Le buggy filait à vive allure vers le nord-est, Leggy au volant, Potbelly à ses côtés, Doomy tassé à l'arrière, les genoux dans le menton.
"Pourquoi les types de la taverne nous ont attaqués ?" demanda soudain le ratling.
Leggy haussa les épaules.
"Je suppose qu'ils n'ont jamais vu d'abhumains et qu'ils vous ont pris pour des mutants. Ou qu'ils n'aiment pas les étrangers, tout simplement."
"Vous en êtes sûrs ? Ils ont très bien organisé leur attaque. Je les ai observé ; je n'en ai pas vu se concerter. Ils l'avaient préparée à l'avance."
La femme acquiesça.
"Et ce n'est pas tout," poursuivait le ratling. "Pourquoi ont-ils pris tant de précautions ? D'accord il y avait Doomy mais pourquoi s'être mis à deux sur vous ? Et pourquoi deux sur moi ? Pourquoi avec une telle coordination ? Ils savaient qu'ils avaient affaire à des combattants entraînés, j'en suis certain."
Leggy frappa rageusement le volant du poing, obligée de reconnaître que Paolo avait raison.
"Eh merde !" cracha-t-elle. "Alors cela veut dire que notre signalement a bien été transféré jusqu'ici. Mais par quel biais ? Il est impensable que les choses aient pu aller si vite. Nous ne ferons pas de vieux os si nous sommes attendus à chaque coin de rue."
Le buggy avait quitté le bitume pour progresser à présent sur un terrain vague chaotique. L'éclairage se faisait plus rare, l'atmosphère plus nauséabonde. L'endroit était totalement désert et un silence de mort y régnait ; seul le bruit du moteur du buggy y résonnait sinistrement. Leggy stoppa à une dizaine de mètres d'un rempart de béton incliné à quelques trente degrés dont le sommet se perdait dans les ténèbres.
"Voilà, d'après le patron de la taverne, c'est par là. Il faut suivre la muraille jusqu'à l'entrée du collecteur. Ce doit être tout près d'ici."
Ils descendirent. Leggy hésita.
"Doomy, reste ici. Tu gardes l'engin et le paquetage."
Elle fouilla dans les sacs, en tira une épée énergétique dans son fourreau qu'elle fixa à sa ceinture, un pistolet laser et un pistolet automatique qu'elle enfouit dans ses poches. Paolo fit de même et se décida pour un fusil à pompe et son fusil de précision dont il démonta la crosse et la lunette de visée. De cette manière, il pouvait presque l'utiliser comme une arme de poing.
"En avant."
Ils n'eurent pas à parcourir plus de trois cent mètres, avant de trouver l'entrée du collecteur, gouffre de métal rouillé qui s'enfonçait en pente douce dans la muraille. L'odeur qui en échappait était si infecte que Leggy crut défaillir et Potbelly vomir ses plaquettes de nourriture concentrée. Le sol visqueux était tapissée d'une sorte de boue jaunâtre et phosphorescente.
"Mes bottes en cuir de chez Biderman", piailla le ratling. "Trente jours de solde pour me les payer et elles vont être foutues !"
"Cesse de geindre. Tu n'entends pas du bruit ?"
"Si. Bruit d'eau qui coule ; grincement métalliques ; ça vient d'un peu partout… Et… Des grattements ; des feulements ; c'est d'origine animale je dirais ; ça vient de la gauche."
"Alors on va à gauche."
Potbelly pataugeait jusqu'au genoux dans la boue lumineuse, un mouchoir sur le nez et son fusil de précision dans l'autre. Pour ses sens aiguisés, l'odeur épouvantable du collecteur était une torture bien pire que pour un être humain à l'odorat moins affiné. Ils progressèrent sur plus de cinq cent mètres avant d'arriver à un nouvel embranchement.
"Et maintenant ?"
"Je ne sais pas moi. A gauche encore."
Le tunnel se rétrécissait au point que Leggy était obligé de se pencher pour avancer. Le sol était plus sec à cet endroit, ce qui signifiait qu'ils étaient désormais privés de la lumière émise par la boue. Quand ils furent dans le noir complet, Leggy empoigna sa lampe-torche.
