Feetgave, le retour

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Bref résumé des épisodes précédents :

Peter Bûcker -l'Elu- était un sorcier adorateur de Slaanesh avec une bande riche et nombreuse. Cette bande contenait notamment : un centaure nommé Rémi, un orque : Félicité, un guerrier du Chaos, Adolf, et surtout une sorcière humaine Ingrid.

Peter rencontra finalement son destin lors d'une bataille épique contre des khorneux : il devint un Prince-Démon baptisé Fol'iog'gdailrh. Si.

Ingrid, enceinte, prit la suite à la tête de la bande. Sa première mission au nom de l'Elu était d'aller accoucher chez un nommé Heinrirch Stunk, médecin à Nuln, ancien ami de Peter Bücker. Ingrid accoucha d'une mutante puis fut séparé de son enfant avant de finir sur un bûcher.

Après quelques maraudes autour de Beeckerhoven et l'arrivée d'un nouveau personnage, Sergio, la bande de l'Elu, privé de chef véritable éclata.

L'enfant d'Ingrid fut recueillit par une bande d'homme-bêtes qui la baptisa Feetgave. Quinze ans plus tard, l'histoire recommence...

Le premier volet est disponible .

Patatovitch

PS : Malgré de nombreuses retouches le premier chapitre ne me satisfait toujours pas... Bonne lecture quand même.

(Modification du message : 20-03-2004, 22:09 par Patatovitch.)

Prologue :

«Wurstheim, Konistag 12 de Vorgeheim de l’an 2503, seconde année du règne de notre bien-aimé Empereur Karl Franz.

« Je trouve enfin les mots qu’il faut pour écrire mes mémoires. Ce signe ne trompe pas : mon temps s’achève. Je déposerai ce texte chez Maître Bestandig, notaire à Nuln, il me tiendra lieu de testament. Maître Bestandig, ce grand ami, prouvera, si nécessaire, que je suis en pleine possession de mes moyens intellectuels.

« Je suis Heinrich Stunk, né près de Guisoreux en Bretonnie pendant l’hiver de l’an 2444 d’une père et d’une mère adeptes de la Foi Antique.

« J’aime à imaginer que je vins au monde dans une grotte ou un gîte naturel et précaire de ce genre, un jour de grand orage ; cela pour contraster avec la vie bourgeoise que je mène aujourd’hui et exagérer ma réussite sociale.

« Rassurez-vous, je ne vais pas vous faire subir la description détaillée de mes bientôt soixante années d’existence. Sachez seulement que je fus le troisième et dernier enfant de ma mère qui mourut de faiblesse peu après ma délivrance. De fait, j’ai commencé à travailler très tôt en exploitant les quelques connaissances d’herboriste que mon père, lui aussi trop tôt parti, m’avait légué. Je pris bientôt la route, à la recherche de nouveaux horizons et surtout d’une existence moins rude. Ainsi, je perdis rapidement le contact avec mes deux frères aînés qu’il ne me fut plus jamais donné de rencontrer – un peu de mon fait, il est vrai, leurs âmes me pardonnent, car je ne garde pas d’excellents souvenirs d’eux.

« Je rencontrais alors quelques compagnons de route et le monde étant tel qu’il est, nous fîmes fortune à la pointe de l’épée et pas toujours très honnêtement dans le Sud de l’Empire. Enfin, à la pointe de l’épée, dis-je, c’est mentir. Je n’ai jamais su me battre. Mon modeste talent soignait avec plus ou moins de succès, les plaies et les bosses qui ne manquèrent pas de causer les coups qui pleuvaient sur les compagnons et moi-même. Voyez donc comme l’habileté des autres fut à l’origine de ma fortune. J’y reviendrai plus loin, rendant à chacun le mérite qui lui revient.

« Curieusement, je fus le seul à qui cette fortune profita, grâce à une habitude de prudence peut-être, ou un petit talent pour la médecine. Mes compagnons se dispersèrent et tous connurent des fins tragiques rendant l’adage qui existe à peu près dans tous les dialectes : « bien mal acquis ne profite jamais », plus vrai que jamais. Là aussi, je serais plus explicite plus loin. Enfin, ils restent vivants dans mon souvenir et intimement associés à ma jeunesse.

« Je dois à celle qui fut ma femme durant trente années tout le bonheur qui m’a été donné dans l’existence. Trente année. Cela peut paraître long. Pourtant, le bon temps est toujours trop court, il me semble que je ne l’ai connu qu’un mois, qu’une journée.

« O Elena, ma femme, que Morr abrège mon calvaire, qu’il me fasse te rejoindre. La vie loin de toi n’est qu’une longue agonie.

« Quelle mort affreuse tu as eu. Tu as péri dans le « Grand Incendie » comme le nomme cette Histoire dont nous ne sommes que spectateurs ou victimes... Nuln fut la proie des flammes. La horde des hommes-rats fut mise en déroute par des aventuriers intrépides sauvant notre jeune souveraine mais détruisant la moitié de la seconde capitale de l’Empire et volant la vie à d’innombrables habitants.

« Honneurs aux sauveurs de Nuln ! Gloire à vous, Grunisson et Jaeger (car j’ai fini par apprendre vos noms) ! Il est des victoires dont on se relève si affaibli que la mort aurait mieux valu. Entendez-vous, héros de l’Empire ? J’aurais préféré mourir ce jour où j’ai perdu mon âme…

« Vous pouvez penser, cher lecteur, que j’en fais trop. Hélas, si c’était vrai. Médisants et hypocrites, croyez-moi, chacune de mes pensées va vers ma défunte épouse, encore aujourd’hui.

« La raison m’aurait fui, elle aussi, si …

Heinrich Stunk releva la tête de son écritoire. Un bruit de pas familier approchait. S’il corrigeait sa vue avec des verres grossissants, son ouïe restait encore alerte. On toqua à la porte et une voix la traversa.

« Monsieur Heinrich ?

- Oui ? Qu’y a-t-il ?

C’était Frida Aufseher, la même Frida qu’il avait fait sauter sur ses genoux, trente années plus tôt. Elle approchait maintenant la quarantaine et le plus jeune de ses quatre enfants allait sur ses onze années. Elle était veuve et c’était celle qu’Heinrich s’apprêtait à la citer dans son testament. Sans elle sa raison aurait basculé.

Frida avait aidé Heinrich pendant la douloureuse période qu’il avait traversé depuis la mort de sa femme. Sur ses conseils, il avait quitté Nuln ainsi que les ruines fumantes de sa maison et de son cabinet de médecin prospère pour s’installer à Wurstheim, petit village à une demi-journée de cheval plus au sud, où elle vivait avec sa famille. L’ancien médecin avait acheté, là, une petite maison près du centre du village dans le style typique du sud de l’Empire. Frida était venue tous les jours comme amie et domestique mais surtout comme la fille que les Stunk n’avaient jamais eu.

A Nuln, Heinrich avait été un père pour elle. Ils avaient vécu sous le même toit alors qu’Elena Stunk vivait encore durant dix ans. Il lui avait appris à lire et des tas de choses. Il lui avait même offert une dot lorsqu’elle s’était mariée.

Heinrich était si bon, si simple, si intelligent et si riche… Le « bourgeois de Nuln » n’était pas bien vu ici. On n’aimait pas beaucoup les étrangers à Wurstheim…Le village jasait sur sa prétendue relation avec Frida. Cette dernière n’en avait que faire.

Frida poussa doucement la porte.

« Deux messieurs qui viennent de Nuln… Ils veulent vous voir.

- De Nuln ? A cette heure ?

Il faisait presque nuit. Heinrich était surpris : qui pouvait se souvenir de son existence là-bas ?

« Fais-les patienter en bas.

Il entendit encore le pas de Frida dans l’escalier.

Heinrich hésita un moment. Devait-il descendre en robe de chambre ? Après tout, pour lui qui n’attendait que le sommeil de Morr, cela ne serait pas si déplacé…


CHAPITRE I :

Le campement des hommes-bêtes était installé aux abords d’une petite clairière dans les profondeurs de ce que les hommes appelaient la Grande Foret du Talabecland. Le soir allongeait les ombres.

Si l’été avait rendu le gibier plus abondant, il avait également fait reprendre l’activité frénétique à tous les habitants de la forêt. Après la disette de l’hiver tardif, la lutte pour la survie continuait : la clairière était jonchée de corps de peaux vertes. Aujourd’hui, la tribu d’hommes-bêtes avaient survécu.

Cette dernière se composait d’une quinzaine de guerriers Gors, d’une vingtaine d’Ungors, Brays et de femelles puis d’un chaman. Les orques avaient abandonné dans leur fuite leurs maigres possessions et des Ungors se disputaient un lot de vieux vêtements humains crasseux. La moitié de la tribu était occupée à dépouiller les cadavres du moindre objet valorisable tandis que l’autre, les guerriers, venaient un à un s’agenouiller devant le vieux chaman.

Assis en tailleur, les guerriers s’inclinaient d’abord devant le chaman dont la peau parcheminée semblait presque translucide en récitant une formule de politesse puis, avec les mêmes mots, ils saluaient une étrange petite femelle à ces cotés. Le chaman leur prenait alors l’épaule et s’entretenait avec eux à voix basse. Il soignait leurs plaies éventuelles et prononçait des paroles qui flattait l’orgueil. Le chef de la tribu avait péri dans la bataille ; il fallait le remplacer. Le chaman Ghurhan’ch avait gagné la bataille alors que la déroute semblait inévitable. La majorité des guerriers étaient assez peu fiers qu’un grand vieillard leur en ait remontré à tous. Comme la tradition interdisait aux chamans de devenir Champion, ce dernier excitait les Gors les uns contre les autres afin de déclencher un duel d’où ressortirait un nouveau chef incontesté.

La petite femelle écoutait d’une oreille distraite et restait muette. Elle était perdue dans la contemplation de la lame qui avait appartenu au chef orque. L’arme était si finement ciselée et brillait d’une manière si particulière que son observation était sans fin. Ce n’était pas du travail d’orque et la lame transpirait la magie…

La bataille l’avait épuisée physiquement car elle débutait encore dans l’utilisation de la nécromancie et le contrôle des morts-vivants invoqués.

Feetgave -c’était son nom- connaissait vaguement son origine : elle n’était pas comme eux, les Gors, même si elle possédait deux fines cornes qui formaient un cercle presque parfait au dessus de sa tête. Elle était une Gave, une « donnée », c’est-à-dire une enfant humaine abandonnée, recueillie et élevée parmi les hommes-bêtes.

Cependant, sa face n’avait plus grand chose d’humain, elle avait des cornes bien sûr. Sans elles, elle serait encore parmi le troupeau des Brays et des femelles qui attendait en brayant en quelques pas d’ici. Mais sa face animale avait la peau rongée jusqu’à l’os par un feu inextinguible. Elle n’avait pas perdu ses yeux comme l’avait craint le chaman lorsqu’était apparu cette affection indissolublement liée à la pratique de la magie -ou plus précisément à la pratique des « flux » comme il disait. Lorsqu’elle éprouvait de l’énervement, de l’excitation ou, qu’elle se concentrait pour lancer un sort, son crâne rougeoyait comme une braise et une flamme apparaissait carrément. Elle avait déjà enflammé plusieurs fois ses vêtements ou sa paillasse et depuis, tant que la température le permettait, elle restait torse nu et dormait avec une pierre comme coussin.

