Rac'O, au premier étage du Dragon d'Or, actualisait la carte et les plats du jour. La farine de palme que l'employé lui avait remise sur le quai de livraison de l'hypermarché avait l'odeur de sa DLC, mais pas celle de l'argent. Et l'argent, Rac'O le préférait dans son portefeuille plutôt que dans l'assiette de ses clients, rapport au plat du jour, à son projet de drones dentés et à la concurrence.
- "Coupes tous les doigts, coupes dans la gorge, coupes, coupes, hey, brother..."
Son projet de drônes. En chantonnant le futur jingle, Rac'O sentait monter la fureur. Elle caressa la tresse sombre de ses cheveux le long de sa peau bleue, fit glisser sa main dans son décolleté. Le courrier qu'elle y avait caché grattait le surplomb de ses seins, mais les manches du kimono cachaient déjà ses lames. Rac'O n'y tint plus. Cette lettre emplissait son esprit comme la gangue de palme dans la machine à grainer le riz.
Schind, la garantie laser rouge.
La garantie laser rouge...
<i>Pourquoi suis-je passée par le magasin ?!</i>
Elle se voyait encore, gagnant la réserve de l'hypermarché, bousculée par cet humain aux yeux bridés crachant son "Dérapes ed'ma route, peau d'merlan !" près des rayons conserves et surgelés. Par le Bien Suprême, ç'aurait été ceux des produits nettoyants qu'elle lui aurait vitriolé le visage !
Non, Rac'O savait que non. Elle se tenait à son plan, elle avait ravalé l'humiliation de l'insulte, ramassé sans un mot et le front baissé les petites boites tombées de la tête de gondole. Discrétion, abnégation. Pour devenir riche, restons caché. Ces boites. Leur couleur avait attiré son regard. Oui, c'était sans doute cela. Pack Solutions. Elle avait cru à un signe du destin, le vrai destin. Le même qui l'avait fait suivre son amant de la caste de l'Air, qui l'avait fait fuir l'enclave O'Shova.
<i>Ce pleutre d'O'Shova.</i> Mauvais amant, guerrier précieux, frimant avec sa lame mais pas fichu de charcler de ses mains, de supporter le contact du sang. Elle avait eu raison de quitter cette couille-molle, de les laisser tous. Elle avait goûté tant de sang depuis, l'avait mêlé à tant de semences différentes.
L'idée d'un guide comparatif disparut aussi vite qu'elle venait d'y penser.
Dès son arrivée dans l'Amas, Rac'O avait compris le destin. Même si l'aérien l'avait quitté, pour aller fair le taxi avec une tatoueuse. Même si le marché n'était pas mûr pour ses drônes-scies. "Scies, Maman, scies. Scies, Maman, scies..." Rac'O sourit d'elle-même : <i>J'ai tant d'idées...</i> Même si elle n'avait pas le capital.
Elle ne mordilla qu'un temps, dans les Maisons des Roses, avant de déceler qui mordre. Ce fut le Dragon Doré. Changement de propriétaire. Rac'O sourit à nouveau au souvenir de la banderolle tendue au-dessus de la porte, son inscription rouge, peinte à la main, la peinture encore tiède.
Puis ç'avait été d'autres humains, d'autres peaux-jaunes, d'autres banderolles. Presque la routine. "A l'écaille du Dragon", "Au dragon Céleste", "Au Chop-Suey" et enfin "Au Dragon d'Or". North Town lui appartenait. Un de ses drones voletait dans chacun des cinq restaurants. Le signe de la Sha'ui qui avait viré les rice-mug de tout le bas North-town, presque tous les rice-mug.
Le dernier, Chaud-Goun, tenait la chaîne des Bunker-Dragon. Son porc aux champignons noirs lui maintenait une clientèle d'orks fidèles, prompts à conserver table ouverte pour peu que le patron menace de les en priver pour cause d'hausse des charges dûes à la concurrence. Et c'était bien évidemment elle, Rac'O, la concurrence.
