Retour Sur Negromundheim

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Du pitoyable hameau de tôle et de sable ne montaient que les grognements amorphes des mutants. Grugni seul savait à quel abominable jeu ces monstruosités pouvaient s'adonner dans les ténèbres, se sodomisant à la ronde ou léchant en grommelant de plaisir les pieds ou les organes génitaux de leurs congénères, à moins qu'ils ne fussent simplement en train de se nourrir en gloussant de leurs propres déjections. D'immondes borborygmes dénués de sens étaient perceptibles dans la nuit encore calme, formant un écœurant concert de "gnaaaaaah", "gneuh-euuuuuh" "Agnagneuh la cébééééééé", agna ke je vé acheuté du forjouorld paske je sui tro un gooooooool", "je sui tro un faneuboye de merdrrre gneuuuuuuuh !" Une puanteur insoutenable planait au-dessus de ce hideux spectacle que, fort heureusement, les ténèbres cachaient pudiquement.


Il attendit que chacun de ses combattants, l'un après l'autre, eut lancé le signal indiquant qu'il était prêt pour l'assaut. La force d'intervention avait été divisée en six escouades mais dans une opération exigeant un tel rapport d'oblitération, l'initiative et la réactivité personnelle était une clé indispensable au succès. Cela commençait par l'obligation pour chacun de "pointer" individuellement.


Un à un, les marqueurs apparaissaient dans le champ de vision du médecin quand son récepteur radio transmettaient les messages silencieux de ses combattants à sa rétine cybernétique. Quand tous furent activés, il n'eut qu'à formuler une pensée pour répondre à tous.


"Marche".


Un déluge de feu s'abattit sur le village. Six roquettes Themis à charge thermique liquéfièrent en cœur les cabanons les plus importants. Six mitrailleuses lourdes EP-7 de fabrication Genocide Incorporated vomirent un torrent d'uranium appauvri sur celles qui constituaient les cibles les plus proches assurant les premiers points d'intrusion.


"Marche."


Aussi subitement qu'il était né, le torrent de destruction cessa. Painkiller se leva et descendit calmement la petite dune qui le séparait des premières huttes de métal et de silicate, un pistolet bolter dans chaque main et son précieux medipack enserré sur l'avant-bras gauche. Les cinq membres de l'escouade qu'il commandait personnellement – elle incluait la jeune Frydjia qui lui avait précédemment reproché son vocabulaire - l'imitèrent aussitôt. Ils savaient que partout autour de la cuvette qui délimitaient le repaire des mutants hydrocéphales, leurs compagnons formant les cinq autres escouades avaient fait de même.


Six puissantes torches électriques montées sur les canons des armes de poing des mercenaires inondèrent brutalement de lumière les ruelles de sable gris. L'instant d'après, Painkiller abattait un premier mutant. Les monstres hébétés brutalement tirés de leur torpeur n'auraient pu se ressaisir de leur surprise que si la notion même de surprise avait pu encore trouver son chemin jusqu'à leur cerveau difforme. Au lieu de cela, ils sortaient de leurs huttes d'une démarche claudicante en bavant et grognant leur interminable et horripilante logorrhée de "gnaaaah" et de "gneuuuh", vêtus de lambeaux de tissus probablement volés sur leurs dernières victimes ou complètement nus, avançant inexorablement vers les squats armés de manches de pioches, de haches, de barres de fer ou simplement de leurs griffes jaunes et acérées.


"Marche".


A l'exemple de Painkiller, les squats de l'escouade ré-ouvrirent le feu de leurs armes d'épaule chargées de bolts modifiés dont le mécanisme d'équilibrage par quatre micro-propulseurs situés au niveau de leur centre de masse avait fait l'objet d'un brevet déposé auprès de la guilde des ingénieurs par la Trollslayer Technology Ltd quelques années plus tôt. Vingt mutants furent fauchés. Vingt les remplacèrent immédiatement qui sortaient des amas de tôle comme autant d'immondes cloportes attirés hors de leur tanière par le bruit ou la simple stupidité. Ils furent sectionnés à leur tour par le rideau de métal lourd délivré par le EP-7 de l'escouade.