"Je veux pas mourir sans avoir tiré mon coup une dernière fois !" ragea Potbelly. Tout être vivant à droit à ça, merde ! Je sais pas moi, c'est une question de respect quoi ! Hé !"
Il n'avait pas vu que Leggy s'était arrêté devant lui et tomba sur son séant en la heurtant.
"Prévenez quand – "
"La ferme."
Paolo se releva prudemment. Dans les ténèbres devant lui, il devinait une présence. Que même lui ait pu se laisser surprendre indiquait que leurs opposant était d'une discrétion phénoménale. Des yeux en amande brillaient dans l'obscurité.
"Ne braquez pas votre lampe sur eux si vous voulez mon avis. Chez la plupart des mammifères, ce serait considéré comme une agression."
"Qu'est-ce qui te fait croire que ce sont des mammifères ?"
"Qui dérange mes amis ? Mes chéris ?"
La voix était aiguë et chevrotante.
"Qui êtes-vous ? Partez étrangers ! J'aime pas les étrangers !"
Leggy avança très doucement. En arrivant à la hauteur des yeux en amandes, elle put voir qu'il s'agissait de rats d'une taille monstrueuse ; ils étaient plus grands que Potbelly. Leurs fourrures étaient rongées par la gale et se décomposaient. Beaucoup portaient des marques de blessures gravement infectées, avaient la queue cassée ou un œil crevé dont un pus immonde s'écoulait sans discontinuer. Les incisives étaient de dimensions prodigieuses et dépassaient des gueules dont dégoulinait une bave noire.
"Pardonnez-nous de déranger votre quiétude monsieur," fit Leggy d'une voix qui se voulait apaisante. "Nous nous sommes permis de venir vous voir parce qu'on nous a indiqué que votre connaissance et votre sagesse sont grande et que nous avons besoin de vous."
Une masse de haillons bougea dans les ténèbres.
"Je ne sais rien ! Laissez moi tranquille !"
"Nous vous avons apporté un présent."
La masse bougea à nouveau.
"J'ai besoin de rien ! Mes chéris m'apportent toute la nourriture que j'veux. Si vus avez pas une bonne bouteille de tord-boyaux de la rue au Croque-mitaine à m'offrir, c'est pas la peine de rester."
Leggy cacha sa main derrière son dos et l'agita rapidement. Potbelly y plaça en soupirant une topette d'alcool qu'il avait tiré de sa poche.
"Mais nous avons beaucoup mieux à offrir monsieur. Le meilleur tord-boyaux de toute la ruche !"
Une main décharnée aux ongles crasseux et cassés surgit du tas de haillons et saisit la bouteille. Le silence qui suivit ne fut troublé que par un bruit de déglutition.
"Ouahah ! Ben z'avez pas menti c'est l'meilleur truc que j'ai bu depuis longtemps ! Vous m'plaisez bien les étrangers ! Qu'est-ce vous voulez savoir."
"Monsieur, on nous a affirmé que vous connaissiez le moyen de gagner les niveaux supérieurs de la ruche. Si c'est bien le cas, nous vous serions gré de nous l'indiquer."
Le tas de haillons fut agité de soubresauts. La créature devait rire.
"Un moyen… de gagner… les niveaux supérieurs ! Y en a pas ! J'ai passé ma vie à explorer ce niveau. J'suis un grand aventurier ! Un grand explorateur ! Toute ma vie j'ai cherché un moyen de sortir de ce trou ! Ben y en a pas ! Aucun z'entendez ! Alors j'ai compris qu'l'Emp'reur m'avait mis là pour que j'y crève parce que c'est not' destin à tous. Tous ! Alors puisqu'i' faut crever dans un trou à rats, j''suis v'nu vivre ici 'vec mes chéris. Valent bien mieux qu'des hommes."
Leggy se grattait la tête avec perplexité.
"Mais il doit bien avoir un moyen. Si vous avez vraiment exploré ce niveau, vous en avez certainement entendu parler au moins…"
"J'sais rien d'plus ! Fichez l'camp maintenant !"
Les rats mutants devinrent soudain nerveux. Leurs griffes raclaient les parois de l'égout et leurs babines se retroussaient.