Mis à part sa tête particulièrement torturée, le reste de son corps était celui d’une femme. Elle concevaient même une certaine gène d’avoir des pieds à la place des sabots des hommes-bêtes normaux. La tribu avaient noté cela en la baptisant. Elle portait donc, lorsqu’elle n’avait pas trop à se déplacer, une long morceau d’étoffe coloré, volé dans une ferme, qui tombait jusqu’à terre. Autre différence, alors que les femelles hommes-bêtes se complaisait dans une quasi nudité et une crasse immonde, Feetgave aimait se laver de temps en temps à la rivière et peindre sur son corps : un reste de son humanité originelle qui amusait beaucoup les Brays.

Elle estimait son âge autour d’une quinzaine d’été. A cet âge-là, les femelles normales avaient déjà plusieurs portées. Son premier et unique rejeton fut mort-né. Bien après terme, il ne sortit de son ventre qu’une horrible masse de chair informe qui avait été dévoré après un rituel.

« Les flux » avaient encore dit Ghurhan’ch.

Comme elle n’avait pas été engrossée depuis malgré les soins de plusieurs mâles, elle supposait que la première délivrance avait cassé quelque chose « en dedans ».

Feetgave aimait son maître Ghurhan’ch. Il était un puissant chaman, très intelligent quoique assez violent et colérique. C’était lui qui l’initiait à la magie, qui lui apprenait à voir, à sentir et à maîtriser les "flux". Il lui avait enseigné aussi, à force de coups de bâton et gifles, les subtilités de la Langue Noire que la majorité des hommes-bêtes ne maîtrisait pas ainsi que l’écriture des runes et même des notions de Reikspiel. Il lui disait qu’elle avait d’immenses possibilités et qu’elle avait à sa disposition une réserve considérable de pouvoir. Il n’avait pas été plus explicite et malgré de nombreuses « marches en esprit » au « pays des flux » et elle n’avait pas encore trouvé cette « réserve de pouvoir ». Parfois, lors de ses transes, elle sentait parfois une présence chaude prés de son âme mais la cacophonie du « pays des flux » l’empêchait de savoir si on s’adressait réellement à elle.

« Tu es aimé de Slaanesh, le Prince du plaisir, lui répétait fréquemment Ghurhan’ch. Vois comme sont tes cornes et vois comme notre poil a blanchi depuis que tu es avec nous. Nous sommes perméables aux flux qui coulent dans le monde et nous nous transformons lentement en slaangors. »

Il expliquait que cette bénédiction déteignait également sur les esprits de son entourage et incitait la tribu à l’indolence, à la paresse et plaisirs simples ou sophistiqués. Feetgave pensait qu’il exagérait sciemment son importance et elle n’avait, de toute façon, pas assez de recul pour percevoir l’évolution de la tribu.

Feetgave avait remarqué que son maître avait une peur panique des « créatures du pays des flux ». Il lui avait expliqué que l’on pouvait les invoquer, leur parler et même leur donner une forme dans le monde réel mais la petite femelle avait compris qu’il n’avait pas envie de lui enseigner celà. Il faisait parfois dans son sommeil des cauchemars au cours desquels il était plus loquace : une expérimentation avait mal tourné, il y avait longtemps…

Depuis, Ghurhan’ch s’était spécialisé en nécromancie et Feetgave qui trouvait amusant de créer un simulacre de vie chez les créatures mortes s’en trouvait fort aise. Elle se souvenait comment elle avait animé un lapin fraîchement tué et l’avait fait courir dans le campement provoquant la panique : tous essayaient de l’attraper pour le dévorer. Elle ne se rappelait plus ce qu’il était advenu du lapin.

« Et au moins, on peut les casser soi-même, si ça marche pas, disait le chaman à propos des morts vivants.

Ghurhan’ch faisait souvent remarquer à son apprentie combien il était aisé de manipuler les esprits frustes des guerriers Gor. Alors que la tribu risquait la dissolution car personne ne semblait vouloir prendre la place du défunt Champion, le chaman avait titillé l’orgueil de chacun et déjà la tension montait parmi les Gors et certains Ungors. L’affrontement paraissait imminent. Effectivement, bientôt deux Gors commencèrent à s’invectiver.

Un cercle se forma bientôt et la tribu entoura les deux candidats. La joute opposait deux Gors : l’un, coiffé d’une crinière de crin roux, gonflait le poitrail tandis que l’autre, une corne brisée, montrait ses colossaux biceps. Les spectateurs, captivés, applaudissaient, tapaient du sabot et hululaient. D’autres commentaient bruyamment les mérites comparés des deux protagonistes.

L’affrontement se poursuit par des bordées d’invectives. Une fois que les champions eurent épuisés leur répertoire d’insultes salaces, le duel de coups de tête commença. Chanfrein contre front et front contre chanfrein, chacun des Gors devaient propulser son adversaire hors du cercle formé par la tribu. Cette dernière participait activement par ses encouragements mais aussi par les coups qu’elle assénait lorsqu’un des concurrents s’approchait trop du bord du cercle. Certains pouvaient tirer un des candidats hors du cercle ou, au contraire, le repousser si le champion les avait convaincu.

La première moitié de l’exercice consistait à gagner les cœurs des spectateurs pour qu’ils ne pénalisent pas dans le combat. La seconde était un jeu de force brute où l’habileté et la ruse étaient admises.

Bientôt, le Gor à la corne cassée, à moitié assommé par les violents coups de tête de son adversaire fut éliminé. Le plus solidement bâti des Ungor de la tribu, enhardi par sa bravoure à la précédente bataille, s’avança. Un grognement de désapprobation s’éleva chez les femelles et les Gors. Son adversaire n’eut qu’à l’amener au contact des spectateurs pour que ces derniers se chargent de le faire sortir du cercle. Il était inadmissible qu’un Ungor ose se présenter comme chef.

Le Gor victorieux exultait, il profitait de son instant de triomphe en roulant ses muscles et en beuglant.

Après un moment d’hésitation, un autre Gor à la peau pâle encombré d’un troisième bras se terminant par lourde pince le défia à son tour. L’agitation de la tribu atteignait son paroxysme. Là aussi, le combat fut bref, l’outrecuidant fut rapidement mis hors jeu dans un tonnerre d’applaudissement et de coup de sabots. Le Gor semblait avoir gagné la confiance de ces congénères, il ferait un Champion respecté.

Le silence tomba comme une pierre : Feetgave avait pénétré dans le cercle. Son corps frêle contrastait avec la carrure du Gor. Par commodité, elle avait laissé tomber sa robe. Tous se tournèrent vers le vieux chaman. C’était lui le gardien de la tradition. Il pouvait invalider cette candidature inopportune d’un seul mot. Assis à une vingtaine de pas du cercle, il avait bourré d’herbes séchées une pipe de facture humaine et semblait se désintéresser totalement de l’action. L’interruption du brouhaha lui fit lever un sourcil. Il avisa la situation et haussa simplement les épaules.

Feetgave connaissait bien le Gor qui lui faisait face. Son crin roux l’identifiait comme Rtu’lgor, l’un des mâles qui venait régulièrement lui renifler la croupe. Il se fendit d’une espèce de sourire considérant la taille de son adversaire. Ce sourire disparut rapidement lorsqu’il comprit ce que cette petite femelle espérait : le feu qui lui embrassait la face atteignait une certaine intensité et les flammes dépassaient maintenant un pied de haut. Il aurait du mal à l’affronter dans un duel de coups de tête sans que son poil ne s’enflamme. De plus, elle sautillait dans tous les sens autour de lui et cherchait une faille. Après une brève hésitation, il se projeta en avant, saisit l’impertinente par les épaules et la souleva du sol sans effort. Feetgave se débattait vivement et essayait de mordre mais son étreinte était ferme. Les applaudissements, qui se doublèrent à ce moment-là de railleries, reprirent de plus belle. D’une flexion du torse, Rtu’lgor lança la petite femelle hors du cercle.

Feetgave s’écroula lourdement sur le sol. Des rires moqueurs secouaient l’assemblée et le Gor savoura encore son triomphe. La petite femelle bouillait de colère et sentait la chaleur insoutenable de la flamme sur son visage. Rtu’lgor l’avait ridiculisée, il ne s’en tirerait pas comme ça. Elle songeait la manière de lui couper les testicules lorsqu’elle souvint de l’épée qu’elle avait récupéré sur le cadavre du chef orque. Evidement, il était interdit d’utiliser une arme pendant un duel, mais l’idée n’était pas là…

Le Gor invitait d’autres membres de la tribu qui ne paraissaient pas convaincu de sa force à l’affronter mais personne n’osait à présent le défier. Les plus timorés baissaient la tête en signe de soumission. Il était sur le point de consommer sa victoire lorsque Feetgave entra à nouveau dans le cercle en bousculant un Bray. Elle tenait à la main son épée pointée vers le sol. Un grondement de désapprobation que le Gor fit taire d’un geste de la main s’éleva. Il était convaincu de la vaincre avec ou sans arme.

« Comme ça, t’es vraiment en chaleur ! Viens par ici que j’t’ bourre ! »

Ignorant l’insulte, la petite femelle agita doucement l’épée à l’extrémité de son bras droit. Cette lame luisait si étrangement et était si curieusement gravée que le Gor ne pouvait en détacher son regard…

Rtu’lgor sentit soudain une violente brûlure au niveau de l’estomac. Son adversaire avait utilisé l’épée magique pour détourner son attention pour réussir à l’approcher et lui loger sa tête brûlante dans l’estomac. Lâchant l’arme, elle se cramponnait maintenant à sa taille de toutes ses forces. L’odeur de brûler était écœurante et elle pouvait difficilement respirer.

Le Gor hurlait de douleur, il arriva bientôt à se défaire de la brûlante embrassade mais son crin flambait. Il se roula à terre tentant d’étouffer les flammes. Comme la diabolique et brûlante femelle s’approchait à nouveau et il préféra sortir de lui-même du cercle. L’assistance était médusée : de mémoire d’hommes bêtes, on n’avait pas vu aussi atypique victoire. On attendait le verdict du chaman.

Ghurhan’ch se redressa douloureusement sans se défaire de sa pipe. Il pénétra dans le cercle en marchant lentement puis s’arrêta au niveau de Feetgave. Il dépassait sa disciple de presque deux têtes. Les hommes-bêtes s’apprêtaient à boire ses paroles.

« Feetgave a su utiliser la ruse et les dons que lui ont fait nos dieux pour triompher. Elle sera un bon guide pour la tribu. »

Il avait dit cela d’un ton neutre et sans aucun enthousiasme.

« Oui, maître ! Je serais un bon guide comme vous me l’avait appris ! » s’exclama Feetgave.

Elle plaça ses bras au-dessus de sa tête pour se faire acclamer et ne vit pas arriver l’énorme poing griffu du chaman qui l’atteignit en pleine face. Déséquilibrée, elle s’effondra en arrière.

« Sotte, je ne t’ai rien appris encore. Tu n’es pas prête… Non, pas prête du tout… Oh non… Pas du tout. »

Le chaman se frotta les phalanges qu’il s’était brûlé contre sa robe.

L’ensemble de la tribu était assez déconcertée. Une femelle bêla :

« Mais, c’est qui le chef alors ? »

Le chaman foudroya des yeux l’impertinente qui se ratatina sur elle-même. Soudain, solennel, il leva les bras :

« Acclamez Feetgave ! Fêtons notre nouveau chef ! Place à la cérémonie ! »

La perspective de ripailles et de danses effrénées fit exulter l’assemblée. Les Brays et les femelles commençaient déjà à courir dans tous les sens.

