Les Croix De Bois

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Me voici de retour avec un nouveau texte, s’inspirant de la guerre 14-18. Je m’essaye à une nouvelle sorte d’écriture, et un style différent. J’aimerais avoir vos avis et vos commentaires sur ce nouveau texte, qui est en quelque sorte en essai pour moi. Il me semble que ça soit le premier touchant cette période de l’histoire. Bref, je vous souhaite une bonne lecture !


Les Croix de Bois


1) Frères d’Armes


Le convoi avait ralenti, et je me suis réveillé brutalement. Le crissement des freins m’avait irrité le tympan. « Quelle machine à deux balles », avais-je pensé. Mais maintenant que je suis éveillé, je me dois de suivre les copains, qui sont déjà là, las et épuisés, en train de se vautrer sur le sol, à l’entrée du village. J’attrape mon sac et les rejoins silencieusement. Le soleil est déjà haut dans le ciel bleu. Il doit être Midi, ou presque. Quelques oiseaux passent au-dessus de nos têtes, comme pour nous narguer. Soudain, des bruits sourds nous font tressaillir. Des moteurs. Le convoi nous dit adieu, et le dernier véhicule était déjà loin quand j’ai reposé mon regard sur le village. A côté de moi, un grand type bouffi commence à attraper la grosse tête en parlant de guerre, et de combats.


-« Tu parles d’une guerre, même pas un clocher de démoli ! »


Le gros gars du Nord n’a pas tord. A part une ou deux maisons démolies et les trous des balles dans les murs et les façades, le village s’était plutôt bien tiré du combat. Au loin, cependant, on peut entendre le canon gronder et les tirs de réplique de l’infanterie. « Clap ! Clap ! ». Le long sifflement que j’entends est sans aucun doute le bruit des balles. Qui était au front, en train de se battre ? Le 186eme. Pauvres gars… !Et puis, tout d’un coup, je les revoie. On aurait cru qu’elles nous défiaient avec les noms banaux gravés sur leurs bras. Certaines étaient garnies de fleurs jaunes ou rouges, dernier au revoir d’une escouade à un compagnon, un camarade, un frère. Elles nous regardaient passer, d’un air triste. On pouvait penser qu’elles nous attendaient, ces foutues croix de bois.


Une voix rauque me sort de mes pensées. Un grand type blond, à l’air hautain, s’adresse à nous, jeunes recrues. On est à peine sortis de la caserne qu’on se tape déjà le discours d’un crétin d’adjudant. Ce type-là s’appelle Morache, l’adjudant Morache s’il vous plait ! Dès que je l’ai vu, j’ai su que je ne l’aimerais pas, on dirait qu’il nous prend pour de la bouse. Ah ! Ces vainqueurs de La Marne !


Nous pénétrons dans le village. Personne. Même pas un chien errant en quête de déjeuner. J’ai le talon tout écorché. Je dois avoir le pied en sang, vu comme je suis chargé. Nous sommes entrés dans une ferme et avons bu une soupe froide, à l’aspect verdâtre. Après ce maigre repas, un fourrier se pointe et répartit les copains par escouades, d’une voix froide. On voit bien que ça ne lui plait pas, ce sale boulot ingrat. Il crie, le front plissé et essaye de se faire entendre, en menaçant ceux qui lui font perdre son précieux temps.


-« Florès, la cinquième. Au bout du village ! »


J’attrape machinalement mes affaires, avale d’un coup sec mon verre de pisse, et sors de la ferme, d’un pas lourd. Je suis crevé. Bon Dieu, quelle chaleur pour un mois de Février ! Le soleil me grille le cerveau, et j’ai bien envie de me foutre à poil tellement je suffoque sous cette tenue de soldat. J’ai dû chercher de ferme en ferme durant de longues minutes, comme un chemineau sans gîte, lisant sur chaque porte les grands numéros tracés à la craie.


Je n’ai pas frappé. Je suis entré dans l’étable où la 5eme reposait, comme des porcs dans une basse-cour. J’ai déposé mes affaires près de la porte criblée de balles et me suis couché sur la paille. On ne peut pas dire que c’est mauvais. C’est pas du grand luxe, mais ça reste assez confortable. Un camarade, un grand type barbu, se mit à rire et beugla :


-« Hé ! Les gars, vl’à le renfort ! »


Alors, d’un même geste, ils se retournent. Et s’esclaffent comme des gosses, certains au bord de l’étranglement. Pauvres types. Même leur caporal, un homme maigre au teint cireux, portant le nom de Ricordeau, rit. Il a même les larmes aux yeux. Il parvient tout de même à se ratrapper. Il s’avance vers moi de manière gauche et me tend la main en me souhaitant la bienvenue. Je remarque qu’il lui manque un doigt. C’est pas beau à voir. Je la prend, et, d’un signe de tête, je retourne me mettre à l’aise, sur la paille.


