- Voilà le dernier, Sergent.
Le soldat poussa le détenu du bout du canon de son fusil laser pour qu’il s’aligne avec les huit autres hommes déjà présents. Il recula ensuite prudemment et se posta au fond de la cour intérieure de la prison, sans perdre de vue les prisonniers.
Miria scrutait minutieusement ses hommes des pieds à la tête. Ils étaient tous lourdement enchaînés mais malgré cela la jeune femme ne se sentait pas en sécurité. Elle priait pour que son manque d’assurance ne se remarque pas. La première impression était primordiale, et si elle voulait parvenir à faire de ce ramassis de criminels une escouade opérationnelle qui la suivrait au milieu des combats, elle ne pouvait pas se permettre de passer pour une bleusaille.
Mais c’était pourtant bien ce qu’elle était. Son héritage familial et ses classes ne l’avaient pas préparé à ce genre de situation.
Elle remarqua que sur les neuf hommes en ligne devant elle, cinq ne lui prêtaient aucune attention et trois affichaient des sourires lubriques en imaginant probablement ce qu’ils lui feraient subir si on leur en laissait l’occasion. Le dernier semblait fixer son attention sur les galons de la jeune femme. Miria rassembla son courage et lança :
- Garde à vous !
Sa voix était bien plus ferme et assurée qu’elle ne l’aurait imaginé, ce qui la surpris elle-même.
Mais aucun des détenus ne réagit…
- Garde à vous ! Répéta t-elle, sans plus de succès. Elle enchaîna rapidement :
- Vous avez été choisis pour rejoindre mon unité. Ensemble, je suis certaine que nous formerons très vite l’élite du 112e. Je suis ici pour vous sortir de cet endroit et faire de vous des soldats digne de ce nom !
Miria avait profité du trajet en Valkyrie pour imaginer ce discours motivant. Elle espérait faire mouche et gagner immédiatement quelques points envers ses hommes. Reprenant son souffle pour ne pas baisser le ton, elle reprit :
- Personne n’a cru en vous. Personne n’a su tirer parti de vos points forts. Je sais d’où vous venez, et je suis fière de votre héritage. Vous avez connu l’enfer, et bien nous allons apporter l’enfer au cœur des ennemis de l’Empereur ! Je me nomme Vayne. Miria Vayne. Mais pour vous ce sera Sergent Vayne ! Et je suis sûre que…
- Ça n’existe pas, coupa le prisonnier qui scrutait les galons de Miria depuis son arrivée.
L’homme avait le crâne totalement rasé. La crasse et les cicatrices qu’il arborait sur tout le visage renforçaient son allure de dur à cuire, mais son regard perçant dévoilait une intelligence au-dessus de la moyenne. Il n’avait pas parlé très fort, mais son intervention avait suffit à interrompre Miria dans sa lancée. Elle se racla la gorge avant de reprendre :
- Qu’est ce qui n’existe pas, soldat ?
La voix de la jeune femme avait perdu le peu d’autorité qu’elle était parvenue à rassembler et elle s’en rendit compte immédiatement.
- Une femme dans le 112e. Y’en a pas. Y’en a jamais eu.
Miria plissa les yeux et répondit :
- Je suis effectivement la première. C’est un honneur et vous rentrerez dans l’histoire du régiment avec moi.
- On s’en tape de vos histoires. Barrez-vous, personne ne vous suivra nul part, espèce de péta…
- Je ne vous laisse pas le choix soldat ! Hurla Miria en se rapprochant d’un pas vers le détenu. Vous allez me suivre et faire votre devoir, ou je vous laisse pourrir ici ! Je suis votre seule chance de sortir de cet endroit, de devenir quelqu’un, de servir l’Empereur et de racheter vos fautes !
Le prisonnier sourit en coin et posa les yeux sur les poings fermés de la jeune femme. Elle tremblait de rage devant son incapacité à se faire entendre.
- Rien à s’couer de vos conneries, ramenez-moi en cellule, cracha l’homme s’adressant au soldat derrière Miria.
Le jeune Sergent serra les dents et continua de se rapprocher du prisonnier.
- Vous allez me suivre. Je vous garantie que vous allez me suivre, sinon…
- Sinon quoi ?