Feetgave se releva péniblement en observant attentivement le mouvement des mains de son maître...

* * *

La nuit était tombée et un grand feu éclairait les libations des hommes-bêtes. Quelques Brays tapaient sur des tambours ou soufflaient dans des cornes. Le tapage devait être entendu à plusieurs lieux à la ronde. Le but était justement d’inviter d’autres tribus à se joindre à la fête. Aucun homme-bête ne fuirait un Brayherd.

Feetgave avait finalement reçu promesse de loyauté de la part de la majorité des guerriers. L’assentiment du chaman leur semblait indiscutable. Cependant, le Gor qu’elle avait vaincu et quelqu’un de ses proches ne se présentèrent pas : ils avaient quitté la tribu, ce qui était parfaitement leur droit.

Selon l’usage, le chef défunt devait être dévoré. Dans un silence religieux, le vieux chaman se chargea de consacrer et découper le corps devant la tribu assemblée. Il ouvrit la poitrine du Champion et un liquide encore tiède vint lui colorer les mains. En expert, il extirpa le cœur qu’il tendit ensuite à sa disciple. Feetgave consciente la solennité du moment le tint un moment à bout de bras et le montra à tous. Elle le porta ensuite à sa bouche avant de le croquer à grande bouchée. Ce faisant, le muscle achevait de se vider et le sang teinta bientôt les avant-bras et le torse de la jeune femelle. Par un tel acte, elle s’appropriait le mérite du défunt aux yeux des hommes-bêtes.

Lorsqu’elle eut terminé, des acclamations s’élevèrent enfin. La chaman les calma : la cérémonie n’était pas terminée. Il invoqua longuement avec des formules répétitives la bénédiction des dieux sur la tribu et son nouveau leader, il esquissa même quelques pas de danses au son d’une logorrhée comprise de lui seul.

La bannière du défunt fut brûlée ; son corps découpé et savamment partagé en morceau. Les plus anciens et les plus valeureux furent servis en premier avec les meilleurs morceaux. Les autres se partagèrent les tripes et les morceaux dédaignés. Le sort des testicules fit débat, le chaman se les attribua d’autorité.

La nuit était maintenant bien avancée et la tribu dansait autour du grand feu. Ghurhan’ch somnolait contre un arbre alors qu’un jeune Bray nettoyait pour lui le crâne d’un orque. Il avait également déclaré qui fallait immédiatement une nouvelle bannière pour la tribu et Feetgave, qui avait repoussé les assauts de plusieurs mâles dans la soirée, essayait de composer un motif sur le sol.

Elle ne voyait pas vraiment où était l’urgence mais elle obéissait par habitude. Elle avait du mal à réaliser. L’attitude de son maître n’avait en rien changé après la cérémonie. Il faisait parti de ceux qui avait voulu la prendre ce soir. D’ailleurs, elle voyait bien que son œil mi-clos suivait le balancement de ses mamelles. En fait, elle se demandait s’il ne la testait pas, s’il ne la poussait pas à bout pour qu’elle s’affirme.

La tête du chaman s’affaissa et un sifflement régulier, que Feetgave connaissait bien, indiqua qu’il s’était enfin endormi. Le Bray qui raclait le crâne s’en aperçut aussi et en profita pour s’éclipser mais la jeune femelle avait une autre idée. Elle s’approcha doucement et passa la main dans une sacoche qui ne quittait pas le flanc du chaman. Elle en tira une bourse puis s’enfonça sous les frondaisons. Le brayherd s’achevait dans une orgie frénétique de fornication et de ripaille. Inconséquemment, les provisions dérobées aux orques étaient consommées en une fois. Feetgave doutait qu’il y ait de son influence sur le comportement de ses compagnons. Aussi loin qu’elle se rappelait, les Brayherds s’était toujours terminés ainsi.

Après avoir chassé à coup de bâton un Ungor qui l’avait suivie, elle s’éloigna davantage. Une fois certaine de sa solitude, elle s’assit en tailleur et éparpilla le contenu de la bourse de peau devant elle : des feuilles encore fraîches soigneusement roulées et de petits champignons blancs. Feetgave coupa une feuille en morceaux et les mastiqua pendant un moment. Elle sentit bientôt la flamme de visage devenir plus vive et ses sens se troubler. Elle avala. C’était la première fois qu’elle tentait une « marche en esprit » sans son maître.

Comme dans un rêve, elle se retrouva au « pays des flux » où, libérée de son corps, elle avait la sensation de flotter dans un ciel étoilé peuplé de formes mouvantes. Elle entendit bientôt des rires puis des paroles incompréhensibles parfois trop lentes parfois trop rapides ; ces voix se répondaient. Le brouhaha tantôt s’approchait tantôt s’éloignait. Parfois elle croyait saisir des mots en langue noire. Elle savait par expérience qu’elle ne pouvait être que spectatrice, c’était un honneur que les dieux faisaient aux hommes-bêtes que de pouvoir assister à leurs discussions. Ils pouvaient ainsi leur transmettre des informations ou des visions du futur.

Un moment où la cacophonie semblait s’éloigner, une voix lui parla très distinctement tout près. Elle reconnut la chaleur qui l’avait envahie à plusieurs reprises les fois précédentes :

« Bienvenu, jeune Feetgave. »

Elle ne savait comment répondre… C’était la première fois qu’on s’adressait directement à elle. Elle s’affola et cela rompit la transe.

Sa tête tournait. Elle s’écroula sur le sol et libéra spasmodiquement le contenu de son estomac.

« Tsss, très mauvais. Très mauvais de recracher le cœur du chef… Mauvais augure. »

Le vieux chaman était assis en tailleur devant elle et fumait calmement sa pipe. Feetgave le regarda à travers le brouillard de sa fièvre. Contre le sol, sa face brûlante ratatinait quelques herbes qu’elle transformait instantanément en cendre.

« Il t’a parlé ? »

Feetgave hocha la tête et articula quelques mots :

« Qui… Qui est-ce ?

- Il se présentera lorsqu’il en aura envie.

- Tu le… connais ?

- Depuis que tu es arrivée dans la tribu.

* * *

Dans les Terres du Chaos, bien au Nord de la Norsca, une troupe de guerriers aux armures de couleurs vives marchait vers de nouveaux combats.

L’un deux, dont le corps entièrement mécanique flottait sur une espèce de disque, s’arrêta brusquement. Un nuage de fumée huileuse jaillit de joints de son armure bosselée.

« Tiens, Adolf a une panne. » déclara un des guerriers déclenchant l’hilarité de ses compagnons tous plus mutés les uns que les autres.

L’être mécanique, complètement immobile, entendait une voix qui, quoique profondément inhumaine, avait des accents familiers.

« Rejoins mon héritière. Elle a besoin de toi.

- Elu ? Pourquoi m’avez-vous abandonné ?

- Va. Je serais avec toi désormais.

La machine fit demi-tour et partit vers le Sud.

* * *

Dans les profondeurs de la Forêt des Ombres, trois pitoyables créatures vêtues de haillons se repaissaient des restes d’un gobelin.

L’orque famélique à la face torturée savait qu’il serait encore le dernier servi. Il se résignait et attendait son tour de lécher les os. Un énorme centaure aux bras remplacés par des tentacules se servit d’autorité et commença à rogner à belles dents une cuisse. Il gardait un sabot sur le corps empêchant un humain, où ce qu’il en restait, de s’emparer de la viande. Pourtant, ce dernier aurait été bien en peine de mastiquer quoi que ce soit car il était dépourvu de mâchoire inférieure. Il regardait d’un œil brûlant le sang qu’il aurait aimer laper disparaître dans le sol : il poussa un espèce de hululement de dépit que le centaure interpréta comme une tentative de rébellion. L’humain essuya le coup de tentacule et s’éloigna en gémissant nonobstant la faim qui le tenaillait.

Ainsi allait la vie, Rémi le centaure dévorait le gobelin comme s’il n’y avait jamais eu au monde de mets plus fins. Voilà trois jours qu’il n’avait mangé. Rémi se souvenait encore du temps où il se roulait sur des coussins en s’enivrant de bière, entouré d’une bande riche et nombreuse. Que s’était-il passé ? Il y a avait eu cette bataille contre un champion de Tzeentch, cinq ans auparavant, et puis cette araignée géante qui avait rendu inaccessible leur repère où ils auraient été à l’abri de l’hiver. Ca avait été depuis de mal en pis. Ils étaient tous partis ou morts. Tout l’hiver dernier n’avait été qu’une fuite continuelle. Où était passé l’Elu ? Pourquoi celui-ci n’entendait plus les prières qu’on lui adressait ?

Seuls restaient Félicité, l’orque qui avait un temps porté haut la bannière de la bande et Sergio, cet idiot d’humain, aussi servile et peureux qu’un chien. Arrivé dans la bande, arrogant, le lendemain du départ de l’Elu, il était maintenant une loque. Où était-il passé ? Rémi chercha son serviteur du regard. Félicité, l’orque, avait également disparu. Le centaure grogna et dégainant son épée, soupçonnant une traîtrise. Ils seraient bien capables de lui tomber dessus dans le dos. Il fit quelques pas.

« Sortez de votre planque ! J’vous ai gardé du gobo ! »

Il commençait à s’énerver :

« Venez grailler tout de suite ! »

C’était cela, ils l’avaient laissé tombé. Les salauds. Ils l’avaient laissé seuls. Tout de même, ça faisait quinze années qu’ils étaient ensemble. Ils ne l’avaient pas laissé tomber comme ça après quinze ans… Non…C’était impossible…

« Tu viens, beau guerrier ? »

Le centaure se retourna brusquement. Il reconnaissait cette créature : c’était une démonette. Elle le regardait de ses grands yeux verts en caressant lascivement son sein unique d’une de ses pinces tranchantes. Sa voix parlait directement à l’âme.

« Tu viens, beau guerrier ? »

Hypnotisé, il la suivit. Il se trouva dans une clairière éclairée doucement par le soleil. Ils se souvenaient vaguement que la nuit était tombée lorsqu’ils avaient attrapé le gobelin. Des démonettes servaient un festin à ses deux compagnons d’infortune. Au centre, une table débordait d’une multitude de plats plus sophistiqués les uns que les autres. Il reconnu l’odeur du chevreuil grillé mélangé à milles arômes inconnus. Félicité et Sergio étaient allongés sur des coussins multicolores où des démons femelles leur servaient le boire et le manger dans de la vaisselle en argent.

« Tu viens, beau guerrier ?

- J’arrive !

Alors qu’il s’accordait un moment de répit après cette orgie où tous ses sens avaient été comblés, l’une des démonettes qu’il venait d’honorer le fixa étrangement. Le visage de cette dernière se modifia soudain : il gonfla, se déforma et une langue tubulaire sortit dans sa bouche. Il eut un mouvement de recul.

« Alors Rémi ? On doute de son maître ? »

La voix rocailleuse contrastait avec la cristallinité de celle de la démonette. Il reconnut le visage de son ancien maître :

« Elu ! »

Il fut incapable de dire un mot de plus. Ses cordes vocales se nouèrent.

« Tais-toi et écoute. Tu vas aller de mettre au service de mon héritière. Je te guiderais. »

Le centaure retrouva brusquement la parole.

