Châtiment

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<b>Prologue.</b>


Le son clair et limpide du chœur s’éleva dans la salle voûtée. La cathédrale résonnait de mille chants de gloire honorant le tout puissant Empereur-Dieu de l’humanité, où les fidèles, l’élite de la ruche Nocturnus, se pressaient depuis plusieurs heures déjà. Trois mille croyants, trois mille âmes. Trois mille notables. Le capitaine Damas du XVI° voltigeur jeta un regard en coin vers les bancs situés à quelques mètres à sa droite. Le gouverneur de la ruche et ses plus fidèles conseillers siégeaient en première place, à côté du haut commandement de Decra Prime. Bientôt, la fondation prendrait la direction des transporteurs de l’Imperium, avant de partir au combat. Pour la plus grande gloire de l’Empereur et de Grais Holzmichel, gouverneur de la planète et de la ruche Nocturnus.


Les chœurs reprirent ensemble un nouvel hymne, chantant en haut gothique la libération du système de Decra, à l’aube de leur histoire. Damas connaissait ce passage depuis sa prime enfance, lorsque les mécas-instructeurs lui avaient appris, à lui et ses pairs sang-bleu, l’histoire de leur système et leur rôle dans le grand dessein de l’Empereur. Combattre et mourir pour lui, pour purger les étoiles.


Un frisson glacé parcourut l’échine du capitaine, malgré la chaleur étouffante dégagée par cette foule fanatique réunie en ce lieu saint. La seule pensée de devoir quitter le sol de sa planète pour un autre monde… toutes ces histoires, tous ces mythes sur la conquête d’autres planètes… Eric Damas n’avait jamais pensé devoir un jour s’envoler pour une autre planète, pour un autre monde. Lui qui avait réprimé les émeutes du douzième niveau, lui qui avait affronté les gangs les plus dangereux de Nocturnus craignait de devoir quitter sa terre, son univers.


Son univers… Le regard du capitaine Damas glissa quelques mètres plus loin dans la foule, vers la famille du gouverneur. Son cœur fit un bond en avant à la vue de la jeune et délicieuse Alicia, fille unique du puissant Holzmichel. Sa chevelure châtain encadrait à merveille son visage pâle. Ses yeux noisette fixaient fermement les prêtres de l’empire bénissant la foule. Damas savait que la jeune fille était consciente de la présence de son amant. Malgré leur dispute de la veille, le jeune capitaine savait leur amour intact ; pour elle, il était prêt à braver le courroux de l’empire entier, en désertant son régiment. Pour rester auprès d’elle. La jeune fille, vêtue telle les anciennes vestales dans une longue robe immaculée, avait refusé l’offre du capitaine, arguant de sa destinée de maîtresse de la ruche. Eric savait pertinemment que son amour mentait pour le protéger lui, lui qui avait su découvrir en elle des trésors de douceur et de joie, alors que ses pairs la voyait comme une enfant capricieuse, changeant d’amants au gré de ses caprices.


Ils se trompaient. Un mince sourire étira les fines lèvres d’Alicia. Le cœur de Damas se mit à battre la chamade, mais il devait se contenir. Leur amour devait rester secret, du moins jusqu’à ce qu’il trouve un moyen de fuir sa compagnie. Il savait déjà que durant le voyage jusqu’au gigantesque astroport construit pour l’occasion, la garde serait à son maximum. Mais lui-même serait chargé d’assurer la sécurité sur une partie du trajet… L’alibi idéal pour s’éclipser…


Une ombre se dressa devant le capitaine, qui sursauta. Un prêtre dévot de l’empereur se présenta devant lui, déclamant ses litanies glorifiant l’empereur dieu. Damas se fustigea intérieurement. Ses pensées risquaient de finir par le trahir. Il devait faire preuve de plus de discipline que cela. Se ressaisissant, le jeune officier du XVI° voltigeur se redressa, reprenant les cantiques maintes fois appris. Encore quelques heures…


* * *


Le son des instruments couvrait à peine le bruit des milliers de soldats en marche. La foule de Nocturnus ne participait pas à la liesse de l’élite ; le 16° était réputé pour sa férocité dans la répression des émeutes, et bien des familles avaient été exécutées pour l’exemple. Tel était le prix à payer pour maintenir l’ordre dans une ruche surpeuplée. Et le gouverneur était près à payer bien plus encore pour protéger ses privilèges. Les soldats superbes aux uniformes noirs et pourpres avançaient dans une discipline parfaite vers les aires d’embarquement. Chaque section de douze hommes était menée par un sergent, formant des sous compagnies de douze sections chacune. Les sous-compagnies était au nombre de douze elles aussi, menées chacune par un capitaine, fils d‘une des hautes maisons de la ruche. Avec le groupe de commandement, et sans compter les sections de soutien, Damas était responsable de mille huit cent hommes, aguerris aux combats de rues. Ses hommes à lui. Issus des profondeurs de Nocturnus, une racaille élevée au rang de guerrier de l’empire, une racaille bien décidée à se hisser au rang de maîtres de leurs pairs. La vie de leurs anciens frères ne comptait pas à leurs yeux, eux qui s’étaient extrait de la fange en attirant l’attention des recruteurs militaires de Nocturnus. Et pour ces raisons, ils étaient l’élite militaire de la ruche.


Damas regarda longuement les files de soldats défiler devant lui. Bientôt, le segment du niveau dont il avait la charge verrait les blindés de la compagnie passer, puis encore quelques milliers de soldats. Ensuite… ensuite il fermerait la marche, vérifiant que nul ne déserterait la colonne. A part lui… La cadence martiale de son régiment fut peu à peu recouverte par le bruit de chenilles. Les tanks apparurent bientôt dans l’atmosphère lourde de la ruche, puis enfin la fin de colonnes… Les minutes s’égrenèrent lentement, au fur et à mesure que les derniers soldats passaient devant lui… Le sergent de sa section vint lui faire son rapport ; deux hommes avaient été saisis, puis exécutés sommairement alors qu’ils s’étaient éloignés de la colonne. Des pertes de transhumance, dans le jargon. Damas ordonna à sa section de suivre la colonne, selon le schéma standard. Lui-même allait fermer la marche jusqu’au prochain segment où un de ses pairs prendrait la relève.


Le sergent se tourna vivement vers lui, le frappant à la tempe de la crosse de son pistolet. Eric Damas s’effondra, un cri étouffé au fond de la gorge. De violents coups de bottes l’atteignirent au visage et dans le ventre, le rendant complètement impuissant alors que les rires de ses hommes l’encadraient. Un voile rouge de douleur lui recouvrit les yeux, alors que le monde se mettait à tanguer autours de lui… Damas entendit vaguement des accusations de désertion, ainsi qu’une condamnation… Puis il sombra dans l’inconscience.


<b>Chapitre 1 : L’enfer de Paradisia.</b>


Les deux soleils dardaient leurs rayons brûlant sur le vaste camp. Les gardes frappaient encore et encore le malheureux dénudé, noyé dans la poussière rouge de la planète. Le régiment entier était rassemblé, dans un garde-à-vous impeccable, encadrés par les gardes vêtus d’un noir profond et armés des redoutables fusils de douleur.


Les cris du malheureux déclinèrent petit à petit alors que la violence de ses bourreaux augmentait. Puis ce fut le silence. Le jeune homme avait perdu connaissance. Le rire de ses tortionnaires n’augurait rien de bon. Debout depuis des heures sous les soleils ardents, Damas s’asphyxiait. Il savait que la punition prendrait bientôt fin, mais supporter l’atmosphère de Paradisia était pour lui la pire torture qui puisse exister. Peu importait le sort du malheureux ; sa vie était déjà finie. Comme pour répondre à ses pensées, le camarade commissaire Darden s’avança devant la foule, suivi par le capitaine Khalgar. Les bourreaux du camp.


Vêtu de son sempiternel uniforme noir, Darden représentait la terreur de l’imperium, la mort incarnée. Le camarade commissaire avait droit de vie et de mort sur chaque membre du camp pénal, et plus d’un légionnaire avait péri pour son seul plaisir sadique. Une machine à tuer, voilà ce qu’il était. La poussière rouge souillait ses bottes noires, dont il se servit pour écraser le visage du légionnaire dans le sol. Un gémissement plaintif parvint aux oreilles de Damas. L’imbécile était toujours en vie. Tant pis pour lui.


« Légion pénale de Paradisia. » Commença le camarade commissaire.


