfère à d'autre compagnie ?"

- "Comme ce capitaine du vaisseau-forge de la lune d'Eb ? Je ne sais qui pue le plus."

- "En effet, elle sent autant l'huile de vidange que la sueur, mais sur ce navire, c'est à peine si ça se remarque. Je constate cependant que votre ouie n'a pas souffert de notre... discussion d'hier."

- "En... investissant l'obèse farcie de plastacier que j'imagine, vous vous êtes même... exprimé un peu plus fort qu'elle, c'en était donc difficile de ne pas vous entendre. D'autant que je n'avais guère d'occupation urgente." Sophia désigne-t-elle ses poignets liés à la paroi de métal. "A ce point-là, vous devez toutefois aimer les bioniques."

- "C'est parce que j'en ai un. Un seul."

Blackburn sourit à l'observation ostensible, mais sans résultat, de l'inquisitrice.

"En remplacement de ce qu'une vieille blessure m'a oté. Il est bien caché, entre mes..."

- "J'ai compris, Blackburn ! Pas la peine de vous étendre. A moins que cette catin de l'Omnimessie ne vous ai pas suffi, je n'ai pas, moi, la prise nécessaire à votre gadget d'eunuque."

- "Ne soyez pas si vile. Nous serions compatibles, vous pourriez même vous en surprendre. Le Culte de la Machine a ces fantaisies paradoxales. De quoi moins les décrier, n'est-ce pas ?"

- "Vous ne savez pas de quoi vous parlez, vous ne savez pas avec quoi vous vous illusionnez de négocier !" se débat-elle contre ses liens. A Lore qui s'approche pour les resserrer, elle se cabre :"Tentez seulement un gest..."

- "Et quoi ? Et quoi ?! Que pourriez-vous faire, pendue à ce mur comme un sac de viande habillée d'une soutane ?! L'étonnant, ma chère, c'est surtout que je fus compatible avec elle."

Sophia se laisse retomber, épuisée, le manque de sommeil lui creuse le regard ; elle le déguise en celui d'une Soeur éventrée qui n'attire ainsi que la mégarde de sa dernière victime. Sa voix est faible, asséchée d'une toux de déshydratation.

- "Pourquoi ? Mars ne fait pas dans le standard ? Le vôtre est télescopique ? Vous aimez garder les mains libres lorsque (kof !) vous allez à la pêche ? Vous devenez scabreux, Blackburn."

- "Je sauve plutôt la vie que j'avais décidé de rendre à l'Empereur, la vôtre, en fait."

- "Oh, oh. Et bien détachez-moi. Si je vous tue tout de suite comme je vais le faire, vous saurez ainsi que vous avez fait une erreur, mais la dernière, ce qui est toujours un plus lorsqu'on sonne à la porte de l'Empereur."

- "Taisez-vous, garce incorrigible !"

- "Faites-le, Blackburn, libérez-moi !"

- "Après ce que vous venez de dire ? Après ce qui marque votre triangle pubien ? Oui, comment savoir ?"

- "Savoir quoi ? Que vous êtes un traître ?! Que vous incarnez l'abus de pouvoir ? Que vous êtes le valet d'un jeu qui vous dépasse ?!"

- "Et voilà, le doute me reprend." s'attriste Lore en dégainant son arme. "Vous n'êtes pas là pour me tuer, Carillon, vous n'étiez pas dans ce cargo pour moi. Moi-seul ait brisé votre mission, je fus l'échec inopiné de votre prédestination. Oh, je ne peux vous en vouloir, votre réaction est fidèle à l'adaptation inquisitoriale : ennemi imprévu, sans semonce sera ainsi sa mort. Mais cet enseignement nous est commun à tous deux. <<Est précieux ce qu'on nous enseigne car le sang l'a inscrit.>> Non, Carillon, moi, je vais vous tuer, envoyer votre charpie à l'Urne. Vous êtes tout ce qu'il me faut contre lui." désigne-t-il du canon ce qu'il a découvert d'elle. "Allez, avouez, êtes-vous une dépossédée ?"

Sophia soupire, rengorge sa vaine tentative.

- "Juste une fille marquée."

- "Les traces ne font pas les preuves, n'est-ce pas ?" rabaisse-t-il son arme. "Inquisitrice Sophia Carillon, ce que cette magos est venue m'apporter ici, en personne, craint visiblement les caméras de surveillance, les regards indiscrets dans les faux rivets des murs, mais tient maintenant dans cette bague creuse. Une capsule de données. Prothèse identique à celles utilisées par cette secte dont l'infiltration me coûta une partie de moi-même, mais nous savons vous et moi que le service de l'Empereur vaut bien des sacrifices, n'est-ce pas ? Sur ce navire, dans cette partie de la galaxie, moi-seul pouvait recevoir cette capsule, Drix le savait. Drix le savait, vous comprenez. On y parle d'un contre-empire, d'hommes officiellement morts depuis longtemps, d'une armée, prête à fondre à travers l'Imperium vers une seule cible connue d'eux-seuls. J'ai mon complot, Petite, et plus même que mes cauchemars ne voulaient m'effrayer. L'hérésie a gagné Talasa Prime, le Halo cache les félons. J'avais raison. J'avais raison. Une armée de sécession, comment ont-ils pu...?"

- "Mais...?" croit discerner Sophia dans l'élan mesuré de la tirade blackburnienne.

- "Mais j'ai horreur qu'on m'utilise, qu'un écrou m'apparente à une vis sans fin." rajoute-t-il avec un rictus désabusé. "J'y vois comme un mépris. Le vaisseau-forge a quitté ma flotte ce matin. Il va récupérer les titans d'Algr, me les transborder, puis disparaître. Dans quelques jours, Drix m'enverra une route, au delà de l'Astronomican. Au bout de cette route, j'amènerais la sanction due aux traîtres, j'amènerais mon armée, même si les plus noirs d'entre elle y répugnent."

