<b>CHAPITRE III</b>
Sous un arbre d’âge vénérable de la Grande Forêt du Talabecland, Feetgave se cala confortablement dans le fauteuil dont la bourre jaillissait généreusement par plusieurs déchirures et qui lui servait de trône. Devant elle, une espèce de machine vaguement humanoïde crachait une fumée grasse par intermittence.
« Honneur à toi, héritière de l’Elu. »
C’était le quatrième combattant qui rejoignait sa bande. Dix jours auparavant, il y avait eu un centaure et ses deux compagnons : un orque hideux et un reste d’humain. Ils disaient avoir connu l’Elu de son vivant…
A présent, la machine se présentait sous le nom d’Adolf et elle connaissait déjà le centaure et l’orque. Tous se déclaraient serviteurs de l’Elu.
La jeune femelle sentait que ces nouveaux arrivants raffermissaient considérablement son autorité sur sa tribu. La venue de créatures aussi visiblement bénies par les dieux ne pouvaient qu’être de bons présages. D’ailleurs, depuis peu, même son maître chaman s’était mis en retrait et laissait sa croupe tranquille.
Feetgave avait recommencé à plusieurs reprises les « marches en esprit ». Sans son maître, elle passait de longues heures chaque jours au « pays des flux ». Elle a appris le nom de ce qui l’avait effrayé le jour où elle était devenu chef. «Il» s’appelait Fol'iog'gdailrh. Quoiqu’elle fut familière de la Langue Noire, elle préférait le nommer plus simplement comme le faisait les autres : Elu.
Elle entretenait maintenant de véritables conversations mentales avec son sponsor et trouvait en lui les ressources inestimables que lui avait prédit son maître Ghurhan’ch. Durant ses transes, elle avait l’impression que l’acuité de ses sens était décuplé. Adroitement guidée dans les méandres des flux, son esprit voyageait dans des territoires qu’elle n’aurait jamais cru pouvoir exister Elle observait des scènes qui ne lui semblait appartenir ni au passé ni à l’avenir et des sons et des musiques d’une finesse inouïe faisaient vibrer son âme. Des décharges orgasmiques la secouaient alors jusqu’à l’inconscience. Couverte de sueur, hors d’haleine, elle revenait à elle, vidée de ses forces physiques mais baignant dans une mare de brumes magiques.
En comparaison, la réalité paraissait triste, froide et terne.
L’Elu lui promettait qu’un jour, il l’appellerait à ses cotés pour vivre une fête éternelle. A présent, elle n’était pas prête : son âme, pas encore assez forte, se dissoudrait dans les flux et elle sombrerait le néant. Il lui revenait de guider ses suivants dans le monde réel et, le temps venu, de désigner un successeur digne.
Ce guerrier mécanique avait-il un sexe ? Si oui, où pouvait-il le cacher ? Feetgave plissa ses paupières et observa attentivement Adolf, complément inerte sur sa plate-forme circulaire qui le maintenait en suspension et ronronnait doucement.
Une autre idée la frappa soudain : il était temps d’organiser un peu l’adoration de l’Elu. Depuis presque qu’une lune que elle était à la tête de la tribu, elle n’avait rien ordonné de grand. Elle compta les guerriers qui était assis devant elle : douze gors, dix-neuf ungors, le chaman et maintenant trois guerriers et un centaure. Elle n’entendait absolument rien à la chose militaire et essaya de se représenter combien d’ennemis ils pouvaient défaire… Cinquante lui sembla un chiffre correct. C’était a peu près le nombre d’orques qu’ils avaient vaincu dernièrement.
« Cinquante, c’est beaucoup pour des humains ? »
Adolf qui attendait toujours un mot approuvant son adhésion répondit avec sa voix aussi métallique qu’inexpressive :
« Que voulez-vous dire, maîtresse ?
- Je veux savoir si je peux vaincre les humains.
Un bruit parcourut la tribu. Des guerriers hochaient la tête et grognaient en signe d’approbation devant les projets de leur chef. Ghurhan’ch, le chaman, une pipe éteinte à la bouche et adossé à un arbre ouvrit même un œil. Adolf intervint encore :
« Les hommes de l’Empire sont des milliers de milliers.
- Ouais vachement nombreux mais on les a déjà massacré ! ajouta le centaure.
« A mort les humains ! » criait déjà un gor.
Le chaman se redressa et leva les bras pour calmer l’ardeur naissante. Tous se turent et il prit la parole.
