Winkel laisse lentement son rythme cardiaque et sa respiration ralentir, l’adrénaline quitter ses veines. Il prend la mesure de l’endroit où sa course folle l’a amené. La chaleur moite, le flingue encore fumant et lourd dans sa main, la rouille, les murs décrépis couverts de graffitis, le sol humide, l’eau qui goutte lentement de canalisations antiques et même jusqu’ici, dans les tréfonds de la ville, la végétation envahissante. Un putain de sale endroit pour mourir. Un putain de sale endroit pour flinguer quelqu’un. Posément, en bon professionnel, il s’avance vers le corps étendu à une vingtaine de mètres, l’arme pointée devant lui. Il sait que le gars est mort. Il ne peut pas en être autrement. Il lui a collé trois balles dans le dos. Tirer sur un homme qui s’enfuit n’a jamais été un problème pour Winkel. Surtout quand le fugitif est un salaud. Winkel a passé plusieurs jours à traquer cette ordure dans la moitié des quartiers de la Nueva-Havana. Et pas les meilleurs. Le voir étendu se vidant de son sang lui confère presque un sentiment de bien-être.
D’un clignement de paupière, il active sa prothèse oculaire. Pas de mouvement autour de lui, rien non plus en mode infra-rouge. Zoom sur le visage du cadavre. En moins de cinq secondes, il est identifié. Winkel relâche enfin sa respiration. Contrat accompli. Il rengaine son flingue. Il entend alors des pas derrière lui. Une démarche assurée, des claquements nets sur le béton. Sans se retourner, Winkel sait qui arrive dans son dos. Pas un tueur, il aurait été plus discret. Pas un flic ou un quelconque agent de sécurité, il aurait été plus bruyant.
- Vous venez vérifier que je fais bien mon boulot, Johnson ?
L’homme se porte à sa hauteur. La trentaine, beau gosse, blondinet, coupe de cheveux irréprochable tout autant que le costume sombre parfaitement porté sur un corps élancé vraisemblablement entretenu grâce à des heures en salle de sport et un régime végétarien drastique. Tout le contraire de celui de Winker, muscles, tatouages et cicatrices, bientôt deux décennies de guerre, de combat et de bière. Winker a connu des dizaines de gars comme ça. D’ailleurs, ils s’appellent tous Johnson, se dit-il. Qu’ils bossent pour un gouvernement, une mégacorporation ou un syndicat de crime ne change finalement pas grand-chose. Et ils les détestent. Tous. Sans exception. Il a juste envie de coller un gros bourre-pif dans la gueule de ce petit con. Bon, le problème, c’est que le petit con paye. Et plutôt bien. Donc, Winkel la ferme.
- Oui. A la demande de mon patron, répond Johnson.
Il sort un terminal dernier cri de sa poche, pianote. Celui de Winkel bippe. Il vient d’être payé. Satisfait, il sort de sa poche un cigare cubain. Un autre de ses vices. Nouveau bip.
- Putain, lâche Winkel en lançant un regard mauvais à Johnson, coupable tout désigné du torpillage du rituel « je fume peinard mon cigare ».
Johnson écarte les bras en signe d’innocence. En effet, le message ne vient pas de lui. Mais de son patron. Winkel range son terminal. Et d’un mouvent fluide et fulgurant sort son flingue et colle une balle dans la tête de Johnson. Le corps s’effondre lourdement aux côtés de la précédente victime de Winkel. Ce dernier rengaine à nouveau, allume finalement son cigare avec délectation puis pianote sur son terminal. Un nouveau bip, il vient d’être payé. Un contrat est un contrat, et celui-ci n’était pas le plus compliqué et en vaut bien un autre...