Feetgave Ou La Campagne Omphalienne

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<b>CHAPITRE V</b>


« Ce coup-ci, c’est bien fini. »


Progressant vers l’intérieur du bois et malgré les branches lui fouettaient la peau, la jeune femelle homme-bête courait à en perdre haleine. Des chiens aboyaient derrière elle.


Elle y avait cru pourtant lorsqu’elle avait vu grandir sa tribu. Elle avait pensé qu’un jour elle régnerait sur un royaume dont elle serait reine et où le moindre de ces désirs serait satisfait. Elle rêvait d’un palais rempli de coussins où elle n’aurait plus jamais froid et plus jamais faim, un endroit diffèrent de la forêt où elle s’en retournait, si elle arrivait à échapper à ses poursuivants… Voilà près de cinq jours qu'ils la poursuivaient après la bataille où elle avait tout perdue…


D’où venait ses traqueurs ? Non content d’avoir mobilisé une armée contre elle et d’avoir dispersé sa horde avant qu’elle ne soit au fait de sa puissance, ils voulaient l’avoir, elle. Pourquoi elle ? Une insignifiante apprentie chaman avec une cinquantaine de suivants ?


Elle aurait mieux fait de ne jamais essayer de devenir Champion de la bande. C’était la faute à l’Elu qui avait flatté son orgueil. Où était-il maintenant qu’elle avait besoin d’aide ?


« Qu’attendais-tu pour m’appeler ? »


La voix parlait dans sa tête. Elle commençait à avoir l’habitude de ces conversations télépathiques entre elle et son tuteur démon. Elle continua sa course.


« Il ne te sert à rien de courir, les chiens vont te rattraper et puis, de toute façon, tu vas tomber.


- Vous avez une meilleure idée, Maî…


Elle trébucha sur une racine et s’étala de tout son long.


« Grimpe dans cet arbre.


- Pour qu’ils n’aient plus qu’à me cueillir une fois que les chiens seront au pied ?


- Grimpe !


Feetgave s’exécuta de mauvais gré. L’arbre était facile à escalader et elle se retrouva rapidement à une dizaine de mètre du sol.


« Bon, voilà, je ne peux aller plus haut.


- Assieds-toi et rejoins-moi.


- Faire une « marche en esprit » maintenant ! Mais les chiens arrivent !


En effet, une demi-douzaine de gros chiens de chasse déboula d’une frondaison et vint de rassembler au pied de l’arbre. Ils grognaient et aboyaient. Les plus entreprenants tentaient l’escalade avant de retomber lourdement. D’autres sautaient dans sa direction.


« Je n’ai même pas les feuilles à mâcher pour entrer en transe.


- Tu n’as pas besoin de ces artifices.


- Mais les chiens…


- Obéi !


Sur l’injonction de son maître, elle s’assit en tailleur sur sa branche puis ferma les yeux et tenta de faire abstraction des aboiements.


« Concentre-toi… Crois en moi… Tu n’es pas en danger… Tes ennemis ne peuvent pas te faire de mal….»


Elle sentit une chaleur familière l’envahir et la nuit se faire autour d’elle. Le bruit des chiens s’éloigna et il lui sembla entendre des voix humaines, derniers échos du monde réel.


Elle se rendit immédiatement compte que quelque chose n’allait pas comme d’habitude. Son corps souffrait d'un froid glacial et elle restait dans le noir total. Par contre, la cacophonie propre au « pays des flux » l’agressa immédiatement. Parmi toutes ces voix, une seule, qu’elle connaissait bien, était vraiment distincte :


« Tu as réussi.


- Que se passe-t-il ? Pourquoi j’ai l’impression d’avoir mal partout ? Pourquoi je ne vois rien ?


- Ouvre les yeux, idiote.


Non-sens au pays des flux où seule l’âme peut pénétrer. Elle commanda pourtant à ses paupières de s’ouvrir.


« Ah ! J’ai mon corps mais… c’est impossible !


- Regarde comme tes poursuivants sont dépités.


Le tissu du warp se déchira et la femelle homme-bête aperçut l’arbre qu’elle venait de quitter : les chiens tournaient en rond et leurs maîtres humains fouillaient les fourrés.


« J’ai…. disparu ?


- En effet, je te transporte ailleurs. Dis adieu à ce monde, la destinée t’appelle ailleurs.


- Ailleurs ?


- L’univers est plein de mondes comme celui-là.


- Ah…


- Ton corps est fatigué, il ne résistera pas à un long voyage. Tu auras bientôt faim et soif. Ton âme est encore faible. Tu n’es pas encore prête à me rejoindre. Aie confiance et endors-toi.


Feetgave sombra aussitôt.


* * *


Le vaisseau « Sebastian Thor IV », classe Galaxy, charte de voyage numéro 1604716502 référencée sur Kar Duniash et numéro 0899452011 sur Cypra Mundi venait d’entrer dans le warp.


« Capitaine Boieldieu ? ici le navigateur. J’ai ressenti une perturbation anormale juste avant la mise en route du champ de Geller.


- Hum… Allons bon… Vous ressentez encore une anomalie ?


Un moment de silence suivit.


« Non, plus rien. Mais je m’aime pas ça.


- Moi non plus. Vous n’avez pas idée de ce dont il peut s’agir ?


- Aucune.


Le navigateur mentait. Il savait que l’Ether était peuplé. Il craignait une intrusion démoniaque. Mais le calme dans la bulle psychique qui protégeait le vaisseau était incompatible avec cela. Il pensait aussi aux créatures connues sous le nom de genestealer mais, d’habitude, elles n’intervenaient pas depuis le warp. Il y avait encore autres mille possibilités qu’il se refusait à dévoiler au capitaine. Ce dernier, malgré son expérience, était un homme ordinaire. Il ne pouvait savoir.


« Hum… Nous ne sommes pas assez nombreux pour fouiller les kilomètres cubes de la cargaison…


- Je propose de verrouiller les secteurs non vitaux et de surveiller attentivement les autres.