« La matricule 9-2-818 s’est rendu coupable de refus d’obéissance. En tentant de se soustraire à un exercice standard ordonné par son sergent instructeur, il s’est rendu coupable de mise en danger de l’ensemble du régiment, et donc de l’empire. Une seule sentence à son crime : la mort. »


Un vague murmure parcourut le régiment rassemblé. Cet exercice standard était une mascarade, destinée à éliminer les éléments perturbateurs. Traverser un champ de mines anti-personnelles à pieds… Damas soupira intérieurement. Cet imbécile aurait mieux fait de sauter tout seul, cela lui aurait épargné des souffrances inutiles.


Le lieutenant Khalgar s’avança vers le condamné, dégainant son pistolet bolter. Un sourire cruel se dessina sur ses traits, alors que les autres gardes s’écartaient pour laisser le régiment profiter pleinement du spectacle.


« Colle ton œil au canon » La voix glacée du capitaine porta pleinement sur l’assemblée. Tous savaient désormais ce qui allait se passer.


« Colle ton œil au canon. »


Le condamné, meurtri dans sa chair et son esprit gémit de plus belle en comprenant que la fin était arrivée.


« J’ai dis : colle ton œil au canon. »


Une seconde d’hésitation. Le capitaine changea légèrement l’orientation de son arme et appuya sur la détente. Une balle de bolter jaillit du canon de l’arme, arrachant la main gauche du supplicié dans une abominable giclée de sang.


Les cris de souffrance du légionnaire n’émurent pas le moins du monde ses pairs. Il avait lui-même choisit son destin.


« Colle ton œil au canon. »


Le condamné secoua la tête, serrant désespérément le moignon de sa main déchiquetée par la balle de bolter. Son refus agaça de nouveau le capitaine qui visa cette fois le pied du malheureux. Une nouvelle détonation. Le pied droit du malheureux fut transformé en pulpe sanglante, alors que ses cris de souffrances résonnaient dans l’air surchauffé du camp.


« Colle ton œil au canon. »


Lentement, malgré la douleur, le condamné se redressa sur un coude. Mais la souffrance l’empêchait d’atteindre le bout du tube de métal gris. D’un geste de la tête, Khalgar ordonna à deux gardes d’aider le prisonnier. Pas de la mansuétude, non, mais l’heure de leur repas approchait, et Khalgar ne ratait aucun souper.


Le visage du condamné fut collé sur le canon de l’arme, alors que des larmes coulaient le long de ses joues. La peur se mêlait à la souffrance sur le visage tuméfié du futur mort.


« Rends-moi un service soldat. »


L’œil libre du condamné se leva vers le capitaine, plein d’un espoir futile et inutile.


« Préviens-moi quand tu verras la balle arriver. »


Une détonation. La moitié du crâne du condamné disparut dans une autre gerbe de sang, tandis que son corps s’effondrait dans le sol poussiéreux du camp de Paradisia. Immédiatement, deux gardes se saisirent du corps sans vie et le traînèrent par les pieds vers l’enclos des molosses. Le capitaine nourrissait ses bêtes régulièrement en viande riche, afin de les maintenir en forme pour son sport favori : la traque des fuyards.


Sans un mot de plus, le camarade-commissaire et le capitaine prirent la direction du mess, tandis que le régiment attendait, dans un garde à vous parfait. Tant que l’ordre ne leur en serait pas donné, les hommes ne pourraient pas bouger, sous peine de mort. Ils risquaient d’attendre longtemps, sous les deux soleils infernaux…


* * *


La poussière soulevée par la colonne rendait l’air irrespirable. Mais cela n’était rien par rapport à l’insoutenable chaleur harassante que charriaient les soleils jumeaux éternels. Damas s’était longtemps targué de sa grande culture dans la ruche de Nocturnus, qui lui avait valu les éloges de tous ses précepteurs ; cette culture aujourd’hui, lui valait de savoir quel serait son calvaire pendant encore de longs mois, jusqu’à sa mort peut-être.


Paradisia, première planète du système Euclidien, système voisin de celui de Decra. Un monde brûlé par deux soleils très proches, la planète exposant toujours la même face aux rayons infernaux. Ce monde désolé était ainsi coupé en deux zones, l’une brûlée au dernier degré sur laquelle les camps des légions pénales étaient situés, et l’autre complètement gelée et balayée par des tempêtes de glace où survivaient quelques pauvres communautés de mineurs. Rien ou presque ne poussait sur ce monde. Un enfer, servant à se débarrasser de la lie de la société, des déchets des forces armées et des opposants devenus gênants.


Mais la théorie était loin d’égaler la réalité : aucun des holodisques ne parlait des scorpions manéens aux piqûres définitives, aucun livre ne mentionnait l’existence des cactus carnivores enterrés dans le sable jusqu’à ce qu’une victime surgisse malencontreusement, et personne n’avait fait allusion aux marches forcées en tenues de combat hivernale sous un soleil de plomb. Sous des soleils de plomb…


Un rictus de dérision et de souffrance apparut fugacement sur le visage de Damas. Ils avaient parcouru à peine la moitié du chemin de retour vers le campement, mais déjà les premiers signes de malaise se faisaient sentir. Il ne devait pas céder, pas lui le fils de l’élite de Nocturnus. Son rang et sa naissance lui interdisaient de céder devant la racaille de l’humanité. Il ne savait pas pourquoi le tribunal militaire et l’exécution sommaire lui avaient été épargnés, ni pourquoi il avait été envoyé sur Paradisia, mais une chose était certaine. Il survivrait. Il survivrait à cet enfer, et retournerait sur Decra Prime, de quelque façon que ce soit. Oh ! Il avait bien une idée derrière la tête au sujet de son sort… Mais sans preuve, rien ne servait de se torturer le cerveau jusqu’à la folie. Seule une chose comptait : sortir d’ici.


Un cri de terreur retentit à l’avant de la colonne, alors qu’une bourrasque de sable s’élevait. Les bagnards s’écartèrent vivement de l’endroit où un malheureux avait été happé par un cactus carnivore. La plante s’était refermé sur les jambes d’un légionnaire, l’entraînant toujours plus profondément sous le sable. Son ventre puis son torse se mirent à disparaître dans une mer de sable rougie par son sang, jusqu’à ce qu’un tir de rayon lui fasse exploser le crâne. Personne ne faisait preuve de pitié sur Paradisia, mais face à la planète, tous étaient solidaires. Le malheureux n’agoniserait pas des heures, lentement digéré par la plante mortelle.


Un ordre sec. Le sergent responsable de la colonne de marche rengaina son arme en ordonnant de reprendre la marche. La récréation était finie, comme ils disaient. En passant devant l’homme, Damas se surprit à s’étonner de la présence de ce soldat sur cette base, le seul véritable volontaire pour occuper un poste sur cette planète infernale. Un homme dur, autant que les autres gardiens de cet enfer, cruel parfois, impitoyable souvent. Mais il dégageait une dignité dont Damas ne se serait jamais attendue chez un homme du rang.


Voyant son prisonnier le dévisager ainsi, le sergent Wael fit un signe à deux matons proches. Les molosses saisirent brutalement l’ex-capitaine et le plaquèrent au sol sans ménagement.


Wael s’approcha, et décocha un coup de pied dans les côtes du légionnaire.


« Je vais t’apprendre ordure qu’ici on ne regarde pas ses chefs. Donnez-lui le cadeau… »


* * *


Damas titubait d’épuisement, le camp enfin en vue. Depuis des heures, la colonne était déjà rentrée et avait enfin eu l’autorisation de regagner leurs baraquements pour quelques fugaces heures. Le sac de pierre accroché à Damas se faisait de plus en plus lourd, le jeune noble ayant fourni jusqu’à la dernière parcelle de ses forces pour atteindre les limites du camp. Complètement déshydraté, Damas menaçait de s’évanouir, mais cela aurait signé son arrêt de mort. Personne ne l’avait surveillé depuis que le sergent Wael l’avait puni pour son impertinence. A quoi bon rester avec lui ? Damas était obligé de rentrer au campement de la légion pénale sous peine de mourir dans le désert rouge. Et impossible de détacher le sac de pierre, chaque fois qu’un puni s’était cru suffisamment malin pour faire cela en le remplissant à une poignée de kilomètres du camp, Wael l’avait instantanément su. Et les molosses du capitaine se régalaient de leurs ossements.


Encore quelques centaines de mètres. L’horrible soif qui tenaillait le militaire menaçait de le faire défaillir. Un voile noir avait déjà obscurci sa vue, alors que la fièvre qui le dévorait menaçait de le faire faillir à quelques pas à peine de son but…


Encore quelques mètres. Le monde se mit à tournoyer autours de Damas, la chaleur mortelle des deux soleils brûlant son visage découvert. L’épaisse tenue hivernale qui recouvrait son corps était souillée par le sable et la sueur, mais le corps de l’ancien capitaine du 16° ne pouvait plus supporter un tel traitement.