« Les humains ne sont pas le premier ennemi qu’il nous faut vaincre. Avant de faire à la guerre au puissant Empire des hommes, il nous faut rassembler les fils du Chaos.
- Comment cela ?
Feetgave osait maintenant parler à son maître comme à un subordonné, elle en éprouvait intérieurement une immense satisfaction. Ghurhan’ch appuya son propos de grands gestes.
« Nous avons au levant la tribu de Yhurt’an et celle de Gor’tch. Au couchant nous avons les peaux vertes de la Dent Brisée. Derrière moi, c’est les profondeurs de la forêt où nous pouvons encore trouver des alliés. Rassemblons-les et alors nous marcherons sur les humains. »
La perspective du combat réjouissait les hommes-bêtes. Ils approuvèrent bruyamment les propos de leur chaman. Feetgave éleva la voix pour se faire entendre du vieil homme-bête :
« Jamais les orques ne marcherons avec nous et…»
Elle voulait ajouter qu’elle ne vaincrait jamais les Champions Yhurt’an et Gor’tch en duel s’ils convoquaient un Brayherd. Leurs réputations en faisaient de féroces guerriers. Mais la réponse du chaman répondit entièrement à sa question :
« Alors nous les écraserons, notre réputation en sortira grandi et de nouveaux guerriers se joindront à nous. »
Deux heures après, la tribu en armes marchaient sur les orques.
* * *
La première rencontre eut lieu le lendemain à l’aube dans une clairière parsemée d’arbrisseaux et coupée en deux par un ruisseau au courant faible large d’environ quatre pas. Feetgave avait donné des indications de placement pour les bandes comme elle avait vu faire chez son prédécesseur : un peu au hasard à vrai dire. Les gors sur sa droite à les ungors sur l’aile gauche. Elle s’attendait à une critique venant du chaman ou de l’humain qui semblait s’y entendre mais il n’en fut rien. Elle pensa à ce moment qu’elle avait bien fait.
Les orques étaient au moins un centaine. Plus sûrement. L’exiguïté de la clairière les empêchait de se déployer complètement mais ils avaient réussi à installer des archers sur une butte. Feetgave jura lorsqu’elle aperçut le chef de la tribu orque dépassant d’une tête ce qui semblait être sa garde d’honneur. Il maniait une énorme hache à deux mains. On disait dans la forêt qu’il pouvait assommer un cerf à mains nues. Entre deux grosses bandes, il y avait un chaman monté sur sanglier. Il faudrait vraiment faire attention de ce coté là… Elle se plaça à l’extrême gauche de ses troupes à coté des gors qui frémissaient d’enthousiasme. Ils ne savaient pas compter, eux… Enfin, elle invoquerait le plus de squelettes possibles pour renforcer ses troupes…
Ghurhan’ch examinait également les lignes indisciplinées des orques. Il avait remarqué que son ancienne élève semblait anxieuse. Elle n’avait sans doute pas encore conscience de son pouvoir ni de celui de Fol'iog'gdailrh, son sponsor. Soudain il remarqua derrière un rocher, un orque assez petit et habillé de manière curieuse en train de s’agiter. Ghurhan’ch ferma les yeux, expira violemment et se concentra un moment. C’était un sorcier : il allait tenter une invocation. Le chaman homme-bête tenta de visualiser l’état du pays des flux. «Il» était là. Il n’y avait qu’à l’appeler.
La bataille s’engagea rapidement, les armées marchèrent les unes sur les autres. Adolf subissait avec une totale indifférence une pluie de flèches qui rebondissait sur son corps de métal. De l’arme qui avait remplacé son bras droit il pointa l’orque emplumé chevauchant un sanglier. Le coup manqua.
Ghurhan’ch prononça les mots de pouvoirs invoquant l’aide de Fol'iog'gdailrh. Un tourbillon de brumes sombres l’entoura. A ce moment là, il était seul au monde. Il inspira profondément, ses pupilles disparurent sous ses paupières. La brume semblait s’infiltrer par ses pores. A même temps, le chaman sentit que coulait en lui une puissance nouvelle, il n’avait qu’une pensée à avoir…
En un instant apparut devant lui une rangée de six démonettes montées sur des bêtes monstrueuses. Elles attendaient ses ordres, il leur désigna les lignes ennemis. Les créations de Slaanesh fondirent dans la direction indiquée. En les voyant s’éloigner, le chaman s’autorisa enfin à expirer. L’invocation avait réussi. Par expérience, il savait que les créatures du pays des flux avait tendance à se retourner facilement contre leurs invocateurs… Cela n’avait duré qu’une poignée de secondes mais il se sentait vieilli de plusieurs années.