« Oui, maître. A tes ordres, Elu… »

Félicité et Sergio se regardait : leur maître tardait à se réveiller. Le gobelin avait été proprement dépecé et le moindre morceau comestible avait été englouti. Seuls restaient les os et des lambeaux de peau.

« Où sont les démonettes ? » furent les premiers mots du centaure.

Ils n’auraient peut-être pas dû taper si fort…


CHAPITRE II

Wurstheim était un village situé sur un petit affluent du Reik connu dans toute la région pour sa spécialité de saucisse fumée très appréciée à Nuln. Blotti derrière une palissade bien gardée et entretenue, le village avait acquis grâce à ce commerce une certaine aisance, visible sur de nombreuses façades. Le Burgmeister, Herr Köll, avait eu la bonne idée d’éloigner légèrement les porcheries et les abattoirs du village, évitant ainsi aux habitants de baigner en permanence dans des effluves nauséabondes. Un coup de vent avait cependant vite fait de rappeler aux Wurstheimers la nature de leur industrie et l’origine de leur richesse.

Heinrich Stunk salua les deux personnes debout sur le sol en parquet de sa salle à manger. Il avait gardé quelques réflexes de briscard de la haute société nulnoise et à la lumière vacillante de l’âtre, il reconnut à leur vêture un confrère médecin et quelqu’un, visiblement âgé, au port d’ancien combattant, qu’il eut plus de mal à situer : un officiel subalterne sûrement.

« Bonsoir, Messieurs. Excusez ma tenue, voilà quelques années que je ne reçois plus de visites… »

L’officiel se précipita vers lui et l’embrassa vigoureusement. Il sembla à Heinrich qu’il connaissait ce visage.

« Ah ! Maître Stunk ! Vous voilà ! Tout le monde vous croyez mort à Nuln. J’étais sûr qu’il n’en était rien, solide comme vous êtes ! Mais nous avons eu un mal fou à vous retrouver !

- Vous êtes trop bon, mais… Qui êtes-vous ?

- Voyons, ai-je changé tant que cela ? Il est vrai que l’âge ne nous fait guère de cadeaux. Attendez, si je vous dis que je souffre d’un mauvais coup de fleuret…

- Ritter Von Fzenrth !

- Chevalier et … Conseiller Municipal von Fzenrth, la Comtesse a bien voulu élever son serviteur.

- Ça c’est bien vous, Ritter…

- Ahaha ! Mon cher ! Je ne saurais compter le nombre d’hommes-rats que j’ai embroché durant la guerre. Ma bravoure n’est plus à démontrer et une généreuse obole a fini par emporter les suffrages des hésitants.

Ils se regardèrent en riant pendant un moment. Heinrich se souvenait à présent. Le Chevalier Von Fzenrth avait été un de ses premiers clients lorsqu’il avait monté sa pratique. Il racontait volontiers qu’il tenait cette vielle blessure d’un duel pour les beaux yeux d’une belle. Il avait depuis dépenser en vain une fortune dans l’espoir d’apaiser ses douleurs.

« Et vous avez trouvé un autre médecin ?

- Ah m’en parlez pas ! Je croule sous les gouttes et les mixtures et mon mal empire ! Tous des bons à rien ! Tous des…

Le deuxième homme s’éclaircit la gorge. Le Chevalier parut se souvenir de la présence de son compagnon et se ravisa.

« Maître Stunk, je vous présente un de vos confrères Maître Ungerech de l’Université. Et nous ne venons pas hélas pas pour moi, ou pour parler du bon vieux temps…

- Mais asseyez-vous je vous en prie, nous serons mieux.

Heinrich désignait deux fauteuils et tira une chaise pour lui-même. Ils s’assirent. Le Chevalier signifia à Heinrich qui souhaitait voir Frida disparaître. Heinrich pria celle-ci de se retirer. Une fois qu’il eut entendu la porte claquer, il reprit avec un clin d’œil complice annonçant le tutoiement :

« C’est un joli petit lot que tu as là, vieux farceur ! Tu as bien vite remplacé ta femme !

- Vous vous trompez, Chevalier.

A la mine que prit Heinrich, il sut qu’il avait gaffé.

« Hum… Si nous parlions ce qui nous amène. Mais Maître Ungerech le fera mieux que moi… »

L’homme avait une trentaine d’année, le visage ascétique encadré de cheveux rares. Heinrich quoiqu’il eut professé quelques années à l’université, ne se souvenait pas l’avoir eu pour élève ou collègue. Il ne s’en surprit pas outre mesure car les échanges étaient fréquents entre les universités du Vieux Monde. D’ailleurs, il crut reconnaître dans sa voix un pointe d’accent d’Altdorf.

« Bonsoir, Maître, nous sommes confus de vous déranger ainsi, si tard et en pleine retraite. Mais nous avons un besoin impérieux qui ne saurait souffrir d’aucun retard, de vous et de vos compétences.

- Comment cela ?

- Un cas résiste à notre science. Le fils d’une excellente famille…

Le Chevalier lui coupa la parole :

« Les von Geheimnis, tu connais sûrement, le père était Premier Ecuyer de feu le Comte von Liebewitz. »

Maître Ungerech reprit, non sans faire une grimace à l’adresse du Chevalier.

« Oui , il s’agit en effet de Gunther von Geheimnis qui est malade et … »

Von Fzenrth l’interrompit à nouveau :

« Malade ? Mourant, oui ! Des fièvres ! Des délires ! Des crises de paralysie et tout le tralala ! C’est pas à coup de saignées et de cataplasmes que ces soi-disant médecins…

- Herr von Fzenrth, vous insultez notre corps et malgré tout le respect que je dois à votre ami, Herr Stunk, et à sa science, je ne vois pas ce qu’il pourra faire de plus que nous ne faisions déjà.

- Attention, jeune ami ! Heinrich a relevé des morts et …

Heinrich Stunk intervint pour calmer la dispute de ses hôtes :

« Voyons, voyons, calmez-vous. Ritter, vous exagérez, je n’ai jamais relevé de mort et il est vrai que je ne dois mon faible talent qu’à mes maîtres du Collegium Medicale. »

Heinrich s’inclina légèrement ainsi que l’autre médecin qui apprécia le compliment.

« Enfin, pourquoi êtes-vous ici ? Cela fait trois ans que je pratique plus et je crains de me pouvoir vous aider.

- Le malade vous réclame…

- Me réclame !

- Oui, absolument.

* * *

Malgré l’urgence, tous convinrent qu’il était déraisonnable de partir immédiatement. De nuit, les chevaux risquaient de se blesser et les routes, n’étaient tout à fait sûres une fois la nuit tombée. On parlait encore dans la région de bandes de mutants et d’autres horreurs en maraude.

Heinrich leur offrit le gîte pour la nuit. Comme ils n’avaient dîné, il leur proposa du pain et du saucisson arrosé d’un vin de table de la région.

Maître Ungerech toucha à peine son assiette et n’ouvrit pas la bouche plus que la politesse l’exigeait.

Von Fzenrth n’avait pas beaucoup changé : il était toujours aussi volubile et son appétit dévorant réjouissait encore ses amphitryons. Il connaissait la vie à Nuln comme sa poche et trouvait son plaisir dans les intrigues, les amours clandestines, les duels et l’entretien de sa moustache. Il faisait un très mauvais sujet.

Heinrich s’enquit des derniers évènements de la scène publique. Parmi d’autres choses, la Comtesse von Liebewitz restait désespérément célibataire. Le chevalier soupçonnait toutefois une idylle naissante avec le fils du Graff de Middenheim. Bref Nuln n’avait pas changé.

Ils partirent pour l’ancienne capitale de l’Empire une heure après l’aube. Morrlieb était encore à demi-visible au dessus des arbres et jouait à cache-cache avec les nuages. Heinrich gardait une calèche et prêtait son cheval à la famille de Frida.

Ce matin, il craignait un peu de la revoir. Elle le bouderait sûrement pour l’avoir mise à la porte la veille. Malgré l’heure matinale, le village bruissait déjà d’activité laborieuse : les paysans partaient aux champs et les éleveurs soignaient leurs bêtes. Frida était encore couchée et il récupéra sa monture sans difficulté auprès du frère de celle-ci

* * *

Des violentes douleurs dorsales rappelaient à Heinrich qu’il n’avait d’une traite Wurtheim-Nuln à cheval depuis un certain temps. Désormais, il prenait plus facilement la diligence. Ce n’était pas beaucoup plus confortable mais tout de même, il fallait le reconnaître moins fatiguant. En moins de cinq ans, la seconde ville de l’Empire avait été largement reconstruite et les traces de l’incendie n’étaient plus visibles.

A la porte Sud, la garde se montra inquisitrice, la prudence était de mise depuis le Grand Incendie. Von Fzenrth donna de la voix pour écourter les formalités.

La Porte Sud derrière eux, les trois cavaliers bifurquèrent vers le quartier de l’Opéra, lieu de résidence des plus anciennes et respectées familles de Nuln. Le quartier avait été épargné par l’incendie et les bâtiments aux façades ornés affichaient sans décence leur richesse.

Ils s’arrêtèrent devant une lourde porte cochère qui ouvrit bientôt un de ses battants. A son contact, Heinrich sentit la magie : un sort d’alarme certainement. Il n’était pas surprenant qu’elle fut enchantée, c’était une prudence élémentaire qu’il employait lui-même à l’occasion. Il y avait peut être un magicien dans la famille. Ils pénétrèrent dans une vaste cour intérieure où deux valets en livrée vinrent s’occuper de leurs montures.

Une partie de la maisonnée accueillit Heinrich Stunk dans le vestibule. Les mines étaient sombres. Un grand vieillard emperruqué et vêtu à l’ancienne mode s’avança, soutenu par une canne.

« Herr Stunk ?

- Mes hommages, Excellence.

Il s’inclina très bas.

« Je suis très honoré…

- Grâce du boniment, il en va de la vie de mon fils. Suivez-moi.

Sans un mot, les trois visiteurs suivirent leur hôte claudiquant. La demeure était réellement immense. De riches tapis assourdissaient les pas et les murs supportaient nombre de tableaux.

Ils s’arrêtèrent devant une porte. Heinrich remarqua un brûleur à encens qui parfumait la pièce jusqu’à la nausée. Le vieillard se retourna vers eux.

« C’est sa chambre. Gunther est très faible et sa maladie lui fait craindre la lumière du jour. Il… Il vaut mieux que… Je vous attends ici. Prenez ce chandelier. Si vous avez besoin de quoique ce soit…»

Il ouvrit la porte. Une odeur pestilentielle que l’encens n’arriva pas à masquer se répandit. Le chevalier von Fzenrth grimaça.

« Si cela n’est pas malséant, je vous pense que je vais vous attendre ici. Je n’entends rien à la médecine. »

Le docteur Ungerech hocha la tête et prit un des chandeliers posés sur le rebord d’une cheminée, l’alluma et le tendit à Heinrich. Il prit lui-même celui que lui offrait von Geheimnis.

Ils entrèrent dans la pièce sombre où un feu s’éteignait. Heinrich distingua un lit à baldaquin avec une forme allongée. Ils s’approchèrent. Le malade semblait dormir allongé sur le dos, sa poitrine se soulevait régulièrement. A la lumière du chandelier, ils virent qu’il n’en était rien : ses yeux exorbités fixaient le ciel du lit. Heinrich eut du mal à mettre un âge sur ce visage tant ses traits étaient tirés. Un filet de bave coulait de sa bouche entrouverte et les draps étaient maculés de vomis et d’excréments. L’odeur était difficilement soutenable.

