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<b>37. Evacuation</b>
-"Secousse voltaïque 16, dérivée. Amplitude rémanente. Démembrement structurel en continu large. Double-quote..."
Les serfs de passerelle semblent psalmodier.
Pourtant l'<i>Imprematur</i>, vaisseau-amiral de la Croisade Black Templar et de toute la flotte arrachée à Eb et à Algr, se délite, se disperse.
La joue et l'arcade crevassées que perce un bionique d'argent se tournent vers son sénéchal, souhaitent briser la rêverie qui a emporté Rudd depuis quelques minutes. Le Premier Croisé est tout entier bercé par la désagrégation d'un des deux Void Stalker qu'un timonier aimable à ramené sous l'arc brisé de la grande baie de la passerelle. Ce que contemple Rudd est réel, non-interfacé par l'un des rites de la Machine. Les artilleurs de l'<i>Imprematur</i>, il voudrait les agenouiller devant lui pour les draper du pourpre et du blanc des purs.
- "Double-quote, Frère-Sénéchal, nous allons virer..."
Rudd revient vers les cloques asséchées qui ont blanchi l'oeil ionisé de son capitaine de pont.
- "Intrusion ?"
- "Trois points, Frère-Sénéchal, peut-être quatre. Les xénos sont en nous."
- "Qu'importe, Frères. Qu'importe." n'en pense-t-il pas un mot. Si les organes vitaux demeurent, l'<i>Imprematur</i> est gagné par son sursis. Même annoncée, même mesurée par Augusta Drix, par l'Alliée, la contraction de ces eldars n'aura jamais été si proche. Et de ces frères précieux, marines dispersés dans les cargos arraisonnés, Rudd ne veut compter ceux que les trop rapides <i>shadows</i> ont privé du moment. "Jamais, tous ne peuvent être préservés." comprennent-ils tous, sur la passerelle, comme une annonce. "Complémentez, maintenant." adresse Rudd aux serfs.
Mohkc a levé les mains, mais le garde-fantôme n'a rien dit. <i>Venu comme les passeurs de notre rouquine, venu par l'Urne.</i> Mohkc a trop servi Thalasa Prime, trop servi les inquisiteurs de l'Orient en impétrant d'un mystère qui ne lui serait jamais accordé. Pas comme son matelot, dont le garde-fantôme a déjà oublié le cadavre malingre et le réflexe irréfléchi, culturel, qui a voulu le défendre de l'âme jaillie. D'un regard, d'un non, Mohkc est parvenu à éduquer les autres, tous ceux qui sont accourus, captés par la résonance d'une armure énergétique tombant sur un sursol de grille. Ou suivant désarmés le carnage du guerrier infiltré. Ils sont là maintenant, ils attendent, jusque dans la coursive basse. Même la vigie s'est déjà habituée à la présence cyclique du Shadow qui surveille le <i>Comrade</i> mais ne lui tire pas dessus, que seul Mokhc a reconnu quand on lui en a indiqué le tonnage exact. <i>L'Aihpos !</i> On pourrait croire que la garnison a simplement changé de forme.
Mais le garde-fantôme n'est qu'un veilleur, la pièce périphérique d'une conflagration en expansion.
- "Complémentation Warp." secoue le vocalisateur caverneux relié à la Cabine Interdite du <i>Comrade</i>. "Coordonnées synergiques. Origine décastée. Urgence, appareillage d'urgence. Endochoeur à confirmation."
Mohkc regarde l'armure eldar, cherche sa vie dans la courbe lisse de son crâne-tombeau. L'âme invisible accorde d'un signe de casque.
- "Origine, Navigateur ?!" se rélève le Pacha du <i>Comrade</i>.
De son sanctuaire, l'ermite n'est plus le mutant complice de son corsaire de capitaine.
- "Imprematur, Libre-Capitaine. Médiation télétypée code Mortis à sanction immédiate. Je n'ai pas le choix, Libre-Cap..."
<i>Un saut Warp collectif ! Un saut de flotte, ordonné par un télécryptage antique de vassalisation ! En pleine bata...</i>
- "Accrochez-vous !!!" hurlent hommes et réfugiés jusqu'à la cambuse.
Sous les crémaillères rompues attend une escouade décharnée, son intrusion contrée sur des mètres et des mètres, assiégée entre chaque étage, criblée à chaque croisement de coursives. Les deux gardes-fantômes ont dans leurs gantelets gauches plus de pierres-esprits qu'ils n'en sauront évader, ou même cacher derrière un tuyau, sous le rebord d'un caniveau de plastacier, puisque la destruction de ce crachat métallique ne peut aujourd'hui avoir lieu, réjouir la Mer des Etoiles, <i>notre mer</i>. Les mon-keighs n'avaient pas l'armure des Araignées Spectrales, mais ils étaient bien plus nombreux, signalaient la cible, l'une des zones les plus peuplées du grand navire impérial. Ils se sont jetés contre leur mort, juste pour l'empêcher de progresser. La chair opaline des Derniers d'Eldanesh n'a pas résisté à cette résistance d'anticorps, l'Aspect qui sauvegarde n'a pas sauvegardé, la téléportation d'esquive non plus. Seule la moëlle spectrale des Habités... Les morts se sont rassemblés dans les paumes des déjà-morts.