"Mes chéris ! Mes petits ! Ils sentent qu'y a des mutants dans l'coin."
"Des mutants ?"
"Oui. Des zombies des égouts. C'est à cause d'vous qu'ils ont été attirés. Ils attaquent les humains. Moi y a mes chéris qui m'protègent mais j'veux pas qu'ils viennent ici. Fichez le camp maintenant !"
Leggy empoigna l'épaule de son compagnon.
"Doomy !"
Ils tournèrent les talons et se lancèrent dans une course éperdue à travers le labyrinthe du collecteur pour revenir vers l'entrée, pataugeant dans la boue phosphorescente. Le ratling était fou de rage.
"PU-TAIN ! Une pleine boutenche d'alcool de grain distillé de ma planète pour ce vieux con ! Le meilleur alcool de la galaxie, vous avez vu comment il l'a sifflé le mec ! Ben merde, ça me perfore l'anus !"
Ils émergèrent de la paroi pour entendre une fusillade au lointain, venant de l'endroit où ils avaient laissé le buggy. Leggy accéléra encore sa course. Derrière elle, Potbelly peinait à suivre.
"DOOMY !"
Il stoppèrent à cent mètres du buggy, figé par le spectacle d'horreur. Une marrée de monstres humanoïdes décharnés à la peau grise, aux yeux rougeoyants et aux griffes longues et jaunes avançait sur l'ogryn qui faisait feu sans discontinuer de son Ripper Gun, fauchant les créatures mutantes rang après rang. Les corps rachitiques étaient pulvérisés par les munitions explosives que vomissait l'arme mais Leggy eut un haut-le-cœur en voyant un des mutants tranché en deux au niveau de l'abdomen continuer sa progression vers l'ogryn en rampant, griffant le sol de ses ongles et laissant derrière lui une traînée de sang noir tel une limace immonde.
Potbelly avait ajusté son fusil de précision.
"Dix cartouches, dix morts," se vanta-t-il.
Il ajusta et fit feu par trois fois. Un seul zombie, visiblement frappé à la tête s'écroula pour reprendre immédiatement son avance en rampant.
"Ils sont complètement insensibles à la douleur," cria Leggy. "Il faut les mettre en charpie pour les arrêter."
Elle avait dégainé et activé son épée énergétique et courait pour rejoindre Doomy qui grognait en s'escrimant sur son Ripper Gun enrayé. Il attrapa une grenade à fragmentation qui pendait à sa ceinture et dans un geste quasi automatique, coinça la goupille dans sa canine, tira et jeta le cylindre dans la masse de ses opposants. Vingt mutants périrent dans la boule de feu pour être aussitôt remplacés par vingt autres. Puis ils furent sur lui. D'une main, Jim Doomy tenait son Ripper Gun par le canon, frappant les créatures de la lourde crosse, assénant de l'autre de terribles coups de poings qui faisait voler en éclats les têtes et les cages thoraciques. Leggy se jeta dans la mêlée, exécutant de grands moulinets de son épée, décapitant, tranchant les corps, repoussant ses adversaires de vigoureux coups de bottes avant de les réduire en morceaux. Rien ne semblait pouvoir endiguer la marée. Potbelly avait troqué son fusil de précision pour son fusil à pompe chargé de balles explosives. Il se jeta à son tour au contact, tirant à bout portant, faisant éclater les têtes comme des fruits trop mûrs. Le sol était jonché de cadavres.
Puis ce fut fini. Quelques mutants survivants tournèrent les talons et s'évanouirent dans les ténèbres au loin laissant des dizaines des leurs étendus sur le sol.
La première préoccupation de Leggy fut de trouver la pharmacie dans leurs paquets avant de consacrer un long moment à inspecter attentivement les bras de l'ogryn pour nettoyer longuement et panser soigneusement les plaies qui les recouvraient. L'ogryn n'avaient subi que de vilaines griffures mais dans cette atmosphère insalubre, elle imaginait la moindre infection devenir rapidement mortelle sans compter les innombrables maladies que devaient porter ces répugnants rebuts organiques si ignoblement différents des Humains Vrais. Doomy avait remis en état de fonctionnement et rechargé machinalement son arme et se laissait maintenant faire sans broncher sous l'œil égrillard de Potbelly.