- "Et Drix aura gagné."

- "Et moi, j'aurais gagné."

- "Elle ne vous laissera pas le temps. Elle va vous détruire aussi, Blackburn. C'est une esclave du Sucus Machina, ce que vous venez de me dire confirme que vous n'êtes qu'un pion."

En s'adossant à la paroi, bras croisés dont s'élève seul l'index distrayant le surplomb nasal de l'odeur incommodante des excréments pourtant secs, Lore Blackburn examine, admire sa proie brisée, exténuée, ramenée au potentiel. Il la renouvelle. Il a retrouvé son usage.

- "Tsss. C'est là où votre vie en vaut finalement peut-être plus que trois, Seigneur-Inquisitrice Carillon, car votre dépouille, et peut-être même vous dedans, vont faire la pointe de mon étendard. Je vais vous offrir, Petite, vous serez du premier choc. Et ainsi du dernier, somme toute."

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<b>36. Détournés</b>



Nouveau pilier de la passerelle du <i>Comrade</i>, plantée sur ses jambes, l'arme ramenée à deux mains sur l'ombre immobile de sa propre puissance, l'imposante garnison d'occupation s'éveille : secousse inconsciente, qui n'a rien à voir avec l'instinct mais pourrait s'y comparer, l'esprit du marine Black Templar reprend le dessus sur le nodule cataleptique qui a allongé sa vie de plusieurs heures d'agnosticisme serein. Un murmure a suffi. Dans leurs orbites, les globes oculaires du marine pivotent, s'abaissent, accrochent ces deux pouilleux plaqués contre le quintuple-vitrage d'une meurtrière donnant sur l'espace. Se rappelant que ces deux cibles chaudes ont un lien quelconque avec le bolter sanctifié qui régit son éternité létale, le fils de Sigsimund écoute ce qu'espionnent, par routine martiale et l'impudeur templière commune, les micros de son casque corvus. L'un des deux "citoyens", puisque l'Empereur a donné aux sommets des crânes le droit de cité, l'un des deux, donc, le plus petit, le malingre, celui-ci, oui, chuchote :

- "Mokhc, Moooohkc !! Y'a du mouvement !"

S'arrachant avec une joie terne à la détention ennuyeuse qui a endormi son cargo, le capitaine du <i>Comrade</i> sent d'instinct qu'il lui faudra corriger <i>insomnie</i> dans son livre de bord, au profit d'<i>exigeant pressentiment</i>. Ses cales jusqu'aux ballasts sont pleines de réfugiés, de matériels, de bétail, de quintaux arrachés aux champs. De tout ce que la flottille de guerre du nègre inquisiteur a arraché aux lunes d'Eb et à Algr-la-Blanche, rassemblé autour d'elle comme un écran de plus. Minéraliers, caboteurs sous amarres de saut, cargos à blé, navires mouroirs et même un vaisseau-forge. De quoi coloniser une planète entière, mais tous attendent ici, tout y pourrit dans l'attente. Exigeant pressentiment... Il n'en croit pas ses yeux.

- "Par le guano crânien de l'Empereur, cette donzelle est une tuerie. <i>L'Imprematur</i> brûle !"

- "Tu, tu penses que c'est not' ptite Sophia qui..."

Le râle éructé, dramatiquement amplifié par le respirateur de heaume, est un signal. La surprise de ce qu'il vient de comprendre, la haine étrange qui répond toujours à cette forme de surprise, le marine s'ébranle, le pilier de céramite s'anime, redresse vers le libre-capitaine Mokhc, et son matelot de quart, l'arme bénie qui a moulé le gantelet qui toujours la tient.

- "Vigie à Capitaine, pénétration spatiale ! Irruptions Warp ! Contacts multiples ! Un, non, deux contacts en approche rapide ! Diffraction corrélée en proximité. Vouge de Ciennes ! Abordage, abordage !!"

- "Put...!"

Querelle à peine née que ce retournement du géant vers l'écoutille couinant derrière lui, les hurlements qui s'y engouffrent. Vaine menace de ses munitions autopropulsives. La pierre-esprit qui pilote le garde-fantôme, l'eldar téléporté qui soustraie le jais de l'armure énergétique au décompte de la garde des vivants est mort depuis longtemps. Dans le fracas, la garnison s'effondre.

"A la première surprise, crains toujours la seconde", réfléchit Mokhc au refouloir carmin que fut le regard du space marine.


Sur tous les ponts de l'<i>Imprematur</i>, branle-bas n'est pas un vain mot. Les eldars ont jailli du néant, et leurs entrées-sorties incessantes dans le Warp lèguent autant d'agaçantes blessures que n'auraient de mal à contrer un ou deux Navigateurs versés dans la parade héréditaire aux prétentions xénos, si l'<i>Imprematur</i> en avait à son bord.

- "Pas de Navigateurs ?!?" interroge une nouvelle fois Lore Blackburn, incrédule.

Le frère-capitaine de pont répond à l'être inférieur, à celui auquel il faut expliquer.

- "Passéisme impie que n'aurait maintenu l'Empereur s'il était resté en vie. Ceux qui servent l'Empereur n'ont pas besoin de cyclopes, leurs âmes suffisent à voir et être vu."

- "Brûlez les psychers !" marmonnent mécaniquement à ces mots les sous-officiers de passerelle dans l'éclat blafard des explosions extérieures.

Et depuis qu'il fréquente ces space marines là et leurs cohortes de serfs mutilés, Lore se demande s'il doit prendre cette phobie pour lui, bien qu'il n'en soit qu'un médiocre et non-déclaré représentant.

- "Deux Void Stalker embrassent de leurs flancs ce navire, une chiée de Shadow hunters déblaie vos escorteurs et vous nous livrez à l'hérétisme suicidaire des Abandonnés !!" rugit Blackburn à l'officier space marine qu'une crevasse crayeuse défigure.

