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<b>39. Sa Dame</b>
En approchant de cette fichue cabine, qu'auprès de son équipage Mokhc a fini par entourer de sentences ailleurs réservées aux reliquaires, le chartiste n'est pas plus surpris du garde-fantôme en sentinelle que de s'y constater plus pratiquant qu'un fromage adorant les pis d'une brebis. <i>Allez, graissons*.</i> se signe-t-il aussi d'un aigle sur la poitrine comme s'il allait pénétrer la salle du Trône d'Or, <i>car Tu as beau être le plus grand naufragor depuis dix mille ans, Tu en a quand même accordé à certains bien plus qu'à tous les autres, Récif !</i>
A l'ombre du grand corps rayé de la pierre-esprit (le reflet de l'ampoule électrique sur la plus grosse gemme a pour Mokhc le mouvement d'une pupille suiveuse), il attend que la voix du miracle lui autorise l'entrée. Trouver Sophia trempée et à peine drapée devisant avec un exarque presque aussi nu, à la cuisse blême perlée de rubis, mais encore crasseux des suies de bataille, provoque à nouveau en lui un étrange relent de vénération enfantine.
<i>Au moins, elle n'a pas partagé les mosaïques de Saph avec lui</i> se méprise Mokhc. Car plus rien ne peut le surprendre.
<i>Réapparus au même endroit, exactement sous les mêmes cm² de plafond que le garde-fantôme plié en foetus. La pesanteur du </i>Comrade<i> l'a fait chuter sur une réfugiée d'Algr et ses deux enfants. Leur chute à eux y a ainsi gagné. Morte au nègre de l'Inquisition et aux templiers arraisonneurs de cargos, née à nouveau à nous dans le sang d'une mère.</i>
En un eldar approximatif, Sophia tente de présenter leur hôte au visage fermé, presque triste, du guerrier de Iyanden. Certes hautaine, la moue de compréhension de l'eldar ne confirme que l'inutilité lasse de cette information, mais l'invitation de l'humaine à au moins purifier le corps par la vapeur rassérène Mokhc quant à la confiance accordée par l'inquisitrice à son inexplicable sauveteur. Le guerrier-Aspect va entrer dans la colonne thermique condamnée qui sert, sur le <i>Comrade</i>, de sauna de transit à Carillon lorsqu'une question du Libre-Capitaine semble le retenir.
- "Vous parvenez à converser avec lui, Inquisitrice ?"
- "Il y a d'autres langages que la parole, Libre-Capitaine Mokhc :", ne veut avouer la polyglotte tandis qu'elle sort son armure h-t-e d'une cantine cadenassée, "même un xénos ne retire pas son armure en territoire hostile. Non, Mokhc, je suis sûr qu'il a rempli sa mission -elle était de me ramener ici et s'arrêtait à ça- mais qu'il y a perdu bien des siens. Un ork n'aurait pas besoin de ce deuil. Moi, j'ai préféré jusqu'à présent le lui laisser. Et je suis sûre qu'il n'en a pas profité pour fouiller mes poches ; ce n'est pas un pirate, Mokhc, mais un guerrier."
<i>A traiter comme un noble, donc.</i> hoche l'officier de marine Mokhc de la tête. <i>Un otage.</i> se reprend-t-il. <i>Un mercenaire de l'Urne ?</i>
- "Mokhc !"
- "Hmm ?"
- "Tournez-vous, il faut que je m'habille."
- "Et ce xénos, vous ne lui demandez pas de..." se détourne-til de mauvais gré du corps entraperçu, dédrapé pendant qu'il pensait, dont la peau naturellement blanche n'a rien à voir avec le squame dépigmenté des marins <i>mais tant avec la statue peinte de "La Martyre arrachée au démon du lucre" dans la chapelle aux naufragés de Port-Rouille.</i> Crise de religion, encore ? <i>Le fidèle a deux mains, l'idolâtre n'en a qu'une, je vous y prends encore, enfant Mokhc !</i>
- "Il a déjà vu mon âme, Mokhc, puiqu'il a failli se sacrifier pour elle." se moque Sophia. "Et je ne crois pas, surtout, que ça l'intéresse autant que vous."
Le rire soudain de l'eldar surprend les deux humains, retourne Mokhc qui en accepte mal l'empathie immédiate, la contagion presque irrépressible.
Pourtant, une élégante humilité transpire de la posture racée de l'exarque. Par elle, il n'est presque plus qu'un camarade plus âgé, délivrant au pied du sauna, pour lui-même autant que pour l'auditoire intime, le soulagement enfin accepté d'être encore en vie.
- "Parmi ceux de ma race, certains savent voir loin, Belle-Cloche, voici pour le sacrifice." Au bas gothique quasi sans accent, comme à l'allusion, Sophia opine du chef, remercie plus gravement. "Pour le reste," poursuit l'Aspect à l'adresse des deux humains, "j'ai suivi bien des Voies ; elles ont su conforter mes choix, m'enseigner le plaisir d'en goûter d'autres, comme le respect dû à l'épouse défunte, la force de toujours vouloir la retrouver dans le coeur-jardin de notre vaisseau-monde. Voici pour mon seul intérêt."
