[By REH !] Howard : moderne incompris ou vilain sexiste ?

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Le 16/03/2018 à 07:38, latribuneludique a dit :




C'est quoi le REH ? Quant aux poncifs, je te rassure, c'est mûrement réfléchi et c'est bien après avoir relu le dernier recueil paru. Passe en MP si tu souhaites en discuter (je dis bien discuter).




 




Pourquoi passer en MP ? Ma réponse n’était pas plus agressive que ton assertion péremptoire et non fondée.




 




 




Certes, certains textes de Howard contiennent des saillies racistes ou véhiculent des images de "femmes objets" peu glorieuses, mais cela condamne-t-il pour autant l’ensemble de son œuvre ? Contrairement à ce que tu dis, il n’est pas impossible de lire REH parce qu’il y en aurait à tous les coins de page. Affirmer cela c’est tout simplement mentir...ou ne pas avoir lu les textes.




 




 




- En ce qui concerne le sexisme et la misogynie supposée de Robert E. Howard, on peut démarrer en expliquant qu’il était un homme de son temps et envisageait la femme plutôt au foyer et entretenue par son mari, en conformité avec les codes de l’époque, rien de plus. Pour autant, il a eu une relation tumultueuse avec Novalyne Price, une femme qui manifestement l’impressionnait. Enseignante aspirant à devenir écrivain, elle était une intellectuelle au caractère bien trempé et ne répondait, finalement, que peu aux critères d’une épouse modèle qui serait restée cantonnée aux tâches domestiques ou à s’occuper des enfants.




 




Alors pourquoi aujourd’hui les gens pensent encore que REH était sexiste et misogyne ?




 




Si Robert E. Howard est en partie responsable de cette idée véhiculée par l’imagerie populaire, ce sont bien les pasticheurs ; les illustrateurs comme Frazetta et la firme de comics Marvel qui ont contribué à populariser cette image.




 




Non, Conan de passe pas son temps à sauver des femmes lascives et dénudées. Certes, Howard introduisit dans certaines de ses nouvelles consacrées à Conan de « faibles » femmes destinées à être capturées, puis délivrées ; mais ceci fut la conséquence d’une période où il se trouva sans autre débouché financier que le pulp magazine Weird Tales, comme l’ont très bien démontré les travaux de Patrice Louinet. Ces « femmes objets » se trouvent ainsi dans les nouvelles les plus commerciales de Conan (qui sont d’ailleurs, très souvent, les moins bonnes), et répondaient parfaitement aux clichés en vigueur dans les récits d’aventure à cette époque. Howard n’ayant rien inventé de ce côté là. Ces nouvelles ne sont pour autant absolument pas représentatives de l’ensemble de son œuvre.




 




Dès que sa situation financière se stabilisa, Howard réintroduisit des personnages féminins bien plus travaillés et des héroïnes de caractère : Atali est une déesse, Bêlit une capitaine pirate à l’aura presque surnaturelle qui "domine" littéralement ses sujets, Valeria, une bretteuse redoutable que Conan n'affronte pas, tout en admiration devant elle. Gitara, l'espionne qui impose ses vues à son amant. Yasmina, intelligente souveraine d'un puissant pays, Zenobia, esclave risquant sa vie pour le Cimmérien ou encore la sorcière Zelata, porteuse des aspects initiatiques d’une des quête de Conan. Aucune d'elles n'est lascive ou vagissante. Et que dire de Salomé, qui ne recule devant rien pour le pouvoir, mais n'ayant pas la force brute des hommes, elle utilise les armes à sa disposition pour parvenir à ses fins : ses charmes et la sorcellerie. D'ailleurs, pourquoi personne n'évoque jamais toutes ces "femmes fortes" que REH a créées ? Ou celles qui ne font par partie des nouvelles de Conan comme Agnès de Chastillon ou Sonya de Rogatino ?




