Se foutre sur la goule peut-il être anodin ?

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Je me permets de répondre vu que c'est un sujet auquel j'ai déjà été confronté par le passé.

Je ne sais pas si les "batailles de quotes" sont très bien vues ici, je vais donc utiliser une méthode tiers.

(24-07-2020, 19:15)Egill a écrit : Je suis plutôt du genre à fuir les conflits, à m'écraser plutôt que d'en arriver aux mains, parce que dans 99% des conflits auxquels j'ai eu affaire personnellement, c'était de la querelle d'orgueil et de fierté mal placée, et c'est à l'opposé de ma mentalité de faire mal à quelqu'un au nom de ça.

Mais en étudiant l'histoire et nombre de cultures et de civilisations à travers le monde, une réflexion qui me hante quotidiennement s'est peu à peu construite:

- Tous les goupes humains, à quelques très très rares et très très minoritaires exceptions, se sont fait la guerre, quelle que soit leur organisation sociale ou politique, et ont même créé des cultures complexes autour de la guerre. Quand on finit par écarter l'idée que tous nos ancêtres à travers la planète étaient des abrutis, y compris dans des cultures capables d'un raffinement, d'une réflexion et d'une abstraction impressionnantes, ça pose question.

- On constate que la seule façon d'instaurer une paix durable, c'est un contrôle extrêmement fort d'un Etat centralisé et très puissant. A ma connaissance, c'est arrivé deux fois en Europe, pendant l'Empire Romain, et à notre époque. Et c'est sans s'affranchir de guerres sur les frontières ou à l'extérieur.

- On constate que moins il y a d'Etat, plus la violence est endémique (c'est à dire quasi permanente, potentiellement à n'importe quel moment) mais aussi paradoxalement limitée (la violence s'exprimant régulièrement, elle reste limitée dans son ampleur et sa durée. Dans ce type de société, il n'y a pas de distinction entre civil et militaire. L'arme est d'ailleurs le symbole de l'homme libre et son port est plus ou moins généralisé.

- A contrario, plus il y a d'Etat, plus, quand la violence se déchaine, elle perd toute limite et toute modération. Les deux périodes les plus violentes de l'Histoire, c'est la conquête romaine et les guerres mondiales modernes.

J'en retire que malheureusement, liberté et sécurité, voir liberté et paix, ne vont pas ensemble, que l'un empêche l'autre. Parce que les êtres humains cherchent à se dominer entre eux. Et qu'un groupe ou un individu "libre" ne se laissera pas faire. C'était d'ailleurs exactement comme ça que les Grecs anciens concevaient l'idée de liberté: l'homme vertueux est celui qui n'accepte pas une situation qui lui parait intolérable, même si ça met sa vie ou celle de ces proches en danger. Même une société (à petite échelle j'entend) qui a décidé de vivre pacifiquement devra user de violence pour garantir sa liberté et son autonomie.... à moins de mettre en place un contrôle strict des individus et surtout de l'usage de la violence en en faisant un monopole d'Etat.

Refuser l'usage de la violence comme exclusivité étatique, c'est un point fondamental au niveau des libertés individuelles... mais c'est aussi s'exposer à un climat de violences endémiques (mais on constate que dans ce cas, la violence est tout de même encadrée et limitée, notamment par tout un tas de rites et de pratiques).

Cette idée d'équilibre entre sécurité/paix, et liberté me semble assez fondamentale dans la réflexion que l'on peut avoir sur l'organisation des sociétés humaines et la place que l'individu y tient.


- La guerre, le conflit, c'est un moyen simple, facile et pratique d'obtenir quelque chose, que ça soit purement matériel (nourriture, terres arables, minerais...), spirituel (vengeance, différences culturelles...). Je pourrais même ajouter que la guerre mise à part on pourrait aussi noter la violence "catastrophiste" qui consiste à prendre les armes pour faire monter au pouvoir une cause qu'on juge éminemment importante et pressante: les anarchistes du XIXème siècles, les communistes au XXème, les nazis et j'en passe beaucoup d'autres se sont montrés violents pour cette raison.
Je veux dire, c'est quand même sacrément plus simple de flinguer ton voisin et de récupérer ses biens que de devoir t'entendre avec lui alors qu'il ne parle pas ta langue, n'a pas tes rites, n'a pas ton idéologie et que la collaboration nécessaire à une bonne entente va demander des décennies de travail alors que le temps peut presser. Et j'oublie mille raisons qui peuvent flinguer un espoir de bonne entente.

- Ca, ça parait logique également: mets tout le monde en prison dans une petite cellule et il n'y aura plus jamais de crime. La liberté présuppose une forme d'instabilité.

- Les deux tirets suivants sont complémentaires dans la réfléxion. Plus l'Etat est organisé et présent, plus il est capable de mettre sur pieds des forces puissantes en un laps de temps court, ça c'est évident. Mais du coup il est également capable de mettre sur pieds des armées mieux formées, mieux nourries, mieux entrainées, mieux payées etc. En conséquence on arrivera à de la violence plus importante qu'avec des paysans levés à la va-vite et qui vont se barrer à la première occasion!
Je suis pas forcément d'accord sur tes choix de périodes les plus violentes cela dit.

Mais au final, cette réflexion sur la dualité liberté/autorité c'est pas très nouveau à vrai dire! Les auteurs des Lumières ont beaucoup réfléchi à ce sujet et ce qu'il implique (notamment Rousseau dans le Contrat Social). J'ai lu pas mal d'auteurs du XIXème siècles, notamment chez les libéraux (Bastiat, Tocqueville, Constant...) et les anarchistes (Bakounine, Kropotkine, Proudhon...) et leur constat est assez clair: qui veut la liberté doit renoncer à une part de sécurité et vice-versa.

Et même eux en font parfois un usage non-étatique légitime: Kropotkine il donne pas un sort enviable aux contre-révolutionnaires qui ne se soumettront pas, Bakounine est très peu clair sur le sort réservé à ceux qui refuseront l'Anarchie de bout en bout, Hoppe est loin d'être tendre avec les "communistes". En bref, vient un moment où la violence est plus rapide et facile que vouloir convertir des gens qui n'écouteront de toute façon pas.

En tout cas, pour pas faire trop long, c'est des questionnements qui sont finalement très intéressants mais pas forcément neufs à notre échelle et qui ont été très abordés ces trois derniers siècles, sous différentes formes. Peut-être faudrait-il creuser un peu plus dans ce sens?
(Modification du message : 24-07-2020, 20:21 par Llenard.)

Messages dans ce sujet
RE: Se foutre sur la goule peut-il être anodin ? - par Llenard - 24-07-2020, 20:00
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RE: Le sujet drôle et insolite - par Egill - 24-07-2020, 17:31
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