Ses jambes se dérobèrent sous son corps, et le monde se fit ténèbres…


* * *


Un gloussement de plaisir. La semi-obscurité de la chambre n’empêchait pas Eric de deviner les courbes gracieuses de son amante. Alicia esquiva habilement les caresses du jeune capitaine, s’écartant de quelques centimètres de lui, tel un félin jouant avec sa proie. Le voile de soie drapé autour de sa taille épousait à merveille ses délicates formes, ravivant le désir brûlant du jeune militaire pour sa tendre compagne.


Eric se redressa sur le coude, sa nudité exposée dans toute sa splendeur à son amante ; Alicia admira les muscles parfaitement dessinés de celui qu’elle avait choisi pour garnir sa couche. Un sourire aguicheur se dessina sur ses traits, alors qu’elle s’approchait millimètre par millimètres de son compagnon. Le jeune capitaine saisit délicatement la taille de la jeune femme, l’attirant lentement contre lui. Ses lèvres fines et délicates se trouvaient juste à sa portée, laissant paraître une abominable odeur de fumier.


Damas ouvrit les yeux. Les planches desséchées par l’air brûlant du désert qui se trouvaient au-dessus de sa tête le ramenèrent à la réalité.


Une douleur sourde tambourinait dans son crâne, alors que la lumière agressive de Paradisia lui blessait les yeux. L’odeur infecte des excréments tenaillait la gorge de l’ancien militaire de Nocturnus ; seuls les malades de l’infirmerie du camp pouvaient dégager une telle odeur, la dysenterie étant le pain quotidien des hommes du camp. La maladie n’était plus mortelle, mais continuait à ravager les boyaux des plus faibles. Damas tourna lentement la tête, au fur et à mesure que ses sens s’habituaient à son horrible douleur crânienne. Il aurait aimé rester dans ses rêves, mais le spectacle qui s’offrait à lui ressemblait plus au purgatoire qu’au paradis.


Des rangées de lits miteux occupés par des hommes tout aussi miteux, rongés autant par la maladie que par la vermine. Poux, puces, ou du moins ce qui y étaient assimilé sur ce monde pourri infestaient l’infirmerie malgré tous les efforts des légionnaires de service. Le bois des charpentes se desséchait en quelques jours, et des parasites de toutes sortes s’y nichaient instantanément. Utiliser autant de bois revenait une fortune au gouverneur de ce tas de sable, mais pas autant que de construire en dur. Cela faisait marcher les importations, ce qui attirait des marchands qui achetaient dès lors du minerai. Sans cela, la planète ne serait restée qu’un vulgaire roc à moitié stérile et à moitié glacé, ce qu’il aurait mieux valu être d’ailleurs. De toute façon songea Damas amer, cela faisait des années que le bois n’avait pas été remplacé. En fait, depuis que le camp avait été créé, il y a quelques années. Ou quelques siècles.


Damas remarqua que le nombre de lit occupé était assez peu élevé. Quelques hommes à peine, notamment « la poubelle », occupaient cet endroit habituellement surchargé. Le climat et le fonctionnement interne de la légion pénale occasionnait de nombreux accidents d’origine plus ou moins… accidentelles.


Tout à ses pensées, Damas ne vit pas le médecin du camp s’approcher de lui, jusqu’à ce que ce dernier lui pose la main sur l’épaule.


« Notre belle aux bois dormant à l’air de s’être enfin réveillée. »


Le petit homme chauve qui occupait le poste de médecin, n’avait pas la sympathie des hommes du camp. En règle générale, certaines personnes dans les régiments normalement constitués ont l’habitude d’être bien vu par leurs confrères. Les cuisiniers permettent à leurs copains d’avoir des rations supplémentaires, les responsables de la logistique ont toujours du matériel en surplus, et le médecin est l’homme qui remet tout ce joli monde sur pied. Parfois, il est même considéré comme un second père par ceux qu’il a sauvé. Pas Mat « le sac à gnole. »


Mat, médecin en chef du huitième camp de la légion pénale de Paradisia, surnommé « le sac à gnole » par ses patients, « le parasite », « marche pas droit »… Cet homme avait été envoyé à la légion pour contrebande d’alcool dans son ancien régiment, ce qui avait conduit à la mort quelques-uns de ses patients, lorsque le liquide toxique qu’il leur avait vendu leur avait perforé l’estomac. « Sac à gnôle » avait été roulé par ses collègues qui lui avaient collé par la suite l’intégralité de l’affaire sur le dos ; certaines rumeurs prétendaient que quelques officiers dirigeaient en réalité le trafic, mais tous les témoins avaient été exilés dans différentes légions pénales. Il ne faisait jamais bon d’être un larbin.


Du coup, « Sac à gnôle » avait fait une légère dépression en arrivant sur Paradisia, avant de se mettre sérieusement à la bouteille qu’il aurait auparavant vendue à ses pairs. Même s’il avait été sévèrement puni par les commissaires du camp, tous savaient que le petit chauve conservait quelques bouteilles en réserve, pour « désinfecter les plaies ». Ses plaies intérieures, notamment.


« Sac à gnole » posa une main à la propreté douteuse sur le front de son patient. Il grogna de satisfaction au bout de quelques secondes, avant de se retourner vers une petite table couverte de différents papiers et d’ustensiles plus ou moins médicaux. Le toubib se saisit d’un objet caché au milieu de ce bric-à-brac, avant d’exhiber avec satisfaction une gourde d’eau.


De l’eau… Damas se rendit soudain compte de la soif qui le tenaillait atrocement. Sa gorge était désespérément sèche, et le simple bruit du léger clapotis émanant du récipient rendait le jeune soldat presque fou. « Marche pas droit » regarda pendant quelques secondes le jeune homme tenter de rassembler suffisamment de force pour se saisir du liquide salvateur ; le chauve prenait visiblement un plaisir certain à voir le garçon se débattre vainement. Malgré la soif atroce qui l’obnubilait, Damas marqua intérieurement dans un coin de son esprit qu’il ferait payer cela au médecin.


Finalement, Mat « sac à gnole » se décida à déboucher la gourde. Il en avala une longue gorgée sous le regard furieux et désespéré de Damas, avant de finalement lui soulever la tête pour faire couler un mince filet dans la gorge du soldat.


Damas hoqueta de souffrance à la première gorgée, recrachant le liquide par terre, mêlé de morve et de sang séché, avant de finalement pouvoir avaler quelques gorgées. L’eau était chaude et salée ; un vrai nectar d’ambroisie dans cet enfer.


Finalement le toubib reposa la tête de Damas sur l’oreiller poisseux de sueur, avant de reposer la gourde désormais vide sur la table encombrée.


« Je vais aller t’en chercher encore un peu. Tu n’en boiras que d’ici une heure ou deux, sinon tu risques de tout vomir et j’aurais travaillé pour rien. Tu as bien compris mes instructions ? »


Damas hocha la tête, comprenant parfaitement que le toubib ne lui offrirait pas de seconde tournée s’il lui désobéissait, ni d’eau, ni encore moins d’alcool. Damas essaya de parler, mais sa gorge encore sèche l’empêchait de parler clairement, et seul un croassement rauque à peine audible parvint à passer ses lèvres. Rassemblant ses forces, l’ancien officier de Nocturnus put enfin prononcer deux petits mots :


« Depuis quand…


- Deux jours, beau militaire. Et tu as eu de la chance, si cela n’avait tenu qu’à moi, je me serais donné bien moins de peine.


- Comment je…


- Assez posé de questions, je ne suis pas le service de renseignements. Si tu veux savoir pourquoi t’es toujours en vie, tu n’auras qu’à le demander à ton copain Wael. Je suis sûr qu’il te répondra avec plaisir et t’offrira de prendre le thé. Et maintenant, boucle là. »


Eric Damas renonça pour le moment. Son corps était encore trop faible, et penser le faisait souffrir. Il ne rêvait que d’une chose : se rendormir. La fatigue l’emporta bien vite dans un sommeil sans songe, loin du camp de Paradisia.


* * *


Damas se réveilla lentement, la chaleur du baraquement ayant atteint son paroxysme ; il n’existait pas de nuit sur cette face de Paradisia, mais une période chaude et une période très chaude. La fournaise extérieure empêchait alors toute activité physique sous peine de déshydrater tous les hommes jusqu’à un point critique ; cela n’aurait pas dérangé les adeptes responsables de la logistique, s’il n’avait fallu payer l’eau à prix d’or. Et pour une légion pénale qui plus est. Damas pivota la tête vers la petite table à ses côtés, toujours recouverte d’un imbroglio d’objets inutiles. Une seconde gourde s’y trouvait à sa grande joie ; ce médecin inutile avait tout de même fait son boulot. Damas saisit l’objet convoité sans difficulté, constatant avec joie que ses forces lui revenaient rapidement.