 




Ce qui est le plus regrettable, c’est que l’imagerie populaire s’est emparée de cette image du guerrier bourrin et bodybuildé avec une (des!) femme(s) à ses pieds. Image tout droit issue des pastiches de Conan qui étaient systématiquement pompés sur les plus mauvaises nouvelles du Texan, personne n’ayant jamais pu reproduire ses meilleurs textes (d’ailleurs dénués de « sauvetage de princesse »). Puis les peintures de Frazetta et les comics (remember Red Sonja et son chainmail bikini ?) en ont remis une couche pour arriver jusqu’à ce stéréotype de jeu de rôle qu’est le barbare en pagne et sous stéroïdes avec 2 de QI, mais qui fait se pâmer toutes les demoiselles en détresse du quartier. Et je ne parle même pas des films, où n’apparait JAMAIS le personnage tel que l’a conçu Howard.




 




Pour en terminer sur le sexisme supposé de REH, on pourrait même aller dans un sens opposé et oser dire qu’il a infléchi sa position initiale de macho en osant se montrer progressiste. Avec Agnès la Noire (Sword Woman en VO) REH s'est dit un jour qu'il pouvait créer un personnage féminin du même acabit que ses personnages masculins et a créé la furieuse Agnès de Chastillon qui envoie littéralement chier sa condition d’origine (femme pauvre promise à un homme qu’elle n’a pas choisi) et le monde dans lequel elle vit (pseudo-France du XVIème siècle) en bottant le cul de tous les hommes qu'elle rencontre ! 




Résultat ? Aucun éditeur n' a jamais voulu de ce récit à la première personne (plutôt rare chez Howard), obligeant REH à infléchir son point de vue dans ses textes suivants et finalement à vite laisser tomber ce personnage invendable (suffit de lire les aventures de Jirel de Joiry de C.L. Moore pour voir qu'un gouffre sépare les deux personnages).




 




 




- En ce qui concerne le racisme, il ne fait aucun doute que Robert E. Howard était raciste.




 




Première preuve factuelle : il était un Texan vivant dans les années 20-30, et il était indéniablement raciste comme sans doute la majorité des Américains blancs de cette époque (et peut être plus encore les habitants du sud des Etats-Unis), imprégnés des thèses du darwinisme social qui instaurait une classification entre les races et la supériorité de l’homme blanc sur les autres races. REH était donc le produit de son époque, mais n’était pas pour autant un théoricien ou un raciste haineux (car être raciste, ne signifie pas pour autant vivre dans la haine de personnes qu’on considère pourtant comme inférieures).




 




La seconde preuve factuelle est que dans les années 1920- 1930, la fiction (et surtout dans les pulp magazines) faisaient amplement usage de stéréotypes qui nous semblent aujourd’hui monstrueusement racistes, mais qui, selon les standards de l’époque, étaient considérés comme parfaitement acceptables : dans les pulps, les Noirs étaient systématiquement décrits comme des sauvages frustes et peureux (ou violents et cannibales !) et les Asiatiques comme des manipulateurs fourbes et cruels : ces clichés font partie des conventions obligatoires du genre, au même titre que la demoiselle en détresse ou la femme fatale. Personne n’y retrouvant à redire, pas plus les éditeurs que les lecteurs.




 




Si, effectivement, Howard tient parfois des propos devenus choquants aujourd’hui (cf. par exemple la nouvelle « Des ailes dans la nuit »), c’est parce qu’il reproduit dans ses textes ce racisme ordinaire, « scientifique » avec lequel il a grandi et vivait. Et, s’il ne s’est jamais complètement débarrassé de ce genre de clichés, il a également été capable de mettre ses propres préjugés de côté et de faire évoluer sa pensée. Je te renvoie pour cela aux travaux de P. Louinet qui explique tout cela bien mieux que moi en ce qui concerne le glissement de pensée de REH de la classique et darwinienne opposition entre race blanche et autres races à une opposition entre « civilisés » et « barbares ».




 




Je cède ensuite volontiers à la parole à des gens qui ont bien plus étudiés la question que moi :




 




Olivier Legrand à propos de Solomon Kane :




"Howard ou Burroughs, écrivent dans un monde où, au moins depuis Hegel, l’Afrique est une terre « sans Histoire », régie par les forces primordiales de la nature, habitée par un peuple « sans Esprit », entièrement dominé par l’instinct. La vision howardienne de l’Afrique comme une terre de sauvagerie ténébreuse et de forces mystérieuses se situe donc dans le prolongement direct de plusieurs décennies de littérature d’aventure, mais aussi de plusieurs siècles de pensée occidentale. Cela dit, il serait aussi facile qu’injuste d’attribuer cette vision indéniablement raciste de l’Afrique au seul champ de la « littérature populaire » de l’époque, puisque nous la retrouvons également dans tous les domaines de la pensée occidentale, y compris celui des sciences humaines.