Un sourire mauvais se dessina sur le visage de Miria alors que sa main droite descendait vers le pistolet laser qu’elle portait dans un holster de cuisse. C’était un sourire de composition, et le détenu s’en rendit compte immédiatement.
- Tu vas faire quoi, me tuer ? Je suis déjà condamné à mort, petite fille…
Elle posa la main sur la crosse du pistolet, ce contact la rassura et elle enchaîna sur un ton moins menaçant :
- Justement. Venez avec moi. Battez-vous à mes côtés pour notre bien aimé Empereur. Vous vivrez pour sa gloire, et celle du 112e.
- Je pisse sur ton régiment, je pisse sur ton armée, je pisse sur ton Empereur, souffla le prisonnier d’un air mauvais.
Le rayon passa à quelques centimètres au-dessus de l’épaule de Miria et frappa le détenu entre les yeux. Son corps fut levé par l’impact et il retomba lourdement quelques mètres plus loin. L’entraînement de la jeune femme prit le dessus et elle se retourna en dégainant son arme…
… qu’elle abaissa aussitôt en reconnaissant l’uniforme de la personne qui venait de régler son compte au détenu blasphémateur.
Le Commissaire Dolmos se tenait dans l’embrasure de la porte menant à la cour intérieure. Son pistolet laser modifié était toujours pointé vers la cible qu’il venait d’abattre froidement.
- Rangez votre arme Sergent. Et suivez-moi.
Encore sous le choc, Miria rengaina doucement son pistolet et jeta un coup d'œil rapide aux huit prisonniers qui se tenaient toujours en ligne. Tous regardaient l’officier du Departmento Munitorum, et la peur se lisait dans leurs regards. Il ne s’agissait pas de la peur de mourir, car chacun savait que les Commissaires impériaux étaient capables de sanctions bien plus terribles que la mort.
- Allons Sergent, je vous attends, insista t-il en rengainant à son tour son arme décorée du sceau de l’Empereur.
La jeune femme réajusta son treillis et entra dans la pièce sans fenêtre.
Le Commissaire s’assit sur l’unique chaise de la salle. Il ôta ses gants blancs et les glissa dans la poche intérieure de son grand manteau de cuir noir. Miria resta plantée devant lui, au garde à vous.
- Repos Sergent.
Miria recula son pied droit et croisa les mains dans le dos, mais elle ne se sentit pas plus à l’aise pour autant.
- Vous ne l’auriez pas tué, n’est-ce pas Sergent ?
- Et bien…
- Un conseil : avec ce genre d’homme, ne commencez pas quelque chose que vous n’êtes pas prête à finir. Dès qu’ils vous ont vu ils ont compris que vous jouiez la comédie. Vous n’arriverez à rien comme ça. Allez jusqu’au bout de ce que vous voulez entreprendre.
Miria remarqua les tempes grisonnantes de l’officier. Son visage parfaitement rasé était marqué par les années. Elle estima qu’il avait entre quarante-cinq et cinquante ans, ce qui tenait de l’exploit pour quelqu’un de sa caste. Rares étaient les Commissaires qui dépassaient la quarantaine. Rares étaient les membres de l’armée impériale, quels qu’ils soient, qui dépassaient cet âge.
- Si vous reculez une fois, si vous ne faites même que d’envisager de reculer de votre position, sur le terrain ou dans vos propos, vous perdrez tout ce qui fait qu’un leader militaire est suivi par ses hommes : le respect. Sachez ce que vous êtes et jusqu’où vous êtes prête à aller, et respectez cela. Vos hommes feront pareil. Ou bien ils mourront de ma main… Un large sourire cynique se dessina sur le visage du Commissaire.
- A vos ordres !
- Ce n’est pas un ordre, Sergent Vayne. C’est un conseil.
Miria hocha la tête et déglutit avec peine.
- Heureusement que ces hommes ne sont pas les vôtres.
La jeune femme fronça les sourcils d’incompréhension. L’officier gloussa bruyamment avant de reprendre :
- Ceux-là ne viennent pas d'Eradyne, ce sont des déserteurs ou des criminels, mais je voulais voir comment vous alliez vous y prendre pour les convaincre de vous suivre. Et ce que j’ai vu me fait dire que j’ai eu raison de vous tester.
La bouche du sergent s’ouvrit malgré elle et la rondeur de ses yeux traduisit son étonnement.