Peut-être pourrait-il même se lever le lendemain ? Le jeune militaire grimaça aussitôt en se rappelant quel serait son pain quotidien s’il quittait le baraquement médical. Il maudit aussitôt le destin qui l’avait conduit en ces lieux.


Une forte odeur nauséabonde le tira de ses pensées. A quelques mètres de lui, « la poubelle » dormait dans un autre lit ; l’Omphalien avait encore dû se soulager sur lui-même, d’où son sobriquet. Damas fronça le nez de mépris et détourna le regard de cet homme abject. « La poubelle », l’être le plus immonde de ce camp, niveau hygiène s’entend. D’une constitution plutôt fragile, ce gars haut d’un mètre soixante et au nez écrasé avait acquis son surnom peu après son arrivée au camp, quelques semaines auparavant. Aussitôt frappé de dysenterie, il avait commencé par vider ses boyaux à longueur de journée, avant de renoncer à baisser son froc avant de se soulager. De fait, il fallait lui coller un couteau sous la gorge pour qu’il se nettoie un minimum, mais dans la crasse et la poussière de la planète, et avec ses atroces habitudes d’hygiène, « la poubelle » redevenait un catalogue olfactif en quelques heures à peine.


Le camarade commissaire Darden avait été maintes fois prévenu des exploits du matricule 4-4-902, mais semblait s’en désintéresser pour le moment. Tant que le matricule 4-4-902 remplissait ses fonctions militaires, le reste lui importait peu. Damas pesta intérieurement contre ce mode de raisonnement ! Quel officier pouvait accepter de ses hommes qu’il se comporte comme de la vermine ? Qui plus est un commissaire impérial ! En outre, à part le camarade commissaire et le lieutenant Khalgar, personne ne savait pourquoi un Omphalien se retrouvait condamné à monter en première ligne dans une légion pénale : le système d’Omphalia était assez éloigné à ce qu’en savait Damas, et d’après les dires d’un autre légionnaire originaire d’une planète proche d’Omphalia mais néanmoins hostile à celle-ci, cette planète ne connaissait pas les légions pénales.


Que lui importait au final songea t-il. Ce déchet humain ne méritait pas qu’il gaspille son temps et son énergie sur la question. Damas se saisit fermement de la gourde, et y bu longuement, gorgée après gorgée. Chaude et salée.


* * *


* * *


Les rangs des légionnaires se mirent en position, avant de charger baïonnette au canon. Les premiers soldats enfoncèrent profondément les lames affûtées dans les mannequins d’entraînement, bientôt suivis par d’autres et d’autres encore. Damas planta rageusement son arme dans ce qui aurait du être le cœur de sa victime, avant de la retirer comme on le lui avait appris lors de ses classes sur Nocturnus. Jamais depuis l’école militaire il n’avait eu à se battre baïonnette au canon, les officiers étant armés d’épées et de pistolets.


Mais il ne déplaisait pas à Damas de passer sa rage sur ce mannequin, qu’il acheva d’un coup bien placé dans la gorge. A ses côtés, les autres légionnaires se défoulaient eux-aussi sur ces proies faciles ; nombre d’entre eux devaient rêver de massacrer ainsi quelques gardes ou autres officiers. Nul doute que le camarade commissaire et le lieutenant Khalgar occupaient en ce moment même les plus ardentes de leurs pensées.


Damas se retira à l’arrière de la colonne, reprenant sa place dans l’exercice. Devant lui, les autres légionnaires s’élançaient tout à tour vers les rangées successives de mannequins, mettant en charpie ces bouts de chiffons crasseux. Khalgar lui-même supervisait cet exercice, fait inhabituel et inquiétant. Damas songea que cela confirmait ses appréhensions ; depuis sa sortie de l’infirmerie, trois jours auparavant, la discipline stricte du camp s’était encore renforcée. De nouveaux légionnaires étaient venus compléter les effectifs du lieutenant, et par là-même occasion, surcharger les baraquements où un homme sur trois n’avait déjà pas de lit.


N’ayant passé que cinq jours à l’infirmerie, Damas avait été obligé de passer à tabac deux jeunes « recrues » qui avaient cru pouvoir s’accaparer son lit. Des anciens du camp lui étaient venus en aide, au prix de plusieurs rations d’eau. Mais Damas s’était remboursé sur les minables qu’il avait ainsi rossés : dommages et intérêts. Telles étaient les règles de Paradisia.


Les entraînements étaient devenus plus nombreux, plus durs encore, jusqu’à pousser les hommes à la limite de la rébellion. Darden avait du appliquer des mesures disciplinaires strictes, et plusieurs coupables tirés au sort avaient été exécutés. Cela maintenait la discipline, et les exercices se déroulaient ainsi dans le calme.


Mais cela n’empêchait pas une appréhension certaine de gagner le huitième camp de la légion pénale de Paradisia : de nouvelles recrues, des exercices plus nombreux, une discipline de fer… Cela ne signifiait qu’une seule chose : ils partiraient bientôt pour se battre. Quand et comment, seul les hauts gradés de la légion le savaient. Et ce n’était pas en leur demandant poliment que Damas le saurait : autant demander gentiment à un scorpion de ne pas transformer son sang en acide après une de leur piqûre.


Le légionnaire situé devant lui s’élança de l’avant, éventrant un mannequin déjà amoché. Dans un vrai combat, cet imbécile n’aurait eu aucune chance songea Damas : il s’était lui-même déséquilibré. N’importe quel idiot aurait esquivé son attaque pour enfoncer son couteau dans le flanc ou la gorge de son assaillant.


Bien décidé à montrer l’exemple aux misérables de la légion, Eric Damas fit un pas en avant, la baïonnette de son fusil dirigé vers sa cible. Il vit soudain le sol se rapprocher à toute vitesse, ses pieds refusant de supporter le poids de son corps. Il chuta lourdement dans le sol. Recrachant le sable qu’il avait avalé, Damas vit l’un des gorilles de Wael ricaner au-dessus de lui. Cette charogne lui avait fait un croc-en-jambe, humiliant le sang-bleu devant le reste des légionnaires. Les rires de la colonne n’atteignaient pas l’officier déchu, qui se remit sur pied avant de reprendre l’exercice. Depuis l’incident de la marche forcée, Wael et ses gars faisaient pleuvoir brimades, privations et punitions sur Damas, qui ravalait sa fierté. Mieux valait vivre pour se venger, que de mourir d’un tir dans la tête pour rébellion. Mais cela n’empêchait pas Damas de marquer cette nouvelle vexation dans un coin de son esprit. Osfeld… Cet homme paierait un jour…


* * *


L’exercice dura le reste de la journée, les légionnaires s’acharnant heure après heure sur les mannequins déchiquetés, jusqu’à l’épuisement. Puis ce fut le retour au camp. Quelques hommes furent tirés au sort et punis pour négligence à l’entraînement. Ils n’étaient pas coupables, si la notion de culpabilité avait un sens quelconque sur cet enfer de sable et de feu ; mais il fallait bien maintenir le moral et la discipline parmi la troupe, et c’était un moyen très efficace.


Les autres légionnaires furent autorisés à se rendre à la cantine, pour un rare moment de repos. Des gamelles leur furent distribuées, et ce qui ressemblait à de la nourriture leur fut donné par les cuisiniers du camp. Une tambouille infâme, loin de ce dont Damas avait l’habitude sur Nocturnus. Ici, point de fruits frais ou de poisson importé des planètes voisines, mais du pain rassis et de la nourriture recyclée. Infecte. Même l’eau avait une odeur suspecte, mais tous étaient trop affamés pour se soucier de quoi que ce soit d’autre.


Damas avala avidement sa ration d’eau, avant de se rabattre sur sa gamelle. La cantine était emplie du brouhaha des légionnaires mécontents. Les derniers arrivés devaient jouer des coudes pour avoir droit à leur ration, sous peine de devoir attendre jusqu’au lendemain. Une bagarre éclata quelque part en dehors du baraquement, sûrement un nouveau qui avait cru pouvoir prendre la place d’un ancien. Cela rappela à Damas qu’il devait récupérer sa dîme.


Le nocturnien se leva de sa table, dans l’indifférence totale, avant de se diriger vers le coin des nouveaux. Là, des regards hostiles de posèrent sur lui, mais il n’en avait cure. Les soldats arrivés depuis peu ne comptaient pour rien dans le camp, jusqu’à ce que d’autres arrivent, et ainsi de suite.


