Omnia Vinct Machina

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<b>36. Détournés</b>



Nouveau pilier de la passerelle du <i>Comrade</i>, plantée sur ses jambes, l'arme ramenée à deux mains sur l'ombre immobile de sa propre puissance, l'imposante garnison d'occupation s'éveille : secousse inconsciente, qui n'a rien à voir avec l'instinct mais pourrait s'y comparer, l'esprit du marine Black Templar reprend le dessus sur le nodule cataleptique qui a allongé sa vie de plusieurs heures d'agnosticisme serein. Un murmure a suffi. Dans leurs orbites, les globes oculaires du marine pivotent, s'abaissent, accrochent ces deux pouilleux plaqués contre le quintuple-vitrage d'une meurtrière donnant sur l'espace. Se rappelant que ces deux cibles chaudes ont un lien quelconque avec le bolter sanctifié qui régit son éternité létale, le fils de Sigsimund écoute ce qu'espionnent, par routine martiale et l'impudeur templière commune, les micros de son casque corvus. L'un des deux "citoyens", puisque l'Empereur a donné aux sommets des crânes le droit de cité, l'un des deux, donc, le plus petit, le malingre, celui-ci, oui, chuchote :

- "Mokhc, Moooohkc !! Y'a du mouvement !"

S'arrachant avec une joie terne à la détention ennuyeuse qui a endormi son cargo, le capitaine du <i>Comrade</i> sent d'instinct qu'il lui faudra corriger <i>insomnie</i> dans son livre de bord, au profit d'<i>exigeant pressentiment</i>. Ses cales jusqu'aux ballasts sont pleines de réfugiés, de matériels, de bétail, de quintaux arrachés aux champs. De tout ce que la flottille de guerre du nègre inquisiteur a arraché aux lunes d'Eb et à Algr-la-Blanche, rassemblé autour d'elle comme un écran de plus. Minéraliers, caboteurs sous amarres de saut, cargos à blé, navires mouroirs et même un vaisseau-forge. De quoi coloniser une planète entière, mais tous attendent ici, tout y pourrit dans l'attente. Exigeant pressentiment... Il n'en croit pas ses yeux.

- "Par le guano crânien de l'Empereur, cette donzelle est une tuerie. <i>L'Imprematur</i> brûle !"

- "Tu, tu penses que c'est not' ptite Sophia qui..."

Le râle éructé, dramatiquement amplifié par le respirateur de heaume, est un signal. La surprise de ce qu'il vient de comprendre, la haine étrange qui répond toujours à cette forme de surprise, le marine s'ébranle, le pilier de céramite s'anime, redresse vers le libre-capitaine Mokhc, et son matelot de quart, l'arme bénie qui a moulé le gantelet qui toujours la tient.

- "Vigie à Capitaine, pénétration spatiale ! Irruptions Warp ! Contacts multiples ! Un, non, deux contacts en approche rapide ! Diffraction corrélée en proximité. Vouge de Ciennes ! Abordage, abordage !!"

- "Put...!"

Querelle à peine née que ce retournement du géant vers l'écoutille couinant derrière lui, les hurlements qui s'y engouffrent. Vaine menace de ses munitions autopropulsives. La pierre-esprit qui pilote le garde-fantôme, l'eldar téléporté qui soustraie le jais de l'armure énergétique au décompte de la garde des vivants est mort depuis longtemps. Dans le fracas, la garnison s'effondre.

"A la première surprise, crains toujours la seconde", réfléchit Mokhc au refouloir carmin que fut le regard du space marine.


Sur tous les ponts de l'<i>Imprematur</i>, branle-bas n'est pas un vain mot. Les eldars ont jailli du néant, et leurs entrées-sorties incessantes dans le Warp lèguent autant d'agaçantes blessures que n'auraient de mal à contrer un ou deux Navigateurs versés dans la parade héréditaire aux prétentions xénos, si l'<i>Imprematur</i> en avait à son bord.

- "Pas de Navigateurs ?!?" interroge une nouvelle fois Lore Blackburn, incrédule.

Le frère-capitaine de pont répond à l'être inférieur, à celui auquel il faut expliquer.

