<b>CHAPITRE VI</b>
Feralia Redondo aimait se divertir l'esprit avec du calcul mental. Il consulta ses notes sur un large cahier de vélin. Depuis plusieurs années, son implant mémoriel était tombé en panne suite, sans doute, à ses métamorphoses.
Comme il n’avait jamais fait confiance en sa mémoire charnelle, il tenait presque quotidiennement une sorte de journal. Sa progression sur le chemin de la corruption n’y avait rien changé. Au contraire, il se plaisait à lister ses expériences et à noter consciencieusement les effets qu’il avait alors ressentis. Il se replongeait régulièrement avec délectation dans ses pages souvent illustrés de croquis parfois coloriés. La dernière page représentait la vue qu’il avait depuis sa fenêtre sur ork-ville et sur les montagnes environnantes toutes pelées par l’activité industrieuse des orks.
Après un bref travail de conversion, il estima qu'il y avait près de quatre années terrestres standards qu'il avait rejoint ce qui s'appelait désormais la Waa-Dakazog. Le seigneur ork était devenu considérablement plus puissant que lors de leur première rencontre. La nuit, les lumières des rayons tracteurs et celles des vaisseaux en orbite de la planète masquaient la lueur des étoiles.
De son fauteuil, il pouvait voir l’étendue de la ville ork encore bruissante malgré l’heure tardive. Les lueurs de dizaines de milliers de foyers et de forges illuminaient les enchevêtrements de bois et de métal vivement colorés des constructions orks. Au loin, il entendait encore les grincements de vérins hydrauliques qui montaient de l’un des ateliers de construction de gargants. Comme psyker, il sentait la formidable énergie psychique qui se dégageait de cette activité. Son sommeil en était troublé. Le Warp était agité au point que, parfois, il en avait mal à la tête. Les orks préparaient la guerre et leurs dieux grotesques étaient avec eux.
Les hommes de l’Imperium ne savaient décidément rien des orks. Si Redondo méprisait la rusticité de leurs mœurs et de leurs plaisirs, leur odeur et leurs manières, il devait admirer leur nonchalance dans l’adversité et leur obstination. Ainsi, il avait pu observer de ces techniciens appelés mekamaniaks travaillant sans interruption, sans même se sustenter, pendant des jours et des nuits entières sous le coup d’une fièvre créatrice subite. De primaires mais puissantes machines de destruction naissaient de leurs mains.
Redondo vivait dans le quartier humain d’ork-ville. En plus de ses propres compagnons, la Waa-Dakazog avaient sans mal acquis l’allégeance de nombreuses communautés d’humains. Ce secteur de la galaxie grouillait, semblait-il, d’exilés d’origine taranaise et de bandes hétéroclites de pirates ou de mutants survivants de rapines – un peu comme lui-même en fait.
Si pour les orks, les zoms étaient toujours des zoms. La cohabitation entre les différents groupes humains n’avait pas été de tout repos, au moins au début. En effet, dans leur exil, certains de ces groupes s’étaient tourné vers l’adoration de Khorne, le dieu sanglant, tandis que d’autres adoraient encore l’Empereur sous une forme ou une autre. Les premiers avaient été exterminés après de durs combats tandis que les seconds avaient été assez faciles à convertir… Slaanesh dominait à présent chez les humains. Mais le dieu du sang n’avait pas dit son dernier mot. Khorne restait populaire chez certains jeunes orks. De fait, les rixes étaient fréquentes mais parfaitement tolérées par le seigneur Duffzog. Elles n’étaient en somme guère plus sanglantes que les habituelles rivalités claniques des orks ordinaires.
Le navigateur savait sa position ambiguë. Par la volonté suprême du vieux genestealer, Feetgave, la jeune femme retrouvée dans le vaisseau Galaxy, était la chef incontestée de leur groupe et, par extension, de la dizaine de milliers d’hommes et assimilés d’ork-ville. Or c’était de ses propres talents de navigateur qu’avait besoin le seigneur Duffzog. Ce dernier n’avait que faire de Feetgave et de ses adorateurs. Il l’avait prouvé à de maintes reprises. Quel poids avait les milliers d’humains d’ork-ville face aux millions d’orks de la Waaargh ? Redondo savait que, s’il le désirait, il pouvait renverser l’autorité de Feetgave par l’intermédiaire de Dakazog. Au lieu de cela, il l’acceptait. La première raison était que le genestealer de qui elle tirait sa légitimité abritait une puissante entité du Prince des Plaisirs dont il était impensable de discuter les ordres. Ensuite, il aimait l’immense masse graisseuse immobilisée par son propre poids qu’était devenu le stealer comme un père et Feetgave comme une sœur. Enfin, il savait que cette dernière était à présent un psyker puissant qu’il avait déjà vu à l’œuvre.