Damas chercha quelques minutes ses deux « amis. » Les nouveaux se trouvaient assis par terre dans un coin au milieu d’autres légionnaires au crâne rasé. Leurs numéros tatoués en rouge vif sur le crâne leur donnaient l’air d’esclaves ; à vrai dire, Damas songea avec ironie que lui-même ne devait pas avoir meilleure allure. La mode dans les légions de Paradisia était à la coupe très courte, et bien dégagée ; cela n’était pas très original, mais au moins cette mode était suivie.


Eric Damas s’autorisa un sourire en apercevant les deux légionnaires qui lui devaient un tribut. Ceux-ci étaient bien moins heureux, mais hélas pour eux, Damas devait bien trouver de quoi dédommager ses associés…


<b>Chapitre 2 : Sang bleu et sang rouge.</b>


Les soleils jumeaux de Paradisia dardaient leurs rayons brûlants sur le camp de la légion pénale. Deux mille soldats, la totalité des effectifs de ce bon lieutenant Khalgar, étaient rassemblés dans un garde à vous impeccable. Même les abonnés à l’infirmerie avaient été tirés de leur lit à grands renforts d’encouragement et de motivation. Damas n’avaient jamais vu noms aussi adaptés pour des matraques.


Les légionnaires étaient vêtus de la tenue réglementaire de la légion. Un uniforme noir, rehaussé de touches discrètes de noir, avec de magnifiques dorures noires. Avec le crâne rasé et le tatouage réglementaire, nul doute qu’ils auraient fait fureur dans les défilés de mode de la noblesse de Nocturnus.


Le capitaine déchu réprima un sourire naissant. Wael le tenait à l’œil, comme un cactus tenait sa proie. Il devait vite tirer cette situation au clair ; le comportement du sergent l’intriguait au plus haut point. Ses hommes l’accablaient depuis plusieurs jours déjà, et pourtant, plus les jours passaient, plus Damas s’étaient rendu compte que le sergent aurait pu se montrer bien plus direct et expéditif, s’il lui en avait réellement voulu. Mais l’heure n’était pas aux questions.


Des étendards couleur ocre aux motifs représentant un squelette sous une épée de justice furent dressés. Le silence le plus total se fit, alors qu’apparaissaient le camarade commissaire Darden et le lieutenant Khalgar. D’autres gradés suivaient les deux tortionnaires du camp. Des commissaires, deux de plus, ainsi qu’une demi-douzaine d’emplumés, eux-mêmes accompagnés d’un serviteur. Cela ne présageait rien de bon.


Darden se plaça devant les légionnaires, sur une petite estrade aménagée sommairement pour l’occasion. Sa tenue de commissaire impérial répandait une aura de terreur et de respect. Cet homme impitoyable avait droit de vie et de mort sur chacun d’entre eux. Et par le passé, il n’avait pas hésité à user de ses prérogatives. Eric Damas n’avait jamais eu à faire réellement à un commissaire du temps de sa gloire dans la ruche de Nocturnus. Son statut social, sa loyauté indéfectible et ses états de service irréprochables l’avaient toujours maintenu à l’écart des tumultes des investigations des services impériaux. Les commissaires présents dans la ruche étaient de plus affectés aux régiments réguliers de la garde Impériale, pas à des unités appartenant au gouverneur planétaire. Du moins pas jusqu’à la fondation. Aujourd’hui, Damas regretta en partie la folie qui l’avait conduit à vouloir déserter. Il avait tout perdu à cause de cela… Il avait perdu son amour, Alicia. Mais Damas restait convaincu que son amante l’attendait sur Decra Prime, qu’elle l’attendait impatiemment. Le sang bleu se jura de revenir sur sa planète natale, d’une manière ou d’une autre.


Darden s’éclaircit la voix, avant de prendre la parole.


« Huitième camp de la Légion Pénale de Paradisia. »


Le silence était absolu. Les gardes disséminés dans les rangs y veillaient.


« Pour vos crimes contre l’Empereur Dieu tout puissant, vous avez été condamnés à mort en toute équité. Pourtant, dans sa grande mansuétude, Sa Divine Grâce l’Empereur a commué votre peine, vous offrant ainsi une chance de vous racheter auprès de Lui en Le servant de nouveau. »


« Huitième camp de la Légion Pénale de Paradisia. Aujourd’hui, par la volonté de notre Empereur Dieu, l’occasion de racheter votre âme vous sera donnée. »


Un vague murmure angoissé parcourut les rangs des légionnaires rassemblés. Ça et là, des coups volèrent pour ramener la discipline.


« Demain à l’aube, vous prendrez la direction du spatioport du premier camp de Paradisia, où vous embarquerez pour rejoindre Ses armées, pour la plus grande gloire de l’Imperium. »


Darden se tut quelques secondes, regardant les rangs assemblés des légionnaires. Des hommes condamnés à une mort différée, mais à une mort certaine tout de même.


« Huitième légion pénale de Paradisia. Vous partez au combat. »


Un silence glacé parcourut les rangs des hommes assemblés face à cet envoyé de la mort. Malgré la chaleur étouffante de cet enfer, un frisson glacé parcourut l’échine de Damas, ce même frisson qu’il ressentait à chaque fois que lui et ses hommes se lançaient dans les méandres de la ruche de Nocturnus, pour chasser rebelles et mutants. A cette différence près qu’aujourd’hui, il ne dirigeait pas un régiment de voltigeurs, mais faisait parti d’un corps sacrifiable. Pour la plus grande gloire de l’Empereur.


« … ferez désormais partie des troupes de la V° armée impériale, sous le commandement du Maître de guerre Joukoff. Montrez-vous digne de lui, et votre âme sera graciée à votre mort. »


Quelle joie songea Damas avec ironie. Il lui tardait d’être gracié…


« … Arbitrator Kalfon. Vous lui obéirez jusqu’à la mort. J’y veillerai. »


Le sang bleu laissa à elles-mêmes ses pensées ; il vit avec surprise celui qu’il prenait pour un serviteur s’avancer au devant de l’estrade. L’arbitrator Kalfon.


Le petit homme était vêtu d’un long manteau bleu ciel, couleur de la servitude sur Nocturnus. Son visage rondouillard et son sourire bienveillant contrastaient violemment avec ses prérogatives de juge, jury et bourreau. Ses mains jointes devant lui, sa tête légèrement penchée en avant… tout dans son apparence était étudié pour inspirer la confiance, ou du moins, atténuer la méfiance. Cet homme était dangereux songea Damas. Cet homme est très dangereux…


* * *


Un nouveau cahot secoua le camion, rongé par la rouille et le sable brûlant. Encore une heure ou deux songea Damas, avant qu’ils n’atteignent le premier camp de Paradisia, où les transports les emmèneraient sur les vaisseaux placés en orbite. Et de là… L’Empereur seul savait.


Entassés comme du bétail, les légionnaires tentaient désespérément d’avaler un peu d’air respirable. Mais la puanteur de leur corps et la chaleur infernale de la planète rendaient toute tentative en ce sens impossible. A peine si leur véhicule poussif leur procurait un léger courant d’air.


Et pourtant. Damas était heureux d’avaler les kilomètres dans ce tas de ferraille, et non de les parcourir à pied comme il s’y serait attendu en temps normal. Mais apparemment, on devait avoir besoin d’eux dans les meilleurs délais, pour hâter ainsi le déplacement des prisonniers du camp. Un camp vide maintenant, jusqu’à la prochaine fournée de condamnés. Damas s’octroya un sourire ironique, en souhaitant bonne chance aux poux, puces et autres scorpions : à eux revenaient pour le moment la garde du camp.


Un autre cahot. Encore. Eric Damas observa ses compagnons d’infortune. Les déchets de la garde impériale. Des hommes à peine dignes de servir l’Empereur. Voleurs, menteurs, déserteurs. Aucun d’eux ne méritait le pardon. Mais lui-même le méritait-il songea t’il ? N’avait-il pas lui aussi projeté sa désertion, l’abandon de son nom, de ses titres de son grade ? Certes, mais une différence subsistait : il n’avait pas déserté. Il n’en avait pas eu le temps.


Quoiqu’il en soit, rien à part sa haute naissance ne le distinguait de cette masse vivante qui servirait de nourriture à la machine de guerre impériale. Même condition, même destin, même espoir… Aucun. Si les balles de l’ennemie, la maladie ou les vendettas personnelles manquaient à leur devoir d’élimination, les colliers explosifs fraîchement placés autour de leur cou le matin même veilleraient à mettre un terme définitif à leur existence. La victoire ou la mort. Le cri de guerre de la légion de Paradisia prenait ici tout son sens. Impossible de reculer ou de désobéir. La sanction serait sinon immédiate.