"Hé Léa, moi aussi je me suis fait griffer là, regardez, ça s'infecte, c'est horrible, je vais mourir !"
Leana lui jeta la bouteille d'antiseptiques.
"Débrouille-toi."
"Superbe représentation mais le spectacle est terminé."
Leggy sursauta. Trente hommes avaient surgi de la pénombre et les entouraient, leurs armes braquées sur eux. La main de Doomy se serra sur la poignée de son Ripper Gun mais il interrompit son geste quand Leggy lui toucha doucement l'épaule, lui intimant l'ordre de ne rien faire.
"Faites pas les malins !" L'homme qui parlait était un colosse torse nu dont le système pileux se réduisait à une barbiche noire et une crête cheveux qui barrait le milieu de son crâne. "Toi le gros balance ton flingue et approche les mains sur la tête et à pas très lents."
Jim se leva doucement et jeta son arme à dizaine de mètres devant lui. Leggy tiqua. L'arme au sol restait pointée en direction des hommes, la poignée tournée vers la droite de Doomy tandis qu'il avançait les doigts croisés sur la nuque. Il n'aurait pas procédé autrement s'il avait par exemple l'intention de plonger au sol pour la ramasser très rapidement, songea-t-elle. Deux des brutes coururent et braquèrent leurs fusils laser sur la gorge de l'ogryn pour le maintenir en respect.
"C'est bien. Maintenant toi la gonzesse, ton épée. Par terre. Tes flingues aussi. Approche par ici. Les mains sur la tête. Toi, fouille la."
Un des hommes s'approcha de Leggy pour palper très soigneusement ses vêtements. Une inspection de plusieurs minutes fut nécessaire pour déterminer que les parties les plus intimes de son corps ne recelait pas une arme. Leggy garda le silence mais nota soigneusement le visage de l'homme.
"Le gnome il est où ?" demanda l'homme à la crête qui semblait être le chef de la bande.
"On s'en fout du gnome" suggéra un des hommes.
"C'est les trois qu'il nous faut abruti ! Retrouvez le moi ! Allez, plus vite que ça ! Il a pas pu aller loin !"
Quelques hommes se dispersèrent dans l'obscurité. Leana jeta un œil au tas de paquets dans le buggy et vit que le sac à dos du ratling avait disparu. Le chef du gang s'approchait d'elle, la gardant soigneusement en joue.
"Qu'est-ce que vous nous voulez ?" demanda-t-elle froidement.
"Nous ?" La voix de l'homme s'était faite enjôleuse. "Rien. On vous veut rien du tout. Ce qu'on veut c'est ça."
Il brandit sous le nez de Leggy une feuille de papier frais qu'elle empoigna pour l'étudier. La feuille portait le tampon de son régiment, un second, administratif, probablement celui des autorités de la ruche et un troisième inidentifiable. Au centre, une photo d'elle-même, une de Jim Doomy et une de Paolo Potbelly. Le texte en dessous disait simplement : "Recherchés. Attention, ces trois criminels sont extrêmement dangereux. Morts : 5.000.000 crédits. Vifs : 20.000.000 crédits"
Leana éclata de rire.
"Vous vous faites rouler dans la farine ! nous valons trois fois plus."
"Vingt millions de crédits c'est suffisant pour aller tous vivre comme des rois au plus haut sommet de la ruche pour moi et pour tous mes gars. Je sais pas ce que vous avez fait pour que vos têtes soient mises à ce prix mais je m'en fous."
Il se retourna pour crier :
"Bon alors vous me le trouvez ce foutu nabot !"
"Il est nulle part !" répondit une voix dans le lointain.
"IL NOUS LE FAUT AUSSI !"
Il s'intéressa de nouveau à Leggy soulevant délicatement sa robe de cuir de la pointe de son arme jusqu'aux cuisses.
"Et puis si c'est pas assez de pognon, on peut trouver une compensation."
Leggy se retourna vers les hommes en demi-cercle autour d'elle et lança froidement :
"Y a-t-il parmi vous un homme qui est en quelques sortes le second de ce miteux ?"
Le chef prit une mine vexée. Les hommes se regardaient entre eux. Finalement, l'un d'eux émergea des rangs.