- "Vous connaissez ainsi la classe de ces navires, Inquisiteur ?" apparaît le Sénéchal Rudd dans le drapé d'une cape pourpre à galantine d'or. "L'Imprematur va les repousser sans gloire, les briser sans doute, comme nous l'avons toujours fait et le ferons toujours. Pour tout vous dire, ces péripéties des confins m'ennuient."

- "Sénéchal sans béquille* ! Et ma flotte ?! Et mon attaque ?!"

Le premier des Templars sourit à ce civil qui devrait avoir tant de pouvoirs.

- "Calmez-vous, Inquisiteur. Pour ces pirates, nous sommes un veau de mer échoué, une..."

La gîte soudain interrompt le sénéchal, abaisse une pente sous chacun d'entre eux. Lore Blackburn s'y retrouve à genoux tandis que la pesanteur artificielle redresse lentement le carrelage à l'horizontal. Lore ne veut même pas entendre les rapports d'avarie, hurlés par tous comme s'ils fussent surprenants.

Imperturbé, l'un des serfs de passerelle se tourne vers Blackburn, renoue avec sa peau moins noire que les armures de jais, dégorge toutefois le même mépris que ses maîtres :

- "Votre animal est arrivé, Seigneur-Inquisiteur Blackburn. Amarrage accompli dans les rites de sauvegarde. Cellule de quarantaine XXIII, pont Quintius."

- "Quarantaine...?!", puisqu'il faut continuellement s'indigner.

- "Allez !" Rudd le congédie-t-il du spectacle de ses coques assaillies.


Ce qui enfle les ventaux de la cabine comme si la coursive qu'ils masquent voulait les aspirer est une décompression, une ingérence redoutable. L'esclave qui nettoie le cabinet de rangement sous la mise en joue paresseuse d'un des spadassins de Blackburn en tremble comme s'il en connaissait l'appétit.

- "Nous sommes en guerre." commente Sophia en tendant l'oreille vers un crissement lointain.

- "Ous 'ommes engué 'epuis 'ix mille ans" répond l'acolyte avec un sourire prévenu.
<i>Un sourd !</i> comprend Sophia <i>Il me fait garder par un sourd de naissance !</i>
<i>Comme s'il avait à se méfier de...</i>

L'esclave a miaulé sous la brûlure, un cri de panique. Il a lâché la forme sèche de l'excrément, dont les flammèches annoncent un embrasement plus complet, s'est inconsciemment relevé devant l'arme de l'acolyte.

- "Pyro..." le pousse le sourd pour rebraquer à nouveau son arme sur... la boulette enflammée qu'un vent invisible jette vers son visage. Sophia le regarde serrer les dents, accueillir l'impact, prévenir déjà sa chair qu'elle va brutalement s'assécher, se tendre, durcir et fondre dans une saturation nerveuse révélant une douleur qu'il ne pourra ignorer. Mais le sourd a tiré. Trois trous calcinés s'élargissent et gâtent la soutane de Sophia, enfument sous le sein gauche avivé par une desquamation craquelante. Douleur identique, qu'on ne peut ignorer. L'esclave ploie entre deux hurlements. Celui de Sophia Carillon est d'une autre rage, libère un autre esprit. Le ricochet psychique, le premier, le plus pur, casse les os entre deux grains de sablier. Déformé du tibia à la tempe, le spadassin est mort. L'esclave, agenouillé sans finir sa chute, a le torse et la joue contre l'acier du mur, les bras ballants, la bouche et les yeux grands ouverts, les vertèbres concassées. Moins un nouveau ricochet que son poids seul, inerte. Il s'effondre.

Encore un frisson parcoure Sophia, avant un autre. La souffrance s'est immiscée. On n'éveille pas ansi la Mort. Surtout pas ainsi, ligotée.

La politesse de la Mort, car les vantaux craquent comme si on y frappait.


Lore a mis du temps à trouver ce pont, trouver la quarantaine, évidemment au plus près du glacier noir qui entoure le navire. Le micro dont il s'empare est un déni de plus, comme la vitre d'isolement, le dock d'éjection. Sa réflexion peine à garder son fil. La pression que subit l'<i>Imprematur</i> est ici retransmise par les membrures de sa coque, les acouphènes des décharges d'artillerie, la puanteur d'ozone des accumulateurs saturés, et les sons malades de tout ce qui se décroche, se grippe, dérape, se transforme sous l'influence virale de la bataille que tissent les pirates eldars autour de leur proie immense.

- "Magos col Caudine ?" adresse Blackburn, pour la forme, à l'apparente bure prostrée qu'un sergent space marine lui désigne.

Derrière le verre blindé de la cage de quarantaine, sous la capuche rouge ourlée d'un damier noir et blanc, le visage simiesque qui se lève n'est que terreur empêtrée d'une innocence coupable.

"Vous êtes venu seul ?" s'étonne l'inquisiteur devant l'immense cage vide. "Avez-vous la Route ?" s'empresse-t-il d'amplifier dans le micro en trahissant sa propre impuissance.

Pourtant il sait que les jokaeros ne parlent pas, que la vertu des Black Templars va les terminer ici, sous les coups d'un pilonnage eldar, que tout va se terminer ici.
<i>Donnez-moi la Route !</i> aimerait-il s'enfuir, quitter ce pont, cette coulisse promise à l'ignorance du destin. <i>Extrayez-vous de la peur !</i>

Retrouvant un regard attentif comme s'il se souvenait brutalement de quelque chose, le jokaero lève la manche et fait signe à la sentinelle space marine.

- "Seigneur-Inquisiteur Lore Blackburn, de l'Ordo Hereticus..." retourne vers lui le Black Templar, "prenez un scaphandre, et obtempérez à la procédure d'extraction." pèse-t-il du canon de son bolter.