Comme un éclair multicolore, Feetgave aperçut des créatures femelles comme elle en voyait parfois lors de ses transes fondre sur les lignes orques. Le choc fut terrible et des orques cédèrent immédiatement à la panique. L’Elu venait à son aide ! Elle invoqua cinq guerriers squelettes.
Si les démonettes avaient mis en déroute la moitié de l’armée orque, le chef de la tribu marchait toujours sur eux avec sa garde. Ils pataugeaient à présent dans le ruisseau à dix pas et elle distinguait à cette distance les tatouages ornant leurs peaux. C’était le moment. Feetgave ordonna la charge. Les gors et les squelettes se jetèrent sur leurs ennemis que la poussée fit reculer. La jeune femelle qui restait en retrait derrière ses squelettes aperçut le chef orque qui affrontait en duel l’homme aux pieds de bouc. Les hommes-bêtes avaient capturé l’étendard des orques. Le sort des armes semblait vouloir lui être favorable. Elle invoqua de nouveaux squelettes.
Le combat autour du ruisseau dura bien plusieurs minutes, l’eau se colorait du sang des orques et des hommes-bêtes. Feetgave se trouvait à présent la tête d’une escouade d’une quinzaine de squelettes. Elle commençait à fatiguer et ne canalisait maintenant qu’avec peine la brume noire nécessaire aux sorts qu’elle lançait. Les orques déroutèrent enfin et la poursuite commença.
Feetgave sortit son épée de son fourreau. Elle la planta dans le corps inerte d’un chaman orque. La lame s’enfonça facilement dans la chair molle se colorant de sang. Les squelettes avait quasiment déchiqueté le cadavre. Elle distingua la forme à demi effacée un pentagramme.
« Il a tenté une invocation mais Fol'iog'gdailrh l’en a empêché. »
Ghurhan’ch s’était approché d’elle.
« C’est une grande victoire pour nous : deux blessés seulement contre une cinquantaine d’orques tués. »
Feetgave regardait la traînée de destruction qu’avait causé les démons de l’Elu. Les corps des orques étaient là littéralement coupés en deux ou démembrés comme par une tornade de lames. La jeune femelle aperçut sur le sol l’énorme hache à deux mains du chef orque.
« Où est le corps de leur chef ?
- On ne l’a pas trouvé, il s’est sûrement enfui.
- Je vais le retrouver sur mon chemin alors ?
- Certainement.
- Il faut le traquer et le détruire !
- Tes suivants s’en chargent.
- Ils sont puissants… La machine a détruit les archers à elle toute seule et l’humain a blessé le chef orque, je l’ai vu…
- Oui, ton sponsor t’aide beaucoup. Mais pour la tribu, c’est à toi que revient cette victoire facile. Monte sur ce rocher et fais-toi acclamer. Annonce que plus rien ne peut t’arrêter et que dans deux jours on marchera vers le levant.
* * *
Quinze jours plus tard, Feetgave exultait : Gor’tch avait été tué et Yhurt’an venait de lui jurer allégeance. Sa tribu rassemblait une centaine d’hommes bêtes de tout type confondu et un certain nombre de puissants Champions. Elle était prête et l’Elu semblait satisfait.
L’humain aux pieds de bouc par ailleurs devenu son amant préféré. Les autres lui apprirent qu’il se prénommait Sergio. Si l’absence de sa mâchoire inférieure l’empêchait de parler, sa langue, ainsi libérée, le rendait particulièrement performant pour les jeux de plaisir. Son membre n’avait rien à envier à celui d’un gor et, pour s’en réserver les ardeurs, elle avait résolu de l’enchaîner à son trône et d’empêcher les autres femelles de s’en approcher. Malgré sa servilité et sa lâcheté, il faisait à la bataille un garde du corps très efficace.