"C'est moi."
Leana eut le souffle coupé en voyant l'homme qui s'avançait. Ses vêtement étaient râpés et usés mais visiblement propre et bien entretenus selon les standards de l'endroit. Il portait des bottes de cuir que recouvraient de larges guêtres, un pantalon et une solide chemise de toile et long manteau de fine laine brune. Un chapeau à larges bords était posé sur sa tête. Mais ce qui frappa le plus Leana était son incroyable beauté : Un corps parfaitement proportionné aux muscles clairs et saillants d'athlète énergique, un visage parfaitement découpé aux traits subtils, un nez fin, des yeux bleus et clairs, une barbe et des cheveux blonds parfaitement taillés. Sa stature et sa posture n'avaient rien d'arrogantes – elles n'en avait pas besoin : Il irradiait naturellement une sorte d'aura quasi mystique de perfection biologique qui le rendait impossible à ignorer. Le plus magnifique et le plus fin spécimen de pureté génétique qu'on ait pu imaginer, issu tout droit d'un rêve de fer au milieu de l'humanité molle, décadente et mutante qui l'entourait.
"Sigfried Von Sylboudöring, pour vous servir madame."
"C'est désormais toi le chef de cette bande." Leggy agita le pouce en direction de l'homme à la crête. "Lui il est viré."
L'intéressé vira au rouge vif. Il attrapa Leggy et la nuque et la secoua violemment.
"T'as tort de rire salope ! J'vais – "
Leggy s'arracha violemment de l'étreinte et répéta d'une voix glaciale :
"J'ai dit : tu es viré."
Son visage fut aspergé de sang quand le crâne de l'homme explosa en même temps que résonnait une détonation dans le lointain. La balle suivante se logea dans le ventre d'un des deux hommes qui gardait Doomy. La panique saisit les autres membres de la bande qui eurent une réaction typique de troupe mal entraînée et non commandée : certains se jetèrent à terre, d'autres se retournaient en tous sens pour scruter les ténèbres, lâchant d'inutiles rafales au hasard. Sept hommes s'écroulèrent les uns après les autres puis le silence retomba.
Quand les hommes de la bande relevèrent la tête quelques secondes plus tard, Leggy avait un pistolet dans chaque main. Doomy tenait dans la main droite son Ripper Gun braqué sur eux et dans la main gauche la tête dégoulinante de sang et de fluide encéphalique de son deuxième garde. Sigfried soupira et frappa rageusement le sol du poing.
"Tout le monde debout," lança Leggy. "Tout doucement. Les armes au sol et les mains sur la tête. Et ne jouez pas aux héros." Elle désigna l'ogryn du menton. "Il ferait de la bouillie avec vos têtes."
Potbelly arrivait en sifflotant, son fusil de précision sur l'épaule.
"Pas trop mal Potbelly mais tu baisses."
"Ah ?"
"Tu as vidé ton chargeur. J'ai bien entendu dix détonations. Et je ne vois que neuf cadavres."
Un des malfrats tomba soudain à genoux, les mains sur le plexus. Ses yeux s'arrondirent de surprise alors qu'un ruisseau de sang coulait entre ses doigts. Puis sa tête bascula et il tomba au sol.
Potbelly fit claquer le plat de sa main sur son gros ventre et partit d'un rire bête.
"Alors ? J'ai pas une – "
"Une grosse bitte, je sais." Leana se tourna vers Sigfried. "Je crois qu'en dédommagement des ennuis que vous nous avez causé à mes compagnons et moi-même, vous pourriez faire quelque chose pour vous faire pardonner. Comme… nous offrir un verre. Ah, au fait Jim..."
Elle chercha des yeux la brute qui l'avait fouillé un peu trop intimement quelques minutes plus tôt et le désigna du doigt à l'ogryn.
"J'ai horreur qu'on me touchent les seins sans permission. Et j'ai encore plus horreur des pusillanimes et des paresseux qui ne font QUE me toucher les seins."
La première balle quitta le canon du Ripper Gun pour aller disperser les organes génitaux du gangster sur un rayon de quinze mètre. L'homme n'eut guère le temps d'essayer sa nouvelle voix avant que la seconde ne fasse subir un sort similaire à son cœur.