- "Passéisme impie que n'aurait maintenu l'Empereur s'il était resté en vie. Ceux qui servent l'Empereur n'ont pas besoin de cyclopes, leurs âmes suffisent à voir et être vu."

- "Brûlez les psychers !" marmonnent mécaniquement à ces mots les sous-officiers de passerelle dans l'éclat blafard des explosions extérieures.

Et depuis qu'il fréquente ces space marines là et leurs cohortes de serfs mutilés, Lore se demande s'il doit prendre cette phobie pour lui, bien qu'il n'en soit qu'un médiocre et non-déclaré représentant.

- "Deux Void Stalker embrassent de leurs flancs ce navire, une chiée de Shadow hunters déblaie vos escorteurs et vous nous livrez à l'hérétisme suicidaire des Abandonnés !!" rugit Blackburn à l'officier space marine qu'une crevasse crayeuse défigure.

- "Vous connaissez ainsi la classe de ces navires, Inquisiteur ?" apparaît le Sénéchal Rudd dans le drapé d'une cape pourpre à galantine d'or. "L'Imprematur va les repousser sans gloire, les briser sans doute, comme nous l'avons toujours fait et le ferons toujours. Pour tout vous dire, ces péripéties des confins m'ennuient."

- "Sénéchal sans béquille* ! Et ma flotte ?! Et mon attaque ?!"

Le premier des Templars sourit à ce civil qui devrait avoir tant de pouvoirs.

- "Calmez-vous, Inquisiteur. Pour ces pirates, nous sommes un veau de mer échoué, une..."

La gîte soudain interrompt le sénéchal, abaisse une pente sous chacun d'entre eux. Lore Blackburn s'y retrouve à genoux tandis que la pesanteur artificielle redresse lentement le carrelage à l'horizontal. Lore ne veut même pas entendre les rapports d'avarie, hurlés par tous comme s'ils fussent surprenants.

Imperturbé, l'un des serfs de passerelle se tourne vers Blackburn, renoue avec sa peau moins noire que les armures de jais, dégorge toutefois le même mépris que ses maîtres :

- "Votre animal est arrivé, Seigneur-Inquisiteur Blackburn. Amarrage accompli dans les rites de sauvegarde. Cellule de quarantaine XXIII, pont Quintius."

- "Quarantaine...?!", puisqu'il faut continuellement s'indigner.

- "Allez !" Rudd le congédie-t-il du spectacle de ses coques assaillies.


Ce qui enfle les ventaux de la cabine comme si la coursive qu'ils masquent voulait les aspirer est une décompression, une ingérence redoutable. L'esclave qui nettoie le cabinet de rangement sous la mise en joue paresseuse d'un des spadassins de Blackburn en tremble comme s'il en connaissait l'appétit.

- "Nous sommes en guerre." commente Sophia en tendant l'oreille vers un crissement lointain.

- "Ous 'ommes engué 'epuis 'ix mille ans" répond l'acolyte avec un sourire prévenu.
<i>Un sourd !</i> comprend Sophia <i>Il me fait garder par un sourd de naissance !</i>
<i>Comme s'il avait à se méfier de...</i>

L'esclave a miaulé sous la brûlure, un cri de panique. Il a lâché la forme sèche de l'excrément, dont les flammèches annoncent un embrasement plus complet, s'est inconsciemment relevé devant l'arme de l'acolyte.

- "Pyro..." le pousse le sourd pour rebraquer à nouveau son arme sur... la boulette enflammée qu'un vent invisible jette vers son visage. Sophia le regarde serrer les dents, accueillir l'impact, prévenir déjà sa chair qu'elle va brutalement s'assécher, se tendre, durcir et fondre dans une saturation nerveuse révélant une douleur qu'il ne pourra ignorer. Mais le sourd a tiré. Trois trous calcinés s'élargissent et gâtent la soutane de Sophia, enfument sous le sein gauche avivé par une desquamation craquelante. Douleur identique, qu'on ne peut ignorer. L'esclave ploie entre deux hurlements. Celui de Sophia Carillon est d'une autre rage, libère un autre esprit. Le ricochet psychique, le premier, le plus pur, casse les os entre deux grains de sablier. Déformé du tibia à la tempe, le spadassin est mort. L'esclave, agenouillé sans finir sa chute, a le torse et la joue contre l'acier du mur, les bras ballants, la bouche et les yeux grands ouverts, les vertèbres concassées. Moins un nouveau ricochet que son poids seul, inerte. Il s'effondre.