- Oui, c’est ce qu’il y a de mieux à faire. Nous déclarerons l’incident à notre arrivée dans le système de Molov.


- Vous savez bien qu’ils ne feront rien : le Gouverneur Vlachek a d’autres chats à fouetter.


- Vous avez encore raison, Navigateur. Nous en sommes à espérer qu’il nous règle notre cargaison précédente. On s’en occupera à notre arrivée à Euboea. J’espère qu’il n’y aura pas de problème d’ici là.


- Que l’Empereur vous entende, capitaine.


- L’Empereur est notre lumière dans les ténèbres.


- Comme vous dites.


* * *


La sensation de tomber la réveilla. Elle s’écrasa douloureusement contre une plate-forme. Le choc lui coupa le souffle et résonna un moment dans la structure métallique.


Elle avait soif. Sa langue avait gonflé et ses lèvres étaient desséchées. Ses lèvres ? Elle n’avait pas de lèvres auparavant. Elle passa prudemment les mains sur son visage… Un visage de femme… Avec des cheveux… L’Elu l’avait changé. Elle reconnaissait pourtant son ancien corps. Ses belles cornes, dont elle était si fière, étaient désormais réduites à deux petites pointes qui dépassaient à peine de sa chevelure rousse.


Le froid glacial la ramena à la réalité. Dans sa nudité totale, elle grelottait. Une fois que ses yeux furent habitués à l’obscurité, elle vit qu’elle était sur une passerelle contre une cloison. Elle distinguait à peine devant elle un grand espace remplit d’immenses cubes d’acier. Elle n’avait jamais rien vu de semblable. Elle avait peur.


« Elu… aidez-moi… »


Son protecteur resta muet.


Elle se redressa, le contact de la passerelle était douloureux à ses pieds. A sa droite, un escalier descendait, à sa gauche un autre montait. Elle choisit le second dans l’espoir de se réchauffer dans l’effort. Au mur des écritures lui étaient illisibles. Il y avait des flèches rouges qu’elle suivit. Cinq étages plus haut, de l’eau semblait sourdre d’un tube de métal. Des mousses vertes s’était développées. Elle tenta de laper quelques gouttes en équilibre sur une rampe. L’eau avait un fort goût de ferraille mais elle put un peu étancher sa soif.


En haut des escaliers, elle se trouva face à une lourde porte en acier au milieu de laquelle il y avait une espèce de roue. Il y avait un dessin à moitié effacé : la rotation du volant ouvrait la porte.


Après que la porte eut pivoté sur ces gonds, Feetgave découvrit un couloir faiblement éclairé : la lumière jaillissait de lampes comme elle n’en avait jamais vu. Elle approcha ses mains et une douce chaleur l’envahit.


Après un quart d’heure de marche dans un dédale de couloirs aux embranchements multiples, elle arriva devant une porte percée d’un hublot. Il y avait de la lumière dans la pièce d’à coté mais il était impossible de faire bouger la roue. Elle cogna à la vitre pendant un moment dans l’espoir d’attirer quelqu’un. Le hublot faisait un pied d’épaisseur et douta bientôt que quiconque puisse l’entendre. Au bout d’un temps, elle résolut de s’en retourner si elle ne voulait pas geler sur place. Son estomac et sa gorge la tourmentaient encore. Il y avait peut-être quelque chose à manger. Il fallait fouiller. Elle commença l’exploration des salles attenantes : beaucoup étaient fermées. Dans l’une d’elle la température était assez élevée et elle s’y réchauffa un moment.


* * *


« Et comment tu l’sais, Joe, qu’il y a du pinard dans la cargaison ?


- Que tu es bête, Antony. J’ai regardé sur le livre de bord tout simplement.


- Ah ouais, pas con, Joe.


Le premier des deux hommes ouvrit un sas.


« Ouais mais, Joe…le capitaine, il a dit qu’il fallait verrouiller toutes les soutes.


- Ouais ben, on l’emmerde le vieux.


- Ah ouais, bien dit, Joe.


Munis de lampes torches, ils avançaient le long de couloirs.


« Mais, Joe… Y pèle là-dedans.


- T’avais qu’à prendre une veste comme moi.


- Joe…


- Quoi encore !


- Comment qu’on va l’trouver le pinard ?


- Facile, c’est le caisson Q0015. On l’ouvre, on ramasse une douzaine de bouteille, on le referme et on va se siffler la bibine en cabine.


- Oh, ce sera bien. Joe.


- Surtout que c’est du bon. D’après le livre de bord, il vient d’Ornsworld.


- Ouais. On est des malins, hein, Joe ?


- Ta gueule, Antony.


- Ouais, Joe. T’as vu comme ça résonne quand je parle. Hein Joe ?


Joe grommela. Il aurait donné cher pour apprendre qui est-ce qui avait attribué les cabines. Depuis le départ de Mordia, il se trouvait obliger de partager sa sienne avec ce lourdaud à deux neurones. Dans le vaisseau, il était le quatrième assistant du pilote et Antony, exécutant machiniste. Ils étaient en période de repos. Et juste avant sa pause, il avait débranché les systèmes d’alarmes pour les portes de la soute. Personne ne serait au courant de leur petite excursion. Par précaution, il avait pris des respirateurs au cas où le capitaine déciderait de couper l’alimentation en oxygène de ce secteur.


* * *


Feetgave avait entendu les voix et vu le halo de leurs lampes. C’était deux humains habillés de manière étrange. Elle hésitait à se montrer. Mais elle ne pouvait pas rester ici… Leur langue était incompréhensible.


* * *


« Q0012, Q0013, Q0014, bingo. Ouvre le caisson, Anthony.


- Ouais, Joe.


- C’est toi qu’a fait ce bruit ?


- Quel bruit, Joe ?


Joe balaya autour de lui avec le faisceau de sa lampe torche. Il lui semblait avoir entendu quelqu’un parler. Il l’aperçut et sursauta :


« Empereur-Dieu, Antony ! Regarde ! Il y a une gamine dans la soute ! »


Ils pointèrent tous deux leurs lampes sur elle. La lumière se reflétait sur sa peau blanche. Nue, droite et immobile, les poings serrés, on aurait juré un fantôme.