 




Les rapports qu’entretient Kane avec les Africains (et avec l’Afrique elle-même) sont en fait beaucoup plus complexes : contrairement aux héros typiques de l’ère coloniale, Kane ne se comporte absolument pas en civilisateur, ni même en missionnaire. A l’inverse, l’Afrique exerce sur lui une attraction presque surnaturelle, réveillant ses instincts les plus sauvages et le poussant à remettre en cause sa foi et ses certitudes pour finalement prendre conscience de sa véritable nature et se réconcilier avec sa propre humanité. Cette dimension initiatique apparaît nettement dans l’évolution des relations entre Kane et le sorcier noir N’Longa, personnage que l’on retrouve dans plusieurs nouvelles. Lors de ses premières apparitions, « l’homme fétiche » donne l’impression d’un sorcier caricatural, s’exprimant en « petit-nègre » et vantant sans cesse sa « puissante magie ». Puis, insensiblement, le regard porté sur lui par le héros (ou par le narrateur ?) semble se débarrasser de certains préjugés : N’Longa apparaît de plus en plus comme un mentor, un sage. L’auteur nous apprend même que Kane et N’Longa sont devenus « frères de sang », un privilège que Kane n’a jamais partagé avec aucun autre être humain.




 




(…) on ne peut qu’être frappé par le contraste existant entre le comportement de Solomon Kane et les propos racistes tenus par Howard l’auteur dans d’autres nouvelles (comme par exemple « Magie Noire à Canaan », « Le Chien de la Mort » ou le court roman « L’Horreur des Abîmes »), et par Howard l’homme dans certaines de ses lettres (notamment celles qu’il échangeait avec Lovecraft, dont le racisme viscéral frôlait la pathologie)".




 




Thomas Day à propos de Conan :




"Relire « Conan » aujourd’hui, c’est un peu comme lire Tintin au Congo d’Hergé, il faut accepter que le personnage soit – doublement – le produit d’une autre époque (la sienne propre et celle de son auteur, Robert E. Howard). Avec ses Noirs cruels au comportement souvent répugnant,« La Vallée des femmes perdues » pourrait être présenté comme un texte raciste. Dans « Le Bassin de l’homme noir », les ennemis sont aussi des « sauvages », décrits proches du singe. Dans d’autres textes, on croise des Shémites au nez crochu ou des Méditerranéens à la nature fourbe… Il convient toutefois de renverser un peu le point de vue ; Conan vit à des époques où la xénophobie est la norme (où la mondialisation et la lutte pour les droits civiques n’existent évidemment pas), ce qui n’empêche pas notre barbare de coucher avec des catins noires (« La Vallée des femmes perdues »), de vivre un amour surnaturel avec une Shémite, « La Reine de la côte noire », etc".




 




Patrice Louinet :




Je trouve qu’il est toujours très con de vouloir poser des étiquettes modernes sur une époque révolue, mais bon... Howard vivait dans le Texas semi-rural des années vingt et trente, et comme tous ses concitoyens ou presque, il était raciste du racisme ordinaire de l’Américain de base. Ceci dit, c’était un individu nettement plus complexe que la plupart de ses contemporains. Rappelons qu’il méprisait le fascisme et Mussolini, que son personnage le plus célèbre est un barbare basané venu critiquer les habitants des contrées indo-européennes, et que le personnage auquel il aurait aimé ressembler aurait été un Picte, c’est-à-dire, un individu mat, chétif, de très petite taille, au regard fuyant, vivant terré, et pourchassé de tous côtés. Étonnant dans ces conditions que certains s’obstinent à voir en Howard le chantre du surhomme nietzschéen alors que ses convictions philosophiques étaient diamétralement opposées... Sans doute une indigestion de Milius…


(Modification du message : 20-03-2018, 01:02 par Pallantides.)

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[By REH !] Howard : moderne incompris ou vilain sexiste ? - par Pallantides - 20-03-2018, 01:02