- Pardonnez ma curiosité mais… Pourquoi vous donner tant de mal, Commissaire ? Réussit-elle à articuler.
- Hmm, disons qu’on est curieux de voir si ce petit projet va fonctionner en haut lieu. D’où ma présence, et d’où cette mise en scène.
- J’avoue que je ne comprends pas. Je ne sais même pas vraiment ce qu’on attend de moi.
Un sourire énigmatique illumina le Commissaire.
- On attend de vous que vous fassiez de vos hommes une escouade d’exception. Un groupe soudé capable d’attaquer l’ennemi derrière ses lignes, là où personne ne vous viendra en aide, et là où vous pourrez frapper pour faire mal. Vraiment mal.
Miria plissa les yeux, elle voulait en savoir plus et l’officier s’en rendit compte.
- Exécuter un Big Boss peau verte, saboter un relais de communication Eldar, récupérer des informations, couper des lignes de ravitaillement… Ca évoque quelque chose pour vous ?
- Affirmatif Commissaire.
- Et bien voilà. Voilà ce qu’on attend de vous. Mais tout ça ne fonctionnera pas si vos hommes ne vous respectent pas. Gagnez leur respect, la confiance viendra ensuite. Nous avons sélectionner les meilleurs, mais aussi les plus dangereux. Des hommes qui ont, contrairement aux millions d’autres que nous envoyons par vagues successives, une valeur stratégique qui peut faire pencher le cour des batailles. Vous comprenez, Sergent ?
- Affirmatif Commissaire.
L’officier leva rapidement les yeux au ciel.
- Bien. Très bien. Alors retournez dehors, on va vous amener les “vrais” ex-gangers d'Eradyne. Tachez de faire meilleure impression qu’avec les lascars que vous venez de voir. Et soyez sûre que le premier qui blasphème finira comme celui qui vous tenait tête, lança l’officier du Munitorum en tapotant la crosse de son pistolet laser.
Miria se retourna et se dirigea vers la porte. Son paquetage règlementaire était posé contre le mur, elle tira son casque de son sac avant de sortir dans la cour où neuf hommes avaient déjà été alignés. Elle les examina rapidement en avançant. Ils avaient pire allure que les détenus devant lesquels elle avait fait son pitoyable discours de motivation. Des durs-à-cuir, des criminels, des types avec qui on ne plaisante pas si on ne veut pas se retrouver les tripes à l’air.
Des types qui devaient la respecter.
Elle se planta devant eux, cala son casque sous son bras et les regarda un à un, droit au fond des yeux pendant de longues minutes. Ils soutinrent tous son regard d’un air mauvais, mais seul l’un d’entre-eux eut un sourire narquois. Un de ces sourires qui laisse entendre : “je vais te bouffer toute crue”. Ce sourire venait du plus massif des neuf prisonniers. Il devait mesurer prêt de deux mètres avec des épaules si larges qu’on aurait pu le prendre pour un Ogryn. Miria rompit le silence et parla d’une voix tranchante comme l’acier :
- Je suis votre nouveau Sergent. Vous allez être ré-intégrés au 112e pour des missions particulièrement dangereuses. Je me fous de savoir si vous êtes d’accord ou pas, c’est ça ou vous crevez ici comme des rats. Compris ?
La bête humaine au sourire narquois éclata d’un rire ironique et lâcha d’une voix plus grave qu’un moteur de Leman Russ :
- Et tu crois que tu fais le poids pour commander ? Allez, viens par là, je vais te montrer à quoi tu peux être bonne…
Miria enfila son casque, prit son élan sur les quelques mètres qui la séparaient du prisonnier, sauta vers le haut et attrapa les oreilles du molosse fermement. Elle lui asséna le coup de tête le plus violent de l’histoire des coups de boules et le craquement sinistre du nez de sa victime souligna qu’elle n’avait pas raté sa cible. Le sol trembla quand la montagne humaine s’écroula sur le dos, ko pour le compte.
Miria retira son casque et tourna les talons. Elle atteignait déjà la porte quand elle ordonna sans les regarder aux huit hommes stupéfaits :
- Vous avez cinq minutes pour rassembler vos paquetages et vous regrouper dans le hall. Exécution !
La porte claqua derrière Miria. Ses hommes étaient déjà en mouvement.