« C’est pas normal ça, Joe. Pas normal du tout…


- Je crois qu’on ferait mieux de se barrer Antony... C’est pas naturel…


* * *


Elle avait essayé de les saluer dans toutes les langues qu’elle connaissait : Reikspiel, Tiléen et différents dialectes de la Langue Noire. Ils n’avaient sans doute rien compris et ils l’éblouissaient maintenant avec leurs lampes. Ils avaient l’air d’avoir aussi peur qu’elle. Une inspiration soudaine lui fit mimer la pâmoison.


* * *


« Et Joe, elle tombe !


- Ouais, évanouie, on dirait.


- Dis Joe ? Je fais dans mon froc, Joe. On devrait se casser…


L‘assistant au pilote s’approcha et s’agenouilla près du corps étendu.


« C’est une mutante. Elle a dû embarquer sur Mordia. On peut pas la laisser là, elle va crever.


- Et pourquoi on peut pas la laisser là, Joe ?


- C’est une fille, Antony.


- Et alors ?


- Il faut vraiment te faire un dessin ? ça fait combien de temps que tu n’as pas touché de femme ?


Anthony se perdit dans un abîme de réflexion.


« C’est bon, arrête de réfléchir, tu vas te péter un boulon. On prend les bouteilles et la gamine. On aura de quoi passer le temps comme il faut.


- Quand même, on devrait l’dire au capitaine, Joe…


- Tu sais ce qu’on en fait des passagers clandestins ?


- Heu…


- On les balance dans le vide. Lorsqu’on se sera bien amusé, on aura qu’à dire qu’on a trouvé un passager clandestin…


- Mais, Joe. On va la trouver dans notre cabine… Puis si elle gueule…


- Mouais. Faut la mettre ailleurs. ça y est, j’ai trouvé. Il n’y a qu’à associer Yves dans la combine.


- Pourquoi Yves ?


- Parce qu’il est chef machiniste est que lui, il aura des locaux où elle pourra gueuler tout son saoul sans que quiconque entende. Puis, il me doit un mois de solde, que je lui ai gagné aux cartes.


- Ah ouais, ah ouais ! On est malin. Hein, Joe ? On pourra même la prêter aux copains, Hein Joe ? Contre des desserts ? Hein Joe ?


- Oui contre des desserts… En attendant, il faut se presser. Elle est glacée, elle va nous clampser dans les bras.


* * *


Maximilien «Maximus» Boieldieu arpentait nerveusement la passerelle dans son habit soigneusement repassé de Capitaine Libre Chartiste de la Flotte. En temps relatif, il servait l’Imperium depuis quarante ans dont trente-cinq dans la Flotte. En temps standard, il était né il y avait près de cent cinquante ans sur Omphalia…


Son père, lui-même natif d’Omphalia servait l’Adeptus Administratum avec le grade d’Auxiliaire. Grâce à lui, il avait pu intégrer l’école qui menait à l’administration de la Flotte sur Taran. Au bout de cinq terribles années d’étude, il était sorti second de sa promotion. Il se souvenait encore des brimades qu’échangeaient taranais et omphaliens dans les couloirs de l’université de la Meleagre I.


Aussi la nouvelle de la destruction de Taran qu’il avait apprise avec deux années de retard lui avait fait ni chaud ni froid.


Après l’école, il avait été nommé sur Euboea pendant cinq longues années avant d’être enfin affecté sur son premier vaisseau spatial – un croiseur classe Ironclad - avec le grade de Lieutenant. Il avait alors sillonné l’Ultima Segmentum et les rubans de campagnes sur sa poitrine montraient qu’il avait à son actif la guerre de Badab et la Croisade de Balur. A la fin de cette dernière, il avait demandé et obtenu son reclassement dans la flotte commerciale dans le grade de Capitaine.


De sa mère, il se souvenait à peine. Une poule pondeuse : il avait dix-sept frères et sœurs dont, huit morts en bas âge. A son dernier retour sur Omphalia, il avait pu assister à l’enterrement du dernier de ses petits filleuls âgé de quatre-vingt douze ans.


Il était fier de sa longue expérience d’officier. Il avait déjà dû affronter de l’insubordination de nombreuses fois et même une mutinerie, il avait eu à juger des meurtres, des sodomites, une quantité de voleurs et des trafics en tout genre.


Mais, là, son équipage avaient tout outrepassé. Ils avaient osé installer un lupanar dans son vaisseau ! Il se tourna vers les deux coupables et celle qu’il avait du mal à considérer comme une victime. Il avait fallu une indiscrétion du bosco pour qu’il soit mis au courant. Depuis combien de temps, sa centaine d’hommes d’équipage se vautrait dans la luxure à son insu avec cette… mutante ?


Cet être semblait avoir, quoi… seize années standards à tout casser. Elle avait la peau anormalement blanche et de grand yeux surnaturel entièrement vert luisant. Elle semblait totalement imperméable à son malheur. D’où sortait-elle ? Les femmes portaient le malheur sur les vaisseaux. L’adage ne se trompait pas, une fois de plus.


Le navigateur restait immobile, et semblait presque endormi concentré qu’il était dans sa tâche de guider le vaisseau vers sa destination toute proche : Euboea. Il ignorait encore si l’histoire que l’on racontait à propos de leur troisième œil était authentique. Le navigateur, lui, savait tout bien sûr, depuis longtemps. Boieldieu avait appris depuis longtemps à respecter l’immense savoir de ces êtres, infiniment non-humains. Pourtant, il supportait mal leur regard fait d’un mélange d’une espèce de supériorité dédaigneuse et de fatalisme.


Un capitaine est toujours seul face à son équipage et à l’univers. Ce dernier n’est pas forcément le plus dangereux pour un capitaine. Son maître lui disait cela.