A ce moment-là, le docteur Ungerech retrouva la parole. Sa voix n’était qu’un filet :

« Voilà, près de quatre mois que son état empire. Nous sommes très certainement en présence de la Lüstern Ungesund ou Lubricus Insania décrite par Maximillian Arzt dans le fameux Medicalis Libri. »

Heinrich n’avait pas connaissance de cet ouvrage mais sa science évoluait si vite… Ungerech continua doctement :

« Pustules vertes qui ont disparu, poches noires persistantes sous les yeux, calvitie précoce, épuisement généralisé… Cette maladie touchent ceux qui mènent vie de débauche et de luxure…

- Pourquoi ces chaînes ?

Heinrich remarquait soudain que le malade était solidement attaché au lit.

« Crises de démence avec décuplement de force rare. Il a brisé des liens en cuir et même attaqué son père. C’est un symptôme non décrit par le Medicalis Libri : j’ai publié un article.

- J’ai déjà rencontré de cette maladie. Mais j’ignore hélas son traitement…

Ungerech lui décocha un regard venimeux :

« Le Medicalis Libri propose une décoction de Rouille Mouchetée et d’Artisia. Nous ne vous avons pas attendu pour cela. La famille a engagé de gros frais. Contre toute science, le remède n’a eu aucun effet.

- Si j’en juge par mon expérience et l’état du malade, il devrait déjà être… Permettez que je l’oscule ?

- Faites, je vous en prie.

Heinrich posa au sol sa sacoche qui l’encombrait depuis qu’il était descendu de cheval et releva ses manches. Ses bésicles ajustées sur son nez, il ôta délicatement la couverture du malade jusqu’à mi-torse. Les côtes étaient saillantes.

« Il refuse toute alimentation ?

- C’est exact.

- Depuis combien de temps ?

- Bien deux semaines...

- Morr devrait l’avoir accueilli en son royaume depuis longtemps... Et il m’aurait réclamé ? Je ne le vois pas capable de prononcer un seul mot.

- En effet, j’y venais. A plusieurs reprises pendant ces crises… Nous avons eu un mal fou à trouver dans votre retraite. C’est votre ami, le Chevalier Von Fzentch, qui nous a guidé jusqu’à vous.

Il passa sa main sur le visage cireux, la pupille ne bougea pas.

Soudain, Heinrich perçut une aura magique très faible au premier abord, mais qui se renforçait de seconde en seconde.

Il ne put retenir un cri lorsqu’une main lui agrippa l’avant-bras. Elle était brûlante de magie.

« HEINRICH STUNK ? C’est toi Heinrich ?

Les yeux le fixait follement sans le voir. Il n’avait pas eu l’impression de voir les lèvres violacées du malade bouger. Il déglutit. La voix était puissante, rocailleuse. Quoique le timbre lui était inconnu, les intonations lui rappelaient… Cette voix…

« C’est toi, Heinrich ? Oui… je sens que c’est toi… »

La main décharnée du malade maintenait son étreinte douloureuse. Ces bésicles glissèrent de son nez et tombèrent sur le lit.

« Peter !

- Peter… Il y a une éternité que l’on ne m’a plus appelé par ce nom… Une éternité…

- Lâche-moi ! Laisse mourir ce garçon en paix !

- C’est lui qui est venu me chercher…

Peter Bücker était le plus minable de tous les sorciers qu’il avait connu dans sa jeunesse alors qu’il courait les routes avec Elena. Peter était un bon compagnon mais, après qu’ils se furent séparés, il avait mal tourné. Depuis, Heinrich avait du mal à mettre des mots sur ce qui lui était arrivé… Une nuit, il avait déjà entendu cette voix dans la bouche d’un nouveau-né dont la mère avait fini sur un bûcher de la Reikplatz… Il y avait plus quinze ans…

« Que veux-tu, Peter ? Pourquoi… pourquoi m’as-tu fait appeler ?

- Tu te souviens, Heinrich… Dans le temps…

- Le Peter que je connaissais est mort depuis longtemps.

- HAHA ! Toujours aussi stupide… Je pourrais d’un souffle éteindre ton âme. Tu es un vieillard, Heinrich. Ton temps fini. Le mien ne fait que commencer. Tu devrais comprendre que j’ai choisi le bon camps.

- Faux, tu te trompes encore, Peter. Comme toute ta vie, tu t’es trompé. Tue moi ! Je mourrais serein. Garde ton éternité de damnation !

- Tu me rappèles un nain qui parlait ainsi, il y a longtemps… Mais je ne me suis pas dérangé pour te tuer. Ce ne serait pas drôle.

- Que veux-tu alors ? Je suis le dernier de la bande que nous formions. Ils sont tous morts…

- Il ne s’agit pas de cela. Tu as fait naître, il y a longtemps un enfant, une fille…

- Un horrible mutant… Oui, je me souviens…

Heinrich frissonna. Il se rappelait parfaitement cette nuit de terreur.

« Cette enfant, ma fille, est adulte désormais. Sa force va grandissante et bientôt vos pauvres royaumes seront à ses genoux… A mes genoux… »

Heinrich ne savait que répondre. La voix continua :

« Tu vas hésiter. Tu vas te dire que ton temps est terminé et que tu es trop vieux pour courir les routes. C’est ce que l’homme sensé se dirait. Mais toi non. Tu vas faire tout ce qui est en ton pouvoir pour la stopper. Tu es bon… »

La voix insista odieusement sur ce dernier mot.

« De savoir que des peuples vont être massacré en mon nom, te révulse… Je me trompe ? »

Heinrich parvient enfin à se défaire de la main du malade, sa chair était brûlée. il recula de deux pas.

« Bonne chance, Heinrich. Et adieu, c’est la dernière fois que tu m’entends. Sache que j’éprouve un très vif plaisir à me mesurer à toi par l’intermédiaire de mon héritière… J’entends déjà les cris des innocents qu’elle m’offre, la brave petite… »

A fin de la dernière phrase, le corps du malade s’effondra tout à fait. Heinrich se retourna. Von Fzentch et von Geheimnis avaient ouvert la porte et le dévisageait comme un vérolé. Décomposé de peur et de stupéfaction, Ungerech avait du mal à retrouver la parole. Ce fut Heinrich qui rompit le silence gêné.

« Hum… Il est mort, semble-t-il. »

* * *

« Qu’allez-vous faire, maintenant ? »

Le Chevalier von Fzentch trottait à coté d’Heinrich dans les rues animées du quartier étudiant de Nuln. Il avait reprit le vouvoiement comme chaque fois qu’il était sérieux.

« D’abord, je me rends au temple de Shallya sur la tombe de ma femme. Je vais réfléchir.

- Sans moi, alors. Je n’ai jamais pu comprendre comment de si belles femmes pouvait consacrer leur jeunesse aux choses célestes.

- Et repousser vos assauts ? Vous êtes un libertin, Ritter.

- Trêve de morale : je sais d’où vient la maladie qu’avait contracté le jeune Gunther. Je n’ignore pas grand chose des mœurs d’une certaine société. Cependant une petite sauterie n’a jamais tué personne, j’en sais quelque chose. D’ailleurs, vous convenez vous-même le phénomène dont nous avons été témoins, n’a rien à voir avec sa maladie.

- C’est probable, en effet.

- Même Ungerech était de cet avis. Cependant je ne comprends pas comment cette …chose, que vous avez appelée Peter, pouvait vous connaître personnellement.

- C’est une longue histoire, Chevalier. Je vous raconterais le peu que je sais dès que possible. Mais je tiens beaucoup que ce nous venons de voir ne s’ébruite pas pour l’instant. Le danger n’est certainement pas immédiat.

- Le risque est minime : von Geheimnis est sûr, de même que sa maison est habituée aux secrets d’Etat. Ungerech ne dira rien car je peux faire pleuvoir sur sa pratique les pires ennuis. Je serais moi-même une tombe.

- Je ne vous en demande pas tant. Si vous pouviez m’appuyer de votre amitié et de votre influence politique le moment venu, je vous en serez infiniment reconnaissant.

- Vous acceptez donc le défi qui vous est lancé ?

- Oui. Peter me connaissait bien.

En passant devant le cabaret « Verena bien-aimée » où des étudiants s’enivraient à toute heure du jour et de la nuit, une chanson retentit à leur passage :

« Les bourgeois, c’est comme les cochons :

Plus ça devient vieux plus ça devient bête.

Les bourgeois, c’est comme les cochons :

Plus ça devient vieux plus ça devient con ! »

* * *

« Bonjour, Elena. Cela fait un moment que je n’étais venu te voir. Excuse-moi, les longs voyages commencent à me porter peine. »

Heinrich était débout en face de la tombe de sa femme dans le jardin de l’hospice de Shallya de Nuln. Situé dans l’Altstadt, le quartier le plus misérable de la ville, les religieuses se consacraient au soin des plus démunis. Elles sœurs l’avaient bien accueilli, les plus anciennes se souvenaient du temps où il venait deux à trois fois par semaine dispenser des soins gratuitement. Elena était profondément attachée à cet endroit aussi les sœurs avaient accepté que sa dépouille mortelle y soit inhumée.

« Bonjour, docteur Stunk. »

Heinrich se retourna. Il reconnut immédiatement la Mère Supérieure Empfindlich qu’il connaissait bien. Sa vue lui provoqua un vif plaisir.

« Votre femme est heureuse auprès de Shallya.

- Bonjour, Mère Supérieure, je suis content de voir que vous allez mieux, les nouvelles que j’avais de votre santé n’étaient pas très bonnes.

- Il est vrai que l’on ne vous voit plus beaucoup.

- Nuln est loin et je me fais vieux.

- Pourtant, vous allez encore au-devant du danger…

- On vous a dit ?

- Je sais.

Heinrich s’appuya sur la stèle gravée au nom de sa femme. Les initiées entretenaient les sépultures avec un soin méticuleux et des bosquets de fleurs odoriférantes faisaient oublier l’austérité de l’endroit. La mère Supérieure poursuivit :

« Pourtant, ne vous y trompez pas, le péril n’est pas pour ce monde.

- Que…Que voulez-vous dire ?

- Que la créature que vous traquez devra être annihilée ici pour que la dévastation ne s’étende pas ailleurs. Mais vous n’êtes pas seul : le chevalier sera votre bras et vous rencontrerez dans les temps deux nouveaux soutiens qui partagent votre quête.

- Je ne comprends pas… Comment savez-vous cela ?

Une voix interrompit l’entretien. Deux novices courraient vers lui. Les joues colorées par leur course, elles saluèrent manquant de perdre l’équilibre. La plus grande s’adressa à lui avec un débit rapide :

« Excusez notre audace, Maître Stunk. Mais nous avons appris que vous étiez en nos murs. Nous sommes Anita et Karin Aufseher. Nous profitons de la pause pour vous remercier de tout ce vous avez fait pour nous et notre famille. »

Heinrich avait identifia les nièces de Frida. Il les avait aidé à entrer ici comme novices, il y a deux ans.

« Ce n’est rien... Mais vous nous dérangez : la Mère Supérieure et moi…

- La Mère Supérieure ?

En effet, Heinrich se rendit soudain compte de l’absence de son interlocutrice.