Lore a vu le geste du jokaero. Causalité évidente, sans compromis d'adaptation. Lore se rabaisse vers l'envoyé de la Sorcière Rouge, ce Promis et sa Route.

- "Pas sans elle, Magos." ne sait-il pourquoi il la réclame déjà.

- "L'hybride Sophia Carillon est comprise dans la procédure, Seigneur, le reste de votre garde l'extraie sans doute déjà." absout le sergent comme s'il savait pourquoi.

Alors le jokaero pousse la grille trifilaire de la cellule comme si elle n'était qu'une porte de convenance.

Lore Balckburn, seigneur-inquisiteur joué par la marche orientale, a déjà lâché le micro.



Aller plus loin avec le post :

> Vouge de Ciennes : le croiseur de classe Dauntless <i>Ciennes</i>, mis hors de combat de l'intérieur, en 97 minutes, par une téléportation en chapelet permise par un seul passage en rive de deux Shadow lors de la bataille de Merkal II (Ult.Seg.), sert depuis de référence à la Flotte pour cette forme d'abordage eldar rarissime, dans laquelle les reflets Warp de l'équipage humain parachèvent la quatrangulation nécessaire à la gestion des risques inouïes, mais rémunérateurs, de ce type d'opération a-priori suicidaire. L'Ordo Xenos de Talasa Prime en a toujours soupçonné l'Aspect de prophètes spécialisés. Archives d'instruction de Kar Duniash, 326M37.

*Traduit du gothique Imbecile.

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<b>37. Evacuation</b>



-"Secousse voltaïque 16, dérivée. Amplitude rémanente. Démembrement structurel en continu large. Double-quote..."

Les serfs de passerelle semblent psalmodier.

Pourtant l'<i>Imprematur</i>, vaisseau-amiral de la Croisade Black Templar et de toute la flotte arrachée à Eb et à Algr, se délite, se disperse.

La joue et l'arcade crevassées que perce un bionique d'argent se tournent vers son sénéchal, souhaitent briser la rêverie qui a emporté Rudd depuis quelques minutes. Le Premier Croisé est tout entier bercé par la désagrégation d'un des deux Void Stalker qu'un timonier aimable à ramené sous l'arc brisé de la grande baie de la passerelle. Ce que contemple Rudd est réel, non-interfacé par l'un des rites de la Machine. Les artilleurs de l'<i>Imprematur</i>, il voudrait les agenouiller devant lui pour les draper du pourpre et du blanc des purs.

- "Double-quote, Frère-Sénéchal, nous allons virer..."

Rudd revient vers les cloques asséchées qui ont blanchi l'oeil ionisé de son capitaine de pont.

- "Intrusion ?"

- "Trois points, Frère-Sénéchal, peut-être quatre. Les xénos sont en nous."

- "Qu'importe, Frères. Qu'importe." n'en pense-t-il pas un mot. Si les organes vitaux demeurent, l'<i>Imprematur</i> est gagné par son sursis. Même annoncée, même mesurée par Augusta Drix, par l'Alliée, la contraction de ces eldars n'aura jamais été si proche. Et de ces frères précieux, marines dispersés dans les cargos arraisonnés, Rudd ne veut compter ceux que les trop rapides <i>shadows</i> ont privé du moment. "Jamais, tous ne peuvent être préservés." comprennent-ils tous, sur la passerelle, comme une annonce. "Complémentez, maintenant." adresse Rudd aux serfs.


Mohkc a levé les mains, mais le garde-fantôme n'a rien dit. <i>Venu comme les passeurs de notre rouquine, venu par l'Urne.</i> Mohkc a trop servi Thalasa Prime, trop servi les inquisiteurs de l'Orient en impétrant d'un mystère qui ne lui serait jamais accordé. Pas comme son matelot, dont le garde-fantôme a déjà oublié le cadavre malingre et le réflexe irréfléchi, culturel, qui a voulu le défendre de l'âme jaillie. D'un regard, d'un non, Mohkc est parvenu à éduquer les autres, tous ceux qui sont accourus, captés par la résonance d'une armure énergétique tombant sur un sursol de grille. Ou suivant désarmés le carnage du guerrier infiltré. Ils sont là maintenant, ils attendent, jusque dans la coursive basse. Même la vigie s'est déjà habituée à la présence cyclique du Shadow qui surveille le <i>Comrade</i> mais ne lui tire pas dessus, que seul Mokhc a reconnu quand on lui en a indiqué le tonnage exact. <i>L'Aihpos !</i> On pourrait croire que la garnison a simplement changé de forme.

Mais le garde-fantôme n'est qu'un veilleur, la pièce périphérique d'une conflagration en expansion.

- "Complémentation Warp." secoue le vocalisateur caverneux relié à la Cabine Interdite du <i>Comrade</i>. "Coordonnées synergiques. Origine décastée. Urgence, appareillage d'urgence. Endochoeur à confirmation."

Mohkc regarde l'armure eldar, cherche sa vie dans la courbe lisse de son crâne-tombeau. L'âme invisible accorde d'un signe de casque.

- "Origine, Navigateur ?!" se rélève le Pacha du <i>Comrade</i>.

De son sanctuaire, l'ermite n'est plus le mutant complice de son corsaire de capitaine.

- "Imprematur, Libre-Capitaine. Médiation télétypée code Mortis à sanction immédiate. Je n'ai pas le choix, Libre-Cap..."
<i>Un saut Warp collectif ! Un saut de flotte, ordonné par un télécryptage antique de vassalisation ! En pleine bata...</i>

- "Accrochez-vous !!!" hurlent hommes et réfugiés jusqu'à la cambuse.