Le maître de guerre Joukoff. Damas ne connaissait pas ce nom là. Où diable allaient-ils se battre ? Sur quel bout de terre stérile ? Depuis la veille, ces questions, tous les légionnaires avec un tant soit peu de cervelle se les posaient. Ils ne devaient pas être nombreux songea t’il avec amusement. Pour la plupart de ses compagnons, seule l’heure du repas suivant et de la prochaine ration d’eau importait. A vrai dire, Damas lui aussi attendait ce moment avec impatience. La poussière qui envahissait l’arrière du camion lui desséchait la gorge. A quoi diable servait ces bâches tendues au-dessus de leurs têtes ! Avec ou sans elles, les soleils jumeaux les brûlaient pareillement à cette heure de la journée ! Pire, ces bâches empêchaient les hommes de respirer à leur convenance.


Un autre cahot, plus important. Puis un coup de frein. Violent. Les hommes entassés les uns sur les autres s’écrasèrent un peu plus. Des jurons volèrent. Des coups aussi. Puis le moteur du véhicule archaïque s’éteignit enfin, laissant place à un autre brouhaha. Celui d’un camp en effervescence.


Une tête passa par la bâche arrière du camion. Son uniforme le désignait comme un garde, mais il ne faisait pas partie du huitième camp. Terminus songea Damas. Des ordres secs jaillirent, les hommes commencèrent à descendre du camion. Pas assez vite au goût du garde, et des coups de bâton de douleur volèrent. Sacré motivation pour descendre.


Les soleils jumeaux étaient au zénith ; la chaleur suffocante de l’air submergea Damas lorsqu’il posa enfin les pieds à terre. Et dire qu’il pensait que l’enfer se trouvait sous la bâche du camion !


Pas le temps de reprendre son souffle, ni de faire du tourisme. Les colonnes du régiment se formèrent sous les injonctions répétées des gardes. Un à un, chaque homme prit sa place dans les rangs serrés des légionnaires.


Damas put enfin observer un spectacle qui lui avait été refusé lors de son envoi sur Paradisia. Des dizaines et des dizaines de transports se posaient et décollaient sans cesse, tel un ballet d’insectes gigantesques. Un spectacle impressionnant songea le Nocturnien. Chaque vaisseau qui se posait abaissait des rampes d’embarquement à l’arrière, laissant des dizaines d’hommes monter dans chacun d’entre eux. Puis une fois la cargaison de chair humaine complète, les réacteurs du vaisseau se déchaînaient, déclenchant des maelströms de sable, qui aveuglaient les légionnaires. Des maelströms de sable rouge. Funeste présage.


L’arbitrator Kalfon supervisait les opérations, bien à l’écart de la tempête de sable. Un nombre conséquent de commissaires impériaux et de gardes entouraient ce représentant de la justice expéditive de l’impérium. Tous semblaient agités, nerveux. Ou tout simplement impatients de finir cette opération. Une fois le « bétail » des armées de l’empire embarqué, ils pourraient passer à la seconde phase du voyage. Un voyage spatial.


Damas n’avait effectué qu’un seul et unique voyage dans l’espace. Dans une cale, enchaîné à d’autres prisonniers ; pour son premier voyage, Damas aurait préféré une croisière de vacances, mais apparemment, les transports de prisonniers avaient une autre définition du voyage d’agrément. Avec ironie, il se demanda si pour ce voyage ci il aurait droit à une piscine ou une holotèque.


C’était leur tour. Un vaisseau de transport se posa à une centaine de mètres de leur colonne. A peine les rampes abaissées, les gardes de la légion firent avancer les hommes. Ils ne perdaient pas de temps. La masse de légionnaires commença à gravir la rampe d’accès, pour s’enfoncer dans les profondeurs du monstre de métal.


« Tu ne survivras pas au voyage, sang-bleu. »


Damas s’arrêta net, pétrifié. Le capitaine déchu se retourna pour tenter de voir qui avait prononcé ces paroles. Mais à peine avait-il tourné la tête qu’un bâton de douleur l’atteignit en pleine épaule. Le choc électrique le foudroya sur place, et ce fut en rampant qu’il réussit à gravir la rampe d’accès du vaisseau de transport, pour échapper aux punitions des gardiens.


Damas n’avait pas vu qui l’avait menacé, et il se demanda l’espace d’un instant si ses sens ne lui avaient pas joué un tour. Mais lorsque la rampe du vaisseau de transport se referma et que les ténèbres l’engloutirent, il sut au plus profond de lui-même qu’il n’avait pas rêvé. Le noble se mit à trembler.


* * *


Les tirs de lasers ricochèrent autour de lui. Damas se risqua à jeter un œil par-dessus l’épave de la chimère lui servant de refuge. Immédiatement, une nouvelle grêle de tirs se déclenchât, criblant la carcasse fumante d’impacts aussi fournis qu’inefficaces. Les rebelles étaient barricadés dans les usines du douzième niveau, où ils comptaient disparaître sans laisser de trace. C’était sans compter les ordres du gouverneur : pas de survivants.


La situation était claire. Enclenchant son commutateur personnel, Damas contacta toutes les sections de son régiment entourant la cible.


« Escouades Oméga, couvrez Delta et Epsilon. Escouade Phobos, vous ouvrez la danse, nous vous suivons. A toutes les escouades, nettoyez ce nid de vermine. Pour l’Empereur ! En avant ! »


Une tempête de lasers se déchaîna, criblant les positions de rebelles ; totalement surpris par l’ampleur de la riposte, la plupart des ouvriers qui avaient refusé de poursuivre le travail à l’annonce de la réduction des rations d’eau, paniquèrent et s’enfuirent dans les profondeurs de l’usine. Aucun n’était un vrai guerrier : tous cherchaient à préserver leur vie. Peine perdue pour eux, pas un ne survivrait.


L’escouade Phobos jaillit des hauteurs de l’usine, les packs dorsaux enclenchés pour ralentir leur chute. Le lieutenant Lore avait fait du bon boulot. Ses hommes semaient la panique dans les rangs adverses, atterrissant directement au cœur des défenses rebelles, et les massacraient sans hésitation. Damas donna l’ordre à sa propre escouade d’avancer. L’usine venait de tomber. Les autres troupes du gouverneur n’auraient plus qu’à nettoyer le secteur et à procéder aux exécutions réglementaires.


Le lieutenant Adam Lore nettoyait non loin les dernières poches de résistance. Damas se félicitait autant qu’il s’inquiétait de la présence de ce jeune noble ; aussi efficace qu’avide d’honneur et de gloire. Tôt ou tard, il monterait en grade. Tôt ou tard, certains compareraient leurs compétences respectives à la tête des… cris d’encouragements à l’un et l’autre des légionnaires.


Damas se réveilla en sursaut. Une bagarre. Une de plus. Sûrement pour une partie de dés qui avait encore mal tourné. Damas poussa un long soupir de lassitude. Trois jours enfermés dans ces quartiers insalubres. Cent gardes pour cinquante lits à peine. Même pas la place pour se défouler. Les hommes avaient les nerfs à vif, et les matons avaient les pires difficultés pour maintenir la discipline. Punitions et privations se succédaient dès lors à un rythme effarant. Mais bien sûr, seuls les derniers arrivés, les « bleus » en étaient les victimes. Du coup, ceux-ci cherchaient à se venger sur les anciens, qui faisaient corps. Diviser pour mieux régner. Les matons du régiment s’y connaissaient.


Eric Damas se frotta les yeux encore alourdis par la fatigue. Quel rêve étrange ! Le capitaine déchu avait rêvé d’une insurrection survenue des années auparavant. Depuis lors, bien des évènements s’étaient déroulés, Lore avait été promu à la tête d’une autre sous-compagnie, et les deux hommes ne s’étaient revus qu’à de rares occasions. Cela valait mieux d’ailleurs, car les deux guerriers de Nocturnus ne se portaient guère dans leur cœur. Et de toutes façons, de par sa position actuelle, Damas ne risquait guère de faire de l’ombre à cet autre fils de l’élite Nocturnienne.


Les cris d’encouragement redoublèrent. Un garde fut projeté avec violence contre la couchette de Damas, forçant ce dernier à s’écarter précipitamment, sous peine de devoir passer du statut de dormeur à celui d’acteur.


A ses côtés, « Bang-bang » poussa un grognement d’énervement. « Bang-bang », surnommé ainsi de part sa passion des explosions. Damas s’était associé avec lui pour avoir une couchette. Les places étaient rares et chères, et à moins de pouvoir y rester allongé en permanence ou de disposer d’une masse musculaire suffisante pour décourager toute pensée entreprenante, mieux valait passer un accord avec un autre et dormir par roulement. C’était le mieux à faire. A moins d’aimer le contact du sol pendant son sommeil.


