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<b>3. Pater Nostra</b>
Spa ne maintenait pas seul son rythme cardiaque, cela, il le sentait, le recevait de son expérience, de sa complicité ancienne, quasi fusionnelle, avec la carapace noire. L'appareil lui renouvelait le sang. Derrière le crépuscule verdâtre de ses paupières, les ombres respiraient, manipulaient. La peau de Spa s'éveille, rameute vers son cerveau les effleurements, les balayages d'une soufflerie tiède, ici, un courant plus froid ; le sifflet presqu'inaudible d'au moins deux prothèses de respiration. Sécheresse de l'air ambiant. Humidité condensée là où son dos, ses mollets, ses talons, s'appuient sur le métal réfrigéré d'une table de recueil bactérien. Son armure énergétique lui manque comme l'eau du bain dans une baignoire. En ouvrant mentalement les yeux, il perçoit à la fois les fumerolles de vapeur d'eau aspirées vers le plafond et l'absence artificielle de signaux de douleur en provenance de son corps.
Spa pense alors à Thorcyra, et à Sy'L'Kell. Et ceci lui déplait comme un spasme, une nausée, le frisson nerveux de l'interdit.
- "Carillon ?", interroge proche de lui un murmure préoccupé, une voix d'homme ou de machine, caverneuse.
- "Réminiscences", répond, plus claire, plus clinique, une voix de femme. "Ses effacements sont de barre trois, qui encapsulent selon nidiet-code a.H.O. Je suis. Ils se remodulent."
- "Vous auriez pu..."
- "J'applique les ordres, Pater. Il n'est plus jeune et ces capsules furent baclées." adoucit-elle.
Sleeping gap.
L'ordre émerge, longe les rives de sa conscience. Spa s'en assure maintenant. Il doit ouvrir les yeux. <i>Je dois...ouvrir...les...yeux. Mais pas avant de... Nécessaire de...</i>
Frère Spa hurle.
- "Réveil en cours. Oxygénisation rapide." observe le ton détaché d'une autre femme.
Sous les paupières de Frère Spa, les flammes rongent, cuisent la céramite, jusqu'à la craqueler. Spa se sent bouillir tandis qu'il s'engouffre dans les propres stries de ses griffes, embrasse les giclées acides par elles libérées, versées ; bouffées de vapeur fuyant ses mollets, débordant ses genoux. Brûlures du métal que lui signalent le sommet de ses paumes. L'enveloppe des bolts portée au rouge. Panique. Déchirer, déchirer encore. Percer le feu qui aveugle. Ignorer l'explosion du chargeur sur ses gantelets, la chute, le poids rouvrant la cage thoracique, l'écrasant, le noyant.
Spa ouvre les yeux. Comme deux brandons blancs et glacés qui les lui font refermer. Spa les rouvre. Doucement.
Près de lui, le sarcophage du dreadnought est blanc, dans une salle blanche, et se pare d'un crâne doré corrodé par les ages. Plus que le Vénérable, le crâne est un signe pour Spa, pour les réflexes de Spa.
<i>Humain. Humains.</i>
Les réflexes se désarment.
Levés soudainement de sous le menton de Spa, de fins instruments chirurgicaux se replient dans les gaines de poings du dreadnought. Dans un gémissement pneumatique, le sarcophage automobile recule lourdement de la table. Plus que la meurtrière de son regard, la voix sépulcrale du dreadnought s'adresse à celui qui s'éveille.
- "L'Empereur t'a aimé saignant, il t'aimera à point, Frère." gronde le sourire enfermé de Pater Nostra.
Spa entend pouffer discrètement tout autour de lui. Une soeur hospitalière approche son buste au-dessus de son visage, le visage à demi masqué par un voile stérile.
- "N'essayez même pas." plisse-t-elle les yeux dans une souffrance partag...
Sourire a été une erreur. Sourire demande une peau et une chair paisible autour des muscles du visage.
Une cascade rousse fait soudain face à l'hospitalière, que ses deux mains gantées ramènent bien vite derrière la nuque, ne laissant que deux yeux verts suivre, curieux, la danse rapide et embrumée des iris de Spa.
- "Oui, Frère Spa, quelqu'un a eu votre peau", informe la jeune femme d'un rictus. "Et ce quelqu'un est sans doute vous : rituel étrange que d'éventrer un carnifex et d'y découper ses boyaux comme un tunnelier. Rituel étrange, mais épilatoire."
Son regard rivé en un froncement d'interrogation prudent, Spa expire, prend garde de garder joues et machoire immobiles.
- "Je sais, Frère Spa. Quelques minutes encore", confirme-t-elle auprès de la soeur, "quelques minutes encore, et plus aucun conditionnement ne réprimera votre douleur."
Elle semble vouloir l'apaiser.
Mais Spa écarquille les yeux dans une terreur annoncée, instinctive.
- "Chuut..." ordonne-t-elle à ses yeux comme à ses pensées, "Je suis l'Inquisitrice Carillon ; et vous êtes sur l'une des terminaisons du monde."