Sous les crémaillères rompues attend une escouade décharnée, son intrusion contrée sur des mètres et des mètres, assiégée entre chaque étage, criblée à chaque croisement de coursives. Les deux gardes-fantômes ont dans leurs gantelets gauches plus de pierres-esprits qu'ils n'en sauront évader, ou même cacher derrière un tuyau, sous le rebord d'un caniveau de plastacier, puisque la destruction de ce crachat métallique ne peut aujourd'hui avoir lieu, réjouir la Mer des Etoiles, <i>notre mer</i>. Les mon-keighs n'avaient pas l'armure des Araignées Spectrales, mais ils étaient bien plus nombreux, signalaient la cible, l'une des zones les plus peuplées du grand navire impérial. Ils se sont jetés contre leur mort, juste pour l'empêcher de progresser. La chair opaline des Derniers d'Eldanesh n'a pas résisté à cette résistance d'anticorps, l'Aspect qui sauvegarde n'a pas sauvegardé, la téléportation d'esquive non plus. Seule la moëlle spectrale des Habités... Les morts se sont rassemblés dans les paumes des déjà-morts.

Derrière le paquetage dorsal d'un second space marine, Lore Blackburn repère le bolter du premier qu'un tir de canon fantôme a soudain privé de torse. L'inquisiteur déchu a les aisselles coupées par les sangles du scaphandre léger, le visage compressé par le sous-masque respiratoire, ses tympans sont deux tisons qu'il voudrait ôter des os de son crâne. Les sons ne l'entourent plus, il ne peut plus rien en faire, ni questionner, ni ordonner, ni se dépendre de la garce fatale qui a corrompu l'élite de son armée privée, de son influence dans l'Ultima Segmentum. <i>Magos putrides tenus par leurs échardes de métal ! Je ne suis plus rien !</i> Ses gardes du corps, il ne les entend pas. Que l'air sifflant de la décompression partielle. L'atmosphère artificielle qui s'étiole, renversée par d'autres gaz. Humble est son escorte. La sienne, ou celle du singe savant ? Contre eux, séparés de quelques cabines, une part de l'<i>Imprematur</i> brûle, ronfle d'accourants incendies. Et le space marine le pousse, l'enjoint à reculer tandis que lui et ses frères d'épées bloquent ici les abordeurs. Reculer. Les portes sont là-bas, dépassées si vite pour placer l'escorte entre elles et les deux mannequins eldars, profiter de la chance, des secondes. D'un brutal galop à quatre pattes, le magos retourne sur leurs pas, sa course désalignée par les vents brutaux et erratiques de la décompression qui déforment les parois du couloir.
<i>MES appartements, Magos !</i>, Lore le poursuit-il.


- "Deux silences cadres, Maître de pont : navires civils, déclarés pertes sans destruction."

- "Je reprends à moi : tous les choeurs navigants sauf deux en attente. Il ne vous reste qu'à ordonner par les mots, Frère-Sénéchal."

- "Oui, Frère-Capitaine. Les mots." <i>Les mots qui animeront au plus profond de notre navire.</i>


Ses larmes évacuent le découragement et la faiblesse. Sophia Carillon pleure, se concentre, écoute le grésillement de ses liens léchés par les flammes du peu de combustible qu'il lui reste, tenu près de ses mains à bout de pensées. Les lasers ont cautérisé leurs offenses, mais sous la peau ainsi rapiécée l'hémorragie s'étend, les tissus s'épanchent, accélèrent la coulée du temps. <i>Mon urne...</i> Elle y a souvent songé, domestiqué sa fin, aspirante-inquisitrice éduquée au baume de l'îlot des tombeaux de Talasa Prime. <i>Mon Urne...</i> Est-ce cela, mourir : décevoir ? << Chaque marée recouvre l'îlot, entraîne un peu de ceux qui y reposent.>> Ian-Alec aime tant cet îlot, tant en parler : << Regardez-le, cet îlot, écoutez votre coeur ; chaque battement entraîne un peu de ce qui y repose, jusqu'à l'horizon.>> Toujours chercher l'horizon. Où est la limite ? Y a-t-il une limite ? Une limite à la mutation psychique des humains ? <i>Si ce n'est la Machine ?!</i>

Dans son cri, Sophia y a perdu beaucoup de la peau et de la chair de ses poignets, cisaillés par les ligatures que les flammes n'ont su consumer. Mais elle est libre.
<i>Ma mère craignait de mourir couchée sous la bave d'un prélat !</i> se mord-t-elle les dents sur sa douleur. <i>L'horizon n'existe que parce que je le vois !</i> se relève-t-elle en ramassant gauchement les armes de l'acolyte.

Masqué par l'ampleur de sa bure (il n'a même pas voulu d'un respirateur), le jokaero a déverrouillé les vantaux des appartements de l'inquisiteur comme on évince sans s'en distraire une mouche de son visage. Pour l'y suivre plus vite, Lore n'a pas saisi le bolter, conscient que l'escorte a préféré retourner l'un des siens pour le maintenir dans leur "protection".

Illuminant la pénombre paradoxale des habituelles appliques ténues du couloir, les vantaux s'entrouvrent en une rai solaire par laquelle fuient aussi l'atmosphère, les fluides et les parchemins du passé récent du seigneur-inquisiteur Blackburn. Mais les portes révèlent aussitôt, dans l'emballement du moteur de coulisse, des galets déplacés, une déformation peinant à re-glisser le métal dans son étui mural. Fente trop lente à s'élargir, que voudrait accélérer le magos aux mains poilues. Fente suffisante, par laquelle Sophia dessine de sang, de mottes de chair soufflées par l'échauffement subi de ses liquides internes, la bure déjà rouge et maintenant déchiquetée. Un instant retenu par ses doigts crochetés sur les portes, Estrede col Caudine, Magos-Héritier de la plus pénétrante ingénieure de l'Adeptus Mechanicus, Promis de la Sorcière Rouge, meurt dans les bras d'une blatte ratée, tout près de la vapeur moléculaire d'un exarque qui doit le nom de son Aspect aux minuscules garants d'une immunité en déchéance.