Sortant un instant de sa méditation, il parcourut sa pièce du regard. Avait-il vraiment de quoi se plaindre ? Il habitait le palais du seigneur Duffzog, il avait de nombreux serviteurs soumis à ses caprices et sa vaste chambre était somptueusement aménagée. Etendant la main, il caressa un de ses mignons mollement allongés les luxueux coussins d’un immense lit à baldaquin tendu d’étoffes précieuses. Déçu de son absence de réaction, il lui pinça le téton. Le jeune adolescent se réveilla brusquement.
* * *
Feetgave quitta un instant le contact humide du gros genestealer. Elle était entièrement enduite de l’huile verdâtre suintant du corps. Rompue par les orgasmes provoqués par suggestion mentale, elle ne percevait plus l’horrible odeur de putréfaction qui planait dans l’air. La pièce n’était éclairée que par des bougies odoriférantes. Dans la pénombre, on distinguait de lourdes et riches tentures à dominante rouge récupérées par un groupe de pirates représentant une femme entourée d’animaux mythologiques.
Ce dernier respirait bruyamment s’étouffant à petit à petit dans sa propre graisse. Le souffle rauque faiblissait depuis des semaines mais elle sentait confusément que ce soir, Il allait partir. Son anxiété fut immédiatement captée par l’entité qui habitait le corps bouffi. Une voix qu’elle connaissait bien parla dans son esprit :
“Pourquoi as-tu de la peine ?”
Elle n’arriva pas à formuler immédiatement de réponse. Elle avait beaucoup appris au contact de son tuteur. Elle était infiniment fière de Son savoir et de Ses pouvoirs qu’Il avait daigné partager en partie avec elle, Sa plus fervente adoratrice. Elle dépassait maintenant la maîtrise son ancien professeur, Ghurhan’ch, le chaman homme-bête. Elle connaissait la vraie nature du “pays des flux” et de ses habitants. Fol'iog'gdailrh était l’un d’eux. Il était immortel. Si le corps qui lui servait actuellement de réceptacle venait à mourir, rien ne serait changé. Elle le savait. Mais le sentiment d’attachement qu’elle éprouvait pour cette créature était au-delà de toute description. Elle était la seule chose qui lui importait… Il aurait pu utiliser les technologies des orks s’il l’avait voulu. Ils avaient les moyens de se les offrir. Il les avait refusées.
Elle ravala les larmes qui commençaient à courir sur ces joues. Elle récita sa profession de foi :
“Je continuerais à Te servir jusqu’à ce que je sois digne de Te rejoindre.”
La voix reprit :
“ Ma mort ne doit pas être un deuil. Fête plutôt ma libération de ce corps.
- Oui, Seigneur... Mais… Je vais me sentir seule !
- La guerre qui se prépare sera l’occasion de te divertir et de m’honorer de multiples façons.
Un lourd silence tomba. Plusieurs minutes s’écoulèrent.
“ Brûle ce corps… Je m’en vais… A bientôt…Ma fille... ”
Le genestealer expira. La masse maintenue par la volonté démoniaque sembla s’effondrer sur elle-même et fondre comme un glaçon au soleil. Des humeurs longtemps contenues s’échappèrent du corps en odieux gargouillis maculant les luxueuses étoffes du lit. Malgré son endurance, Feetgave eut un mouvement de dégoût.
Elle se redressa aussitôt et articula :
“ A bientôt, père… ”
Le vaste lit à baldaquin, déjà couvert d’immondices ne suffit plus à retenir les fluides corporels mal-odorants qui dégoulinèrent sur les tapis.
