Dans la cage de verre ignifugée du labo de la Genocide Inc., la douche anti-NBC venait de les tremper tous trois : le commis effrayé qui avait apporté le colis au service Commandes diverses, l'artificier exprimant sa colère agacée à une demi-heure de la pointeuse, et la stagiaire tau récemment embauchée en remplacement du congé maternité de l'assistante Magdalena Ironspoon, dont la seule compétence réelle (à part de renouveler la population de la Kandle) était d'être le meilleur nez de la Genocide, capable même de repérer un explosif chimique noyé dans le parement en plomb d'une fausse canette de bière triple X.
En reflet sur la verrière du casque de l'artificier, le compte à rebours égrenait la promesse rapide de la (possible) bombe artisanale. Du moins, d'après le service Recoupement.
Le colis avait en effet été livré en <paiement anticipé, pour clause de non-réalisation>. Comme si le client savait que la Génocide ne pourrait pas honorer le contrat. "Encore un chômeur qui veut se faire embaucher en épatant son futur employeur !" avait pesté l'artificier, ou une fausse alerte, histoire de secouer la torpeur de cette fin de journée, avait griffonné la sécurité sur le bon de transfert interdépartements. Rac'O s'injuriait en silence d'avoir été devant la porte de la cage à ce moment-là, de s'être laissée pousser dedans par ces rats de labo qui se méfiaient apparemment autant du colis que du commis, mais avec le sourire des bizuteurs. Le principe de précaution. On sentait bien que Negromundheim avait vidé l'étage de direction, qu'Ironspoon servait d'amusette quand elle ne reniflait pas. Cela sentait le zèle un peu trop feint, aller finir sans surprise, s'ils voulaient n'y passer la nuit, par un streap-tease en règle des trois encagés : tout le service s'agglutinait derrière les vitres blindés. Visiblement, ça commençait même à rassembler des gars d'autres départements.
- "C't'une liste !" extirpa précautionneusement l'artificier de la petite caisse en bois que cachait l'emballage cartonné.
Enroulé autour du tympan d'une cloche.
Une petite cloche, une clochette.
Le compte à rebours avait illuminé la dorure dès le premier tintement, dès que le tympan avait été libéré de cette... liste. Mais l'artificier ne s'en était pas inquiété. Le rebours à 9 chiffres et une lettre était inversé : 1, 2, 3... Il n'aurait pas de fin.
Le parchemin s'imbiba aussitôt, mais les caractères, visiblement gravés au pyrostylet, tinrent bon sous la douche. "On dirait un mode opératoire, j'suis sûr que c'est un mode opératoire."
<i>Ben voyons, la bonne blague !</i> pensait déjà Rac'O, dont l'aspect treillis mouillé semblait ravir l'assistance derrière les vitres.
Poussant le commis qui pleurnichait, Rac'O jeta un coup d'oeil par dessus l'épaule de l'artificier sur le document. Des noms. Plein de noms. Le premier sur la liste était... Von Ofen !
<i>Cueillie comme un kroot en plein vol, ce n'est pas une blague !</i>
<i>Ni même un bizutage !</i>
Le même destin : au bon endroit, au bon moment.
Rac'O interrogea la caméra qui filmait toute opération de désamorçage dès verrouillage de la cage, comme si l'opérateur distant pouvait l'informer de quoi que ce soit à travers l'oeil noir de l'objectif. Pour que cette liste de Schind leurre ainsi l'artificier, ce ne pouvait seulement être que des noms.
- "Pousses-toi !" intima Rac'O en plantant son coude dans la jugulaire du commis, avec pour effet immédiat de l'effondrer dans un cri de doul...
Affichant 21.03.006M41, l'explosion de la cloche fracassa les vitres blindés et découpa l'artificier en deux profils distincts, ce qui protéga Rac'O. Elle vit néanmoins son propre bras s'envoler, arraché à l'épaule, distordu dans une bulle floutant l'air comme s'il enclenchait dans son échappée acrobatique sa propre combustion spontanée. Rac'O contempla l'ancienne paillasse de désamorçage s'éloigner à toute vitesse, tandis que le reste de son corps était projeté contre deux spectateurs déjà trépanés.
Les jappements joyeux de Scheisse, son berger mordian, complétaient la récompense de cette journée. En se caressant dans sa baignoire, Ana Van Schlachten Tag observa le bateau qu'elle venait de plier à partir du scan 2D piraté il y a quelques heures dans le bureau de Von Ofen.
- "Hmmm, je vais t'apprendre à brouiller ton apparence avec la mienne." commença-t-elle à gémir. Bien qu'elle se demanda pourquoi Von Ofen désirait la sacrifier ainsi.
<i>Kartoffen auf zeit...</i> le qualifia-t-elle avec un sourire carnassier.
Qu'importait. Painkiller savait sans doute maintenant pour qui devait sonner le glas.
Rouvrant les yeux, elle éclaboussa son chien et s'alanguit à nouveau sous la caresse de la mousse parfumée du bain. Son rêve venait, toujours le même. Ses paupières se baissèrent. Toujours le même rêve : 99 ballons dérivant dans le ciel, 99 zeppelins et elle, Ana, qui leur ordonnait.