- "Deuxième intrusion, six heures !" alerte le "protecteur" de Blackburn dans la libération réflexe de ses bolts.

D'une de ses lames, l'exarque a ravagé la gorge du jokaero jusqu'à en emporter l'arcade sourciliaire de Lore derrière lui. De l'autre, il a creusé le biceps de l'inquisiteur pour en enfoncer la pointe jusqu'aux côtes de l'humain. Le bolt qui explose dans l'épaule du magos achève de séparer le cadavre simiesque de Blackburn dans une gerbe sanglante, bruine volage qui se confond avec celle puisée dans la cuisse de l'exarque, de son souvenir.

Chancelant, l'eldar réapparaît aussitôt six mètres plus loin, mais seule Sophia en témoigne, n'a même pas le temps de diriger son pistolet vers lui. Ouvrant les bras, d'un bond il l'enserre contre son armure, son casque égouttant des sangs que le combat a mêlé.


- "Dérégulation des contrôles axiaux. Urgence. Rétablissement en perte..."

- "Réplication des coordonnées en attente. Complémentation en attente. Tercio, deuxio..."

- "A votre ordre, Frère-Sénéchal."

- "Par l'acné ensanglanté de l'Empereur, Frères ! Omnia vinct Machina !"

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<b>38. L'aube septime</b>



Mokhc a fait grossièrement nettoyer cette cale, ces panneaux et ces coursives de ceux que le garde-fantôme a enfoncé dans sa course. Ils refroidissent désormais, cendres anonymes dans une coulée de déjection du réacteur auxiliaire du <i>Comrade</i>.

En reprenant ce chemin peint du sang des innocents, réoccupé aussitôt par des survivants pressés de lutter contre le confinement, Mokhc constate qu'il y aura toujours plus d'occasions de les tuer que de réfugiés d'Algr, <i>même à ce bord</i>. Chacun sa Charte. Sensible aux courants du Warp qui éprouvent maintenant sa coque comme l'éprouvette l'imposerait à un bouchon trop large, le <i>Comrade</i> s'étire vers la destination imposée par l'<i>Imprematur</i>. Capricieuse flottille que cette grappe asservie par le navire-sénéchal vers des coordonnées connues de son maître seul. Curieuse Route qui laissa là-bas les eldars lorsqu'ils pensaient forcer l'agonie des ravisseurs de Carillon.

Mokhc a toujours détesté ses Navigateurs, sa dépendance envers eux. Avec assez de mépris :

- "Trinocle ?!" a-t-il ordonné à l'actuel occupant du sanctuaire.

- "Par tous mes voeux de vérité, Libre-Capitaine, je ne sais pas où nous allons !"


Le sergent l'a maintenant emmené au bord de l'immense pont plat du <i>ASS Stormlaw</i>, à l'écart de la zone de regroupement. Malgré qu'il fut soumis au réflexe contraire qu'apporte toujours la seule situation d'une position hiérarchique plus élevée, le frère-capitaine Spa y a d'abord renâclé, mais de la façon gauche d'un étranger confronté à une nouvelle situation anxiogène. <i>Ils m'ont salué... Plus martiaux que la Première Compagnie des Scythes ! Plus confiants...</i>
<i>Leur dire. Trouver un délai...</i>

La peur.

Mais comment dire à ces rangs que l'on a dû passer en revue sitôt sauté du landspeeder qu'on a moins peur de la mission, jusqu'à en ignorer même la teneur et s'en fiche, que de soi-même ?
<i>Brinquebalé... N'avoir pas su mourir sur Eb, sur Sy'L'Kell...</i>

- "Le Kan-Earl Fitz-Osbern m'a prévenu de votre arrivé, Daïmo Spa d'Irae."

Du regard qu'il veut pour Spa seul, le sergent du chapitre Sand Wolves l'observe en silence enregistrer ce curieux grade, signifie que son appréhension n'a pas, ici, maintenant, plus d'importance que la composition de la troupe, le nom de code de l'opération. Actionnant rapidement la pompe à main du pulvérisateur, il achève de peindre l'armure énergétique du nouvel officier d'Irae malgré le vent qui stratifie la pénétration des pigments dans la céramite. Parce qu'il faut un chef, que le chef peut ne pas se sentir à sa place mais ne doit pas le montrer.

Inattendue tolérance que celle qu'accompagne la perspicacité de ce sergent primaris, vétéran évident de l'aventure ambrienne.

Oui, le Kan-Sergent Subulo aura sans doute tout le temps de briefer le nouveau "daïmo" de ce que l'Inquisition, et finalement tout le Contre-Empire de celle-ci, attend de lui, attend de Spa. <i>Redresser les épaules, redresser le menton.</i> Retrouver ce regard, ce cerveau lessivé, appréhender les hommes comme un bolter qui se prolonge de son guerrier. <i>J'ai accepté. J'ai accepté de Pater Nostra. J'ai accepté de Fitz-Osbern. J'ai accepté de Carillon. J'ai accepté.</i> Sur l'épaulière gauche, la désormais armoirie personnelle d'un Loup-à-la-faux, sur la droite... l'incongru symbole xénos d'un nouveau Sept, traduction pictographique tau d'Ambra Septime.

Au centre de la zone de regroupement, les trois conseillers space marines qui observent de loin, dans un silence presque religieux, cette intronisation colorée ont comme Spa l'armure sable et pourpre et les marquages blancs, mais bien de détails informent Spa quant à l'avance prise sur leur impromptu commandant : ils gueulent tau, en portent le sabre long et le couteau droit rituel, la carabine ou le fusil à impulsion, les prothèses inconnues fixées sur leurs armures, fixées pour rester ; et ils respectent visiblement leurs petits soldats à peau bleue plus qu'ils ne le feraient de gardes impériaux. Nouveau monde qu'Ambra Prima.

- "Essayez votre casque, Daïmo." préconise le sergent.