Encore un frisson parcoure Sophia, avant un autre. La souffrance s'est immiscée. On n'éveille pas ansi la Mort. Surtout pas ainsi, ligotée.

La politesse de la Mort, car les vantaux craquent comme si on y frappait.


Lore a mis du temps à trouver ce pont, trouver la quarantaine, évidemment au plus près du glacier noir qui entoure le navire. Le micro dont il s'empare est un déni de plus, comme la vitre d'isolement, le dock d'éjection. Sa réflexion peine à garder son fil. La pression que subit l'<i>Imprematur</i> est ici retransmise par les membrures de sa coque, les acouphènes des décharges d'artillerie, la puanteur d'ozone des accumulateurs saturés, et les sons malades de tout ce qui se décroche, se grippe, dérape, se transforme sous l'influence virale de la bataille que tissent les pirates eldars autour de leur proie immense.

- "Magos col Caudine ?" adresse Blackburn, pour la forme, à l'apparente bure prostrée qu'un sergent space marine lui désigne.

Derrière le verre blindé de la cage de quarantaine, sous la capuche rouge ourlée d'un damier noir et blanc, le visage simiesque qui se lève n'est que terreur empêtrée d'une innocence coupable.

"Vous êtes venu seul ?" s'étonne l'inquisiteur devant l'immense cage vide. "Avez-vous la Route ?" s'empresse-t-il d'amplifier dans le micro en trahissant sa propre impuissance.

Pourtant il sait que les jokaeros ne parlent pas, que la vertu des Black Templars va les terminer ici, sous les coups d'un pilonnage eldar, que tout va se terminer ici.
<i>Donnez-moi la Route !</i> aimerait-il s'enfuir, quitter ce pont, cette coulisse promise à l'ignorance du destin. <i>Extrayez-vous de la peur !</i>

Retrouvant un regard attentif comme s'il se souvenait brutalement de quelque chose, le jokaero lève la manche et fait signe à la sentinelle space marine.

- "Seigneur-Inquisiteur Lore Blackburn, de l'Ordo Hereticus..." retourne vers lui le Black Templar, "prenez un scaphandre, et obtempérez à la procédure d'extraction." pèse-t-il du canon de son bolter.

Lore a vu le geste du jokaero. Causalité évidente, sans compromis d'adaptation. Lore se rabaisse vers l'envoyé de la Sorcière Rouge, ce Promis et sa Route.

- "Pas sans elle, Magos." ne sait-il pourquoi il la réclame déjà.

- "L'hybride Sophia Carillon est comprise dans la procédure, Seigneur, le reste de votre garde l'extraie sans doute déjà." absout le sergent comme s'il savait pourquoi.

Alors le jokaero pousse la grille trifilaire de la cellule comme si elle n'était qu'une porte de convenance.

Lore Balckburn, seigneur-inquisiteur joué par la marche orientale, a déjà lâché le micro.



Aller plus loin avec le post :

> Vouge de Ciennes : le croiseur de classe Dauntless <i>Ciennes</i>, mis hors de combat de l'intérieur, en 97 minutes, par une téléportation en chapelet permise par un seul passage en rive de deux Shadow lors de la bataille de Merkal II (Ult.Seg.), sert depuis de référence à la Flotte pour cette forme d'abordage eldar rarissime, dans laquelle les reflets Warp de l'équipage humain parachèvent la quatrangulation nécessaire à la gestion des risques inouïes, mais rémunérateurs, de ce type d'opération a-priori suicidaire. L'Ordo Xenos de Talasa Prime en a toujours soupçonné l'Aspect de prophètes spécialisés. Archives d'instruction de Kar Duniash, 326M37.

*Traduit du gothique Imbecile.

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