Maximus avait convoqué sur la passerelle la moitié de l’équipage et il avait ordonné aux officiers de s’armer. Il avait déjà pris sa décision pour les deux complices : ils seraient mis aux fers jusqu’à Euboea. Là, il les confirait aux bons soins de l’autorité impériale pour qu’il purge une peine dans les Légions Pénales. Quant aux autres, ceux qui avaient profité de l’occasion, trop belle, pour tremper leur trique, il leur aurait bien réservé le même sort. Il lui fallait hélas s’accommoder de la faiblesse humaine, ils n’étaient pas aussi inflexibles que lui. L’Empereur avait bien raison de confier le commandement du troupeau humain à des individus de sa trempe.


Il observa attentivement la jeune mutante, mise dans des vêtements masculins trop grands pour elle, il sentit le tentacule visqueux du désir s’introduire dans son esprit. Il le chassa vigoureusement. Son éducation omphalienne et sa trop longue solitude, lui faisait haïr ses femelles humaines trop longtemps désirées. Celle-là était de la pire espèce. Il sortit son pistolet laser de son holter et s’en approcha. Un passage que Credo omphalien disait :


«La mort est promise aux mutants»


Nul n’osait respirer. La jeune mutante paraissait comprendre que l’arme lui était destinée. L’équipage n’en semblait pas aussi sûr. Le capitaine en sourit intérieurement : cette incartade n’avait donc pas entamé son autorité.


La mutante s’agitait solidement maintenue entre deux officiers. Elle criait dans un mélange de Bas Gothique et de son dialecte incompréhensible. Soudain, elle s’immobilisa et commença à réciter d’une voix sourde une étrange mélopée. Maximus ôta la sécurité de son arme et la pointa à quelques centimètres de son visage. Il supposa que, s’attendant à la mort, elle priait. Il attendit qu’elle eut terminé.


Brisant le silence religieux, le cri du navigateur fit sursauter tout le monde :


« Le champs de Geller ! Il cède ! »


* * *


Depuis son arrivée sur ce… bateau - elle avait fini par comprendre qu’elle était sur une espèce de bateau fermé dans un genre de mer-, elle avait été frappée par la rareté des flux magiques. Tout dialogue mental ou «marche-en-esprit» s’étaient avérées impossibles. Ce sentant en infériorité, elle s’était accommodée de sa situation, ruminant son envie de tous les soumettre à ses caprices. Ces humains lui avaient donné à manger et à boire. Craignant un moment pour sa vie, elle avait rapidement compris qu’il n’y avait qu’une seule chose qui les intéressait : distraire leurs vits. Ces humains étaient aussi faciles à satisfaire que des brays. Devançant leurs attentes, elle avait acquis une espèce d’ascendant sur eux : ils l’avaient installé confortablement et la nourrissait correctement. La nourriture était globalement fade et sans goût –à l’exception des desserts sucrés- mais il semblait que c’était ce que ces hommes mangeaient eux-mêmes. Les exercices qu’ils lui imposaient étaient aussi peu variés que sans attraits et elle en venait à regretter les slaangors. Seul un grand niais affectueux, nommé Antony, se débrouillait un peu mieux que les autres. C’était ce dernier qui lui avait appris les quelques mots de la langue de ces hommes qui la nommaient «Grandsyeux». D’autres l’appelaient «Fandelabite».


Il y avait deux jours –quoiqu’elle jamais vu de soleil, elle supposait que lorsque les lumières s’éteignaient, c’était la nuit- des soldats qui étaient des visiteurs réguliers étaient venus avec des espèces de bâtons en fer qui ne ressemblaient à rien de ce qu’elle connaissait. Il l’avait menacé puis l’avait emmené dans une pièce froide fermée avec des grilles. On avait jeté dans la cellule d’en face Antony et l’autre homme nommé «Joe».


Les deux hommes n’avaient pas arrêté de parler et semblaient très inquiets sur leurs sorts. Quelque temps plus tard, on l’avait tiré de cette prison pour l’emmener ici : une grande plate-forme métallique surplombée d’une surface transparente. Une espèce de bulle brillante semblait séparer le ciel noir du bateau.


Dans ce bateau, les sondages mentaux lui avaient révélé que le «pays des flux» était tout proche. Elle aurait juré que c’était la bulle qui en assourdissait le vacarme normal.


Un vieil humain à barbiche était très en colère. Il devait être le chef de tous vu la recherche de son vêtement. Elle pensa un moment qu’elle avait envie de porter le même.


Il avait hurlé des propos incompréhensibles en remuant beaucoup les bras. Mais Anthony et Joe baissaient la tête, c’était mauvais signe pour eux et pour elle. Ensuite, il avait sorti un petit morceau de métal un peu comme ceux des soldats mais en plus petit. C’était sûrement une arme. La peur l’envahit mais, se ressaisissant, elle invoqua l’aide de l’Elu dans la Langue Noire. Ce faisant, elle sentit le pays des flux s’approcher, la bulle semblait se déformer comme une surface élastique. Elle força sa concentration. Dans un rêve, le vieil homme s’était approché et pointait son objet étrange sur elle. Elle cria et quelque chose céda.


Comme un torrent, l’énergie brute du warp surgit dans le vaisseau et des démons se matérialisèrent partout à bord. Sur la passerelle, Feetgave vit des démonettes massacrer avec délectation les membres de l’équipage. Quelques rayons jaillissaient de ces étranges bâtons mais semblaient sans effet sur les démons. L’épuisement la gagnait si bien qu’elle avait du mal à tenir droite. Les deux humains qui la soutenaient gisaient littéralement écharper par des pinces immatérielles. Le chef des humains gisait coupé en deux par la taille souillant son bel uniforme.


Soudain, une chaleur familière l’envahit : l’Elu, il était là ! Une gigantesque silhouette devint de plus en plus nette à quelques pas d’elle. Un puissant sentiment de félicité mêlée de crainte la submergea.


« Elu !


- Je suis là.