***
"Nous sommes en guerre contre la guilde des marchands qui nous exploite et nous pille," expliqua Sigfried. "C'est eux qui ont relayé votre signalement ici. Ils sont très riches et très puissant dans ce coin où tout s'achète. Mais surtout nous sommes en guerre contre les mutants. Ces ordures de rebuts, on peut pas les supporter. Ils vivent sur notre dos, ils tuent nos enfants. On les hait. Ils ne sont pas comme Nous-Autres. On les tue chaque fois qu'on en a l'occasion. Mais ils sont dangereux et nombreux. De plus en plus nombreux. Certains sont très difficiles à détecter. Il en vit beaucoup au milieu de nous dont on ignore la présence parce qu'ils ressemblent beaucoup à Nous-Autres. Parfois je me dis que nous sommes les derniers Humains Vrais dans ce monde et que nous sommes condamnés à laisser notre place aux mutants. Notre nombre décline et plus nous déclinons, plus ils prospèrent. Il y a même des hommes comme Nous-Autres qui prêchent la tolérance envers les mutants et qui affirment que nous pouvons tous vivre ensemble en paix et en harmonie avec eux." A cette idée abjecte, une expression de dégoût barra son visage. "Mais tant qu'il restera des Humains Vrais conscients de leur nature, ils n'auront pas gagné ; nous ne périrons pas sans avoir combattu !"
Ils étaient réunis, Leggy, Potbelly et Von Sylboudöring, dans un grand hangar aménagé tant bien que mal, assis autour d'une table, une pinte d'une boisson peut goûteuse devant eux. La repaire de la bande était situé dans un endroit désert et tranquille, loin des blocs d'habitations. Certains bandits étaient autour d'eux, écoutant silencieusement leur chef. D'autres vaquaient à diverses occupations. Doomy était assis dans un coin de la pièce, les bras croisés, surveillant la pièce.
Le discours de l'homme sonnait heureusement aux oreilles de Leana Leggy. Mais il lui semblait qu'il y manquait quelque chose qui aurait fait de l'homme un authentique chef de guerre et un militant d'exception de la cause sacrée de l'Humanité Vraie. Il y manquait l'ambition. L'homme avait passé toute sa vie dans l'ambiance morne et sale du sous-monde ignorant tout de l'existence du soleil au dessus de sa tête et de milliers d'autres soleils au-delà. Un tel parangon de pureté physique et spirituelle n'avait pas sa place dans ce cloaque, ne pouvait limiter ses capacités exceptionnelles au meurtre occasionnel de quelques mutants décérébrés. Elle le comprenait. Elle le devinait promis à un destin infiniment plus grand, infiniment plus glorieux.
Soudain saisie d'une fièvre mystique, elle empoigna avec extase le bras de son interlocuteur.
"Sigfried ! Veux-tu me suivre ? J'ai l'intention de quitter cette ruche, de trouver un accès vers les niveaux supérieurs. Je sais que cela est possible. C'est d'hommes comme vous, combatifs et conscients de la justesse de la cause pour laquelle ils combattent dont j'ai besoin. Pour faire triompher la lumière de l'Humanité Vraie sur la galaxie !"
Quelques uns des bandits s'esclaffèrent mais sans savoir pourquoi, Sigfried fut troublé. Il aurait du trouver le discours de Leana ridicule et pourtant, il sentit au fond de son âme que c'était là les paroles qu'il avait toujours souhaité entendre sans jamais en avoir la possibilité dans ce monde sinistre et trop étroit, à l'horizon trop proche et trop sombre. Il lui sembla soudain se réveiller d'un long cauchemar mais su en même temps que la réalité était inverse. Que l'apparition de ces étrangers dans sa vie était un signe divin, la brutale impulsion qui lui avait toujours manquée pour trouver la force de croire en son rêve, ce rêve de fer qu'il faisait, nuit après nuit, depuis son enfance misérable entouré d'hommes sans espoirs et de mutants hideux, détestables et puants.
Il empoigna la main tendue alors que la même fièvre d'extase se lisait à présent dans ses yeux clairs.
"Leana ! Je suis avec toi !"
***
FIN