Damas regarda avec mépris les deux protagonistes de la bagarre. Poubelle et un bleu. Depuis qu’il avait quitté Paradisia, l’état de santé de l’Omphalien s’était considérablement amélioré. En revanche, ses capacités olfactives semblaient être toujours égales à elle-mêmes. Dommage pour les autres.


Un magnifique coup de tête fit voler quelques dents en éclat. Le bleu avait définitivement le dessous, et l’Omphalien se régalait de la correction qu’il infligeait à sa victime. Damas devait reconnaître que Poubelle savait s’y prendre pour faire mal à l’autre. Coups de poings, de genoux, de pieds. L’autre souffrait énormément, mais pas assez pour perdre connaissance. Damas s’écarta définitivement lorsque le bleu s’effondra sur son lit. Poubelle se mit à califourchon sur l’homme avant de lui asséner une tempête de coups. La foule alentour exultait devant le spectacle, et les paris allaient bon train. Pas sur qui aurait la victoir,e mais sur combien de coups seraient nécessaire pour tuer le bleu. Damas aurait bien parié sa ration de bouffe, mais celle-ci bien qu’ingérée et recyclée une dizaine de fois au moins, restait la seule chose qu’il pouvait se mettre sous la dent. Autant la conserver dans ces conditions.


Lassé du spectacle, Damas fit signe à Bang-bang de prendre sa place. Une fois que le bleu aurait été jeté hors de la pièce, bien sûr. La coursive était là aussi emplie de bleus, de bleus qui n’avaient pas eu la chance ou la force de s’approprier une place où dormir. Tant pis pour eux.


Damas se dirigea vers les latrines. Il avait une formidable envie de pisser. Il passa devant d’autres quartiers, aussi surpeuplés que le sien. Combien d’hommes se trouvaient sur le navire, il n’en savait rien. Il ne se doutait même pas que Paradisia pouvait contenir une telle population. A moins que tous ne viennent pas de cette planète maudite, ce qui était envisageable. Mais peu important.


Ce qui l’était un peu plus, c’est ce qui s’était passé. L’avant veille, des prêtres étaient passés parmi la troupe, l’exhortant à prier et à chanter des cantiques pour la gloire de l’Empereur. Puis il y avait eu un changement. Les moteurs du navire avaient… Damas ne savait pas exactement. Depuis lors les sons ne lui semblaient pas pareils, les ombres semblaient différentes. Il avait eu la nausée pendant quelques temps. Comme le reste de la troupe d’ailleurs. Tous s’étaient sentis malade, mal à l’aise… Bien que tous semblaient avoir oublié cet événement, le malaise persistait et contribuait à la tension qui régnait.


Tout en arrivant aux latrines, Damas ne cessait de repenser à ce désagréable moment. Cela lui permettait d’un certain côté d’éviter de trop penser à l’odeur tout aussi désagréable d’excréments humains qui régnait en ces lieux. Il était bien loin de l’odeur fleurie des sanitaires du palais du gouverneur. Il y aurait dormi et mangé à vie avec plaisir, plutôt que de passer une seule seconde de plus dans les soutes de métal de leur vaisseau de transport.


Manger et dormir dans des sanitaires ? Damas ricana intérieurement. Lui qui avait rempli la couche de la fille du potentat du gouverneur, s’était vu l’espace d’un espace vivre comme un chien dans des toilettes. Quelles curieuses pensées !


Damas se refusa à penser à Alicia. Songer à son amante dans un lieu aussi sordide aurait été pire que la mort elle même ; cela aurait entaché irrémédiablement la blancheur et la pureté de celle qu’il aimait. Autant mourir plutôt que de commettre un tel crime.


Le Nocturnien finit son affaire, avant de reprendre la direction de ses quartiers. Mais quelque chose d’autre avait changé. La coursive était plus agitée que d’habitude. Damas dut se frayer un chemin à plusieurs reprises alors que des groupes d’hommes s’attroupaient de plus en plus. Jusque devant les quartiers qu’il occupait. Tous les gardes étaient debout… Et les matons étaient présents.


Un mauvais pressentiment. Damas joua des coudes pour entrer dans la pièce. Les visages étaient graves, fermés. Un frisson glacé. Par l’Empereur, que se passait-il ?


Le Nocturnien vit Poubelle qui se trouvait non loin. Ce dernier aperçut de même le capitaine déchu, et s’approcha de lui. D’un geste de la tête, Poubelle désigna les couchettes, où les matons s’agitaient frénétiquement.


« Bang-bang est mort. »


La peur submergea Eric Damas, capitaine déchu du XVI° Voltigeur.


* * *


« Un accident. Tu as eu beaucoup de chance. » Sac à gnôle termina de retirer ses gants. Mesure d’hygiène inefficace, ses gants ayant une propreté aussi douteuse que ses mains.


« A ce niveau là, ce n’est plus de la chance. » Damas regarda le corps à moitié brûlé de Bang-bang. Les nettoyeurs terminaient leur travail d’empaquetage. Le corps serait confié au vide de l’espace. Pour lui le voyage s’arrêtait là. S’il n’avait pas commis l’impair de s’amuser à faire exploser son surplus de dynamite, il serait encore en vie aujourd’hui. Rectification, s’il n’avait pas commis l’impair de faire sauter son surplus de dynamite et la voiture du colonel de son ancien régiment.


« Répète moi ce qui s’est passé. »


Sac à gnôle arrêta un instant de remballer ses affaires. Visiblement, l’attitude autoritaire de Damas l’énervait au plus haut point. Le sang-bleu ne s’était pas départi de son habitude de commander, malgré les « accidents » survenus lors de ses premiers jours passés dans le camp de Paradisia. Le médecin s’apprêta à sortir une répartie aussi assassine que possible, mais s’arrêta au dernier moment. L’attitude de Damas n’était pas du à son sang-bleu, mais à un trouble profond. Très profond. Et cela se lisait clairement sur son visage.


Sac à gnôle poussa un soupir de lassitude. Avant de reprendre son travail.


« Un couple de scorpion manéens a embarqué avec nous lorsque nous avons quitté le camp. Comme tu le sais, ces scorpions sont réputés inoffensifs en pleine chaleur, car ils restent assoupis les trois quarts du temps que dure leur vie. Pourtant, quand des crétins dans ton genre ne font pas attention où ils marchent ou quand la température baisse, ces bestioles piquent alors tout ce qui bouge et qui est suffisamment con pour rester à portée. Leur poison est une sorte de… de chose qui transforme instantanément une partie de ton sang en acide. Tu es piqué une fois, tu meurs en deux trois minutes. Deux fois, tu as trente secondes devant toi. Trois fois, tu n’auras même pas le temps de pisser une dernière fois. C’est ce qu’à découvert l’andouille qui a donné son nom à ces sales bestioles. »


Sac à gnôle s’arrêta un instant. Il regarda le lit que se partageaient Damas et Bang-bang.


« Ce couple s’est niché quelque part dans ton lit, sous les draps bien au chaud. La chaleur de vos corps à tous les deux les ont gardés assoupis jusque là. Puis pour une raison ou une autre ils se sont réveillés. Je pencherai pour la bagarre qui a eu lieu. Et bien sûr, ils étaient d’humeur assez peu agréable. Et se sont acharnés du coup sur le crétin qui dormait là à cet instant. Il y a eu vingt sept piqûres avant que Bang-bang ne soit tiré de son lit et les bestioles écrasées. Trop tard d’ailleurs, mais bon, mieux vaut lui que moi. »


« Arrête de me prendre pour un con. Jamais je n’aurais pu dormir autant de temps avec Bang bang sur un tel nid sans me faire crever bien avant. Et ne me fais pas croire non plus qu’ils sont venus comme par hasard dans ce lit alors que nous sommes je ne sais pas combien sur ce rafiot. »


« C’est ce qui s’est passé. »


Damas perdit patience. Le sang bleu attrapa le médecin par le col et le plaqua violemment contre une cloison. Peu importait à Damas qui pourrait témoigner de la scène. Colère et peur étaient désormais maîtresses de ses actes.