Elle remonta lentement les escaliers menant à sa chambre en s’appuyant sur le mur de grossière facture, l’esprit perdu dans les limbes. Elle n’aperçut même pas le petit gretchin en livrée jaune qui la croisa.
Fol'iog'gdailrh avait disparu. Sa présence était masquée par deux gigantesques divinités qui teignaient de vert le Warp. C’était des dieux rigolards et frustres. Mais ils s’impatientaient.
L’indolence si douce de ces dernières années touchait à sa fin. Pour avoir affronter des adorateurs du dieu sanglant, elle connaissait la guerre telle qu’on la faisait dans cette… “dimension”. Elle n’avait jamais pu intégrer les principes d’astronomie que Feralia Redondo avait essayé de lui inculquer. Dans ces guerres, la mort frappait à distance comme avec des arcs dont les traits invisibles étaient capables de percer le métal et d’exploser. Elle avait même vu d’immenses créatures de métal aux canons immenses animés par un feu ardent et l’agitation d’innombrables orks et gretchins. La guerre ici était infiniment plus bruyante que la plus féroce des batailles auxquelles elle avait participé sur l’ancien monde. Infiniment plus longues aussi, les ennemis comme les alliés se comptaient par millions. Heureusement que sa magie était plus puissante qu’avant, elle avait énormément progressé. Elle savait tracer des pentagrammes, invoquer des démons et utiliser de puissants sorts. Les vents magiques étaient moins forts et moins faciles à manipuler mais ces derniers temps, l’agitation des orks était telle qu’elle retrouvait des sensations proches de celles de l’ancien monde.
Dans sa chambre, elle retrouva seule. Déjà le vieux genestealer lui manquait, il y avait comme un vide dans son esprit. Elle devait songer à la cérémonie funéraire.
Soudain, la réalité lui revint. Elle était nue et sale. Elle claqua des mains. Une demi-douzaine de serviteurs humains des deux sexes en toges ouvertes sur le sein gauche surgirent d’un passage masqué par un rideau. Pas un n’avait plus vingt cinq années terrestres standards et trois d’entre eux arboraient des mutations très visibles.
* * *
Dakazog Duffzog était à plus de cinquante mètres du sol au sommet du plus grand des gargants - celui qu’il avait choisi pour être le sien. Depuis la tête à l’effigie de Gork, appuyé sur une rambarde branlante, il sentait le vent frais, légèrement parfumé d’ozone, du soir. Quinze mètres plus bas, une équipe de peintres gretchins en équilibre précaire sur une planche terminait le grand glyphe Bad Moon du Gargant
La plate-forme était remplie d’une dizaine de serviteurs gretchins de la suite du seigneur ork. Dakazog écoutait parler Rotgot, son fidèle mékano. Ce dernier affirmait que les gargants étaient presque achevés.
“ Presque, presque, boss. Y manque plus qu’trois fois rien mais, nous, les meks, on s’dit qu’on peut pas aller à la waaargh sans rien, alors y faut bien fabriquer nos propr’trucs avec le rab’. Tu comprends ? ”
Dakazog Duffzog comprenait cet impératif ork légitime mais il sentait aussi qu’il ne devait pas tarder à lancer l’assaut. Les millions d’orks qu’il avait rassemblé était de plus en plus difficiles à tenir. Il savait que les Blood Axes s’agitaient dans leurs vaisseaux au-dessus de leurs têtes. Certains boss attendaient depuis trois années locales le départ de la Waaargh. C’était long trois ans pour un ork, surtout trois ans sans vraie bagarre… Des rixes régulières due aux rivalités claniques et tribales ensanglantaient pourtant les rues d’ork-ville. Il avait dû diviser la bizarbarak en trois, car la proximité et l’agitation des bizarboyz akkro avait déjà réduit en cendres un quartier de ville. Il fallait lancer la Waaargh maintenant et tant pis pour les retardataires et les beaux combats qu’ils manqueraient. Duffzog en était convaincu… La nuit, il faisait des rêves. Des rêves de guerre qui le faisaient se réveiller en sursaut. Lui aussi en avait marre d’attendre.
