(13-04-2020, 21:03)Marduck a écrit : Citation :N'oubliez pas ceux à cause de qui on en est arrivé là.
Elle fait allusion aux différents gouvernements successifs depuis 30 ans qui se sont employés activement à casser l'hôpital public (et les cliniques aussi, faut pas croire que le statut d'établissement privé protège réellement de la bêtise administrative, bien au contraire

).
Il y a eu une baisse constante des effectifs. On ferme des postes en oubliant qu'avec moins de personnes, tu bosses moins et donc facture moins d'actes. Comme tu es sous pression, tu bosses généralement plus mal aussi...tandis que les effectifs de la population accueillie augmente progressivement d'année en année. Baisse encore accentué par le fait que le boulot à l'hosto use très rapidement la plupart des agents que ce soit sur le plan physique (troubles musculo-squelettiques) ou psychologique (burn out +++).
Et que les patients ont des tableaux cliniques de plus en plus lourd, vieillissement de la population, mauvaise couverture médicale et prévention faiblement accentuée oblige. C'était déjà hyper tendu avant le covid-19...heureusement que l'épidémie n'a pas eu lieu en hiver sinon...
On a peu de moyens (tout est en flux tendu à l'hôpital, le matos comme les postes), mauvaise gestion globale, explosion du personnel administratifs au détriment du personnel utile, etc...
L'organigramme de n'importe quel hôpital révèle une noria de cadres administratifs, sous-cadres et assistants divers et variés (le dirlo d'ici à un sous-directeur, deux assistants, dont l'un a lui-même un assistant, et une secrétaire rien que pour lui, c'est complètement disproportionné par rapport au besoin réel d'un hôpital de même pas 500 lits ), responsables des achats, etc... Une pyramide inversée. Un pote aide-soignant dirait que c'est l'armée mexicaine, il y a plus d'encadrants que de travailleurs. Il n'a pas tort.
Sans exagérer, il y a souvent 3-4 administratifs voire 5 pour 1 soignant.
Le déséquilibre est énorme.
Par exemple, tu vas avoir 20 personnes à la direction des achats tout compris. Dont un bon trois quart ont en réalité un bullshit job consistant à juste passer des commandes et les vérifier (même pas à les dispatcher). Ils ne font aucune étude de marché, c'est un autre service qui s'en charge.
Tout est extrêmement segmenté et compartimenté, gare à toi si tu t'avises de faire le boulot de quelqu'un d'autre pour gagner du temps ou de l'efficience, tu ne le feras qu'une seule fois.
Le reste du temps, ils remplissent des process et des tableurs. Sur les 20, tu as 5 petites mains qui se tapent pratiquement tout le boulot pendant les 15 autres qui les supervisent font...on ne sait pas vraiment quoi (le savent-ils eux-même ?) mais quand ils ne sont pas là comme en ce moment, on ne voit aucune différence

. Oui parce que les petites mains n'ont pas droit au télétravail mais les 15 chefs et sous-chefs, eux, aucun souci, évidemment

