Dans la grande tradition du roman noir, missionné pour observer les mouvements dans le salon de coiffure, Molino est engoncé dans une embrasure de porte condamnée alors qu'il pleut à verse. Oui, on est sous un dôme et il pleut comme vache qui pisse. Une bonne grosse pluie rouge, grasse et puante. Une pluie dégueulasse, mélange de l'évaporation des serres hydroponiques, des masses d'air chaud générées par les centrales intégrées du dôme et des fumées rougeâtres issues des nitrites agroalimentaires.
Molino, donc, a la toque enfoncée jusqu'aux sourcils pour se protéger de la pluie, le col relevé et les mains dans les poches pour se tenir vaguement au chaud -foutre que ce dome est chauffé à l'économie et l'humidité ambiante n'aide en rien-. De grosses gouttes rouges dégouttent de sa moustache et son souffle se condense devant sa bouche en une fumée marron de mauvais aloi.
Plus de quatre heures qu'il fait le pied de grue devant le salon. Quatre heures sans bouger à s'ankyloser dans cette atmosphère pourrie. Presque trois heures depuis que les Arbites sont sortis après avoir saccagé en vain les locaux pour trouver des traces du blanchiment de crédits fictif pour lesquels les a dénoncé Pansa "histoire de foutre un coup de pied dans la fourmilière". Tout ça pour rien car rien ne bouge dans l'échoppe.
Enfin... Rien... Il y a quand même quelque chose de pas net. Cette cliente qui vient de ressortir parait plus large d'épaule que quand elle est entrée. Entre le manteau et le fichu, c'est dur à voir mais Molino, il a l’œil pour repérer les emmerdes. Il a le nez pour ça.
Sortant son communicateur d'une main tremblante, il enclenche le signal initial et commence à suivre discrètement cette "brave citoyenne". A bord de leur Corvus -à l'abri au chaud, les salopiots-, les autres membres de l'équipe sont alertés et suivent ses déplacements, prêts à intervenir en renfort. En attendant, Molino connait son boulot pour éviter les emmerdes : il reste loin, discret, retire sa toque pour se fondre dans la masse et se rend complètement banal, avec l'air ahuri de l'ouvrier qui a fini sa journée, errant comme un zombie, hésitant entre son lit et un débit de boissons -ouais, un bon grog chaud, ça ne serait pas de refus-.
Dix-huit tours de bloc plus tard, après un trajet plus que convoluté, sa cible se retourne une dernière fois et disparaît dans une ruelle entre deux conhabs.
Aussitôt, l'agent de l'Inquisition envoie un second signal tout en trottinant jusqu'au coin de l'impasse. Il y arrive à temps pour voir quatre formes disparaitre dans une bouche d'égout. Très professionnel -malgré ses jérémiades sur le temps qu'il lui faudra attendre avant d'avoir enfin son grog bien mérité-, il enclenche le troisième et dernier signal avant de repérer un autre accès au sous-sol plus bas dans la rue et y attendre l'équipe.
Plus besoin de filature, le moment de l'action approche. Les senseurs actifs de leur C.H.A.T. ne sont pas aussi discret mais sont plus efficaces pour traquer leurs cibles. Le petit robot chenillé aura tôt fait de les mener à bon port.
le squat
la souite ce soir