“ Mouais, c’est pas tout ça mais vos trucs, vous les f’rez pendant le trajet ou sur place. Y aura plein de trucs à récupérer là-bas aussi, hein. ”
Le mékano fit la moue. Son visage déjà oblong s’allongea encore davantage. Dakazog connaissait depuis longtemps son mékano. Il lui devait son vaisseau le Walking Moon et une bonne partie de son équipement personnel.
“ Si tu veux, on pourra embarquer ton matos en rab’ comme ça tu seras tranquille… ”
Rotgot retrouva un semblant de sourire.
“ Ok, boss, on fera com’tu dis. P’is on embarquera les gargants pas encore finis. Et on les finira avec les tributs.”
Le seigneur ork soupira intérieurement. Le veto du mékano aurait pu bloquer tous ses projets.
“ Parfait ! L’embarquement commence demain !
- Dans cinq soleils, sinon on pourra pas, moi j’dis.
- Après-demain !
- Faudra au moins quatre soleils et on s’ra juste !
- Après après demain !
- Quatre soleils où on part avec deux gargants sans canons.
- Mouais…
Dakazog était assez satisfait. Demain, il commencerait à embarquer la dernière production de chariots de guerre et les boyz puis après demain les gargants. De toute façon, les rayons capables de soulever un gargant pouvaient s’accommoder d’un surpoids causé par un mek.
* * *
Pior était son nom, il n’avait jamais eu beaucoup d’imagination pour se trouver des identités. Puis les noms les plus simples étaient les plus passe-partout. Les femmes qu’il côtoyait le surnommaient “Gueule d’amour” sûrement à cause de son iris bleu-vert très lumineux.
Auparavant, il s’était fait appeler Ivan, Megoch, Alexeï, Andrey, Carlovitch, puis encore beaucoup d’autres… Il reprenait souvent le nom de compagnons diparus, une sorte d’hommage posthume. Il avait du mal à se souvenir. Il n’arrivait même pas à se rappeler le nom avec lequel il était né. Il avait assumé trop d’identités différentes au cours de sa longue vie.
Il avait l’apparence d’un jeune homme de trente années terrestre standard et cela depuis… il ne rappelait plus vraiment. Il avait cessé de compter les années alors qu’il était encore au fond des dômes de Meleagre I. Selon lui, il était né depuis un bon millier d’années standards sur Taran mais mille ou deux mille ans qui pouvait dire ? Les ans n’avaient aucune prise sur lui.
Il s’appuyait nonchalamment sur son fusil laser et se caressa sans y penser sa barbe sombre de quatre jours. Cette nuit, il était de garde sur le mirador à l’entrée du camp humain d’ork-ville ; le vent frais le fit frissonner et il ajusta le turban qu’il portait sur la tête et lui masquait à l’occasion presque entièrement le visage et remonta la fermeture de son blouson élimé de cuir synthétique. Il ne connaissait rien de plus ennuyeux que de monter la garde. Il fit quelque pas en avant et en arrière, c’était tout ce que lui permettait la plate-forme de laquelle il était sensé surveiller les alentours éclairés par de mauvaises lampes à gaz et rester vigilant contre les incursions de voleurs gretchins voire d’orks avinés. Les rixes étaient fréquentes entre les humains et les orks malgré les ordres du seigneur ork qui les avaient sous sa protection. Les causes principales de ces affrontements était l’ennui et la bière de champignon. Aussi les humains se retranchaient la nuit dans une zone vaguement fortifiée et grillagée.
Pior s’assit sur le parapet et sortit d’une de ces poches un paquet de petits cigares qu’il alluma avec la mécanique du vieux fumeur. Il savait qu’il faisait une belle cible avec le point rouge de sa cigarette depuis le sol mais cela n’arriva pas à l’inquiéter.
La bizarbarak proche du quartier humain était particulièrement agitée ce soir. Des éclairs jaillissaient vers le ciel. Les orks avaient dû se rassembler imprudemment autour d’elle et les bizarboyz en souffraient visiblement.
Pour s’occuper, entre deux bouffées de fumée, il remonta dans le temps par la pensée. Il lui semblait se souvenir de la mort de sa mère. Il en gardait un visage pâle et ridé allongée sur un lit et il n’arrivait pas à avoir de la peine ni même un soupir. Il ne se souvenait plus. Par le passé, il avait eu une femme. Du moins, il lui semblait. Mais à qui était ce visage dont il avait encore l’image ? était-ce de celle dont il avait été le vrai compagnon à défaut de lui avoir donné des enfants ou était-ce celui d’une de celles qui avait suivi ?