Le calme et la discipline la plus stricte régnaient dans l'unité de Painkiller qui s'était déployée dans la ruelle de manière à en contrôler tous les accès. La horde de monstres peinait à se rapprocher ; Abattus rang par rang par les tirs nourris mais complètement inconscient du danger, ils poursuivaient leur marche absurde vers la mort. Painkiller ne concevait qu'un mépris absolu pour ces créatures qui avaient perdu jusqu'à leur instinct de conservation le plus élémentaire sous les couches de dégénérescence qui étouffaient leurs cerveaux rétrécis. Il n'aimait déjà pas beaucoup les humains. Non, en fait, il haïssait les humains.


Alors des humains mutants.


Il fit sauter le crâne d'une des horreurs d'un bolt bien ajusté, grimaça de dégoût en apercevant un des monstres qui avait été tranché en deux par un tir de catapulte à shurikens au niveau de l'abdomen tenter de poursuivre son avance en rampant sur ses coudes répandant ses tripes derrière lui et l'acheva de la même façon. Soudain fatigué de ce petit jeu, il dégoupilla un grenade incendiaire et la jeta dans la masse. Le flot de mutants se tarit, au moins provisoirement, dans la boule de feu.


"Marche."


L'escouade reprit son avance dans la ruelle, conservant un ordre impeccable dans la surveillance des minces allées qui s'enfonçaient dans les ténèbres. Ils durent s'immobiliser à nouveau quand un second agglomérat de monstres se forma devant eux. Ceux-là semblaient nettement plus agressifs. Leurs yeux étaient injectés de sang. Leurs mâchoires claquaient, révélant des dents longues et pointues, laissant des flots de bave noire s'écouler sur le sol.


Les psycho-brouilleurs crépitèrent soudain, avertissant d'une activité psychique. Soudain devenus fous furieux, les mutants se jetèrent sur l'escouade avec une énergie sidérante, battant l'air de leurs doigts griffus ou de leurs armes de fortunes en mouvements désordonnés. Une nouvelle fois, l'escouade ouvrit le feu mais avec une efficacité nettement moindre : la foule de leurs adversaires était devenue si compacte que les premiers rangs poussés en avant par les suivants leur formaient une armure de chair bleuâtre. A nouveau, la mitrailleuse lourde de Gugnir rugit, déchiquetant les aberrations.


"Couvrez-moi."


Painkiller fit un bond en arrière alors qu'un mutant s'effondrait à ses pieds répandant dans la mort une infecte odeur de matière fécale. Les mercenaires reculèrent en bon ordre de quelques pas, conscients qu'ils ne pourraient endiguer beaucoup plus longtemps la vague grise grognante et bavante. Un marqueur d'alarme apparut dans le champ de vision du médecin. Puis un autre. Deux autres escouades se trouvaient en difficulté elles aussi. Il rangea ses pistolets-bolters, décrocha d'une impulsion nerveuse le petit lanceur chargé d'un unique missile accroché à son pack de survie ECPM, la saisit et la pointa vers le ciel, se jurant de tordre le cou de L'Armurier si le système de guidage dont le développement avait englouti à lui seul deux années budgétaires du laboratoire de recherches privé de la Genocide Incorporated échouait à amener la charge sur sa cible.


Le missile partit dans une gracieuse flamme orangée et un panache de fumée gris. Arrivé à cent mètres du sol, il s'inclina alors que la matrice anisentropique de malepierre polarisée réagissaient aux influx chaotiques d'énergie psychique. Filtré, purifié, échantillonné, corrigé à la vitesse de la pensée, le signal aussi parlant que la lumière d'un phare dans une nuit sans nuage pour le micro-contrôleur qui transmettait en continu le résultat de ses calculs sur la rétine de Painkiller, provoqua un mouvement des ailerons. Moins d'une milliseconde plus tard, la trajectoire avait été affinée par le retour d'état. Suivant une courbe logarithmique, les ailerons pivotèrent à nouveau. Arrivé à une erreur sur leur consigne de moins d'un millionième quelques secondes plus tard, ils se figèrent. Le missile plongea en droite ligne à une vitesse inouïe vers sa cible, une large hutte située au centre du taudis. L'explosion fit voler des éclats de métal à plusieurs dizaines de mètres d'altitude et souleva un nuage de poussière et de sable suffocant.


Le dominator éliminé, l'extermination des derniers mutants fut une formalité.