Aux yeux ronds de Mokhc, à l'effondrement partiel de sa xénophobie conditionnée, Sophia comprend que c'est à elle de parler, de prévenir une réaction inappropriée, inéduquée du chartiste.
- "Même nous, humains, avons du respect pour nos morts, et parfois même de la fidélité pour ceux que nous avons aimé malgré la guerre et le destin qu'elle impose. Je ne sais pour qui vous avez agi, mais je vous suis désormais obligée d'une vie." appuie-t-elle du menton sur la gorge. "Et le Libre-Capitaine Mokhc aussi."
- "Quoi ?! Que.. Euh, oui, Inquisitrice." accepte benoîtement Mokhc, sans retenue apparente.
- "Les Passeurs qui m'ont envoyé l'entendaient bien ainsi, mon-kheigs. Ils ne se sont donc pas trompés. En vous, Cheveux de sang, le Dameur a élu sa nuit, et nous l'a confié. J'ai peine à le croire, encore plus à le comprendre, mais les nuits se partagent."
- "Elles sont le bain des ombres. Chacune d'elles attend quelqu'un, lui donne la force de revenir s'y apurer." convient Sophia avec compassion, expérience peut-être, ou simple souci du double langage.
L'eldar baisse les yeux, soupire avec un petit rire.
- "Oui, pour beaucoup, ils n'ont plus que des ombres pour faire le compte de leurs actes." confirme-t-il en pénétrant dans la colonne de vapeur. "Mais pour ce qui me concerne", conclut l'eldar avant d'en refermer l'écoutille rouillée, "j'ai la chance que ma propre épouse soit derrière la porte de votre cabine. Heureux de vous avoir permis d'admirer la plus belle <i>nocte</i> de votre race, Libre-Capitaine Mokhc."
Se réalisant enfin dans son plus simple appareil, Sophia hésite maintenant à le cacher.
- "Sortez, Mokhc !" intime-t-elle finalement avec un sourire de concession. "Nous travaillerons plus tard à cette échappée Warp dans laquelle Blackburn et ses marines nous isolent à présent, dans 15 minutes, dans votre carré."
- "A vos ordres, Inquisitrice." rallonge-t-il l'instant d'un salut presque réglementaire, d'un regard qu'il souhaitait gourmand mais qui se conclue pudique.
"Ma Dame." Sophia l'entend encore s'incliner machinalement devant le garde-fantôme. Ton bizarre de sa voix. <i>Par les vingt panaris de l'Empereur, Mokhc, non...</i>
Elle doit penser vers lui une introspection, vite, vérifier si son respect apparent du xénos, inattendu vraiment, n'est pas la feinte d'un vieux loup de mer impérial. <i>Rehausser la garde, même s'il ne le mérite sans doute pas.</i>
Ce qu'elle surprend dans l'esprit déjà lointain du chartiste...
<i>Belle Cloche, Mokhc. Il m'a appelé Belle Cloche, pas belles loches !</i> s'esclaffe-t-elle en bénissant celui qui est finalement devenu <i>son</i> Chaud Pacha*.
Allez plus loin avec le post :
> Allons graisser : jargon de la marine marchande de l'Imperium, faisant allusion à "Allegresso corbita" (en réalité <i>prosua alacritas navigare et tractare</i> dans le Codex Mercator Imperatorius), soit "naviguons et commerçons dans l'allégresse (sur les mers de l'Empereur)". Dans leur gothique de cuisine à destination des matelots, les officiants issus de l'Ecole de Prêche de Kar Duniash finissent souvent leurs sermons par cette phrase, afin peut-être de contredire les conclusions des statistiques accidentogènes de l'Officio Munitorum attachées au co-ressources ecclésiastiques de la Sous-Flotte des libres-chartés : qui s'éloigne au plus loin du port rejoint plus vite l'Empereur son dieu.
> Chaud Pacha : sans doute originaire de Kar Duniash, l'historiette est ancienne, pour ne pas dire commune, et il n'est pas surprenant que sur Avnore III, la mère de Sophia la lui récitait enfant : <i>Don qui rote et sang-chaud Pacha</i> décrit les aventures dérisoires d'un flibustier du Haut-Imperium, plus mécanicien que capitaine, incapable, en raison d'une panne inexpliquée de ses rétroacteurs avants, d'accoster son classe lave-hublots à un gigantesque vaisseau de la Grande Croisade.
Si l'arrière-plan du terrorisme post-installation impériale dans l'Ultima Segmentum est évident, quand Kar Duniash fut élevé capitale avec pour mission la mise en règle des quadrants (l'accostage a pour but d'offrir un don qui rote -une grenade gastroentéritique- aux nouveaux maîtres des "retrouvés"), ce conte oral amuse par l'ingéniosité bourrue du pacha surtout quand, constatant que d'un bout à l'autre de l'amarre on ne se comprend plus, le flibustier refuse d'oindre sa ferraille et préfère les étoiles sauvages aux prêtres rouges, quitte à chercher sans fin ces moulins avants qui lui permettront, un jour, de revenir au port.