Spa accepte ce qu'il prend pour un prétexte à masquer les conséquences visibles de ses inspections, visuelle et intérieure.

Sur le tarmac de l'<i>ASS Stormlaw</i> s'alignent les devilfishs et les rangs des guerriers de feu, bourdonnent les drones et les moteurs des exoarmures de ces impassibles mercenaires sans nez, introvertis colons taus achetés sur une frontière lointaine et sous le pavillon de <i>l'Irredente</i> par les inquisiteurs-négociants de l'Orbe Bronze pour en repousser une autre, bien plus proche : Ambra Septime. Sitôt qu'il s'est coiffé du casque, Spa subit cette voix, la synthèse de l'opération, ses ordres, et la punition collective qui en soldera l'échec.

Ambigu Ta'lissera que l'opération Irae, croisant deux ennemis pour en vaincre un troisième, comme un prix de défiance partagée, le coût d'un test entre deux fauves.
<i>Unis seulement par la folie de l'Orient !</i>

Durant tout ce briefing audio, Spa n'a pas dit un mot, mais en ôtant son casque il adresse un regard durci au sommet du château du <i>Stormlaw</i>.

- "Vous savez comment ils combattent." conforte à nouveau le sergent en couvrant de blanc le casque de Spa.
<i>Oui, je ne le sais que trop...</i>

"ça ne s'oublie pas, n'est-ce pas ?" murmure-t-il en sous-off' complice.

Gêné, l'ex-Scythe respire un peu plus fort.

"Notre chair se souvient mieux de ce qu'il y a à savoir pour les commander, Kan-Daïmo Spa."

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<b>39. Sa Dame</b>



En approchant de cette fichue cabine, qu'auprès de son équipage Mokhc a fini par entourer de sentences ailleurs réservées aux reliquaires, le chartiste n'est pas plus surpris du garde-fantôme en sentinelle que de s'y constater plus pratiquant qu'un fromage adorant les pis d'une brebis. <i>Allez, graissons*.</i> se signe-t-il aussi d'un aigle sur la poitrine comme s'il allait pénétrer la salle du Trône d'Or, <i>car Tu as beau être le plus grand naufragor depuis dix mille ans, Tu en a quand même accordé à certains bien plus qu'à tous les autres, Récif !</i>

A l'ombre du grand corps rayé de la pierre-esprit (le reflet de l'ampoule électrique sur la plus grosse gemme a pour Mokhc le mouvement d'une pupille suiveuse), il attend que la voix du miracle lui autorise l'entrée. Trouver Sophia trempée et à peine drapée devisant avec un exarque presque aussi nu, à la cuisse blême perlée de rubis, mais encore crasseux des suies de bataille, provoque à nouveau en lui un étrange relent de vénération enfantine.
<i>Au moins, elle n'a pas partagé les mosaïques de Saph avec lui</i> se méprise Mokhc. Car plus rien ne peut le surprendre.
<i>Réapparus au même endroit, exactement sous les mêmes cm² de plafond que le garde-fantôme plié en foetus. La pesanteur du </i>Comrade<i> l'a fait chuter sur une réfugiée d'Algr et ses deux enfants. Leur chute à eux y a ainsi gagné. Morte au nègre de l'Inquisition et aux templiers arraisonneurs de cargos, née à nouveau à nous dans le sang d'une mère.</i>

En un eldar approximatif, Sophia tente de présenter leur hôte au visage fermé, presque triste, du guerrier de Iyanden. Certes hautaine, la moue de compréhension de l'eldar ne confirme que l'inutilité lasse de cette information, mais l'invitation de l'humaine à au moins purifier le corps par la vapeur rassérène Mokhc quant à la confiance accordée par l'inquisitrice à son inexplicable sauveteur. Le guerrier-Aspect va entrer dans la colonne thermique condamnée qui sert, sur le <i>Comrade</i>, de sauna de transit à Carillon lorsqu'une question du Libre-Capitaine semble le retenir.

- "Vous parvenez à converser avec lui, Inquisitrice ?"

- "Il y a d'autres langages que la parole, Libre-Capitaine Mokhc :", ne veut avouer la polyglotte tandis qu'elle sort son armure h-t-e d'une cantine cadenassée, "même un xénos ne retire pas son armure en territoire hostile. Non, Mokhc, je suis sûr qu'il a rempli sa mission -elle était de me ramener ici et s'arrêtait à ça- mais qu'il y a perdu bien des siens. Un ork n'aurait pas besoin de ce deuil. Moi, j'ai préféré jusqu'à présent le lui laisser. Et je suis sûre qu'il n'en a pas profité pour fouiller mes poches ; ce n'est pas un pirate, Mokhc, mais un guerrier."
<i>A traiter comme un noble, donc.</i> hoche l'officier de marine Mokhc de la tête. <i>Un otage.</i> se reprend-t-il. <i>Un mercenaire de l'Urne ?</i>

- "Mokhc !"

- "Hmm ?"

- "Tournez-vous, il faut que je m'habille."

- "Et ce xénos, vous ne lui demandez pas de..." se détourne-til de mauvais gré du corps entraperçu, dédrapé pendant qu'il pensait, dont la peau naturellement blanche n'a rien à voir avec le squame dépigmenté des marins <i>mais tant avec la statue peinte de "La Martyre arrachée au démon du lucre" dans la chapelle aux naufragés de Port-Rouille.</i> Crise de religion, encore ? <i>Le fidèle a deux mains, l'idolâtre n'en a qu'une, je vous y prends encore, enfant Mokhc !</i>

- "Il a déjà vu mon âme, Mokhc, puiqu'il a failli se sacrifier pour elle." se moque Sophia. "Et je ne crois pas, surtout, que ça l'intéresse autant que vous."

Le rire soudain de l'eldar surprend les deux humains, retourne Mokhc qui en accepte mal l'empathie immédiate, la contagion presque irrépressible.