Il était maintenant tout à fait distinct : une armure ouvragée jusqu’à la démence d’or, d’argent et de mille autres métaux et pierreries recouvrait entièrement son corps bouffi. Ses deux jambes semblables à des colonnes paraissaient ne le porter d’avec peine. Quatre gigantesques cornes entouraient son heaume au fond duquel on devinait deux petits yeux rouges. Sa longue langue tubulaire allait et venait sur sa poitrine. Une odeur douce et entêtante satura ses sens. Elle n’avait pas peur, il était tel qu’elle avait toujours su qu’il était.


Elle posa la question qui la taraudait depuis qu’elle avait quitté la branche de l’arbre après la bataille, il y a des siècles :


« Où suis-je ? Qu’attends-tu de moi ?


- Ce grand navire de fer t’amène là où tu pourras me célébrer au mieux. Tu m’y rencontreras de nouveau sous un autre aspect et je te guiderais.


- Quand ?


- Bientôt. Maintenant, il faut fermer la bulle d’énergie, sinon tu mourras et j’aurais perdu mon temps.


- Comment ça ? Le Prince du Plaisir n’est pas seul ici : les faibles humains sont morts depuis longtemps mais vois, ce n’est qu’à avec peine que mes serviteurs tiennent la passerelle.


Elle se retourna et effectivement, elle aperçut au fond de pièce une mêlée de créatures en tout genre qui semblait presque irréelle.


« A bientôt »


Il avait disparu. L’énergie magique se raréfiait et elle ressentit de nouveau l’effort colossal qu’elle avait fait pour percer la bulle.


Les démons devenaient de plus en plus transparents, certains se dégonflaient même comme des baudruches d’autres se figeaient un moment puis disparaissaient. Elle distingua une créature translucide rouge et sinueuse bondir vers elle. Ses yeux blancs la fixèrent : une haine mille fois plus forte que celle éprouvait elle-même la transperça. L’épée noire et les crocs de cette dernière allaient frapper lorsqu’elle s’évapora soudain.


Le silence enveloppa le vaisseau comme un suaire. Quelque part du sang coulait goutte à goutte dans ce qui était déjà une flaque.


Feetgave parcourut la passerelle à la recherche d’un survivant. Nul ne semblait vivre. La solitude lui pesa tout à coup et les relents de la peur la saisirent. Des gargouillis la firent se diriger vers un grand fauteuil d’où une multitude de fils jaillissaient et qui surplombait la scène.


L’homme assis-là était un mutant comme elle. Elle sentit son affinité avec les «flux» pourtant son aura n’était pas assez puissante pour être celle d’un sorcier. Ses membres paraissaient trop grands pour lui et cette difformité était encore accentuée par sa combinaison moulante. Il retenait ses tripes de ses mains. Ses yeux hallucinés par la douleur se plongèrent dans les immenses yeux verts de Feetgave. La terreur s’inscrivit sur ses traits et il expira. Feetgave remarqua le bandeau frappé d’un œil qui masquait son front. Un pressentiment de danger la fit s’éloigner.


Une sonnerie assourdissante se déclencha, si bien que Feetgave dut se protéger les tympans avec les mains. Une secousse ébranla le vaisseau tout entier. L’espace d’un instant, la passerelle fut inondée de lumière. Lorsque la luminosité revint à la normale, la bulle brillante avait disparu et des étoiles apparurent à travers la verrière.


* * *


Pendant sa longue période d’inactivité, le genestealer s’était empâté. Il contempla les derniers survivants de sa communauté rassemblés autour de lui au fond d’un sombre hangar. Tous épiaient le moindre de ses mouvements. A défaut d’une solution, ils attendaient de lui une décision. De son intellect animal, il se rendait bien compte que la situation était critique.


Alors que sa communauté avait prospéré discrètement depuis près d’un siècle au sein de la société humaine d’Euboea. Elle avait été, malgré elle, entraînée dans des affrontements sans issus avec les clans et les gangs qui fondent la base de la société euboeane.


Tout d’abord, il y a un an, de nombreux fils avait été perdus dans le conflit contre la Secte du Lumineux Bayon. Grâce à leur prudence, leur véritable identité était alors restée ignorée. Mais depuis, les rixes s’étaient multipliées avec les clans et il avait fallu se dévoiler pour l’emporter. La véritable nature de leur communauté était apparue au grand jour et, désormais découverts, la société euboanne s’était unie pour les annihiler comme un corps essaye d’expulser un cancer pernicieux.


Le patriarche venait de perdre son nid, ainsi que tous ses frères. Lui-même, le plus vieux des genestealers de la communauté, avait été partiellement brûlé par un lance-flammes. Un jeune consanguin léchait pitoyablement ses plaies.


La perte de ses enfants l’avait profondément affecté. Le patriarche n’entrevoyait aucune solution. Son esprit fouilla le warp : l’ombre violette des âmes genestealers n’était plus qu’une tâche minuscule. Soudain, la décision s’imposa : il ouvrit son esprit, une vague de chaleur et de douceur le submergea. L’instinct genestealer lui disait que pour survivre, il fallait parfois mourir. Il abandonna son âme et il ne savait pas ce que c’était que le regret.


Fol’iog’gdailrh dit l’Elu avait un corps.


* * *


Dakazog Duffzog dit aussi Walkin' Moon était le plus puissant des orks Bad Moon de l’univers. C’était du moins ce qu’il y avait écrit sur la grande bannière accrochée derrière son trône.


Son vaisseau, le Walkin’ Moon, une immense masse informe de tôles collées sur un astéroïde qui tenait ensemble par on ne savait trop bien quel miracle, parcourrait ce système depuis plusieurs mois. La bulle énergétique qui maintenait une atmosphère autour de l’engin, illuminait le vide interplanétaire. Aujourd’hui, la poursuite d’un petit vaisseau humain les occupait. C’était un bien petit gibier pour lui et ses boyz mais les tributs devenaient rares. Dans sa jeunesse, alors qu’il n’était qu’un jeune stromboy, il se rappelait que les dents et les armes arrivaient à pleines caisses depuis les zoms de Taran.