Sa mémoire était celle d’un homme normal malgré l’aberration évolutive dont il s’estimait victime. Il arrivait difficilement trouver des souvenirs au-delà de quelques siècles. Seules quelques images survivaient. Une chose restait graver en lui. Il devait fuir. Il devait se cacher. On le cherchait. On lui voulait du mal.
Il y a longtemps, il avait été capturé et torturé quoique même sa chair n’en gardait plus trace. Mais il leur avait échappé. Depuis, il se réfugiait parmi les marginaux et les parias que ce soit dans les profondeurs des dômes des cités des hommes ou au fin fond de l’espace.
Il était un guerrier expérimenté. Il lui semblait toujours avoir vécu les armes à la main. D’abord au fond des dômes taranais, puis il s’était battu contre le Chaos sur Taran et contre d’autres hommes ensuite. Enfin, il avait quitté la planète avec des réfugiés pour se faire pirate au sein de cet empire ork. Par précaution, il cachait une partie de ces compétences et capacités pour ne pas attirer l’attention. En public, il lui arrivait de faire exprès de manquer des cibles ou de se laisser renverser à la lutte. Sa longue errance lui avait cultivé son don naturel pour la dissimulation et la discrétion. Il changeait régulièrement d’identité, d’apparence et de compagnons. Il s’était diagnostiqué un égoïsme forcené et une tendance certaine à la solitude qui s’expliquaient bien facilement considérant sa longue vie.
Soudain, il entendit un bruit : quelqu’un montait l’échelle métallique de son mirador. Il se saisit de son fusil laser avec une vitesse surhumaine et le pointa sur l’intrus. Il reconnut un de ses camarades du moment, un mutant aux yeux pédonculés nommé Ylanio ou quelque chose approchant. Il avait au moins deux heures de retard sur son tour de garde et il était ivre. Il se dressa tant bien que mal sur la plate-forme.
« Hé ! Pior ! Je m’suis rappelé que t’avait peut-être soif ! »
Il lui tendit la bouteille. Pior en but une généreuse rasade. C’était un tord-boyaux infâme mais l’alcool quelle que soit la quantité qu’il pouvait en ingurgiter n’avait sur lui aucun effet euphorisant.
« Tu sais quoi ! ça y est ! On va quitter ce monde pourri pour rentrer dans le mou à c’t Imperium de malheur. On va botter l’train à l’Emp’reur comme y disent les verts. »
Quoique Ylanio fut né dans l’espace sauvage et qu’il n’est jamais vu de près ou de loin un serviteur impérial, dans son idée, l’Imperium était la cause de tous ses malheurs. Cette entité vague était coupable des jours où la nourriture venait à manquer (même si cela ne s’était pas produit depuis qu’il était avec les orks) et coupable encore de son mal-être de mutant. Il l’expliquait à qui voulait l’entendre et était assez en phase, sur ce point, avec l’ensemble des humains d’ork-ville.
« Y aura de la baston aussi… »
La mentalité ork déteignait facilement sur les âmes simples.
« Et de quoi se faire dresser le gourdin… »
Cette dernière remarque lui fit penser qu’il avait douloureusement envie d’uriner et il entreprit de se soulager depuis le haut de la plate-forme.
« Tiens aussi. Y a la grosse Vicki qui te demande. Tu lui as fait une grosse impression la dernière fois.
Il partit dans un rire gras.
Pior descendit rapidement de l’échelle. Ce n’est pas que Vicki lui plaisait particulièrement mais il trouvait dans ces bras une forme d’oubli. Cependant, il ne savait que trop bien que cette femme était pervertie par le Prince des Plaisirs. L’emprise qu’avait le Chaos sur les hommes et les femmes du camp le gênait considérablement. En fait, il avait du mal à contenir la rage qu’il éprouvait envers cette divinité qui était désormais imposé aux humains d’ork-ville : Slaanesh. Il boycottait les rituels sophistiqués et leurs messes noires mais il ne dédaignait pas le plaisir sexuel qu’on lui offrait à moindre frai.