.
A côté, un SSR gériatrique neuro orthopédie (accueillant des personnes âgées ayant fait un AVC et/ou diverses opération) de 60 lits : 4 aides-soignantes, 3 ASH, 2 IDE, 3 rééducateurs éclatés sur deux autre services, une assistante sociale (pareil) et une cadre de proximité...quand tout le monde est là. C'est tout*. Y a pas comme un problème ? Surtout que ce sont les soignants qui font rentrer du fric en facturant les actes, pas les administratifs dont on parle plus haut.
Mais si encore ils se contentaient 'juste' de faire leur taff sans se mêler de celui des autres, ça pourrait encore aller. On déplorerait que les sous de leur poste n'aille pas à des postes de soignants (en réalité, il y a eu un 'transfert' progressif des postes dans le sens soignant -> administratifs).
Le plus beau étant que ce sont ceux qui n'entendent rien aux différents métier se permettent de mettre leur grain de sel dedans.
Et là de un peu casse-couille à l'occasion, certains deviennent carrément nuisibles pour les patients.
Deux exemples classiques. On reste en SSR.
Mettons qu'on décide d'élaborer un protocole de prévention des chutes des patients dans le service. Un groupe de travail se penche dessus : il est composé d'un IDE, d'une AS, du kiné et de l'ergo du service donc que des gens qui bossent au contact des patients et qui savent de quoi ils parlent. La cadre de proximité supervisent également (normal également, c'est le service dont elle est directement responsable). Ils se réunissent 2-3 fois environ 1h à chaque fois, test des trucs dans le service/modifient, finalement ils élaborent le protocole en version temporaire.
Le protocole emprunte toute la chaîne verticale pour revenir dans le même sens. Au lieu d'entériner le truc, les cadres du dessus décident de modifier de manière unilatérale certains points qui ne leur plaisent pas (on parle de purs administratifs, le mec ou la fille n'a jamais approché un patient à moins de 5m ou alors depuis une éternité !) sans forcément se justifier. Au passage ils collent
tous leur nom sur le doc sur le protocole alors qu'ils n'ont pris aucune part à l'élaboration du truc, juste pour se faire mousser plus tard auprès de leur N+1.
C'est comme ça qu'un protocole avec 5 personnes max créditées se retrouvent avec 15 noms au final :rolleyes: .
Le groupe de pros n'est pas content des modifications apportées. On se renvoie le protocole. Finalement ça tombe à l'eau parce que l'étage du dessus ne veut rien lâcher de ses modifs idiotes qu'ils ne sont d'ailleurs pas capables de justifier.
J'en ai vu plein des projets d'établissement tomber à l'eau comme ça.
Deuxième exemple :
L'orthophoniste et la diététicienne du service revoit l'ensemble des menus (textures et consistance). Y en avait bien besoin dans ce service, d'ailleurs ! Elles élaborent aussi un protocole de dépistage des troubles de la déglutition et forment les équipes du service (jour et nuit).
Le test s'appuie sur un plateau précis avec tel aliment correspondant aux différentes textures progressives. C'était bien fait, malin et rapide pour dépister les éventuels troubles de la déglutition des patients nouvellement arrivés.
Sauf que la cadre du service diététique (ou une cadre sup de ce service, me souvient plus), bah ça lui a pas plus qu'on ne lui ai pas demandé son avis

. Alors, au lieu de discuter avec les deux pros qui ont conçu la chose, elle décide de modifier intégralement la composition précise du plateau de test en foutant n'importe quoi dessus.
La première étape du test, c'était de la crème dessert lisse si je me souviens bien (comme de la Danette). Elle a changé en mettant à la place une salade de fruit (n'imp !!!). Parce que c'est Madame qui décide.
Ce qui devait arriver arriva, une aide soignante déplacée d'un autre service pour le jour en cours (donc pas vraiment au parfum des usages du lieu) donne le plateau à la petite mamie, commence le test, ne se méfie pas ou ne fait pas gaffe... La grand mère aspire un des morceaux de fruit => pneumopathie => décompensation => grabatisation. Il en est indirectement décédée quelques mois plus tard.
Eh bah la cadre diét, qui a commis une grosse faute professionnelle, elle n'a pas été le moins du monde inquiétée des suites de sa connerie. C'est l'AS qui a tout ramassé. L'ortho et la diet ont rapidement découvert le pot aux roses (modification des plateaux sans les avertir) et malgré un rapport d'incident indésirable bien corsé ciblant la cadre diet, cette connasse n'a jamais eu à répondre de ses actes. Je pense que s'il y avait eu plainte, elle s'en serait tiré grand minimum avec un licenciement pour faute lourde sans parler de l'homicide involontaire.
On bosse un peu en dépit de l'encadrement plutôt que grâce à lui, en fait

. C'est un peu comme ça dans toutes les structures administratives semble-t-il : aux impôts pareil, c'est le bordel, la justice également (manque de personnel critique), la pénitenciaire même combat, les pompiers, gendarmes&policiers idem, l'école et l'université plusieurs personne ici pourraient en parler en connaissance de cause, etc... Le constat général est qu'il n'y a pas un secteur qui tourne normalement.
Peut-être que l'orage cytokinique du corps étatique n'est pas bien loin au fond