Derrière le paquetage dorsal d'un second space marine, Lore Blackburn repère le bolter du premier qu'un tir de canon fantôme a soudain privé de torse. L'inquisiteur déchu a les aisselles coupées par les sangles du scaphandre léger, le visage compressé par le sous-masque respiratoire, ses tympans sont deux tisons qu'il voudrait ôter des os de son crâne. Les sons ne l'entourent plus, il ne peut plus rien en faire, ni questionner, ni ordonner, ni se dépendre de la garce fatale qui a corrompu l'élite de son armée privée, de son influence dans l'Ultima Segmentum. <i>Magos putrides tenus par leurs échardes de métal ! Je ne suis plus rien !</i> Ses gardes du corps, il ne les entend pas. Que l'air sifflant de la décompression partielle. L'atmosphère artificielle qui s'étiole, renversée par d'autres gaz. Humble est son escorte. La sienne, ou celle du singe savant ? Contre eux, séparés de quelques cabines, une part de l'<i>Imprematur</i> brûle, ronfle d'accourants incendies. Et le space marine le pousse, l'enjoint à reculer tandis que lui et ses frères d'épées bloquent ici les abordeurs. Reculer. Les portes sont là-bas, dépassées si vite pour placer l'escorte entre elles et les deux mannequins eldars, profiter de la chance, des secondes. D'un brutal galop à quatre pattes, le magos retourne sur leurs pas, sa course désalignée par les vents brutaux et erratiques de la décompression qui déforment les parois du couloir.
<i>MES appartements, Magos !</i>, Lore le poursuit-il.
- "Deux silences cadres, Maître de pont : navires civils, déclarés pertes sans destruction."
- "Je reprends à moi : tous les choeurs navigants sauf deux en attente. Il ne vous reste qu'à ordonner par les mots, Frère-Sénéchal."
- "Oui, Frère-Capitaine. Les mots." <i>Les mots qui animeront au plus profond de notre navire.</i>
Ses larmes évacuent le découragement et la faiblesse. Sophia Carillon pleure, se concentre, écoute le grésillement de ses liens léchés par les flammes du peu de combustible qu'il lui reste, tenu près de ses mains à bout de pensées. Les lasers ont cautérisé leurs offenses, mais sous la peau ainsi rapiécée l'hémorragie s'étend, les tissus s'épanchent, accélèrent la coulée du temps. <i>Mon urne...</i> Elle y a souvent songé, domestiqué sa fin, aspirante-inquisitrice éduquée au baume de l'îlot des tombeaux de Talasa Prime. <i>Mon Urne...</i> Est-ce cela, mourir : décevoir ? << Chaque marée recouvre l'îlot, entraîne un peu de ceux qui y reposent.>> Ian-Alec aime tant cet îlot, tant en parler : << Regardez-le, cet îlot, écoutez votre coeur ; chaque battement entraîne un peu de ce qui y repose, jusqu'à l'horizon.>> Toujours chercher l'horizon. Où est la limite ? Y a-t-il une limite ? Une limite à la mutation psychique des humains ? <i>Si ce n'est la Machine ?!</i>
Dans son cri, Sophia y a perdu beaucoup de la peau et de la chair de ses poignets, cisaillés par les ligatures que les flammes n'ont su consumer. Mais elle est libre.
<i>Ma mère craignait de mourir couchée sous la bave d'un prélat !</i> se mord-t-elle les dents sur sa douleur. <i>L'horizon n'existe que parce que je le vois !</i> se relève-t-elle en ramassant gauchement les armes de l'acolyte.
Masqué par l'ampleur de sa bure (il n'a même pas voulu d'un respirateur), le jokaero a déverrouillé les vantaux des appartements de l'inquisiteur comme on évince sans s'en distraire une mouche de son visage. Pour l'y suivre plus vite, Lore n'a pas saisi le bolter, conscient que l'escorte a préféré retourner l'un des siens pour le maintenir dans leur "protection".
Illuminant la pénombre paradoxale des habituelles appliques ténues du couloir, les vantaux s'entrouvrent en une rai solaire par laquelle fuient aussi l'atmosphère, les fluides et les parchemins du passé récent du seigneur-inquisiteur Blackburn. Mais les portes révèlent aussitôt, dans l'emballement du moteur de coulisse, des galets déplacés, une déformation peinant à re-glisser le métal dans son étui mural. Fente trop lente à s'élargir, que voudrait accélérer le magos aux mains poilues. Fente suffisante, par laquelle Sophia dessine de sang, de mottes de chair soufflées par l'échauffement subi de ses liquides internes, la bure déjà rouge et maintenant déchiquetée. Un instant retenu par ses doigts crochetés sur les portes, Estrede col Caudine, Magos-Héritier de la plus pénétrante ingénieure de l'Adeptus Mechanicus, Promis de la Sorcière Rouge, meurt dans les bras d'une blatte ratée, tout près de la vapeur moléculaire d'un exarque qui doit le nom de son Aspect aux minuscules garants d'une immunité en déchéance.
- "Deuxième intrusion, six heures !" alerte le "protecteur" de Blackburn dans la libération réflexe de ses bolts.
D'une de ses lames, l'exarque a ravagé la gorge du jokaero jusqu'à en emporter l'arcade sourciliaire de Lore derrière lui. De l'autre, il a creusé le biceps de l'inquisiteur pour en enfoncer la pointe jusqu'aux côtes de l'humain. Le bolt qui explose dans l'épaule du magos achève de séparer le cadavre simiesque de Blackburn dans une gerbe sanglante, bruine volage qui se confond avec celle puisée dans la cuisse de l'exarque, de son souvenir.
Chancelant, l'eldar réapparaît aussitôt six mètres plus loin, mais seule Sophia en témoigne, n'a même pas le temps de diriger son pistolet vers lui. Ouvrant les bras, d'un bond il l'enserre contre son armure, son casque égouttant des sangs que le combat a mêlé.
- "Dérégulation des contrôles axiaux. Urgence. Rétablissement en perte..."
- "Réplication des coordonnées en attente. Complémentation en attente. Tercio, deuxio..."
- "A votre ordre, Frère-Sénéchal."
- "Par l'acné ensanglanté de l'Empereur, Frères ! Omnia vinct Machina !"