Les nuits devinrent donc courtes pour les voisins de ses restaurants. Aléatoirement, les kroots de son personnel étaient pris à parti par des orks complètement beurrés à la bière de champignons, offerte dans des gobelets de porcelaine démasquant, une fois le breuvage parti brûler la gorge, une pom-pom girl nue des Orkland Riders. Ces rixes commençaient à bien faire, coûtaient surtout cher en teinturier. Et les gangs de North voulaient un forfait à l'année juste pour saboter quelques truks. Comme si l'argent tombait du ciel !
Schind, la garantie laser rouge.
Rac'O avait cru dans cette solution.
Mais ce furent l'Ecaille et le Céleste qui subirent l'assaut-éclair, le blitz-was, des sturmtruppers.
Oh, bien sûr, elle avait appelé la hot-line. "Cartel Schind, ne quittez pas, une hôtesse va prendre votre appel." Répété tant et tant de fois par l'astropathe public, elle revenait de la psycabine le dos marqué par ses montants rouges, et le carnet de chèque amputé. "Cartel Schind, ne quittez pas. Avez-vous pensé à économiser la franchise d'avocat en cas de divorce ? Avec l'option End Wedding de nos Pack Solutio..." Entêtant. Le sommeil s'était fait rare, s'était réduit comme ses bénéfices des deux-cinquièmes, anticipant déjà la suite de son déclin qu'accélérait encore le bouche-à-oreille.
Jusqu'à cette lettre, le prix d'un mordillement au gretchin du service des postes histoire d'économiser le timbre à l'adresse du service-client de Schind. Un courrier papier ! Elle n'y avait pas cru.
Et pourtant.
Schind l'avait doublé ! Schind bossait déjà pour les Bunker-Dragon ! Schind lui avait démoli ses kroots et ses drones pour une seule option supplémentaire à son propre contrat : "sans dégats à la cuisine" !
<i>Chaud-Goun ne sait même pas arnaquer l'assurance !</i>
Rac'O arracha la lettre de son décolleté. Elle connaissait maintenant presque le contenu par coeur.
<i>Madame, comme indiqué au 63ème paragraphe alinéa 38 des clauses à l'usage du client final que vous avez accepté par le passage en caisse lors de votre achat d'un Pack Solutions chez un distributeur agréé, Schind dégage toute responsabilité en cas de pré-intervention et d'intervention croisée pouvant opposer deux ou plus de ses clients. Dans ces cas, la clause de première signature restreint l'engagement de Schind à honorer chacun des contrats dans l'ordre chronologique de contractualisation par ses agences, services en ligne ou distributeurs partenaires, avec priorité aux options supplémentaires si les délais impartis dérogent à l'ordre de priorité initiale. En accord avec la loi Mercenariat et libertés, le client dispose de 15 minutes pour se rétract...</i>
Pas même un geste commercial, une grenade presse-papier, un psyvirus publicitaire, une bactérie de fidélité.
<i>Les mesquins...</i>
La découverte, lorsque Rac'O fouilla les poches restantes du sommelier de l'Ecaille, d'une carte de la Fondation Von Ofen pour l'assistance aux couvées, solda l'empaillement du kroot à un sac dans une poubelle.
<i>Ah, ils ont voulu me baiser gratos !</i>
Mais des années de Bien Suprême lui avaient appris la gestion de la sous-traitance.
Rac'O détestait obéïr, y compris à la reproduction sociale, aux logiques commerciales, au clientélisme local.
- "Ah, ils ont voulu me baiser, moi, la Sha'Rac'O North !!" se libéra-t-elle.
Rac'O calcula mentalement la somme de ses avoirs, son potentiel de liquidités.
"J'irais même jusqu'à mordiller Painkiller s'il le faut !"
- "L'orage approche, Dame Rac'O."
En lui tendant le coquetier, Rac'O rassura le kroot attiré à l'étage par la dernière déclamation de sa patronne.
- "Je sais, Titi." s'évada-t-elle en préparant des mouillettes, absorbée déjà par l'observation, à travers la fenêtre, de la ruelle pluvieuse, boueuse et traversée de rats de North Avenue.
[> Play Générique] Toun toun, toun, toun toun. Toun toun, toun, toun toun. Nin nin nin, nin, nin, nin. Nin nin nin, nin, nin, nin, nin nin...