***


Le mouvement des pales du gyrocoptère à trente mètres du sol soufflait des torrents de sable gris dans toutes les directions alors que les opérateurs à son bord faisaient descendre le filin au-dessus de ce qui restait du convoi neosov : un puissant tracteur chenillé que les mutants avaient abandonné au milieu de leur campement après être arrivés à court de carburant et bien incapables d'en remplir le réservoir avec le jerricane qui se trouvait pourtant à leur disposition, accroché à l'arrière.


Le visage caché derrière son casque à visière fumée, un des mercenaires achevait de souder quatre lourds anneaux d'acier sur le caisson au moyen d'une petite torche à plasma. Quand les pièces eurent achevé de refroidir, il arrima solidement le caisson au filin et leva le pouce. Le treuil se remit en marche, soulevant doucement la précieuse cargaison. Quand elle eut disparu dans les entrailles du véhicule de transport, la trappe ventrale refermée derrière elle, le pilote reprit de l'altitude avant d'entrer en contact avec Painkiller.


"On se retrouve à NKC docteur. Au plaisir de retravailler avec vous."


Painkiller haussa les épaules et ne répondit pas. Il n'appréciait pas plus que ça de devoir travailler avec les armées du Consortium qui devaient se charger d'effectuer les dernières transactions avec les neosovs et n'avait pas l'intention de mettre les pieds à New Kansas City. Lui et ses combattants repartaient directement à New Anadyr pour empocher le paiement et quitter au plus vite cette planète malade. Les gyrocoptères de la Genocide seraient là dans moins d'une heure pour récupérer le personnel après une nouvelle opération rondement menée.


Aucune perte dans les rangs de la compagnie. On ne comptait que quatre blessés légers dont Painkiller avait soigneusement inspecté et soigné les plaies causées par les griffures des mutants qui se révélaient sans surprise être de véritables sacs à virus. Mais tout irait bien.


A dire vrai, tout allait déjà trop bien. En bon professionnel, Painkiller n'oubliait jamais qu'une opération militaire n'était complète qu'une fois que les comptes étaient soldés. Il alluma un cigare dans l'attente de la mauvaise nouvelle qui devait logiquement arriver.


"Qu'il fume, c'est un fait. Qu'il en soit déjà à trois cancers du poumon, il s'en fiche, il n'a qu'à se faire reconstruire un poumon neuf. Ses connaissances en neurologie lui permettraient en moins de quelques heures de se débarrasser de son adiction, il le sait mais s'en garde bien. Chaque fois qu'on lui a implanté un foie et un pancréas neufs, il tenait l'occasion de le faire avec un organisme nettoyé de toute toxine mais s'en moque éperdument. Peu importent les conséquences à long terme des reconstructions successives. Je crois que le docteur Painkiller est fasciné par le fait que le seul être dans l'univers qu'il n'a pas encore été en mesure de tuer, c'est lui-même."


Les paroles étaient du docteur Samuel Stone. Stone bien sûr. Ce jeune naïf. Il n'avait pas cent-soixante ans et croyait pouvoir lui donner des leçons. Bah ! Leçons qui se concluaient généralement par des répliques comme "t'es pas ma mère" – Grugni soit loué d'ailleurs : Jimini haïssait l'image de sa mère, décédée peu de temps après sa naissance - ou plus simplement "va te faire foutre".


L'aube se levait, répandant une lumière rosée malsaine sur le sable gris. Même l'aube était laide sur Negromundheim. Painkiller écrasait machinalement son cigare sous sa botte quand la mauvaise nouvelle arriva, apportée par le radio.


"Les gyrocoptères sont bloqués par une tempête de sable qui s'est levée à cent kilomètres au Nord d'ici. La station météo de NKC dit qu'une telle tempête est anormale en cette saison. Ou bien les pilotes attendent qu'elle se soit apaisée ou bien ils contournent le phénomène par l'Ouest. Dans le meilleur des cas, ils ne seront là que dans une vingtaine d'heure."


"Voilà pourquoi je déteste cette planète merdique. Tout s'y passe toujours MAL."


Il soupira lourdement.


"Que les gyrocoptères contournent la tempête en la gardant sous surveillance et nous tiennent informés de leur position et de son état."


Une tempête d'une puissance "anormale en cette saison". Qu'est-ce qui était "normal" sur ce sol maudit ? A cent kilomètres au Nord, donc aux abords du Gouffre. D'autres y auraient vu l'effet d'une sorcellerie. Painkiller y voyait seulement que ça les lui brisait menues.

(Modification du message : 04-03-2006, 01:02 par Xavier.)

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