.
* Eh oui, il n'y a pas de médecin en poste de manière permanente dans certains services. De temps en temps, il y a un médecin intérimaire qui vient d'une qualité et d'une conscience pro variable sur une durée tout aussi variable mais généralement courte...sinon c'est le médecin gériatre du cours séjour gériatrique qui passe en catastrophe pour dépanner. Il fait ce qu'il peut, il a déjà ses 50 autres patients, aux dossiers souvent complexes, de l'autre service à soigner.
Tout est comme ça.
Pour la pénurie de médicaments, c'est un phénomène relativement nouveau qui a commencé à apparaître vers 2015-2019. Avant il n'y en avait peu, c'était résolu de manière plutôt rapide ou bien ça ne concernait qu'un médoc spécifique. Là ça commençait à toucher des médicaments plutôt courants, de manière récurrente en prime.
Le matos, j'ai pas souvenir qu'en stage ou dans les premiers postes, on en ait désespérément manqué dans les services de réanimation, qui sont généralement un peu mieux pourvus que la moyenne (c'est-à-dire que c'est pas Byzance mais on s'en sort). Ils auraient pu provisionner un peu certain matériel lourd au cas où...ils ne l'ont pas fait par souci d'économie. Faire du stock, c'est de l'argent qui dort à leurs yeux.
La situation étant exceptionnelle, on aurait sans doute été pris de court mais dans des proportions moindres s'il y avait eu plus de matos et de personnel. La résilience du système aurait été meilleure. Là, il a finir à genou. Si on se retape une autre vague...
Mais s'il y avait eu la base en protection, il y aurait certainement eu moins de contamination de soignants et de créations de cluster accidentels.
En résumé du pourquoi qu'on est tous (soignants et tous les autres) dans la merde : impéritie + négligence + mauvaise stratégie développementale + leadership défaillant (au sens de 'je sers mes propres intérêts et celui de mes commanditaires au lieu de servir l'intérêt du plus grand nombre, i.e celui des gens qui m'ont élu. Et je ne prends pas de décisions.'
'On n'a pas le cul tiré des ronces' (Germaine, 94 ans).
Plus emmerdant : l'État a fait la brillante démonstration du fait qu'il n'était pas ou plus capable de protéger ses citoyens (ou qu'il ne le voulait pas). Constat très dangereux pour une démocratie.
Sinon pour le nombre de morts, il y a tellement de paramètres et de disparités de calcul entre les pays que la comparaison n'est pas toujours pertinente. La comptabilité macabre te permet de dégager des tendances mais si on n'a pas tous les paramètres de calcul, c'est pas très probant, on reste dans l'estimatif.
Pour avoir de vraies chiffres fiables, il faudrait que tout le monde teste de la même manière : en systématique, toute la population, y compris les asymptomatiques. En comptabilisant les décès survenus en dehors de l'hôpital également. Là on pourrait comparer. Peut-être qu'il y certains pays qui ne s'en sortiraient pas si bien que ça et d'autres où finalement, ce n'est pas si pire. Actuellement, chaque pays fait un peu à sa sauce.
La tendance générale qui semble émerger c'est que sur une population moyenne, 80% des gens se remettent de la maladie avec des symptômes d'une ampleur variable, 15-20% vont avoir besoin d'une aide médicale (ventilation non-invasive ou intubation). Sur ces 20%, un nombre inférieur à 5% auront une forme sévère chez qui le pronostic est réservé car l'issue est malheureusement souvent fatale.
La tranche des 20% risquent de mourir si elles ne peut pas bénéficier d'une prise en charge par suite d'un engorgement des capacités d'accueil des établissements de santé. Sans doute que dans la frange des malades développant une forme sévère, un nombre significatif seraient décédés quoi qu'on fasse...mais avec le matos qui vient à manquer, on n'a plus la possibilité de le faire.