Pour le coup, elle hésitait à offrir sa croupe à Yhurt’an comme elle l’avait fait pour tous ses nouveaux champions afin de sceller leur entente. Yhurt’an vénérait le dieu de la déchéance et sa peau semblait sur le point de laisser échapper ses viscères. Une nuée de mouches bourdonnait autour lui et venait se restaurer à ses plaies purulentes. Feetgave découvrait également avec surprise la myriade petits démons qui accompagnaient la tribu des Pestigors. Ces Nurglings l’amusaient beaucoup quoique leur odeur fut franchement insupportable même parmi les hommes-bêtes. Elle avait entendu dire que les humains fabriquaient des eaux de senteurs qui pouvait masquer cette pestilence.
Feetgave questionnait souvent Adolf, le curieux guerrier mécanique, sur les habitudes et le mode de vie des riches humains. Celui-ci racontait dans son débit haché caractéristique, combien les nobles vivaient dans le luxe et la volupté. Feetgave aurait aimé vivre comme eux : dormir dans des draps de soie, goûter les meilleurs mets et s’enivrer des meilleures boissons. Certains mots la faisait rêver tant ils étaient synonyme pour elle de douceur de vivre : Vodka de Kislev, Bordeleau, poésie elfe, viole de gambe, fourrures de Norsca, … Elle n’avait pourtant qu’une vague idée de ce qu’ils pouvaient désigner. Dans son idée, le mot «Moot», patrie de petits humains ventrus, rassemblait à lui seul tout ce qui se faisait de mieux. Elle commençait à maudire cette forêt, où il faisait toujours humide et froid, où le vin était aigre, la nourriture rance et ses frères de race si grossiers et stupides.
Elle se rappela à ce moment qu’elle était une gave, une donnée, une enfant des hommes. De là, elle légitima sa supériorité et sa condescendance vis à vis de ces congénères. Sergio et Adolf lui semblaient plus digne d’elle : le premier dans sa couche et le second avec ses histoires. Elle rangea rapidement le centaure dans la catégorie des brutes sans aucune subtilité. Du coup, elle avait relevé sa robe et ne cachait plus ses pieds comme auparavant. Elle portait désormais le tissu qui lui avait fait jusqu’ici office de vêtement comme une toge ouverte sur le sein droit.
En « marche en esprit », Ghurhan’ch consultait régulièrement Fol'iog'gdailrh. A la différence de Feetgave, le chaman ne pouvait lui parler et les échanges se faisaient à sens unique : Fol'iog'gdailrh donnait des instructions. Ce dernier était satisfait de l’évolution que prenait le mental de son héritière et donnait au chaman des visions fugitives et ambiguës de l’avenir. Il était temps d’affronter les hommes et Feetgave en prenait le chemin : elle ne les affronterait plus dans une logique de domination mais seulement pour satisfaire son appétit de jouissance. Elle ne pouvait mieux servir son maître.
Le chaman était tout de même préoccupé. Il aurait aimé pouvoir former davantage son élève : elle était encore très médiocre dans la maîtrise des flux et il ne serait pas toujours là pour l’assister. Personne dans la tribu ne contestait l’autorité de son ancienne élève –et il en nourrissait une certaine fierté- mais la tribu commençait à rassembler des troupes particulièrement hétéroclites. Des nains étaient venus d’il ne savait où pour servir le guerrier mécanique et une poignée de bandits humains s’était joint à la tribu. Les Pestigors avait dû être éloignés du campement car trois guerriers étaient tombés malade depuis leur arrivée et une femelle était même morte. Ces petits nurglings courraient partout et avaient gâté les réserves de nourritures. De plus, la tribu s’agrandissait et il fallait maintenant consacrer beaucoup de temps à la chasse et à la cueillette. D’ailleurs, c’était lui qui organisaient le ravitaillement, personne d’autre n’aurait eu la présence d’esprit de s’en occuper.
Ghurhan’ch avait déjà fait parti d’une grande harde qui avait ravagé les terres des hommes, il y a longtemps. Il servait alors un grand Champion dont le nom ne disait, aujourd’hui plus rien à personne : ils étaient alors trois fois plus nombreux. Même si Fol'iog'gdailrh ne lui avait pas fait voir, il savait comment finissait ces aventures. Quand bien même seraient-ils mille, l’Empire des hommes est plus organisé et il peut mobiliser des milliers de soldats et des armes terrifiantes. Déjà, il sentait naître le cycle des batailles et des ravages. Ils attaqueraient et ils gagnerait jusqu’à ce que l’Empire mobilise contre eux des forces suffisantes. Feetgave aura-t-elle rencontrer alors son destin ? Le chaman savait qu’il n’était qu’un passeur… Sa propre vie n’avait que peu d’importance.
