"Hors de question."
"Sauf vot' respect doc'. On en a causé. On aimerait bien y retourner. C'est pas mauvais pour vot' business. On vous fournit des informations dont vous pouvez avoir besoin. On roule pour vous. On vous d'mande pas une couronne pour not' boulot. Doc' Stone dit que c'est pas un mauvais plan."
"Je ne sais pas ce que ce crétin de Stone vous a mis comme idée dans la tête mais vous me demandez de jouer à la roulette avec vos vies et c'est hors de question. Vous voulez retourner sur Negromundheim ? Allez-y ! Mais je ne ferai rien qui puisse vous y encourager et certainement pas vous payer le voyage pour commencer. Et quoi encore ? Vous voulez pas que je vous file mes pompes avec ça ?"
Franck Martens lorgna sous le bureau les chaussures en cuir impeccablement cirées du docteur Painkiller en se demandant ce qu'il pourrait bien en faire. Cela lui rappela soudain qu'il n'avait pas essuyé ses propres bottes avant d'entrer dans les locaux de la Genocide Inc et espéra que personne ne remarquerait les traces poussiéreuses que lui et ses deux compagnons avaient laissé sur le tapis.
La porte à double battant du bureau s'ouvrit. Le docteur Stone entrait en sifflotant.
"C'est quoi les traces poussiéreuses sur le tapis ?" demanda-t-il en dégrafant son manteau.
"C'est quoi ces nouvelles foutaises Stone ?" lança furieusement Painkiller. "C'est ton idée d'envoyer nos amis au casse-pipe sur Negromundheim ? Je t'ai dit que je ne voulais plus aucune opération là-bas jusqu'à nouvel ordre."
"Ce n'est pas mon idée, c'est la leur. Et ce n'est pas une opération puisqu'il n'y a pas de contrat."
"Ah ! Alors la Guilde n'autorisera jamais l'allocation d'un vaisseau dans ce cas."
"C'est pour cela qu'ils utiliseront mon vaisseau personnel." Il se tourna vers les trois kadriniens. "Le Thrusting Matilda est prêt et l'I.A. de bord sait déjà tout ce qu'elle a à faire. Vous serez sur Negromundheim en moins de quarante heures. Partez quand vous le souhaitez messieurs."
"STOOOONE ! Si je pouvais te foutre à la porte de cette boîte, je le ferais pour ça ! Et avec deux cervicales pétées en guise de préavis."
"Mais tu ne peux pas, c'est moi le PDG. Il y a du neuf Jimini. Enfin peut-être."
*
**
Duchesse ouvrit la porte-fenêtre et s'avança sur le balcon pour respirer l'air frais du soir. Elle éprouvait le besoin de réfléchir aux étranges informations qui s'étaient accumulées durant cette épuisante journée.
Il y avait d'abord ce rapport émanant de ses espions restés aux abords de la jungle radioactive récemment découverte, hommes et femmes dont il fallait saluer le professionnalisme pour avoir réussi à entrer en contact avec les mystérieux zookoos et même à leur soutirer des informations. Duchesse les avait immédiatement proposé pour une nomination à l'ordre du mérite néosoviétique et obtenu la garantie du comité central que, si d'aventure l'un d'entre eux devait un jour être envoyé au goulag, il voyagerait en première classe et que son billet lui serait remboursé à l'arrivée. C'était bien le moins.
Ce qui la tourmentait était la teneur de ces informations.
Elle ne croyait évidemment pas un mot des légendes zookoos annonçant que la grande convergence des catastrophes aurait lieu lorsque les totems sacrés de la banane et du canard d'or seraient brisés et que le Ragnarok ultime définitif final détruirait alors toute forme de vie sur Negromundheim. De telles fariboles ne pouvaient effrayer que des sauvages primitifs.
Elle se morigéna aussitôt pour cette pensée réactionnaire petit-bourgeoise et se promit mentalement de rédiger son autocritique pour le lendemain : les zookoos n'étaient pas des sauvages primitifs, mais des citoyens du monde, comme elle, n'ayant simplement pas encore eu la chance de pouvoir suivre la voie ouverte par leurs valeureux camarades neosoviets vers la lumière du collectivisme, opprimés qu'ils étaient par des chefs despotiques ennemis du peuple et embrigadés mentalement par leurs grands prêtres opportunistes.
Elle tira de sa poche le calepin sur lequel elle avait consigné les notes de la journée, l'ouvrant à une page au hasard. "Les traces d'instabilité génétique sont évidents chez les zookoos" lut-elle. En dessous, elle avait rajouté : "penser à se débarrasser de ces sauvages primitifs mutants. Envoyer au goulag les espions qui ont été en contact avec eux."
Pas besoin d'autocritique.
Ce qui était réellement curieux, c'était le recoupement de ces légendes zookoos avec les croyances des vers de terre qui eux aussi annonçaient l'imminence d'une catastrophe bien plus grave encore que celle à laquelle la planète entière était déjà exposée par l'ouverture de la porte de l'Enfer – comme si cela seul ne suffisait pas ! A cela non plus, elle n'aurait accordé aucun crédit si l'Agence Spatiale Neosov ne lui avait confirmé les signes dont parlaient les vers de terre dans l'après-midi.
En levant les yeux vers le ciel ténébreux, elle pouvait le constater également à présent. Le phénomène devenait visible à l'œil nu.
<i>Les cent huit étoiles maléfiques de la constellation du Hokuto à beurre avaient changé de place !</i>