Le grand hall du Walkin’ Moon pouvait facilement être occupé par un millier d’ork en même temps sans qu’ils aient besoin de se serrer. Par l’alignement d’immenses et épais hublots à gauche du trône, l’étoile de ce système se devinait à peine. Du plafond haut d’une demi-douzaine de mètre, un système de lampes à gaz dont plusieurs donnaient des signes de faiblesse éclairaient le sol. Dans le fond de la salle, des gretchins entrepreneurs avaient étalé sur une étoffe les marchandises dont ils espéraient tirer quelques dents. L’un d’eux, une casquette visée sur la tête, vendait des squigs grillés, l’odeur de la chair rôtie se mélangeait à celle de l’huile chaude qui emplissait le vaisseau. Le piaillement des vendeurs s’effaçait derrière le ronronnement lointain d’une énorme machinerie.


Aujourd’hui, Dakazog s’ennuyait ferme. Il soupira en appuyant son menton sur son avant-bras. De l’autre bras, il se gratta machinalement une grosse verrue derrière l’oreille. Sa peau épaisse couturée de cicatrices tournait sur le vert-marron et l’excès de bonne chaire pesait sur son embonpoint. Devant lui, deux gretchins bouffons essayaient de le distraire par des farces et des grimaces. Il leur lança son gobelet taillé dans un crane humain. Le gretchin visé eut le bon goût de ne pas l’éviter. Le projectile le heurta en pleine face et le gretchin trébucha de la façon la plus comique qu’il soit. L’assemblée des nobz Bad Moon qui étalaient indécemment leurs armures perfectionnées et leurs armes dernier cri gloussa.


Un ork du clan du même clan de Dakazog, reconnaissable à sa plaque dorsale marquée d’une lune noire sur un fond blanc, déboula en courant dans le grand hall. Ses pas résonnèrent dans les poutrelles métalliques et dérangèrent un squig à grandes pattes qui se repaissait à cette altitude des restes d’un snotling.


“ Hé, boss, boss ! Rotgot a vu quekchose !


- Ben, c’est pas trop tôt. Alors ousqu’il est ce maudit vaisseau ?


- Non ! boss, C’est mieux encore ! Un aut’ vaisseau ‘achement gros !


- Un aut’ vaisseau ?


- Ouep, boss ! Y’ aura d’la baston, boss ?


- Montre-moi voir.


Duffzog et toute sa cour de nobz, d’orks, de gretchins porte-bannières, porte-plateaux, portes-éventails et milles autres menus objets suivirent l’ork. Ils arrivèrent dans le réduit d’où le mékano Rotgot observait l’espace. Cet ork avait une tête toute en longueur et une mâchoire relativement étroite par rapport au standard de sa race. Cela faisait dire aux médisants qu’il était à moitié gretchin. Déjà, tous le considéraient comme un “ruzé“ voire un “savanzt“, deux attributs qui sont moins fréquents chez les orks que chez leurs petits cousins. Tous respectaient cependant sa capacité à bâtir de grosses armes bruyantes. Par ailleurs, une bonne partie du vaisseau ork lui était due.


Nullement intéressé par le spectacle offert par le cosmos, malgré la gigantesque planète gazeuse aux couleurs chatoyantes qui défilait lentement sur tribord, Dakazog apostropha le mek.


“Ousqu’il est ce vaisseau ‘achement gros ? J’espère que pour toi qu’c’est pas un caillou.


- Ah non ! Boss. Regardez-là, boss.


Le mekano pointait son doigt sur la verrière laissant une trace graisseuse. La majorité des orks regardait le doigt. Duffzog qui voulait cacher aux autres que sa vue baissait ne savait quel parti prendre : même s’il comprenait qu’il fallait suivre du regard la direction du doigt, il ne voyait strictement rien.


“ Humm. Y a pas moyen d’l’voir mieux ?


- Ah ben, si, boss. D’ici, on voit rien. Regardez là-dedans.


Le mek désignait fièrement le télescope biscornu dont il était l’inventeur.


Duffzog colla son œil rouge sur la lentille et un sourire mauvais se dessina sur son visage.


“ Ah ouais… ‘l est ‘achement gros…


Il passa un long moment à l’étudier. Il se demandait si son bolter super-kustomisé portait jusque là-bas. Peut-être que s’il tirait dans le télescope… Heureusement pour ce dernier, il changea d’idée :


“ Hé, Grimkop, t’es où ?


- Présent, M’sieur.


Le Blood Axe s’avança.


“ Toi qu’est copain avec les zoms, tu peux me dire c’que c’est que ça ? ”


Un gloussement parcourut l’assemblée de nobz et de gretchins. Snobant les moqueries, l’ork dans un uniforme gris parfaitement repassé et couvert de médailles s’avança aussi raide qu’un ork pouvait se tenir. Après avoir ôté sa casquette d’un geste affecté, il regarda dans le télescope.


“ C’est un genre de Galaxy, M’sieur, un vaisseau d’marchands. Mais, c’est bizarre…


- C’est quoi qu’est bizarre ?


- Ben, M’sieur… On dirait qu’les moteurs sont éteints.


- Super ! ‘ vont pas s’échapper ceux-là alors ! Les gars, armez vos bolters ! On va à la baston !


- Waa ! On y va ! On y va ! On y va !


Le cri fut repris crescendo dans tout le vaisseau.


* * *


Feralia Redondo surveillait les hologrammes à bord de la cabine de pilotage de son petit vaisseau de contrebandier. Il veillait maintenir la géante gazeuse entre son appareil et celui -énorme- des orks. La partie de cache-cache durait depuis deux semaines standards. Les orks ne semblaient pas vouloir se lasser de la poursuite.


La solution aurait été de sortir du plan du système stellaire puis de déclencher les réacteurs warp afin de se réfugier dans cette dimension. Cela pouvait marcher si les orks réagissaient lentement mais leur vaisseau, malgré sa construction hétéroclite, paraissait quasiment aussi rapide que le sien. Pour l’heure, il fallait attendre… - c’était les ordres de cet étrange genestealer qui avait pris l’ascendant sur eux.


Tout allait de mal en pis depuis… longtemps. Feralia essayait de se souvenir depuis combien de temps ses compagnons et lui erraient d’étoiles en étoiles. Tout avait commencé il y avait près de vingt ans en temps relatif soit facilement plus du décuple en temps standard.