« Hélas, notre Mère nous a quitté, il y a près de trois mois… »

* * *

Loin de là, bien au Nord, le temps était à la pluie. De lourds nuages d’orage, encombraient le ciel et les vents de magie grise parcourait le sol comme une brume mouvante. Protégée du crachin par une toge d’étoffe grossière maintenue par une corde et un sort parepluie, l’élémentaliste Anita s’appuya sur son bâton pour souffler. Elle posa son faix de bois mort.

Avec une certaine amertume, elle constatait l’épuisement de son corps sous le poids des ans. Elle avait de plus en plus de mal à se mouvoir. Parfois, ses mains tremblaient comme des feuilles dans le vent d’automne. Les quarante années qu’elle avait vécu dans une grotte et à dormir à même le sol laissaient des marques. Pourtant, pour rien au monde, elle n’aurait renoncé à cette vie toute entière harmonieuse. Lorsque l’heure viendrait, elle accepterait la mort comme elle avait accepté la vie. Son énergie se dissoudrait dans les vents de magie et son corps retournerait à la Mère Nature. Il n’y avait qu’une seule peine, qu’une seule anxiété, qui troublait encore parfois ses nuits : Gretel était partie.

Gretel était la petite fille qu’elle avait recueilli il y avait bien longtemps alors que des créatures malfaisantes dévastaient le village de Beeckerhoven. Ses parents étaient morts dans le pillage et elle-même avait souffert en sa chair du vice et de la corruption.

Au sein de la forêt protectrice, Anita avait aidé l’enfant à surmonter son traumatisme et l’avait instruite des mystères de Taal, de son épouse Rhya, ainsi que ceux de la magie élémentaire. Gretel était maintenant une belle jeune femme qui avaient largement dépassé sa maîtresse en tout y compris dans la pratique des arts magiques. Elle voyait des choses qu’Anita n’avait toute sa vie qu’entrevues.

Un soir, alors qu’elles avaient passé l’après-midi en méditation, Gretel avait déclaré qu’il était temps pour elle de s’en aller. La Viydagg lui avait dit.

La Viydagg ! Gretel s’entretenait avec une Viydagg ! Un Elémental de vie ! Anita avait eu du mal à la croire. Jamais, elle n’avait approché une et ne connaissait leur existence que par ouï-dire. Elle réalisa alors que Gretel ne faisait pas seulement une méditation à la manière qu’elle lui avait enseigner mais qu’elle explorait mentalement d’autres plans. Quoiqu’elle s’était toujours douté des compétences de son élève, il y avait désormais un ravin entre elles, ravin qu’Anita ne pourrait jamais espérer combler.

La Viydagg lui avait encore révélé la vérité sur les sentiments ambiguës qu’Anita éprouvait à son égard. Comment pouvait-elle savoir qu’elle veillait parfois la nuit pour la regarder dormir ? Qu’une seule fois, elle avait osé effleurer ses lèvres des siennes dans son sommeil ? Anita ne savait où se mettre mais Gretel, du haut de ces vingt ans, n’était nullement troublée. Elle lui avait simplement déclaré que l’amour était un sentiment vain et inutile pour ceux qui n’ont pas vocation à enfanter. Elle s’était ensuite levé et elle était partie C’était il y avait plus de cinq ans.

L’orage éclata. La pluie tomba drue comme souvent dans les orages d’été. Des tourbillons verts troublaient la brume de magie grise. Le sort pare-pluie isolait entièrement Anita des intempéries et elle s’assit sur un rocher.

Evidement, elle avait essayé de la retrouver pour essayer de lui expliquer et de lui demander pardon… Mais elle ne l’avait jamais revu. Parfois, elle sentait une présence à quelque distance. Elle se déplaçait alors dans la direction où elle avait cru percevoir… mais non, ce n’était rien.

Dans le temps, toutes deux détruisaient grâce à leurs pouvoirs les êtres malveillants qui s’avançaient dans leur territoire. Elles soignaient les animaux et les plantes. Elles cueillaient et préparaient toutes sortes d’herbes médicinales qu’elles donnaient aux vielles femmes qui venaient les consulter. Même en parlant peu, elles écoutaient les bruits de la civilisation des hommes. La forêt était encore davantage éloquente et elles passaient des heures à converser avec les arbres ou les oiseaux.

L’élémentaliste se redressa. Elle n’avait pensé à garder le bois sur elle et le fagot était trempé. Il brûlerait mal. L’orage avait fait subitement baisser la température, elle grelotta. Il lui fallait chercher un abri, elle était encore assez loin de son refuge habituel. Elle sentit soudain une vague de chaleur, la température monta soudain jusqu’à un niveau très agréable.

« Gretel ! »

Pour la première fois depuis cinq ans, Anita réentendait le son de sa propre voix. Elle parlait si peu…

Gretel était là, droite, à dix pas d’elle. L’eau ruisselait sur son corps nu. Elle avait changé... Les dernières rondeurs de l’adolescence disparus rendaient son corps athlétique, davantage sculpté. Ses traits s’était affermis et elle transpirait une expression de sévérité qu’elle ne lui connaissait pas… L’air farouche d’une déesse…

« Tu as changé… »

La réponse fut cinglante comme la lanière d’un fouet :

« Toi aussi, tu as vieilli. »

Une telle froideur correspondait tout à fait à l’expression de son visage. Mais pourquoi cela ? Que lui avait-elle fait ? Où était la Gretel qu’elle avait élevé, avec qui elle avait fait tant de chose ? Elle ne savait que dire. Après un long silence où elles se dévisagèrent en silence, Gretel parla :

« L’Ordre a besoin de toi.

- L’ «Ordre» ? Qu’est-ce ?

- La Viydagg.

- La Viydagg.a besoin de moi ?

- Oui, elle veut que tu m’accompagnes.

- Pour aller où ?

- Dans le Sud.

- Tu vas longtemps continuer à parler par énigme ?

- Aussi longtemps que nécessaire.

- Alors ta Viydagg et toi, vous pouvez vous démerder.

Anita ne réalisa pas tout de suite ce qu’il se passait : son ancienne élève lui lançait un sort. La température baissa immédiatement et sa vue se troubla soudain pour ne laisser place qu’à un voile noir. Elle fit un pas en arrière et trébucha.

« Ah ! Tu m’as aveuglé !

- Tu sauras désormais qu’on obéit à la Viydagg. Mais rassure-toi, elle ne te veut pas de mal. Ta vue va revenir rapidement.

En effet, le voile noir se déchira par endroit et sa vue redevint normale en quelques secondes.

« Ainsi tu n’es plus la Gretel que je connaissais…

- Peu importe. Sache qu’il s’agit d’aller traquer un adversaire que nous avons déjà rencontré toi et moi. Toi, ils t’ont cruellement blessé. Moi, ils m’ont sali.

Anita passa la main sur sa poitrine, elle sentit la cicatrice de la longue effilade qu’elle avait gagné en affrontant les horreurs qui incendièrent Beeckerhoven.

« La Viydagg nous autorise à nous venger, et à venger ceux qui sont morts par leur faute.

- Ainsi, ils sont de retour…

(Modification du message : 20-03-2004, 22:08 par Patatovitch.)
Comme toujours, j'aime bien ce que tu fais. Par contre la petite Feetgave était pas parti dans le warp pour se retrouver dans l'univers du 40 millénaires ou j'ai un métro de retard ?

Citation :Comme toujours, j'aime bien ce que tu fais.
merci

Citation :Par contre la petite Feetgave était pas parti dans le warp pour se retrouver dans l'univers du 40 millénaires ou j'ai un métro de retard ?
Pour le coup, tu es en avance :)

Le transfert se fera au chapitre IV ou V mais chut.

Patatovitch


Du tout bon comme d'hab (malgré une ou deux fautes de frappes) clap clap

aaaargh non Sardaukar tu a raconté la fin

bouhouhou


Citation :Du tout bon comme d'hab
merci Wissmeril, tu auras la palme du fan le plus fidèle ;)

Citation :(malgré une ou deux fautes de frappes)
Et pourtant c'est pas faute d'avoir lu et relu. Mais je n'ai pas de tiers sous la main.

Bon, comme vous pouvez le constater, je ne joue pas vraiment le jeu convenu des récits sur les forum.

Je ne poste que gros bout après gros bout étant donné que je sais parfaitement où je veux aller et que finalement c'est du bouche-trou pour commencer la véritable histoire : Feetgave sur Omphalia.

Le Chapitre III est en cours de relecture (l'accord des parents sera souhaitable avant lecture ;) ) et le IV en cours d'écriture.

Patatovitch


Voila le chapitre III.

Pour me faire pardonner la multitude de fautes d'orthographe qui a échappé à ma vigilance je vous (re)colle la bannière ma tribu de Slaangor.

[Image: feetgave.jpg]

CHAPITRE III

Sous un arbre d’age vénérable de la Grande Forêt du Talabecland, Feetgave se cala confortablement dans le fauteuil désempaillé qui lui servait de trône. Devant elle, une espèce de machine vaguement humanoïde crachait une fumée grasse par intermittence.

« Honneur à toi, héritière de l’Elu. »

C’était le quatrième combattant qui rejoignait sa bande. Dix jours auparavant, il y avait eu un centaure et ses deux compagnons : un orque hideux et un reste d’humain. Ils disaient avoir connu l’Elu de son vivant…

A présent, la machine se présentait sous le nom d’Adolf et elle connaissait déjà le centaure et l’orque. Tous se déclaraient serviteurs de l’Elu.

La jeune femelle sentait que ces nouveaux arrivants raffermissaient considérablement son autorité sur sa tribu. La venue de créatures aussi visiblement bénies par les dieux ne pouvaient qu’être de bons présages. D’ailleurs, depuis peu, même son maître chaman s’était mis en retrait et laissait sa croupe tranquille.

Feetgave avait recommencé à plusieurs reprises les « marches en esprit ». Sans son maître, elle passait de longues heures tous les jours au « pays des flux ». Elle a appris le nom de ce qui l’avait effrayé le jour où elle était devenu chef. «Il» s’appelait Fol'iog'gdailrh. Quoiqu’elle fut familière de la Langue Noire, elle préférait le nommer plus simplement comme le faisait les autres : Elu.

Elle entretenait maintenant de véritables conversations mentales avec son sponsor et trouvait en lui les ressources inestimables que lui avait prédit son maître Ghurhan’ch. Durant ses transes, elle avait l’impression que l’acuité de ses sens était décuplé. Adroitement guidée dans les méandres des flux, son esprit voyageait dans des territoires qu’elle n’aurait jamais cru pouvoir exister Elle observait des scènes qui ne lui semblait appartenir ni au passé ni à l’avenir et des sons et des musiques d’une finesse inouïe faisaient vibrer son âme. Des décharges orgasmiques la secouaient alors jusqu’à l’inconscience. Couverte de sueur, hors d’haleine, elle revenait à elle, vidée de ses forces physiques mais baignant dans une mare de brumes magiques.

En comparaison, la réalité paraissait triste, froide et terne.

L’Elu lui promettait qu’un jour, il l’appellerait à ses cotés pour vivre une fête éternelle. A présent, elle n’était pas prête : son âme, pas encore assez forte, se dissoudrait dans les flux et elle sombrerait le néant. Il lui revenait de guider ses suivants dans le monde réel et, le temps venu, de désigner un successeur digne.

