(04-04-2020, 19:01)Jalikoud a écrit : Sur la manière de gérer le confinement, aucune idée des répercussions psychologiques voire psychiatriques à long terme. @ Alias pourrait certainement nous donner quelques éléments.
Vaste sujet...
Les répercussions psycho-sociales sont pour certaines déjà présentes alors que d'autres sont "en construction" et se révéleront plus tard.
Avant toute chose, je rappelle que les effets psychiques du confinement sont nombreux, variés et que la tolérance de chacun influence fortement le résultat.
Voici ce qui me vient pour les personnes ne présentant pas de pathologie particulière avant le confinement :
- Réorganisation des liens sociaux. Ca paraît bête mais le confinement nous amène inconsciemment à revoir nos liens sociaux. Robert, le connard de la RH qu'on est obligé de se farcir chaque semaine en réunion, on peut désormais l'ignorer totalement voire l'oublier. Pareil pour madame Marie-Cécile, la secrétaire pénible du patron qui nous observe toujours du coin de l'oeil. Au pire, on reçoit quelques mails de sa part mais on n'a plus son oeil (de Moscou) sur le dos 8h par jour. D'un autre côté, vous avez sûrement découvert au moins une personne depuis le confinement. Quelqu'un dont vous n'étiez jusque là pas très proche mais qui finalement est très sympa. Un voisin, un collègue que vous aviez accepté sur FB pour ne pas plomber l'ambiance au boulot ou même l'épicier du coin chez qui vous ne preniez jusqu'ici que vos colis. Bref, nos liens sociaux changent. Vos vieux à qui vous téléphoniez une fois par mois, maintenant vous les appelez chaque semaine, juste pour être sûr que "çà va". Ca paraît anodin au milieu de tout le reste mais le confinement est source de profonde mutation de nos liens relationnels. Cela vaut aussi pour les couples et les relations parents-enfants. Dans certains cas le confinement va renforcer ces relations et dans d'autres mettre en pleine lumière des failles que le quotidien normal masquait.
- Modification des valeurs. Le confinement entraîne d'énormes changements dans les valeurs affichées par les gens. Je suis de gauche depuis toujours et là soudainement, on dirait que tout le monde est de gauche ou presque. Faut donner des sous aux toubibs, dépenser l'argent publique par milliards, interdire/limiter les dividendes, etc. Quand je lis que Trump va faire envoyer des chèques aux pauvres, j'ai presque du mal à y croire. Alors certes, pour beaucoup c'est une simple façade histoire d'être "dans l'air du temps" (ou parce qu'il n'y a pas d'autre solution, comme pour Trump) mais je pense que le covid-19 pourrait marquer durablement la jeune génération, celle qui justement est en pleine construction de ses valeurs. A voir à long terme et selon la durée de la crise, ce ne sera peut-être qu'un effet de mode passager.
- Les névroses augmentent fortement et sont des plus variées. Tout ce qui est troubles anxieux et phobiques font la course en tête, bien évidemment. Le covid-19, le confinement et le matraquage médiatique forment la combo ultime pour alimenter anxiété et phobies. On le voit déjà de manière "light" chez presque tout le monde : il faut penser aux gestes barrières, faire gaffe à un tas de choses, tout çà ne peut qu'alimenter l'anxiété et générer des phobies (pour la plupart temporaires). Je me suis pris moi-même à regarder un chariot de supermarché comme un objet "inquiétant". Un putain de chariot de supermarché. Et pourtant le vigie du supermarché venait de passer un coup de gel désinfectant dessus. Ma perception n'était pas rationnelle et je ne pense pas avoir un trouble pathologique mais çà en dit long sur l'ambiance générale.
- Les chiffres des dépressions devraient grimper en flèche dans l'année à venir. Mais pas tout de suite car nous sommes encore dans une période perçue comme "survie" donc le cerveau a tendance à mettre tout çà de côté pour ne pas trop gêner les fonctions et besoins primaires. Dans les 6 mois qui suivront la sortie de confinement par contre, je ne serai pas étonné de croiser un nombre impressionnant de dépressions.
- Les burn-out seront aussi de la partie. Dans les secteurs dits "essentiels" (soin, alimentation, sécurité, etc) les cadences et le contexte de travail sont ahurissants et çà ne pourra pas tenir comme çà bien longtemps. Je crains que fin avril au plus tard, ces secteurs soient face à de vraies difficultés de ce côté là. Dans les soins de santé c'est pire encore car entre le personnel malade physiquement (covid ou autre) et celui qui sera HS psychiquement, il ne restera plus assez de monde même en rameutant le ban et l'arrière-ban du secteur. Reste à espérer que les besoins aient décrus sérieusement d'ici là.
- Dans le secteur des soins de santé en particulier, il faut aussi s'attendre à des PTSD. Il y a déjà eu des suicides d'infirmières en Italie et bien que je n'ai pas les détails, un PTSD ne serait pas surprenant. Il faudra prévoir un sérieux plan de soutien et de suivi psychique du personnel médical sur les deux ans à venir.
- Les violences intra-familiales sont en hausse et plus le confinement va durer pire ce sera. J'ai un refuge pour femmes battues dans ma ville. Là ils sont saturés et un second bâtiment a été réquisitionné par la commune pour leur permettre de s'agrandir au moins temporairement. Ils ont aussi (et c'est vraiment inquiétant) des femmes qui arrivent en disant que jusque là, le conjoint n'était pas violent physiquement. Le confinement aggrave le comportement des auteurs de violence et ceux qui "se limitaient" à des violences verbales peuvent désormais en arriver à des violences physiques. Il en va de même pour les violences sexuelles entre conjoints dont les chiffres augmentent sensiblement.
Pour les patients qui présentaient des troubles psychologiques avant le covid-19, on a simplement un effet levier (le trouble pré-existant va démultiplier ce dont je viens de parler). Nous nous attendons à des décompensations importantes (suicides, agressions, etc) chez certains patients, en particulier les psychotiques. Les jeunes adultes sont "à surveiller" actuellement car le confinement pourrait donner lieu à de violentes décompensation chez des grands ados et jeunes adultes qui n'ont pas été diagnostiqués jusque là.
Pour les patients qui présentaient des troubles d'ordre psychiatrique, il y a de tout. Ceux qui sont sous médication lourde sont ceux qui s'en sortent le mieux puisqu'ils sont relativement peu ancrés dans le réel. Et pour le moment, c'est presque une bonne chose. Après, il ne faudrait pas que la situation vienne perturber le traitement (pénurie, accès pharmacie, etc) sans quoi on aura un tas de petites bombes humaines lâchées dans la nature. Mais aujourd'hui, l'inquiétude porte surtout sur les patients borderline. Comme ces patients ont déjà des relations personnelles très instables, la réorganisation des liens sociaux que j'évoquais alimente fortement leurs délires et peuvent conduire à des actes impulsifs (un autre trait majeur des borderline) tels que l'automutilation, les agressions ou le suicide.
Je suis très loin d'avoir fait le tour de la question mais en conclusion, les conséquences psychiques sont nombreuses même si actuellement je crois qu'on ne voit que la partie émergée de l'iceberg à ce niveau là.