Une autre raison lui faisait se sentir mal à l’aise. Une communauté de genestealer grandissait au sein du camp. Il n’était pas sensible à leurs artifices mais il constatait avec un certain désarroi certains des compagnons qu’il appréciait tomber dans leurs rets. Des monstres qui n’avaient pas grand chose d’humain étaient nés et des hommes et des femmes leur servaient de parents comme une odieuse parodie de famille.
Que faisait-il encore là ? Il se posait cette question soir après soir.
* * *
Il sentait que c’était le moment. Le navigateur renégat était empli de fierté : il allait enfin pouvoir se venger de cet Imperium honni. Omphalia et les autres planètes sur lesquelles la horde ork s’apprêtait à fondre en seraient les victimes expiatoires.
La flotte ork venait de quitter l’orbite de la planète qui avait vu se rassembler “la plus grande waa-ork d’la galaxie” selon l’expression de Duffzog lui-même. Redondo occupait le siège de pilotage de son ancien vaisseau cannibalisé pour être installé sur la passerelle du Walkin’ Moon. Déjà immense, le volume de ce dernier avait été multiplié par cinq en moins de quatre ans. Des ailes supplémentaires avaient été construites pour accueillir les gargants, les innombrables tanks et surtout les nouvelles allégeances qu’avait obtenu Duffzog. C’était là aussi que logeait la majorité des humains qu’avait drainé la grande migration ork. Ce vaisseau informe dominait tout le reste de la flotte par sa taille.
Feriala Redondo contemplait l’armada de son visage sans expression. Le vaste champ énergétique du Walkin’ Moon protégeait une dizaine de vaisseaux plus petits. Mis à part dans le système de Terra et autour d’Hydraphur*, il n’avait jamais vu autant de bâtiments en une seule fois. Une bonne centaine d’entre eux étaient plus grands que des vaisseaux classe Empereur. Le navigateur savait que l’Imperium n’avait rien dans ce secteur de la galaxie pour arrêter un tel déferlement. Les bases de la Flotte impériale les plus proches étaient à des milliers d’années lumières et, dans ce secteur excentré, il pouvait se passait des années avant la moindre réaction. Les orks auraient le temps de se tailler un nouvel empire et lui de mourir d’extase. Malgré ces quelques connaissances, il devait s’avouer que son ordinateur de bord était dépourvu d’informations concrètes concernant la flotte et les Forces de Défenses Planétaires d’Omphalia.
Le guidage de l’ensemble de cette flotte s’annonçait délicat. Les orks n’avaient qu’une vision confuse du warp et leurs psykers qu’ils appelaient bizarboyz étaient tout sauf disciplinés. Ils avaient pour mission de suivre le Walkin’ Moon à la trace ce qui était loin d’être aisé. Enfin, Redondo estimait que si les orks essaimaient toute cette région de la galaxie, ce n’était pas plus mal. Il y en aurait bien assez pour prendre par surprise les défenses omphaliennes.
C’était un grand jour pour Dakazog, il marchait de long en large à coté de lui en mâchant nerveusement un squig. Son habituel troupeau de gretchins domestiques le suivait dans son va-et-vient. Trois d’entre eux soutenaient sa cape, d’autres des éventails, certains portaient des friandises ou encore des cigares. L’un des serviteurs manqua de le faire trébucher. Un magistral coup de botte l’envoya voler à l’autre bout de la pièce.
« Bon quand est-ce qu’on part ?
- Nous attendons les derniers vaisseaux, votre splendeur
- C’est qui les derniers ?
- Je l’ignore votre seigneurie.
- Bon on y va. Tant pis pour eux, il s’arriveront après la baston.
- Cela risque de nous affaiblir, maître. Il va nous manquer des gargants et des tanks.
- On en a déjà plein ! En route vers Taran !
Féralia Redondo n’avait jamais cru bon de rectifier l’erreur initiale du seigneur ork. Ce dernier croyait toujours fermement il allait attaquer le monde impérial qui n’était désormais que cendres. Pour un ork, un monde impérial vaut un autre monde impérial. Le navigateur avait l’intention dirigé la Waa-ork vers Omphalia et il envoya le signal de mise en combustion des réacteurs sub-lumiques aux salles des machines.