Le docteur Stone consulta son chronographe et avala une nouvelle pilule tirée du boîtier de plastique blanc. Si le taux de radioactivité continuait à monter comme il n'avait cessé de le faire depuis qu'ils avaient pénétré dans la jungle, l'iodure de potassium ne suffirait plus : c'est de combinaisons antiradiations dont ils auraient besoin.
Devant lui les trois kadriniens poursuivaient leur avance, taillant imperturbablement leur chemin à coups de machette. Par Grugni, comment supportaient-ils la chaleur étouffante et l'humidité sous leur lourd vêtement de cuir, leur chapeau et leur barbe interminable ?
<i>Poc. Poc. Poc. Poc.</i>
Quelle folie avaient poussé ces trois là à accepter de s'aventurer dans cette jungle ? Ils n'étaient pas les premiers à se lancer sur les traces du mythique diamant pistache dont la légende affirmait que lui seul était la clé qui permettrait de refermer la porte de l'enfer. tous ceux qui les avaient précédés n'étaient jamais reparu. On avait envoyé d'autres hommes à leur secours ; ils avaient disparu sans laisser de trace eux aussi. Puis d'autres hommes au secours des précédents qui n'avaient pas connu plus de succès. A présent il fallait aller sauver les hommes qui étaient allés sauver les hommes qui étaient allés sauver les hommes qui étaient allés sauver les explorateurs partis à la recherche du diamant pistache. Et Stone ne voyait toujours pas ce que les trois kadriniens pouvaient chercher eux, ici, dans cette jungle radioactive maudite.
<i>Poc. Poc. Poc. Poc.</i>
Le tapotement s'intensifiait. Dusty Mccoy qui ouvrait la marche interrompit soudain les moulinets de sa machette et fit un signe de la main. Les autres à sa suite s'interrompirent.
<i>Poc. Poc. Poc. Poc.</i>
Ils avancèrent doucement jusqu'aux abords de la clairière, écartant précautionneusement la muraille de verdure dense, veillant à ne faire aucun bruit qui ne puisse être couvert par le souffle de la brise brûlante dans les branchages loin au-dessus d'eux et les jacassements des oiseaux mutants. Ce qu'ils virent coupa le souffle de Stone.
Deux siècles dans cet environnement radioactif avaient transformé les habitants originels de cette région en pathétiques débris organiques qui n'avaient plus d'humain que l'apparence. Ils ne présentaient pas même l'homogénéité morphologique qu'on pouvait constater chez les zookoos habitant la frontière nord de la jungle : certains étaient grands et maigres, d'autres petits et bedonnants. Tous portaient les marques de mutations abominables : membres supplémentaires, peau d'un rouge de cuivre, bouches béantes hérissées de crocs...
Au centre de la clairière, un colosse de près de deux mètres à la peau rouge vif et dont le visage arboraient deux paires d'yeux d'un vert immonde superposés se tenait droit. A ses pieds, une dizaine de têtes tranchées étaient alignées – sans doute celles des malheureux qui avaient cru trouver gloire, fortune et diamant pistache dans cette contrée infernale et n'y avaient rencontré qu'un destin funeste. Le colosse rouge tenait une tête de plus dans sa main. Impassible, il attendait.
<i>Poc. Poc. Poc. Poc.</i>
A cinquante mètres de lui se tenait le monstre. Il ressemblait très exactement à un crocodile bedonnant dressé sur ses pattes arrière et que la nature ou quelque autre maléfice aurait doté de la stature d'un homme. Ses membres extraordinairement musculeux ridiculisaient même le colosse rouge en comparaison. Ses yeux sauriens jaunes brillaient de malévolence. Dans sa main droite, il tenait le monstrueux gourdin de bois finement taillé et sculpté dont il tapotait doucement l'extrémité arrondie sur la corne rugueuse qui recouvrait ses pattes postérieures. Le balancement lent émettait un bruit sec, léger et régulier.
<i>Poc. Poc. Poc. Poc.</i>
Il attrapa soudain le gourdin à deux mains et le cala contre son épaule gauche. A ce signal, le colosse rouge tendit son bras en arrière comme pour prendre de l'élan puis lança de toutes ses forces le chef tranché en direction du crocodile. Celui-ci accueillit le projectile d'un coup de gourdin si puissant que la tête s'envola par-dessus la cime des arbres les plus hauts, dispersant brutalement un essaim d'oiseaux hideux dans un concert caquetant de protestations.
Le colosse avait déjà ramassé une autre tête coupée tandis que le crocodile fait homme reprenait sa posture nonchalante.
<i>Poc. Poc. Poc. Poc.</i>
McCoy referma doucement le volet de verdure qu'il avait entrouvert pour reculer de quelques pas et se tourner vers ses compagnons.
"C'est elle."
"Aucun doute, c'est elle," confirma doucement O'Connor. "Et elle a bien plus de valeur que tous les diamants de l'univers."
"Allez-vous me dire ce que vous êtes venus chercher ici si ce n'est pas le diamant pistache," interrogea Stone.
"On en reparl'ra plus tard," fit Martens. "Fichons le camp d'ici. Faudra rev'nir avec de l'armement lourd."
"C'que cette bestiole a dans la patte Doc'," fit O'Connor qui ramassait son paquetage et emboîtait le pas à Martens, "est p't-êt' la dernière Louisville Slugger Greatest Hitters Series One Di Maggio de cette galaxie."
Il s'arrêta pour jeter un dernier coup d'oeil en arrière.
<i>Poc. Poc. Poc. Poc.</i>
"Et on r'viendra la chercher."