« Ecoute moi bien sale vermine. Je ne crois pas à tes foutues conneries. Tu vas me dire la vérité ! Ce n’est pas un accident ! »


« Ferme ta gueule sale bleu ! Si tu ne veux pas finir comme Bang bang, tu as plutôt intérêt à faire comme si c’était un accident. »


Le capitaine déchu relâcha le médecin. Autour de lui, les autres légionnaires faisaient semblant de vaquer à leurs occupations ; chacun s’occupait de ses affaires, mais Damas sentit tout de même la lourdeur de leur regard. Damas n’était pas dupe, il savait que le véritable destinataire des scorpions, c’était lui. Bang bang était réellement mort « accidentellement », vu qu’il n’était pas la véritable cible. Et dans la légion pénale, personne n’aimait qu’un camarade meure par accident.


« Tu ne survivras pas au voyage, sang-bleu. »


Ces mots revinrent à Dams, tel un funeste présage.


« Tu ne survivras pas au voyage, sang-bleu. »


Le Nocturnien sortit de la pièce en trombe, sous le regard accusateur de ses pairs… et peut-être ennemis.


Les oreilles de Damas se débouchèrent d’un seul coup. Les prêtres impériaux cessèrent leurs gesticulations et cantiques, laissant enfin les hommes souffler un peu. Cette sensation bizarre que le capitaine déchu ressentait depuis près de deux semaines cessa enfin, pour laisser place à une appréhension toute autre.


Les matons du régiment pénal s’activaient tel un essaim d’abeilles, organisant les hommes en unités de vingt personnes. L’activité fébrile dont ils faisaient preuve prouvait qu’il ne s’agissait pas d’un quelconque exercice. Damas se sentit soulagé d’un certain côté : l’inactivité forcée à laquelle il avait été soumis lui et ses compagnons d’infortune, allait enfin laisser place à un peu d’action. Ils en avaient tous besoin, lui le premier. La peur de la mort n’avait pas quitté le nocturnien depuis le décès de Bang-bang, mais il commençait à se demander s’il ne faisait pas preuve d’une paranoïa excessive.


Damas avait évité de dormir avec ses compagnons depuis « l’accident », pour éviter de devenir une cible facile dans son sommeil. Il s’était enfoncé dans les profondeurs de la soute, changeant de repaire nuit après nuit pour éviter les mauvaises rencontres. Il n’était pas le seul à hanter la cale du navire, d’autres légionnaires que lui ayant choisi de trouver refuge dans cet endroit mal famé et rongé par la rouille.


Tant qu’aucune émeute n’éclatait dans cet endroit, les commissaires n’intervenaient pas. Amener leur cargaison humaine à destination était la seule chose qui leur importait. Et le maintien de l’ordre et de la discipline. Du coup, Damas avait évité le contact humain aussi souvent que possible. Puis le temps passa, et rien ne survint. Le nocturnien se demanda souvent si les précautions qu’il prenait étaient justifiées, ou si les méandres de son esprit avaient créé cette menace fantôme qui pesait ainsi sur lui.


Après tout, la thèse de l’accident était possible. Peut-être était ce réellement un concours de circonstances qui avait mené ces deux scorpions dans son lit. Ou encore était-ce Bang bang qui était visé depuis le début. A part le nocturnien, peu de gens avaient le mort dans leur cœur.


Tant de possibilités, tant de peur lui rongeait le cœur. Damas ne savait plus de quoi il retournait. Le regain d’activité allait lui faire le plus grand bien.


Des ordres secs. On y était. Une a une, les sections formées par les matons s’avancèrent dans les coursives du navire, vers les vaisseaux de débarquement. Une multitude de petits vaisseaux, chacun juste assez grand pour contenir une section, attendaient patiemment leur cargaison.


Enfin. Damas se demanda qui ils allaient affronter. Et comment. Ils n’étaient même pas armés, et seul les colliers explosifs décoraient leurs uniformes sombres. Ses camarades semblaient partager la même inquiétude que lui, mais ils n’avaient pas le choix. Soit ils obéissaient, avançant vers une mort certaine, soit les gardes chiourmes leur administreraient la paix de l’Empereur. Belle alternative en vérité.


Damas suivit le mouvement, prenant à peine le temps d’observer les vaisseaux
(Modification du message : 03-01-2006, 16:05 par DwarfKeeper.)
C'est plutôt bien écrit, mais on se demande pourquoi il a été accusé comme cela ? Qu'est-ce qui l'a trahit ? Ce récit est conforme à ce qu'on peut imaginer et décrit très bien tout ce que je n'aime pas dans le background de la GI.

J'ai lu. C'est pas mal. Le vocabulaire est riche et l'idée des cactus carnivores bonne.


Mais bon, je suis un peu géné par ce début plein de souffrance inutile.


L'Imperium n'aime pas gacher son matériel...




Citation :et décrit très bien tout ce que je n'aime pas dans le background de la GI.

C'est sûr qu'une race xenophobe et outrancière considérant la guerre et le sadisme comme un art est plus morale. Chochotte va ;)


Patatovitch

(Modification du message : 09-12-2005, 12:36 par Gandahar.)

Citation :C'est sûr qu'une race xenophobe et outrancière considérant la guerre et le sadisme comme un art est plus morale. Chochotte va ;)
Patatovitch

Bouh le vilain ! Au moins, la race xénophobe et outrancière ne fait plus ce qui est décrit ici. Bon d'accord elle l'a fait il y a longtemps, mais on en connait les résultats : ça a réveillé Slaanesh et depuis ils se tiennent à carraux.


Citation :laissant paraître une abominable odeur de fumier.


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Appétissant ... bien écrit , quoique un peu sombre ! A quand une bataille ?!? J'ai juste repéré une ou 2 répétition , sinon , je le répète , l'ensemble est correct !


@+


CyBtI , prof de frenchies ...


Un omphalien...


Un omphalien !?


Mais la description est sans appel : il en a toutes les caractéristiques. C'est bien un omphalien. Pire que de la mauvaise herbe, je ne sais pas ce qu'on leur file dans le biberon, sur Omphalia...


En tous cas, bien écrit, DwarfKeeper, cela est agréable de ne pas s'accrocher les yeux à de multiples fautes de frappe et ainsi le récit, malgré son introduction classique, m'a capté.


Quelques bricoles, dont "nectar d'ambroisie" (c'est le nectar ou l'ambroisie mais pas les deux), ou "camarade-commissaire" (qui est un pléonasme fluffique).


Ce qui me gène, moi, au-delà de l'impact (amha plus destructeur que tu ne le décris) d'un bolt (mais que je vais auparavant verifier), c'est vraiment le rôle donné aux femmes, enfin, à la femme.


Dans la construction actuelle du récit, seule le personnage d'Alicia a, jusqu'à présent, le pouvoir de faire arrêter et déporter un noble (catégorie sociale qu'on ne plie guère par arbitraire, ie qui dispose de défense juridique, financière, d'influence, il faut donc ici un fait du prince, de l'Adepte de la ruche, le père d'Alicia).


Sur cette hypothèse (la seule que tu nous livre jusqu'à présent), qu'Alicia ne puisse observer, même indirectement, le sort inique réservé à Eric Damas amoindrit son tempérament, la rend moins cruelle, plus émotive. C'est dommage, car le côté salope était jusqu'ici distraitement bien rendu, faisant d'elle un "méchant" passionnant dans ce monde impérial souvent si convenu.


Pour cette originalité potentielle, j'attends donc la suite avec, oui, impatience.


Citation :Un omphalien...
Un omphalien !?

Oui, oui, un omphalien. ;-)




Citation :Pire que de la mauvaise herbe, je ne sais pas ce qu'on leur file dans le biberon, sur Omphalia...

Je n'en sais rien, mais il faut bien rendre hommage à un site bourré de renseignements très intéressant.




Citation :En tous cas, bien écrit, DwarfKeeper, cela est agréable de ne pas s'accrocher les yeux à de multiples fautes de frappe

Je fais ce que je peux. Mais ce n'est pas gagné. Les Lexcorrecteurs que j'ai demandés au barbu rouge (Par Marx, l'autre.) me seront d'un grand secours. ^^

(Modification du message : 16-12-2005, 18:25 par DwarfKeeper.)

Citation :Je n'en sais rien, mais il faut bien rendre hommage à un site bourré de renseignements très intéressant.
Tsss. On leur donne de la farine de casque taranais. Et oui. (faut toujours savoir à quoi on rend hommage ;)


Citation :Voilà un bout de suite.

Humm, hummm, on joue avec son lectorat, multipliant l'horreur quotidienne jusqu'à le blaser, préparant ainsi plus horrible encore.


Intéressant.

Edit : pour un soucis de clarté, prologue et chapitre 1 ont été rassemblés sur un seul et même post.
(Modification du message : 03-01-2006, 16:07 par DwarfKeeper.)

Citation :L’arbitrator Kalfon

C'est qui/quoi ?? (un arbitrator, son nom n'a pas d'importance)


Excellent texte, j'attend la suite avec impatience.