Pendant Ce Temps Là, Sur Solurb Secundus

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Un peu de bon temps.


Martens épousseta son antique manteau de cuir brun et alluma un cigare. Derrière lui, ses deux amis avaient ramassé leur propre paquetage et descendaient à leur tour du massif train de transport blindé dont les chenilles grinçaient encore doucement.


Passé le hall de débarquement, les lumières scintillantes de la forteresse Khandle s'offraient à leur regard. Ils aimaient cet endroit. Pour rien au monde ils n'auraient accepté d'y vivre, trop habitués qu'ils étaient à la vie plus dure et moins civilisée de la forteresse du Sud. Mais chaque retour à la forteresse Khandle était une source d'émerveillement pour les trois vieux mineurs.


La forteresse du Sud – ou forteresse seconde ou forteresse Kadrin comme la nommaient ses habitants – était implantée dans la seule zone à peu près hospitalière de Solurb Secundus, presque aux antipodes de la forteresse première. Dirigée par les Kadrin, de lointains cousins du seigneur Khandle et de sa famille, elle lui était inféodée et la fournissait régulièrement en minerai brut et en nourriture, convoyé dans des trains blindés au dimensions suffisamment titanesques pour qu'un voyage long de cent quatre vingt jours solurbiens soit rentable. La compagnie n'avait pas l'habitude de jeter l'argent par les fenêtres.


Cent quatre vingt jours de paye en poche, les trois compagnons avait une décade complète, le temps du déchargement, pour les dépenser. Ce serait facile dans ce gigantesque et magnifique oasis de lumière apaisante. Martens, McCoy et O'Connor sentaient déjà l'odeur d'une bière plus finement brassée que celle qu'ils avait l'habitude de boire dans le Sud et le parfum des jolies filles à la peau douce, voyaient déjà reluire le chrome des prodiges mécaniques à deux roues que savaient fabriquer leurs cousins du Nord – ceux du Sud restaient techniquement supérieurs bien sûr ; mais n'avaient pas tant d'élégance, il fallait l'admettre.


Et puis il y avait le Two Guns Bar. Et un vieil ami qu'ils savaient pouvoir retrouver là-bas.


Le tram à suspension magnétique les amena jusqu'au quartier des arsenaux en quelques minutes. Ils terminèrent le chemin à pied, profitant de la douceur de la nuit et de la brise nocturne qui soufflait sur la forteresse et caressaient gentiment leurs visages. Tout était différent ici, plus propre, plus régulier, en un mot plus civilisé ; notion qui leur inspirait un mélange confus de répulsion et de fascination. Ils ne trouvaient rien à reprocher à leurs cousins du Nord : ils les savaient des travailleurs infatigables, des combattants émérites et des partenaires fiables. Tout comme eux. Mais ils ne pouvaient s'empêcher de les mépriser vaguement pour s'être définitivement coupés de la rudesse de leur environnement en s'enfermant dans cette magnifique prison de lumière et d'acier poli.


Eux, en tous cas, ne passaient pas inaperçus. Leur accoutrement typique de la forteresse Kadrin – vêtements de cuir ou de tissu grossier, manteaux de cuir longs, chapeaux de feutre excentriques et bottes noires aux semelles cloutées – leurs barbes interminables et soigneusement peignées, leur peau tannée et burinée par le soleil ou le travail dans les mines, leur aspect rustique et poussiéreux, leur nonchalance ostensible attiraient immanquablement les regards. Mais il n'y avait pas la moindre trace d'antipathie dans les regards qu'ils croisaient. Au contraire, on les saluait joyeusement. Entre ceux du Nord et ceux du Sud, la reconnaissance des mérites des autres et le respect était réciproques. Sauf quand parfois un bagarre d'ivrognes provoquée par des mineurs du Sud au Two Guns Bar dégénérait de manière grave et qu'une police habituée à une criminalité inexistante dans la forteresse Khandle était obligée d'intervenir.


"Ce soir c'est la compagnie qui régale !" clama McCoy en plaquant un billet de vingt couronnes sur la table.


Une des raisons de la popularité du Two Guns Bar auprès des visiteurs du Sud est qu'il était le dernier institut de la forteresse à accepter le papier monnaie ; encore une excentricité du Sud que ceux du Nord toléraient avec amusement. Une autre raison était son cadre chaleureux. Le bar était très grand, occupait plusieurs étages du bâtiment, divisés en plusieurs salles chacune décoré dans un style particulier et offrant une ambiance différente. Celle que choisissaient immanquablement McCoy, Martens et O'Connor leur convenait à merveille : plancher et mobilier en bois synthétique, lumière tamisée, chansons paillardes et bière de céréales véritables.


Ils levèrent à peine les yeux de leur bock de bière quand le nouvel arrivant s'approcha de leur table. Le squat était particulièrement trapu, même selon les standards de leur race. Des muscles puissants qu'on devinait saillir sous la tunique bleu clair, des poignes énormes, un visage dur et carré à la barbe grise courte et mal taillée, des yeux bleus perçants. Il tira la chaise sans formalité et s'assit. O'Connor leva le main pour attirer l'attention de la serveuse, commanda une bière supplémentaire et, au moment où elle repartait, la gratifia en rigolant d'une petite claque sur les fesses. L'autre rougit légèrement et s'éclipsa.


"Quoi de neuf doc' ?" fit enfin McCoy. "Z'avez du boulot pour nous ?"


"Possible."


Painkiller but une longue lampée de bière et épongea la mousse du revers de sa main.


"Quelque chose qui peut vous mettre dans un sale pétrin."


"On vous doit quelqu' chose doc."


"Oui je sais. Mais c'est particulier. Je ne veux pas que vous vous sentiez obligés de me rendre ce service là à cause de la dette que vous avez envers moi."


"Pas de problème doc', ce s'ra à nous d'en décider. C'est tellement illégal que v'pouvez mêm' pas d'mander à vos gars d'faire le boulot ?"


Painkiller ne répondit pas. Il avala une autre gorgée de bière pendant que McCoy reprenait.


"Savez doc, la guerre c'est pas not' truc. On la fait quand il faut. Ou un peu d'temps en temps. C'est toujours agréable de rouler pour vous. En une opération, on s'fait autant d'fric qu'en trois ans d'boulot dans les mines. Mais si on reste dans not' trou d'bouseux c'est qu'on doit bien aimer ça un peu hein ? Barouder d'un bout à l'aut' de l'univers comm' vous l'faites, c'est pas pour nous."


"Vous n'aurez pas besoin d'aller très loin. Mais... il vous faudra peut-être tuer des squats. Des citoyens de cette forteresse."


Les trois mineurs se regardèrent avec stupéfaction et inquiétude en reposant leurs bocks. Que Jimini Painkiller leur demande d'enfreindre la règle première, la plus archi-sacrée de la charte éthique de la Genocide Incorporated les sidérait.


"Ben dame !" fit finalement Martens. "Faut qu'vous soyez dans des foutus emmerd'ments pour nous d'mander un truc pareil doc'. Qu'est-ce qui vous arrive ?"


Painkiller termina sa bière et se leva.


"Réfléchissez-y. Vous savez où me trouver."


O'Connor opina gravement du chef.


"Pas d'problème doc'. Vous savez où nous trouver aussi."


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