Un grand copain, à l’air louche, rompt soudain le silence et raille d’une voix trainante :


-« Les nouveaux, tous pareils. Ils veulent nous impressionner avec leurs bonnes manières et leurs sous, mais quand ils s’ront près des Boches, ils leur lécheront les godasses en le suppliant de les épargner ! »


Toute la cinquième se met à rire bruyamment. Sauf moi, bien sur. Les autres approuvent leur camarade avec des « Bien dit, Sinclair ! » ou des « J’aurais pas mieux fait, Sinclair ! ». Le dénommé Sinclair sourit, il est fier de sa plaisanterie, apparemment. Tas de vaches ! Il continue quand même, voyant qu’il n’avait pas été assez loin :


-« Je suis sur que si un Boche te demandait de le sauter, la première chose que tu ferais serait de l’aider à se déculotter ! »


Je suis resté impassible. Je n’ai même pas sourcillé, même pas frémi. J’ai fais lentement demi-tour et suis sorti sous le ciel bleu de France. Deux brancardiers passent devant moi, portant un sergent à la tête voilée. On l’avait enfoncé dans une musette, comme une cagoule, et l’on devine l’horrible blessure, sous ce suaire de sang caillé. Il portait une alliance au doigt.

(Modification du message : 08-03-2006, 18:36 par Méphisto666.)

Tu sais qu'il existe un livre de Dorgeles qui traite du meme sujet et qui s'appelle les croix de bois?


Genre un livre ou y a des gens qui s'appelle Ricordeau et Morache


Ca demande peut etre quelques explications?


Citation :Ca demande peut etre quelques explications?

Bien entendu :)


Je l'ai même dans ma bibliothèque si tu veux tout savoir. Je l'ai lu il y a quelques temps et j'avais vraiment accroché au style et à l'histoire. D'où l'idée de m'en inspirer, en piquant au passage le nom Morache et Ricordeau que j'aimais particulièrement bien. Pour le titre, vu que voyais où je voulais en venir, et vu aussi mon manque total d'inspiration, j'ai pris le titre, en l'occurence "Les Croix de Bois". Pour le reste, j'espere que tu as remarquer que ça différait ? Sauf l'intro, où ils descendent du convoi. Le style, je m'en suis inspiré, d'une part parce qu'il convenaità merveille à l'époque, et d'autre part parce qu'il me plaisait et que je voulais l'essayer.


Satisfait ?


EDIT: après reflexion, il m'est évident que de piquer le titre d'un livre archi connu porte à la confusion, comme l'a prouvé Barbu. Bref, je jure solonnelement de changer tout ce qui pourrait être considérer comme du plagiait (titre et noms) et ce, dès que je trouve l'inspiration et un truc convenable pour remplacer. Je m'excuse de mon manque de tact.

(Modification du message : 08-03-2006, 20:24 par Méphisto666.)

Yop, y a pas de mal, juste une deformation professionelle de ma part, a force d'avoir le nez dans le code civil pour mes cours sur le droit d'auteur..


Comme je le disais, une petite explication ne fait pas de mal, c'etait effectivement trop gros pour etre vrai, mais bon des fois sur internet, on voit des trucs...


Sinon le texte est sympa, tu aurais pu sans trop d'efforts le convertir en quelque chose de l'univers de 40k aussi.


Si c'est un essai d'appropriation personnelle, alors, amha, il est réussi : le style est très agréable, nourricier.


Je n'ai tiqué que sur d'apparents anachronismes de langage dans les dialogues : "machine à deux balles" et "le sauter", outre d'être insuffisamment imagés pour un poilu de 14 (qui était paysan, manoeuvre ou artisan, avec le particularisme verbal de chacun de ces univers géographiques et sociaux), sont d'un modernisme déconcertant.


Si il y a une suite, elle est attendue.

(Modification du message : 11-03-2006, 09:49 par KDJE.)