Ce guerrier mécanique avait-il un sexe ? Si oui, où pouvait-il le cacher ? Feetgave plissa ses paupières et observa attentivement Adolf, complément inerte sur sa plate-forme circulaire qui le maintenait en suspension et ronronnait doucement.

Une autre idée la frappa soudain : il était temps d’organiser un peu l’adoration de l’Elu. Depuis presque qu’une lune que elle était à la tête de la tribu, elle n’avait rien ordonné de grand. Elle compta les guerriers qui était assis devant elle : douze Gors, dix-neuf ungors, le chaman et maintenant trois guerriers et un centaure. Elle n’entendait absolument rien à la chose militaire et essaya de se représenter combien d’ennemis ils pouvaient défaire… Cinquante lui sembla un chiffre correct. C’était a peu près le nombre d’orques qu’ils avaient vaincu dernièrement.

« Cinquante, c’est beaucoup pour des humains ? »

Adolf qui attendait toujours un mot approuvant son adhésion répondit avec sa voix aussi métallique qu’inexpressive :

« Que voulez-vous dire, maîtresse ?

- Je veux savoir si je peux vaincre des humains.

Un bruit parcourut la tribu. Des guerriers hochaient la tête et grognaient en signe d’approbation devant les projets de leur chef. Ghurhan’ch, le chaman, une pipe éteinte à la bouche et adossé à un arbre ouvrit même un œil. Adolf intervint encore :

« Les hommes de l’Empire sont des milliers de milliers.

- Ouais vachement nombreux mais on les a déjà massacré ! ajouta le centaure.

« A mort les humains ! » criait déjà un Gor.

Le chaman se redressa et leva les bras pour calmer l’ardeur naissante. Tous se turent et il prit la parole.

« Les humains ne sont pas le premier ennemi qu’il nous faut vaincre. Avant de faire à la guerre au puissant Empire des hommes, il nous faut rassembler les fils du Chaos.

- Comment cela ?

Feetgave osait maintenant parler à son maître comme à un subordonné, elle en éprouvait intérieurement une immense satisfaction. Ghurhan’ch appuya son propos de grands gestes.

« Nous avons au levant la tribu de Yhurt’an et celle de Gor’tch. Au couchant nous avons les peaux vertes de la Dent Brisée. Derrière moi, c’est les profondeurs de la forêt où nous pouvons encore trouver des alliés. Rassemblons-les et alors nous marcherons sur les humains. »

La perspective du combat réjouissait les hommes-bêtes. Ils approuvèrent bruyamment les propos de leur chaman. Feetgave éleva la voix pour se faire entendre du vieil homme-bête :

« Jamais les orques ne marcherons avec nous et…»

Elle voulait ajouter qu’elle ne vaincrait jamais les Champions Yhurt’an et Gor’tch en duel s’ils convoquaient un Brayherd. Leurs réputations en faisaient de féroces guerriers. Mais la réponse du chaman répondit entièrement à sa question :

« Alors nous les écraserons, notre réputation en sortira grandi et de nouveaux guerriers se joindront à nous. »

Deux heures après, la tribu en armes marchaient sur les orques.

* * *

La rencontre eut lieu le lendemain à l’aube dans une clairière parsemée d’arbrisseaux et coupée en deux par un ruisseau au courant faible large d’environ quatre pas. Feetgave avait donné des indications de placement pour les bandes comme elle avait vu faire chez son prédécesseur : un peu au hasard à vrai dire. Les Gors à droite à les Ungors à gauche. Elle s’attendait à une critique venant du chaman ou de l’humain qui semblait s’y entendre mais il n’en fut rien. Elle pensa à ce moment qu’elle avait bien fait.

Les orques étaient au moins un centaine. Plus sûrement. L’exiguïté de la clairière les empêchait de se déployer complètement mais ils avaient réussi à installer des archers sur une butte. Feetgave jura lorsqu’elle aperçut le chef de la tribu orque dépassant d’une tête ce qui semblait être sa garde d’honneur. Il maniait une énorme hache à deux mains. On disait dans la forêt qu’il pouvait assommer un cheval à mains nues. Entre deux grosses bandes, il y avait un chaman monté sur sanglier. Il faudrait vraiment faire attention de ce coté là… Elle se plaça à l’extrême gauche de ses troupes à coté des Gors qui frémissaient d’enthousiasme. Ils ne savaient pas compter, eux… Enfin, elle invoquerait le plus de squelettes possibles pour renforcer ses troupes…

Ghurhan’ch examinait également les lignes indisciplinées des orques. Il avait remarqué que son ancienne élève semblait anxieuse. Elle n’avait sans doute pas encore conscience de son pouvoir ni de celui de Fol'iog'gdailrh, son sponsor. Soudain il remarqua derrière un rocher, un orque assez petit et habillé de manière curieuse en train de s’agiter. Ghurhan’ch ferma les yeux, expira violemment et se concentra un moment. C’était un sorcier : il allait tenter une invocation. Le chaman homme-bête tenta de visualiser l’état du pays des flux. «Il» était là. Il n’y avait qu’à l’appeler.

La bataille s’engagea rapidement, les armées marchèrent les unes sur les autres. Adolf subissait avec une totale indifférence une pluie de flèches qui rebondissait sur son corps de métal. De l’arme qui avait remplacé son bras droit il pointa l’orque emplumé chevauchant un sanglier. Le coup manqua.

Ghurhan’ch prononça les mots de pouvoirs invoquant l’aide de Fol'iog'gdailrh, il sentit que coulait en lui une puissance nouvelle, il n’avait qu’à faire un geste… Devant lui, une rangée de six démonettes montées sur des bêtes monstrueuses attendaient ses ordres, il leur désigna les lignes ennemis. Le chaman s’autorisa enfin à respirer. Par expérience, il savait que les créatures du pays des flux avait tendance à se retourner facilement contre leurs invocateurs…

Comme un éclair multicolore, Feetgave aperçut des créatures femelles comme elle en voyait parfois lors de ces transes fondre sur les lignes orques. Le choc fut terrible et des orques cédèrent immédiatement à la panique. L’Elu venait à son aide ! Dans la foulée, elle invoqua cinq guerriers squelettes.

Si les démonettes avaient démoralisé la moitié de l’armée orque, le chef de la tribu marchait toujours sur eux avec sa garde. Ils pataugeaient à présent dans le ruisseau à dix pas et elle distinguait à cette distance les tatouages ornant leurs peaux. C’était le moment. Feetgave ordonna la charge. Les Gors et les squelettes se jetèrent sur leurs ennemis que la poussée fit reculer. La jeune femelle qui restait en retrait derrière ses squelettes constata que le chef orque affrontait en duel l’homme aux pieds de bouc qui était arrivé avec le centaure et que les hommes-bêtes avaient capturé l’étendard des orques. Elle invoqua de nouveaux squelettes.

Le combat autour du ruisseau dura bien plusieurs minutes. Feetgave se trouvait à la tête d’une escouade d’une quinzaine de squelettes. Elle commençait à fatiguer et ne canalisait maintenant qu’avec peine la brume noire nécessaire aux sorts qu’elle lançait. Les orques cédèrent enfin et la poursuite commença.

Feetgave planta l’épée qu’elle n’avait pas sorti son épée du fourreau de toute la bataille dans le corps inerte d’un chaman orque. La lame s’enfonça facilement dans la chair molle se colorant de sang. Les squelettes avait quasiment déchiqueté le corps. Elle distingua la forme à demi effacée un pentagramme.

« Il a tenté une invocation mais Fol'iog'gdailrh l’en a empêché. »

Ghurhan’ch s’était approché d’elle.

« C’est une grande victoire pour nous : deux blessés seulement contre une cinquantaine d’orque tués. »

Feetgave regardait la traînée de destruction qu’avait causé les démons de l’Elu. Les corps des orques étaient là littéralement coupés en deux ou démembrés comme par une tornade de lames. La jeune femelle aperçut sur le sol l’énorme hache à deux mains du chef orque.

« Où est le corps de leur chef ?

- On ne l’a pas trouvé, il s’est sûrement enfuit.

- Je vais le retrouver sur mon chemin alors ?

- Certainement.

- Il faut le traquer et le détruire !

- Tes suivants s’en chargent.

- Ils sont puissants… La machine a détruit les archers à elle toute seule et l’humain a blessé le chef orque, je l’ai vu…

- Oui, ton sponsor t’aide beaucoup. Mais pour la tribu, c’est à toi que revient cette victoire facile. Monte sur ce rocher et fais-toi acclamer. Annonce que plus rien ne peut t’arrêter et que dans deux jours on marchera vers le levant.

* * *

Quinze jours plus tard, Feetgave exultait : Gor’tch avait été tué et Yhurt’an venait de lui jurer allégeance. Sa tribu rassemblait une centaine d’hommes bêtes de tout type confondu et un certain nombre de puissants Champions. Elle était prête et l’Elu semblait satisfait.

L’humain aux pieds de bouc par ailleurs devenu son amant préféré. Les autres lui apprirent qu’il se prénommait Sergio. Si l’absence de sa mâchoire inférieure l’empêchait de parler, sa langue, ainsi libérée, le rendait particulièrement performant pour les jeux de plaisir. Son membre n’avait rien à envier à celui d’un Gor et, pour s’en réserver les ardeurs, elle avait résolu de l’enchaîner à son trône et d’empêcher les autres femelles de s’en approcher. Malgré sa servilité et sa lâcheté, il faisait à la bataille un garde du corps très efficace.

Pour le coup, elle hésitait à offrir sa croupe à Yhurt’an comme elle l’avait fait pour tous ses nouveaux champions. Yhurt’an vénérait le dieu de la déchéance et sa peau semblait sur le point de laisser échapper ses viscères. Une nuée de mouches bourdonnait autour lui et venait se restaurer à ses plaies purulentes. Feetgave découvrait également avec surprise la myriade petits démons qui accompagnaient la tribu des Pestigors. Ces Nurglings l’amusaient beaucoup quoique leur odeur fut franchement insupportable même parmi les hommes-bêtes. Elle avait entendu dire que les humains fabriquaient des eaux de senteurs qui pouvait masquer cette pestilence.

Feetgave questionnait souvent Adolf, le curieux guerrier mécanique, sur les habitudes et le mode de vie des riches humains. Celui-ci racontait dans son débit haché caractéristique, combien les nobles vivaient dans le luxe et la volupté. Feetgave aurait aimé vivre comme eux : dormir dans des draps de soie, goûter les meilleurs mets et s’enivrer des meilleures boissons. Certains mots la faisait rêver tant ils étaient synonyme pour elle de douceur de vivre : Vodka de Kislev, Bordeleau, poésie elfe, viole de gambe, fourrures de Norsca, saucisses grillés de Wurstheim,… Elle n’avait pourtant qu’un vague idée de ce qu’ils pouvaient désigner. Dans son idée, le mot «Moot», patrie de petits humains ventrus, rassemblait à lui seul tout ce qui se faisait de mieux. Elle commençait à maudire cette forêt, où il faisait toujours humide et froid, où le vin était aigre, la nourriture rance et ses frères de race si grossiers et stupides.

Elle se rappela à ce moment là qu’elle était une Gave, une donnée, une enfant des hommes. De là, elle légitima sa supériorité et sa condescendance vis à vis de ces congénères. Sergio et Adolf lui semblaient plus digne d’elle : le premier dans sa couche et le second avec ses histoires. Elle rangea rapidement le centaure dans la catégorie des brutes sans aucune subtilité. Du coup, elle avait relevé sa jupe et ne cachait plus ses pieds comme auparavant. Elle portait désormais le tissu qui lui avait fait jusqu’ici office de robe comme une toge ouverte sur le sein droit.