* * *
Le village humain était à eux. Quelques maisons flambaient déjà. En attaquant de nuit, les hommes-bêtes avaient surpris les habitants dans leur sommeil et les rares qui avaient pu saisir des armes avaient été cruellement exécutés.
Feetgave et ses favoris se réservèrent le pillage de la bâtisse qui devait faire office d’auberge. Sergio défonça la porte. Dès qu’il eut réduit la lourde plaque de bois en planchettes, il poussa un cri : un carreau d’arbalète était figé dans son avant-bras. Immédiatement, les Slaangors pénétrèrent en force dans l’ouverture à la suite de leur maîtresse. Un gros homme assez âgé en chemise de nuit tentait de recharger son arme. Ces tremblements convulsifs l’en empêchaient et le rendait absolument pitoyable. Feetgave éclata de rire et lui passa son arme à travers l’estomac sans autre forme de procès. Alors qu’il s’affaissait lentement, les yeux fixés sur elle, la jeune femelle colla sa bouche contre la sienne. La chair du visage de l’homme crépitait au contact de la face brûlante. Maintenant son étreinte, elle accompagna la chute du corps et ne l’abandonna que lorsqu’elle eut recueilli son dernier souffle. Son visage était alors transformé en masse noirâtre indistincte. Les slaangors apprécièrent le spectacle et applaudirent.
« Voilà à manger pour vous ! »
D’un geste, elle ouvrit le ventre de sa victime. Les entrailles de l’humain se répandirent dans un bruit visqueux sur le sol.
« Bon. Où est la cave ? »
Sûrs de leur impunité, les hommes-bêtes pillèrent, violèrent et torturèrent jusqu’à une heure avancée de la journée.
Le soleil était levé depuis de longues heures lorsque Feetgave tituba hors de l’auberge. Sa tête lui tournait et elle flottait dans une brume éthylique. Elle buta sur le corps d’un ungor ivre mort et s’étala de tout son long. Le souvenir des dernières heures était indistinct : elle se rappelait vaguement avoir bu jusqu’à plus soif, s’être goinfrée et, dans un épisode de furie orgasmique, d’avoir émasculé un slaangor. Dans la cave et puis dans les chambres de l’auberge, elle se souvenait à présent de l’indicible jouissance qu’elle avait éprouvé. Si la vie que lui promettait l’Elu était ainsi…
« Mais je te promets mille fois plus encore !
- Hé ! Qui parle ?
- C’est moi.
- Qui toi ? et où es-tu d’abord ?
La jeune femelle se redressa difficilement et tourna la tête de gauche à droite sans distinguer quoi que ce soit.
« Je suis Fol'iog'gdailrh.
- Oooh…Fol'iog…
Honteuse de manquer à ce point de respect, elle tenta de se lever. La nausée la fit retomber aussitôt.
« Excusez-moi, divin maître. »
Sa voix était pâteuse et elle avait l’impression de parler trop lentement. La voix continua :
« A présent, les dés sont jetés, jeune Feetgave, tes adversaires vont s’armer et tu rencontras bientôt des adversaires à ta hauteur. En attendant amuse-toi bien.
- Elu ?
La voix s’était tue mais toute sensation de gueule de bois l’avait quitté. Elle se retourna et vit un être androgyne absolument imberbe et à la beauté surnaturelle. Sa peau pâle était ornée de tatouages dont les circonvolutions complexes épargnaient son sein unique et les deux pinces qui terminait ces bras. La créature qui la fixait de ses grands yeux verts lui fit signe.
« Tu viens, belle guerrière ? »
Elle la suivit comme hypnotisée.
* * *
Adolf observait les ébats de sa maîtresse avec l’être magique. Cette démonette semblait nullement gênée par l’embrasement du visage de la jeune femelle.
Il préférait Feetgave à sa mère, Ingrid Mitmesh qu’il avait bien connu, il y avait près de vingt ans désormais. A une époque, il avait même souhaité la mort de cette dernière. A la différence de sa mère, Feetgave le considérait davantage et buvait toujours avec avidité ces histoires sur la patrie des humains.