C’était sur Gathalamor qu’il avait été initié au culte de Prince des Plaisirs. Il conduisait alors des charters de pèlerins entre le Segmentum Solar et le Segmentum Pacificus. Très tôt, il n’avait éprouvé que du mépris pour ce troupeau humain ânonnant des psaumes et des cantiques dans une langue qu’ils ne comprenaient pas à un Empereur réduit à l’état de statuettes peinturlurées. En tant que navigateur, il connaissait la véritable nature du warp. Il connaissait par conséquent la véritable nature de ces habitants : des dieux en puissance… L’Empereur était l’un d’eux. Un parmi d’autres.


Tout avait commencé assez innocemment dans une des innombrables fêtes dans lesquelles s’ébrouent une partie de la haute société locale. Là, il avait pu découvrir combien l’indolence et l’oisiveté étaient douces. Les hommes et les femmes qu’il avait alors rencontrés avaient éveillé en lui ce dont l’éducation castratrice des Redondo l’avait toujours privé. Là, ils l’avaient accepté comme l’un des leurs, personne n’avait fait de remarques sur sa peau presque translucide. Tous les autres, les serviteurs de l’Empereur des hypocrites, malgré leur déférence envers sa fonction, l’avait regardé comme le dernier des mutants.


Dès lors, il avait rompu avec ses attaches avec la Maison Redondo et l'Empire humain. Il ne s’était pas présenté lorsque le vaisseau charter avait dû repartir. Il avait ensuite passé près d’un an sur Gathalamor où il avait été introduit toujours plus loin dans ce qu’il avait fini par identifier comme une secte de Slaanesh. Cette découverte, au lieu de l'horrifier, l'avait ravi. Ce dieu, à la différence de l’Empereur, répondait aux prières. Grâce à son assiduité, le navigateur s’était rapidement fait remarquer et le Prince de Plaisir l’avait gratifié d’une première récompense : une seconde peau sous la forme d'une armure magnifiquement ouvragée qui avait fusionné avec son corps. Slaanesh n'aurait pas pu mieux le combler.


Plus tard, une purge plus ou moins diligentée par l'Adeptus Arbites dans son milieu était passé assez près de lui et il avait jugé bon de prendre le large. Même sur Gathalamor, les talents d’un navigateur renégat s’arrachaient à prix d’or et, grâce à ces contacts, il n'avait eu aucun mal à se faire embaucher. Après quelques peccadilles, il n'avait pu refuser l'offre que lui avait faite les boucaniers de Crangor de la nébuleuse de la Pince. Il avait là joui de tout ce qui peut contenter un adorateur de Slaanesh et cela jusqu’en 988.M41. Cette année-là, l'Imperium se fâcha vraiment et décima les Boucaniers. Il avait cependant réussi à se sauver avec l’un de leur vaisseau. Un des seconds de Crangor présent à ce moment là à bord, avait émis des réserves à cette fuite. Depuis, son crane recouvert de peau desséchée était suspendu sur la gauche du poste de navigation. Son voyage à travers la galaxie avait duré de nombreuses années. Petit à petit, il s’était constitué une suite de convertis et vivotait de trafics divers. Leur errance les conduisit enfin sur Eubeoa, une planète toute faite pour eux : autorité impériale faible, climat clément et une élite oisive et fortunée. Ce fut là qu’ils se firent piéger par un genestealer…


Le navigateur savait (il l'avait appris de son ancien maître et professeur) qu’ils étaient désormais tous infectés même si lui-même ne se souvenait de rien de précis. Cela faisait parti du processus. C’était peut-être à cause de l’infection mais cela ne lui faisait ni chaud ni froid. Il n’avait nulle envie de se révolter, il était un vecteur de la race genestealer mais son sort ne l’horrifiait pas. Il aimait comme un père l’énorme créature qui partageait son vaisseau et qui avait pris le commandement du groupe. De plus, il savait que le corps bouffi de ce genestealer abritait une entité de leur seigneur bien-aimé Slaanesh. Il sentit sa présence rassurante dans son esprit et le navigateur sourit d’aise.


Pourtant aucun de ses traits ne bougea, le visage de Feralia était vide et inexpressif : ni bouche, ni yeux, ni nez, ni oreilles. S’il pouvait ôter son casque, l’armure du Chaos avait réduit sa face à une surface de chair translucide à travers laquelle on distinguait les restes de ses organes effacés. Par un curieux caprice, aucun de ses sens n’était altéré. Par contre, son alimentation en était plus problématique. Une ouverture à la base du cou, sous la pomme d’Adam lui permettait de s’alimenter.


Un clignotant sur son interface holographique le tira de ses pensées. Un nouveau vaisseau venait d’apparaître à l’extérieur du système. En quelques mouvements aériens de ses mains, Feralia concentra son attention sur le signal d’identification qu’il émettait. C’était un vaisseau marchand classe Galaxy. Qu’est-ce qu’il pouvait bien faire là ? Un message télépathique l’interrompit.


« Elle est là.


- Qui ça, seigneur ?


- Celle qui vous commandera jusqu’à ce qu’elle soit digne de l’ultime récompense. ”


Feralia ne comprenait pas bien ce que cela pouvait signifier. Un ordre le tira de sa perplexité :


« Rejoins cette chose.


- Mais seigneur… Si ce vaisseau était armé ? Et… les orks ?


Comme un fait exprès, son écran lui signala que le vaisseau ork faisait désormais route sur le vaisseau de commerce.


« Il faut récupérer mon enfant.


- Bien, Seigneur.


Le navigateur ralluma les réacteurs. Il allait bientôt apercevoir le vaisseau ork sur bâbord.