Pourtant, une élégante humilité transpire de la posture racée de l'exarque. Par elle, il n'est presque plus qu'un camarade plus âgé, délivrant au pied du sauna, pour lui-même autant que pour l'auditoire intime, le soulagement enfin accepté d'être encore en vie.

- "Parmi ceux de ma race, certains savent voir loin, Belle-Cloche, voici pour le sacrifice." Au bas gothique quasi sans accent, comme à l'allusion, Sophia opine du chef, remercie plus gravement. "Pour le reste," poursuit l'Aspect à l'adresse des deux humains, "j'ai suivi bien des Voies ; elles ont su conforter mes choix, m'enseigner le plaisir d'en goûter d'autres, comme le respect dû à l'épouse défunte, la force de toujours vouloir la retrouver dans le coeur-jardin de notre vaisseau-monde. Voici pour mon seul intérêt."

Aux yeux ronds de Mokhc, à l'effondrement partiel de sa xénophobie conditionnée, Sophia comprend que c'est à elle de parler, de prévenir une réaction inappropriée, inéduquée du chartiste.

- "Même nous, humains, avons du respect pour nos morts, et parfois même de la fidélité pour ceux que nous avons aimé malgré la guerre et le destin qu'elle impose. Je ne sais pour qui vous avez agi, mais je vous suis désormais obligée d'une vie." appuie-t-elle du menton sur la gorge. "Et le Libre-Capitaine Mokhc aussi."

- "Quoi ?! Que.. Euh, oui, Inquisitrice." accepte benoîtement Mokhc, sans retenue apparente.

- "Les Passeurs qui m'ont envoyé l'entendaient bien ainsi, mon-kheigs. Ils ne se sont donc pas trompés. En vous, Cheveux de sang, le Dameur a élu sa nuit, et nous l'a confié. J'ai peine à le croire, encore plus à le comprendre, mais les nuits se partagent."

- "Elles sont le bain des ombres. Chacune d'elles attend quelqu'un, lui donne la force de revenir s'y apurer." convient Sophia avec compassion, expérience peut-être, ou simple souci du double langage.

L'eldar baisse les yeux, soupire avec un petit rire.

- "Oui, pour beaucoup, ils n'ont plus que des ombres pour faire le compte de leurs actes." confirme-t-il en pénétrant dans la colonne de vapeur. "Mais pour ce qui me concerne", conclut l'eldar avant d'en refermer l'écoutille rouillée, "j'ai la chance que ma propre épouse soit derrière la porte de votre cabine. Heureux de vous avoir permis d'admirer la plus belle <i>nocte</i> de votre race, Libre-Capitaine Mokhc."

Se réalisant enfin dans son plus simple appareil, Sophia hésite maintenant à le cacher.

- "Sortez, Mokhc !" intime-t-elle finalement avec un sourire de concession. "Nous travaillerons plus tard à cette échappée Warp dans laquelle Blackburn et ses marines nous isolent à présent, dans 15 minutes, dans votre carré."

- "A vos ordres, Inquisitrice." rallonge-t-il l'instant d'un salut presque réglementaire, d'un regard qu'il souhaitait gourmand mais qui se conclue pudique.

"Ma Dame." Sophia l'entend encore s'incliner machinalement devant le garde-fantôme. Ton bizarre de sa voix. <i>Par les vingt panaris de l'Empereur, Mokhc, non...</i>

Elle doit penser vers lui une introspection, vite, vérifier si son respect apparent du xénos, inattendu vraiment, n'est pas la feinte d'un vieux loup de mer impérial. <i>Rehausser la garde, même s'il ne le mérite sans doute pas.</i>

Ce qu'elle surprend dans l'esprit déjà lointain du chartiste...
<i>Belle Cloche, Mokhc. Il m'a appelé Belle Cloche, pas belles loches !</i> s'esclaffe-t-elle en bénissant celui qui est finalement devenu <i>son</i> Chaud Pacha*.



Allez plus loin avec le post :

> Allons graisser : jargon de la marine marchande de l'Imperium, faisant allusion à "Allegresso corbita" (en réalité <i>prosua alacritas navigare et tractare</i> dans le Codex Mercator Imperatorius), soit "naviguons et commerçons dans l'allégresse (sur les mers de l'Empereur)". Dans leur gothique de cuisine à destination des matelots, les officiants issus de l'Ecole de Prêche de Kar Duniash finissent souvent leurs sermons par cette phrase, afin peut-être de contredire les conclusions des statistiques accidentogènes de l'Officio Munitorum attachées au co-ressources ecclésiastiques de la Sous-Flotte des libres-chartés : qui s'éloigne au plus loin du port rejoint plus vite l'Empereur son dieu.

> Chaud Pacha : sans doute originaire de Kar Duniash, l'historiette est ancienne, pour ne pas dire commune, et il n'est pas surprenant que sur Avnore III, la mère de Sophia la lui récitait enfant : <i>Don qui rote et sang-chaud Pacha</i> décrit les aventures dérisoires d'un flibustier du Haut-Imperium, plus mécanicien que capitaine, incapable, en raison d'une panne inexpliquée de ses rétroacteurs avants, d'accoster son classe lave-hublots à un gigantesque vaisseau de la Grande Croisade.

Si l'arrière-plan du terrorisme post-installation impériale dans l'Ultima Segmentum est évident, quand Kar Duniash fut élevé capitale avec pour mission la mise en règle des quadrants (l'accostage a pour but d'offrir un don qui rote -une grenade gastroentéritique- aux nouveaux maîtres des "retrouvés"), ce conte oral amuse par l'ingéniosité bourrue du pacha surtout quand, constatant que d'un bout à l'autre de l'amarre on ne se comprend plus, le flibustier refuse d'oindre sa ferraille et préfère les étoiles sauvages aux prêtres rouges, quitte à chercher sans fin ces moulins avants qui lui permettront, un jour, de revenir au port.

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