Quoiqu’il se souvenait encore du temps où il marchait dans les armées de l’Empire, il ne se considérait plus comme un humain. Son humanité l’avait définitivement abandonné dans les Terres du Chaos et il maudissait toujours la carcasse métallique dont l’avait affublé ses sombres maîtres. Peut-être que l’Elu serait plus compatissant que Slaanesh : il lui ôterait enfin ce carcan, afin qu’il puisse à nouveau jouir de la vie comme les autres. A lui seul, il serait alors plus saoul que le centaure, plus vaillant à l’ouvrage que Sergio, et plus pervers que tous les slaangors réunis. En attendant, il servait Feetgave, c’était encore le meilleur moyen pour que l’Elu daigne le remarquer.
Son ouïe artificielle détecta un bruit de sabot à quelque distance. Il s’enfonça dans les fourrés longeant la route. Deux patrouilleurs ruraux montés s’approchaient prudemment du village par le Sud. Les nuages de fumée noire qui montaient dans le ciel les avaient sans doute attirés.
Une fois qu’ils furent tout deux à portée, Adolf ajusta sa cible grâce à l’arme qui remplaçait son bras droit. Son coup fit éclater la tête du premier patrouilleur. Une gerbe de sang éclaboussa son compagnon et les chevaux s’affolèrent. Une nuage de fumée s’éleva soudain masquant à Adolf sa seconde cible. Il tira quelques coups au jugé. Le temps que le guerrier du Chaos contourne le nuage, le patrouilleur disparaissait dans un coude de la route. Il aurait juré avoir aperçu une silhouette de l’autre coté de la route pendant son premier coup de feu : un sorcier qui aurait fait se lever ce nuage… Il resta une longue minute parfaitement immobile tentant de déceler d’éventuels mouvements dans la frondaison.
De dépit, il tira sur le cheval qui avait traîné le corps de son cavalier à quelque distance laissant une traînée de sang derrière lui. La bête s’effondra comme une masse.
Il s’en retourna vers le village. Feetgave avait recommandé de faire beaucoup de prisonniers, mais Adolf constatait devant la rangée de corps démembrés et empalés sur la place qu’elle n’avait pas tellement été obéie.
Un nurgling disputait à un chien un morceau de viscère.
* * *
Anita maintenait une zone de dissimulation et Gretel se tenait prête à incanter un sort offensif. Elles n’osaient respirer. Elles virent l’étrange machine s’éloigner avec soulagement. Lorsque la chose fut à distance Anita questionna son ancienne élève :
« Pourquoi avoir sauver cet homme et épargner ce monstre ?
- L’homme préviendra les siens…
- Et le monstre ?
- Il était protégé.
- Par qui ?
- Tu ne sens pas ?
Anita expira et se concentra quelques secondes.
« En effet, il est là. Je connais cette présence. Il y a longtemps juste avant de te trouver… Il… Il est plus puissant… »
L’élémentaliste rouvrit les yeux et interrogea Gretel du regard.
« Oui, la Viydagg me l’avait dit. Elle nous protège et grâce à elle, il ne nous a pas encore détecté. Si j’avais attaqué son serviteur. Il nous aurait vu immédiatement.
- Tu…Tu peux lui parler tout le temps à la Viydagg ?
- C’est elle qui me parle.
D’un coté, Anita était un peu soulagée : Gretel semblait revenir à de meilleurs sentiments à son égard quoiqu’elle fut toujours aussi froide et autoritaire.
Depuis trois semaines, elles avaient marché sans trêves guidées par la Viydagg. en évitant les routes et les zones habitées. Leur endurance et leur résistance aux privations avaient été rudement mises à l’épreuve. Voilà deux jours qu’elles étaient dans les environs. Même avec l’aide magique de l’Ordre, elles ne pouvaient espérer vaincre cet ennemi qui les révulsait. Il fallait faire réagir l’Empire des hommes : laisser périr ce village était le moyen. Le moment venu, elle se montrait et appuierait de toutes leurs forces pour leurs alliés.
C’était ce qui tourmentait Anita : ce village lui en rappelait un autre et une autre confuse culpabilité. Gretel avait sacrifié sans broncher sur l’autel de la nécessité des dizaines femmes et des enfants. Elle préférait ne pas trop y penser et éviter une dispute. Elle l’interpella le plus amicalement possible :
« Tu devrais quand même mettre quelque chose pour t’habiller, si tu dois te montrer aux hommes… »
Elle faisait allusion à sa complète nudité.
* * *
Le cheval d’Udo Wappen, patrouilleur rural du Stirland s’effondra en arrivant à Nennwert sur la rivière Stir.
« Le village de Baldig est en flammes ! »