* * *


Un sourire se dessina sur le visage crevassé de Dakazog Duffzog. Ces deux captures affermissaient son autorité sur sa tribu. Ses gretchins espions lui avait signalé le mécontentement des Goffs qui aurait déjà voulu le laisser retourner à l'état d'ork sauvage voire provoquer un duel dans l’arène de justice. Désormais, le doute avait disparu, le Walkin' Moon était un bon vaisseau donc, il était lui un bon boss puisque les bons boss ont toujours de bons vaisseaux. Les boyz et les gretchins comptables n'avaient encore inspecté qu'une toute petite partie la cargaison du vaisseau de commerce impérial mais il savait déjà qu'il allait en avoir pour des semaines. Il était riche. Le vieil ork songeaient déjà à rajouter sur sa bannière : "Dakazog Duffzog, l'ork le plus riche de l'univers" ou quelque chose comme ça.


Le space hulk ork n'était qu'à moitié aussi grand que le Galaxy. Il se maintenait coller à ce dernier par de puissants champs traktor. Le contraste était saisissant entre le vaisseau impérial à la structure relativement lisse et le vaisseau ork à la construction totalement anarchique. C'était à l'intérieur de ce monstre de roches et métal qu'avait été arraisonné le vaisseau du navigateur renégat Redondo. Lui non plus n'avait pu échapper aux rayons tracteurs.


Le boss ork se pencha sur la quarantaine de prisonniers humains chargés de chaînes et solidement encadrés par des boyz de tous les clans. C'était tout le tas qu'ils avaient ramassé dans le petit vaisseau et la femelle malingre qu'ils avaient récupérée dans le gros. Cette dernière semblait être la seule survivante d’un équipage qui baignait désormais dans l'odeur de chair faisandée,


De tout cela, aucun n'avait daigné combattre avant de se rendre… Le boss ork en était vexé. De plus, l'aspect de certains d'entre eux ne laissait aucun doute, ce n'étaient pas des "zoms" roses et mous de l'Empereur. C'était d'affreux mutants. En faire de bons esclaves lui paraissait difficile puis ils avaient déjà trop gretchins - il y avait toujours trop de gretchins. Il était partagé entre l'envie de les jeter dans le vide spatial, de les faire piétiner par les squiggoths qui manquaient d'exercice dans les cales, de les faire courir pour l'entraînement dans le champ de tir, voire de les faire s'entretuer pour le spectacle. Il était en train de penser qu'il y a en avait assez pour les quatre activités lorsqu'une voix dans sa tête l'interrompit.


« Dakazog Duffzog ! Je peux te rendre plus puissant que le plus puissant des boss orks qui aient jamais vécu. Je peux t'offrir un domaine qui s'étendra par delà les étoiles. Je peux te rendre immensément riche. Orks et hommes se prosterneront devant toi…"


Ce début l'avait complètement interdit. Il regarda autour de lui pour savoir qui avait parlé. Il se retourna un instant pour vérifier s’il n’y avait personne derrière lui.


" Qui es-tu ? prononça-t-il enfin à la grande surprise des orks et des gretchins assemblés dans un silence relatif devant son trône dans le grand hall.


" Celui qui peut tout t'offrir."


Le front du vieil ork se plissa. Il n'était pas devenu chef sans être parmi les orks les plus malins. Il y avait un piège. Il regarda attentivement les prisonniers devant lui s'attardant sur le visage de chacun d'entre eux. L'un d'entre eux était sûrement un sorcier. Aucun ne paraissait être en train de lui faire des tours. Quoiqu'il n'aurait rien juré sur celui qui était aussi armuré qu'une boite de conserve de luxe. Dakazog se leva.


"Qui c'est qui s'permet d'causer dans ma tête ? Qui c'est qui est sorcier ici ?"


Les orks se regardèrent entre eux sans comprendre. Le Blood Axe Grimkop intervient.


"Mais... Y a pas d'bizarboyz dans la salle, M'sieur."


- Je cause aux zoms ! Y a un sorcier qui m'cause dans l'tas !


Redondo ne savait trop comment réagir. Il subodorait que c'était là l’œuvre de leur patriarche genestealer. Il avait échappé aux recherches des orks. Le navigateur se demandait comme une si obèse créature avait pu passer inaperçue. Il se risqua à parler.


"Je suis un grand sorcier.


- Alors cause-moi normalement : qu'est-ce tu peux m'offrir ?


Redondo réfléchit rapidement. Il connaissait les grandes ficelles de la mentalité ork : les orks n'aiment rien tant que les riches butins et des combats.


"Je peux t'offrir de très beaux combats... ”


Un murmure d'approbation s'éleva des orks de l'assistance qui comprenaient plus ou moins le gothique, le langage impérial standard. Ils eurent tôt fait de traduire aux autres. Quelques gretchins se permirent même de couiner avant que des tapes vigoureuses ne les fassent taire.


"...et des butins...


- Et où ça ?


- Je connais le chemin à travers les étoiles vers de riches mondes impériaux.


Des lueurs de convoitises s'allumèrent dans les yeux de nombreux orks. Dakazog était encore sceptique. Il savait les sorciers encore plus rusés le plus rusé des gretchins. Il appuya son menton sur son avant-bras et si une moue qu’il voulait dédaigneuse.


"Ah ouais ?"


Le silence se fit. Un Goff musculeux tout de noir vêtu le rompit bientôt d'une voix particulièrement gutturale.


"Chef, y a des tas et des tas d'temps qu'on n'a pas tapé sur des zoms. On s'rouille ici."


La centaine d'orks présente dans le hall approuva bruyamment. Dakazog fouilla sa mémoire et s'adressa à Redondo :


"Et... Tu connais le chemin vers… Taran ?"


Taran était dans sa jeunesse un symbole d'opulence. De là venaient les tributs les plus riches.


"Oui, seigneur, et vers bien d'autres mondes encore... Je pourrais vous y conduire pour que vous puissiez les attaquer."


Il ne croyait pas que le moment idoine pour expliquer que Taran n'était plus qu'une planète indigne d’intérêt et cela depuis des dizaines d’années. Il pourrait toujours lui parler de cela plus tard. Il se rendait bien compte que l'ork ne pouvait désormais plus se débarrasser de lui sans risquer de mécontenter ses subordonnés. La partie était déjà gagnée.


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