En « marche en esprit », Ghurhan’ch consultait régulièrement Fol'iog'gdailrh. A la différence de Feetgave, le chaman ne pouvait parler et les échanges se faisaient à sens unique : Fol'iog'gdailrh donnait des instructions. Ce dernier était satisfait de l’évolution que prenait le mental de son héritière et donnait au chaman des visions fugitives de l’avenir. Il était temps d’affronter les hommes et Feetgave en prenait le chemin : elle ne les affronterait plus dans une logique de domination mais seulement pour satisfaire son appétit de jouissances. Elle ne pouvait mieux servir son maître.

Le chaman était tout de même préoccupé. Il aurait aimé pouvoir formé davantage son élève : elle était encore très médiocre dans la maîtrise des flux et il ne serait pas toujours là pour l’assister. Personne dans la tribu ne contestait l’autorité de son ancienne élève –et il en nourrissait une certaine fierté- mais la tribu commençait à rassembler des troupes particulièrement hétéroclites. Des nains étaient venus d’il ne savait où pour servir le guerrier mécanique et une poignée de bandits humains s’était joint à la tribu. Les Pestigors avait dû être éloignés du campement car trois guerriers étaient tombés malade depuis leur arrivée et une femelle était même morte. Ces petits Nurglings courraient partout et avaient gâté les réserves de nourritures. De plus, la tribu s’agrandissait et il fallait maintenant consacrer beaucoup de temps à la chasse et à la cueillette. D’ailleurs, c’était lui qui organisaient le ravitaillement de la tribu.

Ghurhan’ch avait déjà fait parti d’une grande tribu qui avait ravagé les terres des hommes, il y a longtemps. Il servait alors un grand Champion dont le nom ne disait, aujourd’hui plus rien à personne : ils étaient alors trois fois plus nombreux. Même si Fol'iog'gdailrh ne lui avait pas fait voir, il savait comment finissait ces aventures. Quand bien même seraient-ils mille, l’Empire des hommes est plus organisé et il peut mobiliser des milliers de soldats et des armes terrifiantes. Déjà, il sentait naître le cycle des batailles et des ravages. Ils attaqueraient et ils gagnerait jusqu’à ce que l’Empire mobilise contre eux des forces suffisantes. Feetgave aura-t-elle rencontrer alors son destin ? Le chaman savait qu’il n’était qu’un passeur… Sa propre vie avait peu d’importance.

* * *

Le village humain était à eux. Quelques maisons flambaient déjà. En attaquant de nuit, les hommes-bêtes avaient surpris les habitants dans leurs sommeils et les rares qui avaient pu saisir des armes avaient été cruellement exécutés.

Feetgave et ses favoris se réservèrent le pillage de la bâtisse qui devait faire office d’auberge. Sergio défonça la porte. Dès qu’il eut réduit la lourde plaque de bois en planchette, il poussa un cri : un carreau d’arbalète était figé dans son avant-bras. Immédiatement, les Slaangors pénétrèrent en force dans l’ouverture à la suite de leur maîtresse. Un gros homme assez âgé en chemise de nuit tentait de recharger son arme. Ces tremblements convulsifs l’en empêchaient et le rendait absolument pitoyable. Feetgave éclata de rire et lui passa son arme à travers l’estomac sans autre forme de procès. Alors qu’il s’affaissait lentement, les yeux fixés sur elle, la jeune femelle colla sa bouche contre la sienne. La chair du visage de l’homme crépitait au contact de la face brûlante. Maintenant son étreinte, elle accompagna la chute du corps et ne l’abandonna que lorsqu’elle eut recueilli son dernier souffle. Son visage était alors transformé en masse noirâtre indistincte. Les Slaangors apprécièrent le spectacle et applaudirent.

« Voilà à manger pour vous ! »

D’un geste, elle ouvrit le ventre de sa victime. Les entrailles de l’humain se répandirent dans un bruit visqueux sur le sol.

« Bon. Où est la cave ? »

Sûrs de leur impunité, les hommes-bêtes pillèrent, violèrent et torturèrent jusqu’à une heure avancée de la journée.

Le soleil était levé depuis de longues heures lorsque Feetgave tituba hors de l’auberge. Sa tête lui tournait et elle flottait dans une brume éthylique. Elle buta sur le corps d’un Ungor ivre mort et s’étala de tout son long. Le souvenir des dernières heures était indistinct : elle se rappelait vaguement avoir bu jusqu’à plus soif, s’être goinfrée et, dans un épisode de furie orgasmique, d’avoir émasculé un Slaangor. Dans cave et puis dans les chambres de l’auberge, elle se souvenait à présent de l’indicible jouissance qu’elle avait éprouvé. Si la vie que lui promettait l’Elu était ainsi…

« Mais je te promets mille fois plus encore !

- Hé ! Qui parle ?

- C’est moi.

- Qui toi ? et où es-tu d’abord ?

La jeune femelle se redressa difficilement et tourna la tête de gauche à droite sans distingué quoi que ce soit.

« Je suis Fol'iog'gdailrh.

- Oooh…Fol'iog…

Honteuse de manquer à ce point de respect, elle tenta de se lever. La nausée la fit retomber aussitôt.

« Excusez-moi, divin maître. »

Sa voix était pâteuse et elle avait l’impression de parler trop lentement. La voix continua :

« A présent, les dés sont jetés, jeune Feetgave, tes adversaires vont s’armer et tu rencontras bientôt des adversaires à ta hauteur. En attendant amuse-toi bien.

- Elu ?

La voix s’était tue mais toute sensation de gueule de bois l’avait quitté. Elle se retourna et vit un être androgyne absolument imberbe et à la beauté surnaturelle. Sa peau pâle était ornée de tatouages dont les circonvolutions complexes épargnaient son sein unique et les deux pinces qui terminait ces bras. La créature qui la fixait de ses grands yeux verts lui fit signe.

« Tu viens, belle guerrière ? »

Elle la suivit comme hypnotisée.

* * *

Adolf observait les ébats de sa maîtresse avec l’être magique. Cette démonette semblait nullement gênée par l’embrasement du visage de la jeune femelle.

Il préférait Feetgave à sa mère, Ingrid Mitmesh qu’il avait bien connu il y avait plus de vingt ans désormais. A une époque, il avait même souhaité sa mort. A la différence de sa mère, Feetgave le considérait davantage et buvait avec avidité ces histoires sur la patrie des humains.

Quoiqu’il se souvenait encore du temps où il marchait dans les armées de l’Empire, il ne se considérait plus comme un humain. Son humanité l’avait définitivement abandonné dans les Terres du Chaos et il maudissait toujours la carcasse métallique dont l’avait affublé ses sombres maîtres. Peut-être que l’Elu serait plus compatissant que Slaanesh : il lui ôterait enfin ce carcan, afin qu’il puisse à nouveau jouir de la vie comme les autres. A lui seul, il serait alors plus saoul que le centaure, plus vaillant à l’ouvrage que Sergio, et plus pervers que tous les Slaangors réunis. En attendant, il servait Feetgave, c’était encore le meilleur moyen pour que l’Elu daigne le remarquer.

Son ouïe artificielle détecta un bruit de sabot à quelque distance. Il s’enfonça dans les fourrés longeant la route. Deux patrouilleurs ruraux montés s’approchaient prudemment du village par le Sud. Les nuages de fumée noire qui montaient dans le ciel les avaient sans doute attiré.

Une fois qu’il furent tout deux à portée, Adolf ajusta sa cible grâce à l’arme qui remplaçait son droit. Son coup fit éclater la tête du premier patrouilleur. Une gerbe de sang éclaboussa son compagnon et les chevaux s’affolèrent. Une nuage de fumée s’éleva soudain masquant à Adolf sa seconde cible. Il tira quelques coups au jugé. Le temps que le guerrier du Chaos contourne le nuage, le patrouilleur disparaissait dans un coude de la route. Il aurait juré avoir aperçu une silhouette de l’autre coté de la route pendant son premier coup de feu : un sorcier qui aurait fait se lever ce nuage… Il resta une longue minute parfaitement immobile tentant de déceler d’éventuels mouvements dans la frondaison.

De dépit, il tira sur le cheval qui avait traîné le corps de son cavalier à quelque distance laissant une traînée de sang derrière lui. La bête s’effondra comme une masse.

Il s’en retourna vers le village. Feetgave avait recommandé de faire beaucoup de prisonniers, mais Adolf constatait devant la rangée de corps démembrés et empalés sur la place qu’elle n’avait pas tellement été obéie.

Un nurgling disputait à un chien un morceau de viscère.

* * *

Anita maintenait une zone de dissimulation et Gretel se tenait prête à incanter un sort offensif. Aucune n’osait respirer. Elles virent l’étrange machine s’éloigner avec soulagement. Lorsque la chose fut à distance Anita questionna son ancienne élève :

« Pourquoi avoir sauver cet homme et épargner ce monstre ?

- L’homme préviendra les siens…

- Et le monstre ?

- Il était protégé.

- Par qui ?

- Tu ne sens pas ?

Anita expira et se concentra quelques secondes.

« En effet, il est là. Je connais cette présence. Il y a longtemps juste avant de te trouver… Il… Il est plus puissant… »

L’élémentaliste rouvrit les yeux et interrogea Gretel du regard.

« Oui, la Viydagg me l’avait dit. Elle nous protège et grâce à elle, il ne nous a pas encore détecté. Si j’avais attaqué son serviteur. Il nous aurait vu immédiatement.

- Tu…Tu peux lui parler tout le temps à la Viydagg ?

- C’est elle qui me parle.

D’un coté, Anita était un peu soulagée : Gretel semblait revenir à de meilleurs sentiments à son égard quoiqu’elle fut toujours aussi froide et autoritaire.

Depuis trois semaines, elles avaient marché sans trêves guidées par la Viydagg. en évitant les routes et les zones habitées. Leur endurance et leur résistance aux privations avait été rudement mises à l’épreuve. Voilà deux jours qu’elles étaient dans les environs. Même avec l’aide magique de l’Ordre, elles ne pouvaient espérer vaincre cet ennemi qui les révulsait. Il fallait faire réagir l’Empire des hommes : laisser périr ce village était le moyen. Le moment venu, elle se montrait et appuierait de toutes leurs forces pour leurs alliés.

C’était ce qui tourmentait Anita : ce village lui en rappelait un autre et une autre confuse culpabilité. Gretel avait sacrifié sans broncher sur l’autel de la nécessité des dizaines femmes et des enfants. Elle préférait ne pas trop y penser et éviter l’entrer en conflit avec son ancienne élève. Elle l’interpella le plus amicalement possible :

« Tu devrais quand même mettre quelque chose pour t’habiller, si tu dois te montrer aux hommes… »

Elle faisait allusion à sa nudité totale.

* * *

Le cheval d’Udo Wappen, patrouilleur rural du Stirland s’effondra en arrivant à Nennwert sur la rivière Stir.

« Le village de Baldig est en flammes ! »


J'aime toujours autant mais si je trouve que le récit de la bataille casse un peu l'histoire.. peut être le résumé un peux plus...

Citation :Leur endurance et leur résistance aux privations avait été rudement mises à l’épreuve.
manquent pas des "s" par là?


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